Déclaration de Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur la crise financière européenne et les mesures déjà prises ou en cours pour soutenir l'euro et les pays de la zone euro, au Sénat le 22 juin 2010.

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Circonstance : Séance de questions cribles thématiques, au Sénat le 22 juin 2010

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Je vous prie d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Christine Lagarde, actuellement retenue à l'Elysée.
Pour ma part, je me réjouis de la tenue du présent débat. Il permet, sur des sujets en apparence techniques mais en réalité très politiques, de réaliser ensemble un travail de pédagogie et d'explicitation.
Pour en venir à votre propos, Monsieur Vera, vous avez pointé deux éléments finalement assez justes. D'une part, la dérégulation à l'échelle mondiale, dont nous avons pu constater certains effets au moment de la crise, a malheureusement eu des conséquences tout à fait déplorables. D'autre part, notre secteur financier national a bien résisté.
En revanche, vous avez formulé un certain nombre d'allégations qui ne me paraissent pas réellement fondées.
Lorsque le plan "de sauvetage des banques", pour reprendre les termes que vous avez employés, a été mis en place, il s'agissait à l'époque de redonner du souffle au crédit, secteur alors en pénurie, et, partant, à l'économie française, au bénéfice des entreprises et des ménages. La contrepartie de ce plan, à savoir la rémunération de l'Etat par les banques, a rapporté autour de 1,4 milliard d'euros.
De plus, les mesures élaborées pour accompagner les engagements pris par les banques - je pense notamment à l'instauration du médiateur du crédit - ont permis aux entreprises de ne pas être asphyxiées.
Par ailleurs, pour ce qui concerne la Grèce, ainsi que l'ensemble des dispositifs européens dont nous aurons l'occasion de reparler, je voudrais souligner combien, là encore, la France a pris nombre d'initiatives pour garantir la solidité de nos systèmes financier et bancaire et celle de l'euro, et donc pour assurer la préservation de l'emploi et de l'activité.
Monsieur Zocchetto, je vous fournirai deux réponses, que j'espère claires, à votre double question, qui, elle, l'est assurément.
Le premier point concerne la prévision de croissance, fixée à 2,5 % pour 2011. A cet égard, nous allons suivre la procédure habituelle, c'est-à-dire attendre les résultats du deuxième trimestre de l'année courante, disponibles au cours du mois d'août, et aviser ensuite. D'ici là, la prévision est maintenue, et il est trop tôt pour la modifier. Cette remarque vaut pour cette année comme pour toutes les autres.
Vous avez employé, Monsieur le Sénateur, le qualificatif "fantaisiste", ce qui, me semble-t-il, est tout à fait exagéré et ne correspond pas à la réalité. Un certain nombre de prévisions fournies par des experts indépendants montrent que notre prévision de 2,5 % n'est pas du tout irréaliste. Je voudrais citer celles de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques - 2,1 % -, de Goldman Sachs - 2,7 % -, ou encore de Bank of America - 2,1 %. Comme Christine Lagarde a eu l'occasion de l'indiquer, le taux susvisé est assez volontariste. Elle a même employé le qualificatif "audacieux". Il faut tenir compte d'un certain nombre de bons signaux enregistrés récemment. Je pense aux créations nettes d'emploi au premier trimestre, alors que tous les experts tablaient sur des destructions.
L'expérience du passé montre que les rebonds techniques sont d'autant plus puissants que la crise préalable a été profonde ; et Dieu sait que tel fut le cas !
Encore une fois, il est trop tôt pour modifier la prévision, et nous attendrons pour ce faire de connaître le chiffre de la croissance du deuxième trimestre, dont nous tiendrons compte, bien entendu, dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances et des débats budgétaires qui débuteront au Parlement à partir du mois de septembre.
Cela m'amène au deuxième point de votre question, Monsieur Zocchetto, puisque vous souhaitez connaître les modalités envisagées pour permettre une meilleure articulation entre les programmes de stabilité transmis à l'échelon européen et les lois de finances nationales.
Ce débat renvoie d'une part, à des enjeux majeurs, ceux d'une meilleure gouvernance européenne, pour laquelle, lors du dernier Conseil européen, les chefs d'Etat et de gouvernement, sur l'initiative, notamment, de la France et de l'Allemagne, ont souhaité des avancées, et, d'autre part, aux travaux du groupe présidé par M. Herman Van Rompuy, auquel participe d'ailleurs Christine Lagarde.
Ainsi, le Conseil européen s'est montré favorable à l'idée selon laquelle les programmes de stabilité et de convergence, pour les années suivantes, pourraient être présentés à la Commission au printemps, en tenant compte des procédures budgétaires nationales. Voilà une mesure qui, me semble-t-il, contribuerait à renforcer la transparence et le rôle du Parlement.
Monsieur de Montesquiou, nous connaissons votre engagement européen, vous connaissez celui du gouvernement. Je dois le dire, je vous trouve quelque peu pessimiste au regard des avancées tout à fait remarquables, que je qualifierai même d'"historiques", obtenues, notamment sous l'impulsion de la France et de Nicolas Sarkozy, en matière de gouvernance européenne.
Au fil des mois, le Conseil européen a fait preuve de réactivité et de solidarité. Il a instauré le mécanisme européen de stabilité financière, mis en place les dispositifs de soutien à la Grèce, et repris les positions communes à la France et à l'Allemagne en vue du G20, auxquelles vous avez fait référence.
Pour ce qui concerne la gouvernance européenne stricto sensu, le Conseil européen du 17 juin dernier a accueilli favorablement les premières pistes de réforme qui doivent être approfondies et qui répondent à nos attentes.
Il s'agit, d'abord, de renforcer le pacte de stabilité et de croissance. Pour ce faire, il faudra prévoir notamment la mise en place d'un "semestre européen". Selon ce nouveau concept, à partir de 2011, les programmes de stabilité et de convergence seront transmis au printemps, les procédures nationales étant prises en compte. Il faudra également veiller à la mise en place par les pays membres de règles budgétaires nationales et de cadres budgétaires à moyen terme conformes au pacte de stabilité et de croissance.
Cette première orientation vise également à rendre les sanctions plus efficaces ; des sanctions politiques pourraient être envisagées.
Il s'agit, ensuite, de parvenir à des avancées en matière de transparence des comptes et des statistiques. Tirant la leçon que la crise grecque lui a malheureusement enseignée, le Conseil européen a estimé souhaitable, en outre, de mettre en place un contrôle plus efficace.
Il s'agit, enfin, d'élaborer un tableau de bord qui permettrait de détecter et de traiter à la fois les écarts de compétitivité et les équilibres courants.
Vous avez raison, Monsieur le Sénateur, nous devons avancer sur cette voie de l'amélioration des convergences de compétitivité, notamment au regard des pays tiers, des pays émergents.
Cela suppose d'être ambitieux, sans pour autant cesser d'être pragmatiques. C'est ainsi que même si le Conseil des Vingt-Sept est l'instance de décision privilégiée, en cas de nécessité, il est également possible aux seize chefs d'Etat de la zone euro de se réunir pour arrêter une action.
Monsieur le Sénateur, j'évoquerai, en guise d'introduction, trois points.
Premièrement, l'évolution de l'euro doit être appréciée sur une longue période. En cet après-midi, le taux de change de l'euro par rapport au dollar se situe autour de 1,23 ; il est donc supérieur non seulement au niveau le plus bas atteint le 7 juin dernier, mais également à son niveau initial -1,17 -en vigueur au moment de la création de la monnaie unique.
Deuxièmement, la comparaison doit ??tre étendue au-delà du dollar à l'ensemble des devises. Le repli de l'euro a été également sensible vis-à-vis du yen, par exemple.
Troisièmement, l'impact sur les marchés extérieurs du taux de change effectif de la France est atténué par le fait que la plupart de nos concurrents, notamment l'Allemagne et l'Italie, appartiennent eux aussi à la zone euro.
J'en viens au coeur de votre question, Monsieur Marini. Il est clair que la baisse de l'euro au cours des sept derniers mois est positive pour nos exportateurs qui produisent dans la zone euro et qui vendent leur production en dollars. Je pense, par exemple, aux secteurs de l'aéronautique, notamment à EADS, ou de la pharmacie. D'aucuns estiment par ailleurs que si la parité était proche de 1,20, la situation serait beaucoup plus équilibrée.
Le gain de compétitivité dont bénéficient les exportateurs français du fait de la baisse de l'euro dope donc l'activité, mais nous avons du mal à en faire une évaluation chiffrée. Pour 2010, il est de l'ordre de quelques dixièmes de points. Sans doute ira-t-il encore au-delà puisque certaines grandes entreprises sortiront des mécanismes de couverture, que vous avez évoqués.
Par ailleurs, le repli de l'euro est en bonne partie dû à des tensions sur les marchés financiers qui pèsent, en outre, sur l'activité, tandis que le coût des importations se renchérit.
Quoi qu'il en soit, sur le plan commercial, la baisse de la monnaie européenne est une bonne nouvelle, même si nous ne sommes pas capables d'en évaluer l'impact exact. Permettez-moi de rappeler que le commerce extérieur a contribué positivement à la croissance française dès le premier trimestre de cette année.
Madame Bricq, en ces matières, le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ? J'ai tendance à considérer que nous sommes en train de franchir un certain nombre d'étapes, certes, à petits pas, mais ces derniers sont ambitieux et résultent de l'action de la France, de l'Allemagne et d'un certain nombre de partenaires, notamment la Grande-Bretagne, bien qu'elle ne soit pas dans la zone euro.
J'ai rappelé tout à l'heure les progrès réalisés dans le domaine de la gouvernance de la zone euro. Qui aurait pu en rêver voilà encore un an ou quelques mois ?
Vous avez soulevé, Madame le Sénateur, une absence de stratégie. Pour ce qui concerne la compétitivité européenne, nous travaillons activement, vous le savez, dans le cadre de la stratégie 2020 et avec pragmatisme. Néanmoins, rien ne sera sans doute à la hauteur des ambitions des Européens les plus convaincus.
Quant aux ambitions communes aux principaux Etats européens membres du G20, je vous confirme que la France et l'Allemagne se sont mises d'accord pour plaider en faveur de l'instauration d'un prélèvement sur les institutions bancaires et d'une taxe sur les transactions financières, donc, sur les flux.
Nous constatons avec satisfaction que les Britanniques se rallient eux aussi à une résolution commune pour mettre en oeuvre un programme ambitieux de réforme du secteur financier.
Si, par malheur, le sujet ne devait pas être traité tout de suite sur le plan international, nous n'excluons pas une décision européenne.
Monsieur Bizet, dans le cadre des avancées, dont je parlais tout à l'heure, faites par le Conseil européen, dues notamment aux relations étroites qu'ils entretiennent, le président de la République et Mme Merkel se sont en effet prononcés en faveur de sanctions, parmi lesquelles la suspension des droits de vote des Etats membres qui ne respecteraient pas le pacte de stabilité et de croissance.
Comme vous l'avez dit, Monsieur le Sénateur, en l'état actuel du droit, il semble bien qu'une telle suspension exigerait une révision du Traité sur l'Union européenne, dont l'article 7 n'autorise une telle procédure qu'en cas de violation grave des valeurs de l'Union européenne, et chacun se souvient des débats auxquels ce point a donné lieu voilà quelques années...
Le message délivré par le président de la République lors de son déplacement du 15 juin à Berlin est clair : il faut agir avec pragmatisme.
C'est ainsi qu'il est possible d'envisager dans un premier temps un accord politique des Etats pour ne pas voter à certaines réunions, en particulier lors de celles qui pourraient concerner la surveillance budgétaire des pays ne respectant pas le pacte.
Dépourvu, certes, de conséquences juridiques, un tel engagement permettrait d'appliquer ce type de sanction politique à droit constant et de manière pragmatique.
Dans l'hypothèse où une révision des traités s'imposerait, la France et l'Allemagne pourraient alors éventuellement la proposer.
Au-delà de ce point particulier, je voudrais à nouveau insister sur le caractère global des réflexions, extrêmement importantes, actuellement menées par le groupe de travail présidé par M. Van Rompuy, dont les conclusions, je le rappelle, seront rendues au mois d'octobre : diverses propositions, y compris, je le suppose, concernant les sanctions, seront sur la table.
Monsieur le Sénateur, il n'est évidemment pas facile d'instaurer une régulation financière mondiale alors qu'il y a eu tant de dérives depuis des décennies et qu'une telle régulation passe par des modalités techniques très complexes.
Les difficultés et, oui, les résistances existent, mais elles ne doivent pas nous empêcher d'être particulièrement volontaristes et imaginatifs dans les propositions que nous mettons sur la table, avec conviction, lors des discussions avec nos partenaires.
Je rappelle que, en matière de régulation, la France prend l'initiative à trois échelons.
Je commence par le niveau de l'Union européenne, au coeur des dispositifs, comme en témoignent les initiatives prises et les accords passés en matière de supervision, de "hedge funds", de paradis fiscaux, ou encore de produits dérivés.
Bien entendu, la régulation intervient aussi à l'échelle internationale.
Vous avez dit, Monsieur Marc, que les résultats du G20 étaient déjà connus. Pour ma part, je ne préjugerai pas les résultats, surtout négatifs : nous avons eu de bonnes surprises.
Personne ne croyait, lorsque le président Sarkozy a pris, le premier, l'initiative de réunir le G20, non plus simplement au niveau des ministres des finances, mais à celui des chefs d'Etat et de gouvernement, qu'il serait possible d'adopter des décisions et des mesures en matière de régulation.
Nous avons aujourd'hui bon espoir de convaincre un nombre de partenaires de plus en plus élevé et, comme je le faisais remarquer tout à l'heure, la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne sont unies sur ce point.
Enfin, pour ce qui concerne l'étage national, c'est-à-dire celui de la loi française, vous ont été proposées au fil des mois et encore tout récemment, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, des dispositions qui mettent la France au meilleur rang et même à l'avant-garde sur tous les sujets relatifs à la régulation.
Je tiens tout d'abord à préciser que la France a interdit les ventes à découvert à nu dès le mois de septembre 2008 et donc, s'il y avait un décalage par rapport à l'Allemagne, il était dans l'autre sens...
Cela étant dit, il est vrai, Monsieur le Sénateur, que chacun cherche le chemin, un peu étroit, il faut bien l'avouer, entre d'une part, la nécessité de consolider les finances publiques et, d'autre part, celle de ne pas saper les éléments les plus porteurs de la croissance.
La consolidation des finances publiques est apparue comme une nécessité dans divers pays, qui, hélas, comme la Grèce, mais aussi le Portugal et l'Espagne, ont connu des tensions persistantes sur les marchés de leur dette publique.
Dans notre cas, il s'agit de respecter les engagements que nous avons pris, en particulier celui de ne pas alourdir la charge de la dette et le coût du remboursement de celle-ci pour nos finances publiques, d'autant que cela aurait aussi pour effet de brider l'activité.
Vous le savez, les mesures d'économie que nous adoptons ont pour objet de préserver l'investissement - je pense en particulier aux dépenses d'avenir financées par l'emprunt -, mais en aucun cas de renoncer à tout ce qui peut améliorer notre compétitivité, et donc d'assurer le meilleur chemin de croissance à notre pays.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juin 2010