Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Depuis dix ou vingt ans, combien de discours ont été prononcés sur le rayonnement de la France dans le monde ? Aujourd'hui, pour la première fois, l'occasion nous est donnée de faire plus qu'un discours : grâce à vous, nous pouvons faire changer les choses.
Le diagnostic est connu et, je crois, largement partagé : il y a dans le monde un immense besoin de culture française, d'expertise française, de formation, de création, d'échanges, de débats. Mais notre offre, l'offre de la France, n'est pas toujours à la hauteur de la demande.
Pourquoi ? Cela ne vient pas d'un manque de talents : notre pays en regorge. Mais nous manquons parfois d'audace. Et l'État ne dispose pas des moyens adaptés pour fédérer ce foisonnement d'initiatives qui fait l'influence des grandes nations.
Une politique étrangère est un dessein collectif, fondé sur des valeurs communes et nourri d'ambitions partagées. Elle doit résulter des actions cumulées de tous ceux qui se sentent partie prenante au rayonnement du pays, qui véhiculent ses valeurs et qui veulent prolonger son histoire et sa culture.
Nous avons hérité d'un système qui a prouvé son efficacité par le passé. Mais il serait imprudent de nous accrocher à un souvenir ! Je ne veux pas que l'on puisse dire de notre diplomatie culturelle, comme Proust le disait des arguments de M. de Norpois en matière d'art, qu'elle est "sans réplique parce que sans réalité".
Trois changements exigent de notre pays un effort accru.
D'abord, les contenus immatériels de la connaissance, de la culture, de la communication prennent une importance sans précédent. Dans des sociétés où les besoins matériels sont mieux satisfaits, ils sont la clé du développement. C'est vers eux que se déplacent les attentes toujours plus sophistiquées des individus. Ce sont eux qui, de plus en plus, forgent les identités en fonction desquelles se dessinent les rapprochements, mais aussi les clivages. Or notre offre, dans ce domaine, reste insuffisante.
Ensuite, l'espace de la culture, de la communication, de la connaissance s'est mondialisé. Avec le marché et la révolution numérique, les productions de l'esprit ont acquis une fluidité et une ubiquité inédites. Les mots, les images, les musiques, les savoirs, les symboles circulent à une vitesse accélérée dans un espace désormais unique et sans frontières, bientôt accessible - nous l'espérons - à toute l'humanité.
Enfin, dans cet espace mondial émergent de nouveaux acteurs. Les grands pays occidentaux ne sont plus les seuls à créer des images et des concepts, loin s'en faut. De la Chine à l'Inde, en passant par le monde arabe ou l'Amérique latine, de nouvelles puissances cherchent à se doter de médias globaux, à diffuser leurs films et leurs musiques, à influencer l'agenda des idées, à accroître leur attractivité scientifique et universitaire.
Dans ce contexte, la promotion de nos contenus culturels et scientifiques redevient une priorité. Nous avons besoin d'une diplomatie ouverte, c'est-à-dire capable d'associer pleinement à sa démarche l'ensemble de la société française, en particulier les milieux des médias, de l'enseignement, de la recherche, de l'expertise, mais aussi ceux de l'avant-garde culturelle.
Qui a établi ce diagnostic ? A peu près tout le monde. Qui a fait quelque chose ? Pas grand monde. De commission en commission, de ministre en ministre, tous ont fini par se dérober.
Pourquoi ? Parce que, trop souvent, le conservatisme règne. Avons-nous suffisamment pris la mesure des changements qui bouleversent le monde ? Je ne le crois pas ; c'est particulièrement vrai dans le domaine de la culture.
Mesdames et Messieurs les Députés, les blocages qui ont trop longtemps retardé la réforme que nous proposons sont révélateurs des obstacles qui conduisent notre pays à s'enfermer dans les souvenirs et qui l'empêchent de jouer le rôle qui lui revient.
Cette réforme égratigne peut-être quelques conservatismes. Mais, grâce à elle, la France affirmera mieux ses positions à l'extérieur pour le bien de tous et, d'abord, des Français. Ce qui est en jeu dans cette réforme, ce ne sont pas seulement les intérêts, politiques et économiques de notre pays, ce n'est pas seulement notre "influence" - terme que l'on met toujours entre guillemets, ce sont aussi des valeurs auxquelles sont attachés nos compatriotes. C'est la paix, car la paix se construit d'abord dans l'esprit des hommes, par l'éducation, par la science, par la culture. Ce sont les droits de l'Homme, principes inscrits au coeur même du message culturel de la France dans le monde. C'est la solidarité, car notre diplomatie culturelle et scientifique a aussi pour mission fondamentale d'aider les pays en développement à prendre la place qui leur revient dans la société mondiale de la culture et de la connaissance.
Le diagnostic est partagé. L'intérêt est partagé. Ne nous laissons pas diviser par des querelles d'appartenance ! Nous avons mieux à faire. Commençons maintenant de rénover notre politique d'influence. Tel est le sens du projet de loi qui vous est soumis.
Ce texte, voulu par le gouvernement, a été largement inspiré par le Sénat, qui en a tracé les grandes lignes, puis par la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Je tiens à saluer leur travail, qui ne donne au projet que plus de force et de légitimité. Je veux aussi saluer l'esprit de coopération constructive dans lequel il a été constamment mené. Je remercie en particulier votre rapporteur, Hervé Gaymard, les présidents des Commissions des Affaires étrangères et des Affaires culturelles, Axel Poniatowski et Michèle Tabarot, ainsi que le rapporteur pour avis, M. Gilles d'Ettore.
Ce projet de loi, vous le savez, crée des opérateurs modernes et efficaces pour accroître la puissance de nos idées, de nos contenus culturels, de nos savoirs. Mais il comporte également d'autres volets : il permet de rénover le cadre juridique de l'assistance technique internationale, de prendre davantage en considération les conjoints de diplomates, de responsabiliser nos compatriotes face aux prises de risque à l'étranger.
Mais je renvoie, s'agissant de ces dispositions, au débat que nous aurons tout à l'heure, afin de me concentrer sur le coeur même du projet de loi : l'Institut français.
En effet, pour mettre en oeuvre cette diplomatie ouverte dont notre pays a besoin, le projet de loi qui vous est soumis crée un nouvel acteur, l'Institut français. Cet établissement a vocation à s'appuyer sur les quelque cent quarante établissements culturels français à l'étranger, qui lui serviront de relais et auxquels il donnera son nom. La diplomatie publique française disposera ainsi de la marque unique qui lui fait aujourd'hui défaut.
La nouvelle agence ne se contentera pas de reprendre les missions de l'association CulturesFrance - accompagner et promouvoir à l'étranger la création artistique et les industries culturelles françaises -, à laquelle elle se substitue. Je profite de l'occasion pour rendre hommage au travail accompli par CulturesFrance, en particulier par Olivier Poivre d'Arvor. L'agence sera chargée de plusieurs missions nouvelles. Car la culture ne se réduit pas aux beaux-arts. La culture, c'est aussi la langue française, bien sûr, et tout ce qu'elle véhicule d'humanisme. Ce sont également les idées, y compris scientifiques.
L'agence exercera ses missions dans le respect des organismes existants, en particulier UniFrance pour le cinéma et le Centre international d'études pédagogiques pour la langue française.
Dans un premier temps, les centres culturels à l'étranger resteront administrativement rattachés aux ambassades. Mais la nouveauté est que l'agence, contrairement à CulturesFrance aujourd'hui, sera associée à la définition des orientations culturelles et au suivi des activités, ainsi qu'à la gestion des moyens financiers, humains et immobiliers du réseau.
Dans dix postes diplomatiques au moins, nous expérimenterons le rattachement direct du réseau culturel à l'agence que nous allons créer avec votre accord. C'est à partir de cette expérimentation que l'on jugera, avant trois ans et en toute connaissance de cause, de l'opportunité de rattacher à l'agence l'ensemble du réseau culturel.
En outre, alors que CulturesFrance était une association loi de 1901, la nouvelle agence aura le statut d'établissement public, ce qui l'ancrera davantage dans la sphère publique. Elle sera plus précisément, comme beaucoup de grandes institutions, un établissement public industriel et commercial. Ce statut lui donnera la souplesse de gestion dont elle a besoin pour évoluer dans un monde qui, y compris en matière culturelle, est concurrentiel. Ainsi, elle pourra faire plus facilement appel à des financements privés, gérés selon une comptabilité privée ; elle pourra également lever des fonds issus de l'Union européenne et des grandes organisations internationales.
L'Institut français oeuvrera sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères et européennes. C'est une garantie pour la cohérence de l'action extérieure de l'Etat. Mais le ministère de la Culture sera, je vous l'assure, très étroitement associé au pilotage de cette agence, comme il l'a été d'emblée à la conduite du projet. C'est une condition absolue de la réussite, mais elle n'a guère été respectée jusqu'à présent.
La création de l'Institut français s'accompagne enfin d'une réforme d'ensemble de notre diplomatie culturelle, sans laquelle elle n'aurait pas de sens. Cette réforme est en cours ; l'effort qui la sous-tend est quadruple.
Il est d'abord budgétaire : la rallonge de 20 millions d'euros que j'ai obtenue en 2010 est pérennisée dans le cadre du triennum 2011-2013.
Ensuite, l'effort porte sur la formation. Nous avons ainsi lancé un plan de professionnalisation sans précédent. Quatre mille agents seront concernés ; parmi eux, quelque deux cents sont actuellement formés dans le cadre de ce plan. L'agence a vocation à reprendre la mission de formation de tous les personnels concourant à l'action extérieure de l'Etat. Les deux cents agents dont je parle sont appelés "nouveaux partants" parce qu'ils viennent d'arriver.
Mais, je le répète, l'ensemble du personnel sera concerné.
Le troisième effort porte sur la définition de priorités stratégiques. On ne peut pas tout faire, partout, de la même manière. Des documents de stratégie seront élaborés secteur par secteur avec les ministères concernés. Ils serviront de feuille de route à l'agence. Un document général indiquant nos dix grands objectifs et nos cibles géographiques sera prochainement rendu public.
Enfin, nous déploierons un effort permanent de mise en cohérence avec le réseau des Alliances françaises. Les deux réseaux devront développer les actions communes, rapprocher leur label et rendre leurs cartes parfaitement complémentaires. Nous avons déjà discuté d'un logo commun et avons retenu une proposition. Une convention, la première du genre, sera signée très rapidement entre l'Institut français et les Alliances françaises.
La réussite de l'agence culturelle se jouera sur la qualité des liens qu'elle saura nouer, dès le début, avec le réseau des instituts français à l'étranger. Dès avant le rattachement du réseau, et je dirais même malgré l'absence de rattachement immédiat, il faut garantir que l'agence et le réseau travaillent de manière totalement intégrée, mêlant les deux cultures, celle de la diplomatie et celle des réseaux culturels. Cela signifie que ministère de la Culture et ministère des Affaires étrangères devront partager leurs décisions concernant les hommes, les projets et les moyens, qu'ils soient financiers ou immobiliers, et cela partout, pas seulement dans les dix points d'expérimentation.
Bien sûr, la décision du rattachement de l'ensemble du réseau sera prise plus tard. Je veux encore laisser une chance à nos ambassadeurs de réussir cette révolution intellectuelle à laquelle ils sont prêts à procéder. Toutefois, il ne faut pas attendre pour changer les méthodes de travail. Et changer les méthodes de travail implique de faire travailler ensemble, d'une part, l'agence et le réseau, d'autre part, les ministères, en évitant de laisser le réseau seul en tête-à-tête avec les ambassades.
Ce point est essentiel et il est du ressort de la loi. Il donne sa raison d'être à l'agence. Il garantit que demain, en matière de politique culturelle extérieure, les choses ne seront plus comme avant.
J'en viens à mon deuxième thème : l'expertise et la mobilité.
L'action culturelle extérieure ne résume pas à elle seule notre politique d'influence. Nos dispositifs en matière de mobilité des étudiants, des chercheurs, des experts, manquent eux aussi d'efficacité et de cohérence. Ils ont besoin d'être réformés.
La Commission des Affaires étrangères de votre Assemblée a souhaité distinguer l'expertise internationale de la mobilité des étudiants et des chercheurs, et traiter ces questions séparément. Elle propose de créer un opérateur spécifiquement consacré à la mobilité universitaire, nommé "CampusFrance" et de le placer sous la double tutelle du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et du ministère des Affaires étrangères et européennes. C'est une décision sage dont je me réjouis, Monsieur le Rapporteur. Il importe toutefois - et je crois que vous en serez d'accord - que la question de l'expertise internationale ne soit pas oubliée et qu'elle trouve elle aussi toute sa place dans le projet de loi.
A côté de l'agence culturelle et de CampusFrance, je propose donc d'inscrire dans la loi la création d'un établissement public pour l'expertise internationale qui permettra de renforcer nos capacités en la matière. Ceux, dont je suis, qui ont cherché des experts pour des missions internationales savent qu'il y a urgence. Actuellement, l'expertise internationale souffre terriblement de son émiettement face à ses concurrents. Une clause de rendez-vous incitera les pouvoirs publics à procéder d'ici à deux ans à une mise en cohérence.
Les enjeux pour notre pays sont considérables. Les besoins des sociétés en développement et en transition ainsi que la multiplication des institutions internationales ont créé une immense demande d'expertise. Sur ce marché mondial, l'offre de la France est clairement insuffisante.
Le contraste est saisissant entre l'offre publique et l'offre privée.
Notre pays dispose d'un tissu dense de bureaux d'études et d'entreprises de conseil, qui figurent au premier rang de ceux qui remportent les marchés de la Commission européenne et qui interviennent un peu partout dans le monde. Sur un total de 36 milliards d'euros de chiffre d'affaires, l'ingénierie française en réalise 10 milliards à l'étranger.
Mais pour ce qui est des opérateurs publics, leur émiettement est une singularité en Europe et constitue un handicap par rapport aux grands pays comparables, l'Allemagne, le Royaume-Uni ou encore l'Espagne. L'enjeu est également économique : le marché de l'expertise représente plusieurs milliards d'euros et des milliers d'emplois.
Avec les trois agences que seront l'Institut français, CampusFrance et l'opérateur pour l'expertise, notre dispositif sera complet.
Je voudrais cependant ajouter une précision concernant la mobilité universitaire. Nous ne pouvons pas nous satisfaire du maintien de deux guichets pour la gestion des bourses des étudiants étrangers : le CNOUS international et CampusFrance. Si nous mettons en place un opérateur pour la mobilité étudiante, il faut le faire vraiment, ce qui implique de lui rattacher les activités internationales du CNOUS afin de disposer d'un guichet unique.
Les enjeux sont connus. La dispersion ne nous aidera pas à attirer davantage d'étudiants, et de bons étudiants, dans nos universités. Elle ne nous aidera pas à guider les étudiants désireux de venir chez nous. Qui ne voit que l'enseignement supérieur est devenu concurrentiel ? Des millions d'étudiants franchissent chaque année les frontières de leur pays pour se former à l'étranger. Et que voulons-nous proposer ? Des structures empilées héritées du passé ? Ou bien un opérateur unique, lisible, efficace ?
Mesdames et Messieurs les Députés, ces opérateurs que vous êtes appelés à créer devront être régis par des règles constitutives communes, lesquelles garantiront leur efficacité ainsi que l'unité de l'action de l'Etat à l'étranger. Ces règles sont définies dans le titre Ier de la loi qui crée une nouvelle catégorie d'opérateurs : les établissements publics contribuant à l'action extérieure de la France.
Le défi que nous avons à relever est de réussir le pilotage des politiques publiques que ces opérateurs ont vocation à mettre en oeuvre.
Réussir le pilotage, cela veut dire d'abord instaurer à Paris une tutelle efficace. C'est le chantier auquel s'attelle la direction générale de la Mondialisation, que j'ai créée au sein du ministère.
Cela veut dire ensuite obtenir un juste dosage entre représentativité et efficacité dans la composition du conseil d'administration des agences et dans les conseils d'orientation stratégique de ces dernières.
Cela veut dire enfin que chacun des acteurs locaux devra trouver sa place et exercer son rôle. Les relais à l'étranger de la nouvelle catégorie d'opérateurs - et c'est là leur caractéristique centrale - seront placés sous l'autorité de l'ambassadeur et feront partie intégrante des missions diplomatiques. Il reviendra donc aux ambassadeurs de coordonner la gestion des opérateurs et d'animer leur expression sur place. L'Agence française de Développement - permettez-moi d'insister sur ce point - n'appartiendra pas, quant à elle, à la nouvelle catégorie d'opérateurs car c'est une banque - c'est d'ailleurs notre réussite à tous - et, à ce titre, il importe de préserver sa tutelle très particulière. Le débat sur l'AFD a eu lieu et vous savez quel a été mon engagement : j'ai obtenu la création d'un conseil d'orientation stratégique, que je préside, et qui a précisément pour vocation de coordonner l'action des ministères de tutelle.
Localement, l'AFD n'échappe pas non plus totalement au regard de l'ambassadeur, tout au contraire, puisque celui-ci est invité à émettre des avis sur chacun des projets, y compris les engagements par prêts. Mais nos ambassades n'ont pas vocation à accueillir une banque en leur sein.
Je le sais, l'AFD n'est pas une simple banque, c'est une banque de développement. C'est pourquoi son actionnaire principal, l'Etat, garde un droit de regard sur son activité. Mais n'affaiblissons pas le rôle que les ambassadeurs seront appelés à jouer auprès de l'agence culturelle, sous prétexte de vouloir englober l'AFD dans la nouvelle catégorie d'opérateurs.
Je ne reprendrai pas en détail les dispositions du titre III qui crée l'allocation au conjoint d'agent expatrié. Elle fait largement consensus. Sachez néanmoins que j'y tiens beaucoup : grâce à cette loi, une allocation sera désormais versée directement aux conjoints. C'est la première étape vers la création d'un véritable statut du conjoint que le président de la République a appelé de ses voeux.
Pour finir, je voudrais dire un mot du titre IV. Il concerne une question qui, si elle n'est pas délicate en soi, fait l'objet d'informations erronées. Il s'agit du remboursement des frais engagés par l'Etat à l'occasion des opérations de secours à l'étranger. Vous savez que j'ai créé au sein de ce somptueux ministère un centre de crise où cinquante personnes travaillent jour et nuit. Je sais ce dont je parle : personne n'a été négligé et personne ne le sera. Nous ne limitons pas nos engagements, ni en termes humains ni en termes financiers, et nous continuerons ainsi.
Nos compatriotes sont attachés au secours apporté par l'Etat. Dans la communauté des nations, seule la France mène une politique de ce type. A l'autre extrémité de la planète, souvent dans des conditions périlleuses, nous intervenons toujours pour que soient libérés nos compatriotes. Pourtant il n'existe, en droit international comme en droit français, aucune obligation de secours de l'Etat envers ses ressortissants à l'étranger en dehors de l'assistance consulaire prévue par la Convention de Vienne, d'une portée bien évidemment très limitée.
Forts de cette confiance, nos compatriotes sont de plus en plus nombreux à s'exposer à un danger immédiat, dans des pays notoirement dangereux et déconseillés, notamment dans la fameuse rubrique "Conseils aux voyageurs" du site Internet du ministère des Affaires étrangères et européennes.
Que se passe-t-il alors ? Les services de l'Etat peuvent avoir à supporter des dépenses s'élevant à plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d'euros. Les professionnels du tourisme, des transports et de l'assurance sont eux aussi tentés de s'en remettre à l'Etat pour le rapatriement de leurs clients, même lorsque la situation de force majeure n'est pas véritablement constituée. Récemment, la crise de Bangkok ou l'éruption volcanique en Islande ont provoqué une considérable mobilisation du Centre de crise des Affaires extérieures et du gouvernement dans son entier.
Avec ce projet de loi, l'Etat aura les moyens d'exiger des personnes qui se seront mises en danger délibérément - "sauf motif légitime tiré notamment de leur activité professionnelle ou d'une situation d'urgence" - le remboursement de tout ou partie des frais directs ou indirects induits par des opérations de secours à l'étranger.
L'Etat aura, d'autre part, les moyens d'exercer une action récursoire à l'égard des opérateurs défaillants - transporteurs, voyagistes ou compagnies d'assurance -, qui n'auront pu fournir la prestation de voyage ou de rapatriement à laquelle ils étaient tenus et qui ne seront pas en mesure de mettre en évidence un cas de force majeure.
Entendons-nous bien, l'objet de cette mesure n'est pas de limiter la liberté de voyager ou d'exercer une profession, mais d'inciter les voyageurs à mieux mesurer les prises de risques inutiles.
La formulation retenue est volontairement générale car considérée comme plus protectrice que l'énumération démagogique de telles ou telles catégories. Si on précise les catégories, on en oublie toujours et on limite donc l'action. Nous en avons débattu au Sénat, au sein des commissions et avec les juristes : la formule retenue à l'article 13 est beaucoup plus protectrice : "L'Etat peut exiger le remboursement de tout ou partie des dépenses qu'il a engagées ou dont il serait redevable à l'égard de tiers à l'occasion d'opérations de secours à l'étranger au bénéfice de personnes s'étant délibérément exposées, sauf motif légitime tiré notamment de leur activité professionnelle ou d'une situation d'urgence, à des risques qu'elles ne pouvaient ignorer."
Pouvez-vous imaginer que je ne sache pas que les journalistes doivent prendre des risques et que les humanitaires en prennent en permanence ? Ceux-là sont exclus. Mais je maintiens qu'il serait illusoire de prétendre dresser une liste exhaustive. Nous en oublierions toujours. Par exemple, un journaliste qui, dans une équipe, n'aurait pas sa carte de presse, ne serait pas journaliste ? Voyons ! Je ne vise ici, je vous l'affirme, ni les journalistes ni les humanitaires : c'est tout à fait clair et cela a été confirmé par tous les juristes. La demande de remboursement demeure une simple faculté et non une obligation. Elle ne pourra s'appliquer qu'en l'absence d'un motif légitime : je tiens à cette réserve qui vise à préserver par exemple le cas des journalistes intervenant en zone de crise au nom de la liberté d'information et, bien sûr, celui des volontaires humanitaires.
La formulation globale retenue est donc bien plus protectrice, je le répète, qu'une énumération démagogique - on oublie toujours quelqu'un ou il y a toujours quelqu'un qui ne correspond pas à la liste, et à qui on ne pourrait alors légitimement porter secours ?... De toute façon, on porte secours dans tous les cas, nous n'avons jamais barguigné là-dessus.
Mesdames et Messieurs les Députés, ce projet de loi porte une marque. Vous l'aurez reconnue, c'est la marque d'une diplomatie ouverte, capable de fédérer, d'organiser, d'amplifier les initiatives des sociétés civiles. C'est la marque d'une diplomatie prête à se réinventer elle-même pour rester fidèle à l'exigence qui la fait vivre. C'est la marque d'un Etat qui sait se réformer et qui se modernise, pour donner à la France les moyens de donner le meilleur.
Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les Députés, je vous invite à voter ce projet de loi.
(...)
Mesdames, Messieurs les Députés, je vous remercie tous de votre participation, de vos interventions et même de vos critiques.
Pour ne pas retarder l'approbation - je l'espère - de ce projet de loi, je ne vais intervenir que sur un point : l'étude d'impact. Je remercie Hervé Gaymard, car cette étude d'impact, je l'avais complètement oubliée. Elle n'a aucune valeur juridique.
Ne vous fiez pas à la hâte administrative qui a conduit à son élaboration. Je la renie complètement. Il n'est pas question que ce soit la règle qui prévale, même dans son ambiguïté, que vous avez raison de dénoncer.
Puisque ce n'est pas clair, je vous le dis clairement, et de nombreuses années de ma vie plaident pour ma sincérité. Me voyez-vous interdire aux humanitaires de faire leur métier ? D'ailleurs, ce n'est pas un métier, c'est une vocation ; il n'y a pas de carte d'humanitaire. Qu'est-ce que cela signifie ? L'urgence la définit.
Nous avons discuté de ce point avec tous les juristes, puis au Sénat et en commission à l'Assemblée, Messieurs les Rapporteurs. Il est très clair que cette phrase sur les professionnels, l'engagement et l'urgence protège beaucoup plus qu'une liste qui aurait évidemment oublié certaines catégories et n'aurait pas protégé ceux qui n'étaient pas encartés.
L'intention de ce texte n'est pas du tout de ne pas protéger ceux-là. Lorsque nous parlons de motifs légitimement tirés notamment de leur activité professionnelle, nous englobons toutes les catégories que vous mentionnez. Journalistes, professionnels, collaborateurs occasionnels des médias, intervenants humanitaires, chercheurs et universitaires sont concernés.
Depuis le début, je vous l'ai dit, nous avons précisé cela. Nous apportons une réponse juridique à toutes vos inquiétudes.
En outre, je vous rappelle que l'Etat peut demander un remboursement, mais il s'agit d'une simple faculté. Ce n'est ni automatique ni obligatoire.
Je vous en prie ! Compte tenu de notre engagement - y compris de nos engagements personnels - en faveur de tous les otages, ne dites pas que nous avons favorisé en quoi que ce soit la prolongation du séjour de nos compatriotes dans des geôles impossibles ! En créant le Centre de crise, nous nous sommes acharnés à trouver une réponse. Et j'espère, Monsieur Féron, qu'une bonne nouvelle viendra très vite vous rappeler que vous avez été excessif.
Je voulais donc dire clairement que les dispositions de cette étude d'impact sont obsolètes.
Pour le reste, j'enregistre certaines critiques. Ce texte n'est pas d'or pur ; il est imparfait. Mais son élaboration a duré trois ans et demi, ne me dites pas que nous sommes dans l'improvisation ! C'est le temps qu'il a fallu pour venir à bout des résistances et, croyez-moi, il en reste encore où vous l'imaginez et même ailleurs !
Nous n'avons pas fait passer d'un seul coup 8.000 agents culturels de l'autre côté, si j'ose dire, de cette barrière. Nous les avons maintenus, pour un temps. Pendant au plus trois ans, ils ont la possibilité de s'occuper de tout le réseau dans une agence.
Dernier point : vous me reprochez de ne pas avoir suffisamment de financements. Comme si je ne le savais pas ! Savez-vous quel est le financement d'Etat du British Council ? C'est 223 millions d'euros. Et celui du Goethe Institut ? C'est 250 millions d'euros. Savez-vous quelle est la contribution financière de l'Etat au réseau français ? Elle s'élève à 350 millions d'euros. Ne me dites pas que nous n'avons pas fait de progrès : voilà les chiffres ! Cela démontre que nous avons fait des progrès, je ne vous laisserai pas dire le contraire !
Depuis 2000 le budget culturel était en baisse, et nous avons arrêté cette baisse. Il y aurait bien des choses à vous répondre mais, pardonnez-moi, je ne veux pas allonger le débat.
Comme vous l'avez demandé, la commission sera associée, de même que l'audiovisuel, par un représentant au conseil d'administration, mais pas celui que vous imaginez d'ailleurs.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 juillet 2010
Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Depuis dix ou vingt ans, combien de discours ont été prononcés sur le rayonnement de la France dans le monde ? Aujourd'hui, pour la première fois, l'occasion nous est donnée de faire plus qu'un discours : grâce à vous, nous pouvons faire changer les choses.
Le diagnostic est connu et, je crois, largement partagé : il y a dans le monde un immense besoin de culture française, d'expertise française, de formation, de création, d'échanges, de débats. Mais notre offre, l'offre de la France, n'est pas toujours à la hauteur de la demande.
Pourquoi ? Cela ne vient pas d'un manque de talents : notre pays en regorge. Mais nous manquons parfois d'audace. Et l'État ne dispose pas des moyens adaptés pour fédérer ce foisonnement d'initiatives qui fait l'influence des grandes nations.
Une politique étrangère est un dessein collectif, fondé sur des valeurs communes et nourri d'ambitions partagées. Elle doit résulter des actions cumulées de tous ceux qui se sentent partie prenante au rayonnement du pays, qui véhiculent ses valeurs et qui veulent prolonger son histoire et sa culture.
Nous avons hérité d'un système qui a prouvé son efficacité par le passé. Mais il serait imprudent de nous accrocher à un souvenir ! Je ne veux pas que l'on puisse dire de notre diplomatie culturelle, comme Proust le disait des arguments de M. de Norpois en matière d'art, qu'elle est "sans réplique parce que sans réalité".
Trois changements exigent de notre pays un effort accru.
D'abord, les contenus immatériels de la connaissance, de la culture, de la communication prennent une importance sans précédent. Dans des sociétés où les besoins matériels sont mieux satisfaits, ils sont la clé du développement. C'est vers eux que se déplacent les attentes toujours plus sophistiquées des individus. Ce sont eux qui, de plus en plus, forgent les identités en fonction desquelles se dessinent les rapprochements, mais aussi les clivages. Or notre offre, dans ce domaine, reste insuffisante.
Ensuite, l'espace de la culture, de la communication, de la connaissance s'est mondialisé. Avec le marché et la révolution numérique, les productions de l'esprit ont acquis une fluidité et une ubiquité inédites. Les mots, les images, les musiques, les savoirs, les symboles circulent à une vitesse accélérée dans un espace désormais unique et sans frontières, bientôt accessible - nous l'espérons - à toute l'humanité.
Enfin, dans cet espace mondial émergent de nouveaux acteurs. Les grands pays occidentaux ne sont plus les seuls à créer des images et des concepts, loin s'en faut. De la Chine à l'Inde, en passant par le monde arabe ou l'Amérique latine, de nouvelles puissances cherchent à se doter de médias globaux, à diffuser leurs films et leurs musiques, à influencer l'agenda des idées, à accroître leur attractivité scientifique et universitaire.
Dans ce contexte, la promotion de nos contenus culturels et scientifiques redevient une priorité. Nous avons besoin d'une diplomatie ouverte, c'est-à-dire capable d'associer pleinement à sa démarche l'ensemble de la société française, en particulier les milieux des médias, de l'enseignement, de la recherche, de l'expertise, mais aussi ceux de l'avant-garde culturelle.
Qui a établi ce diagnostic ? A peu près tout le monde. Qui a fait quelque chose ? Pas grand monde. De commission en commission, de ministre en ministre, tous ont fini par se dérober.
Pourquoi ? Parce que, trop souvent, le conservatisme règne. Avons-nous suffisamment pris la mesure des changements qui bouleversent le monde ? Je ne le crois pas ; c'est particulièrement vrai dans le domaine de la culture.
Mesdames et Messieurs les Députés, les blocages qui ont trop longtemps retardé la réforme que nous proposons sont révélateurs des obstacles qui conduisent notre pays à s'enfermer dans les souvenirs et qui l'empêchent de jouer le rôle qui lui revient.
Cette réforme égratigne peut-être quelques conservatismes. Mais, grâce à elle, la France affirmera mieux ses positions à l'extérieur pour le bien de tous et, d'abord, des Français. Ce qui est en jeu dans cette réforme, ce ne sont pas seulement les intérêts, politiques et économiques de notre pays, ce n'est pas seulement notre "influence" - terme que l'on met toujours entre guillemets, ce sont aussi des valeurs auxquelles sont attachés nos compatriotes. C'est la paix, car la paix se construit d'abord dans l'esprit des hommes, par l'éducation, par la science, par la culture. Ce sont les droits de l'Homme, principes inscrits au coeur même du message culturel de la France dans le monde. C'est la solidarité, car notre diplomatie culturelle et scientifique a aussi pour mission fondamentale d'aider les pays en développement à prendre la place qui leur revient dans la société mondiale de la culture et de la connaissance.
Le diagnostic est partagé. L'intérêt est partagé. Ne nous laissons pas diviser par des querelles d'appartenance ! Nous avons mieux à faire. Commençons maintenant de rénover notre politique d'influence. Tel est le sens du projet de loi qui vous est soumis.
Ce texte, voulu par le gouvernement, a été largement inspiré par le Sénat, qui en a tracé les grandes lignes, puis par la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Je tiens à saluer leur travail, qui ne donne au projet que plus de force et de légitimité. Je veux aussi saluer l'esprit de coopération constructive dans lequel il a été constamment mené. Je remercie en particulier votre rapporteur, Hervé Gaymard, les présidents des Commissions des Affaires étrangères et des Affaires culturelles, Axel Poniatowski et Michèle Tabarot, ainsi que le rapporteur pour avis, M. Gilles d'Ettore.
Ce projet de loi, vous le savez, crée des opérateurs modernes et efficaces pour accroître la puissance de nos idées, de nos contenus culturels, de nos savoirs. Mais il comporte également d'autres volets : il permet de rénover le cadre juridique de l'assistance technique internationale, de prendre davantage en considération les conjoints de diplomates, de responsabiliser nos compatriotes face aux prises de risque à l'étranger.
Mais je renvoie, s'agissant de ces dispositions, au débat que nous aurons tout à l'heure, afin de me concentrer sur le coeur même du projet de loi : l'Institut français.
En effet, pour mettre en oeuvre cette diplomatie ouverte dont notre pays a besoin, le projet de loi qui vous est soumis crée un nouvel acteur, l'Institut français. Cet établissement a vocation à s'appuyer sur les quelque cent quarante établissements culturels français à l'étranger, qui lui serviront de relais et auxquels il donnera son nom. La diplomatie publique française disposera ainsi de la marque unique qui lui fait aujourd'hui défaut.
La nouvelle agence ne se contentera pas de reprendre les missions de l'association CulturesFrance - accompagner et promouvoir à l'étranger la création artistique et les industries culturelles françaises -, à laquelle elle se substitue. Je profite de l'occasion pour rendre hommage au travail accompli par CulturesFrance, en particulier par Olivier Poivre d'Arvor. L'agence sera chargée de plusieurs missions nouvelles. Car la culture ne se réduit pas aux beaux-arts. La culture, c'est aussi la langue française, bien sûr, et tout ce qu'elle véhicule d'humanisme. Ce sont également les idées, y compris scientifiques.
L'agence exercera ses missions dans le respect des organismes existants, en particulier UniFrance pour le cinéma et le Centre international d'études pédagogiques pour la langue française.
Dans un premier temps, les centres culturels à l'étranger resteront administrativement rattachés aux ambassades. Mais la nouveauté est que l'agence, contrairement à CulturesFrance aujourd'hui, sera associée à la définition des orientations culturelles et au suivi des activités, ainsi qu'à la gestion des moyens financiers, humains et immobiliers du réseau.
Dans dix postes diplomatiques au moins, nous expérimenterons le rattachement direct du réseau culturel à l'agence que nous allons créer avec votre accord. C'est à partir de cette expérimentation que l'on jugera, avant trois ans et en toute connaissance de cause, de l'opportunité de rattacher à l'agence l'ensemble du réseau culturel.
En outre, alors que CulturesFrance était une association loi de 1901, la nouvelle agence aura le statut d'établissement public, ce qui l'ancrera davantage dans la sphère publique. Elle sera plus précisément, comme beaucoup de grandes institutions, un établissement public industriel et commercial. Ce statut lui donnera la souplesse de gestion dont elle a besoin pour évoluer dans un monde qui, y compris en matière culturelle, est concurrentiel. Ainsi, elle pourra faire plus facilement appel à des financements privés, gérés selon une comptabilité privée ; elle pourra également lever des fonds issus de l'Union européenne et des grandes organisations internationales.
L'Institut français oeuvrera sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères et européennes. C'est une garantie pour la cohérence de l'action extérieure de l'Etat. Mais le ministère de la Culture sera, je vous l'assure, très étroitement associé au pilotage de cette agence, comme il l'a été d'emblée à la conduite du projet. C'est une condition absolue de la réussite, mais elle n'a guère été respectée jusqu'à présent.
La création de l'Institut français s'accompagne enfin d'une réforme d'ensemble de notre diplomatie culturelle, sans laquelle elle n'aurait pas de sens. Cette réforme est en cours ; l'effort qui la sous-tend est quadruple.
Il est d'abord budgétaire : la rallonge de 20 millions d'euros que j'ai obtenue en 2010 est pérennisée dans le cadre du triennum 2011-2013.
Ensuite, l'effort porte sur la formation. Nous avons ainsi lancé un plan de professionnalisation sans précédent. Quatre mille agents seront concernés ; parmi eux, quelque deux cents sont actuellement formés dans le cadre de ce plan. L'agence a vocation à reprendre la mission de formation de tous les personnels concourant à l'action extérieure de l'Etat. Les deux cents agents dont je parle sont appelés "nouveaux partants" parce qu'ils viennent d'arriver.
Mais, je le répète, l'ensemble du personnel sera concerné.
Le troisième effort porte sur la définition de priorités stratégiques. On ne peut pas tout faire, partout, de la même manière. Des documents de stratégie seront élaborés secteur par secteur avec les ministères concernés. Ils serviront de feuille de route à l'agence. Un document général indiquant nos dix grands objectifs et nos cibles géographiques sera prochainement rendu public.
Enfin, nous déploierons un effort permanent de mise en cohérence avec le réseau des Alliances françaises. Les deux réseaux devront développer les actions communes, rapprocher leur label et rendre leurs cartes parfaitement complémentaires. Nous avons déjà discuté d'un logo commun et avons retenu une proposition. Une convention, la première du genre, sera signée très rapidement entre l'Institut français et les Alliances françaises.
La réussite de l'agence culturelle se jouera sur la qualité des liens qu'elle saura nouer, dès le début, avec le réseau des instituts français à l'étranger. Dès avant le rattachement du réseau, et je dirais même malgré l'absence de rattachement immédiat, il faut garantir que l'agence et le réseau travaillent de manière totalement intégrée, mêlant les deux cultures, celle de la diplomatie et celle des réseaux culturels. Cela signifie que ministère de la Culture et ministère des Affaires étrangères devront partager leurs décisions concernant les hommes, les projets et les moyens, qu'ils soient financiers ou immobiliers, et cela partout, pas seulement dans les dix points d'expérimentation.
Bien sûr, la décision du rattachement de l'ensemble du réseau sera prise plus tard. Je veux encore laisser une chance à nos ambassadeurs de réussir cette révolution intellectuelle à laquelle ils sont prêts à procéder. Toutefois, il ne faut pas attendre pour changer les méthodes de travail. Et changer les méthodes de travail implique de faire travailler ensemble, d'une part, l'agence et le réseau, d'autre part, les ministères, en évitant de laisser le réseau seul en tête-à-tête avec les ambassades.
Ce point est essentiel et il est du ressort de la loi. Il donne sa raison d'être à l'agence. Il garantit que demain, en matière de politique culturelle extérieure, les choses ne seront plus comme avant.
J'en viens à mon deuxième thème : l'expertise et la mobilité.
L'action culturelle extérieure ne résume pas à elle seule notre politique d'influence. Nos dispositifs en matière de mobilité des étudiants, des chercheurs, des experts, manquent eux aussi d'efficacité et de cohérence. Ils ont besoin d'être réformés.
La Commission des Affaires étrangères de votre Assemblée a souhaité distinguer l'expertise internationale de la mobilité des étudiants et des chercheurs, et traiter ces questions séparément. Elle propose de créer un opérateur spécifiquement consacré à la mobilité universitaire, nommé "CampusFrance" et de le placer sous la double tutelle du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et du ministère des Affaires étrangères et européennes. C'est une décision sage dont je me réjouis, Monsieur le Rapporteur. Il importe toutefois - et je crois que vous en serez d'accord - que la question de l'expertise internationale ne soit pas oubliée et qu'elle trouve elle aussi toute sa place dans le projet de loi.
A côté de l'agence culturelle et de CampusFrance, je propose donc d'inscrire dans la loi la création d'un établissement public pour l'expertise internationale qui permettra de renforcer nos capacités en la matière. Ceux, dont je suis, qui ont cherché des experts pour des missions internationales savent qu'il y a urgence. Actuellement, l'expertise internationale souffre terriblement de son émiettement face à ses concurrents. Une clause de rendez-vous incitera les pouvoirs publics à procéder d'ici à deux ans à une mise en cohérence.
Les enjeux pour notre pays sont considérables. Les besoins des sociétés en développement et en transition ainsi que la multiplication des institutions internationales ont créé une immense demande d'expertise. Sur ce marché mondial, l'offre de la France est clairement insuffisante.
Le contraste est saisissant entre l'offre publique et l'offre privée.
Notre pays dispose d'un tissu dense de bureaux d'études et d'entreprises de conseil, qui figurent au premier rang de ceux qui remportent les marchés de la Commission européenne et qui interviennent un peu partout dans le monde. Sur un total de 36 milliards d'euros de chiffre d'affaires, l'ingénierie française en réalise 10 milliards à l'étranger.
Mais pour ce qui est des opérateurs publics, leur émiettement est une singularité en Europe et constitue un handicap par rapport aux grands pays comparables, l'Allemagne, le Royaume-Uni ou encore l'Espagne. L'enjeu est également économique : le marché de l'expertise représente plusieurs milliards d'euros et des milliers d'emplois.
Avec les trois agences que seront l'Institut français, CampusFrance et l'opérateur pour l'expertise, notre dispositif sera complet.
Je voudrais cependant ajouter une précision concernant la mobilité universitaire. Nous ne pouvons pas nous satisfaire du maintien de deux guichets pour la gestion des bourses des étudiants étrangers : le CNOUS international et CampusFrance. Si nous mettons en place un opérateur pour la mobilité étudiante, il faut le faire vraiment, ce qui implique de lui rattacher les activités internationales du CNOUS afin de disposer d'un guichet unique.
Les enjeux sont connus. La dispersion ne nous aidera pas à attirer davantage d'étudiants, et de bons étudiants, dans nos universités. Elle ne nous aidera pas à guider les étudiants désireux de venir chez nous. Qui ne voit que l'enseignement supérieur est devenu concurrentiel ? Des millions d'étudiants franchissent chaque année les frontières de leur pays pour se former à l'étranger. Et que voulons-nous proposer ? Des structures empilées héritées du passé ? Ou bien un opérateur unique, lisible, efficace ?
Mesdames et Messieurs les Députés, ces opérateurs que vous êtes appelés à créer devront être régis par des règles constitutives communes, lesquelles garantiront leur efficacité ainsi que l'unité de l'action de l'Etat à l'étranger. Ces règles sont définies dans le titre Ier de la loi qui crée une nouvelle catégorie d'opérateurs : les établissements publics contribuant à l'action extérieure de la France.
Le défi que nous avons à relever est de réussir le pilotage des politiques publiques que ces opérateurs ont vocation à mettre en oeuvre.
Réussir le pilotage, cela veut dire d'abord instaurer à Paris une tutelle efficace. C'est le chantier auquel s'attelle la direction générale de la Mondialisation, que j'ai créée au sein du ministère.
Cela veut dire ensuite obtenir un juste dosage entre représentativité et efficacité dans la composition du conseil d'administration des agences et dans les conseils d'orientation stratégique de ces dernières.
Cela veut dire enfin que chacun des acteurs locaux devra trouver sa place et exercer son rôle. Les relais à l'étranger de la nouvelle catégorie d'opérateurs - et c'est là leur caractéristique centrale - seront placés sous l'autorité de l'ambassadeur et feront partie intégrante des missions diplomatiques. Il reviendra donc aux ambassadeurs de coordonner la gestion des opérateurs et d'animer leur expression sur place. L'Agence française de Développement - permettez-moi d'insister sur ce point - n'appartiendra pas, quant à elle, à la nouvelle catégorie d'opérateurs car c'est une banque - c'est d'ailleurs notre réussite à tous - et, à ce titre, il importe de préserver sa tutelle très particulière. Le débat sur l'AFD a eu lieu et vous savez quel a été mon engagement : j'ai obtenu la création d'un conseil d'orientation stratégique, que je préside, et qui a précisément pour vocation de coordonner l'action des ministères de tutelle.
Localement, l'AFD n'échappe pas non plus totalement au regard de l'ambassadeur, tout au contraire, puisque celui-ci est invité à émettre des avis sur chacun des projets, y compris les engagements par prêts. Mais nos ambassades n'ont pas vocation à accueillir une banque en leur sein.
Je le sais, l'AFD n'est pas une simple banque, c'est une banque de développement. C'est pourquoi son actionnaire principal, l'Etat, garde un droit de regard sur son activité. Mais n'affaiblissons pas le rôle que les ambassadeurs seront appelés à jouer auprès de l'agence culturelle, sous prétexte de vouloir englober l'AFD dans la nouvelle catégorie d'opérateurs.
Je ne reprendrai pas en détail les dispositions du titre III qui crée l'allocation au conjoint d'agent expatrié. Elle fait largement consensus. Sachez néanmoins que j'y tiens beaucoup : grâce à cette loi, une allocation sera désormais versée directement aux conjoints. C'est la première étape vers la création d'un véritable statut du conjoint que le président de la République a appelé de ses voeux.
Pour finir, je voudrais dire un mot du titre IV. Il concerne une question qui, si elle n'est pas délicate en soi, fait l'objet d'informations erronées. Il s'agit du remboursement des frais engagés par l'Etat à l'occasion des opérations de secours à l'étranger. Vous savez que j'ai créé au sein de ce somptueux ministère un centre de crise où cinquante personnes travaillent jour et nuit. Je sais ce dont je parle : personne n'a été négligé et personne ne le sera. Nous ne limitons pas nos engagements, ni en termes humains ni en termes financiers, et nous continuerons ainsi.
Nos compatriotes sont attachés au secours apporté par l'Etat. Dans la communauté des nations, seule la France mène une politique de ce type. A l'autre extrémité de la planète, souvent dans des conditions périlleuses, nous intervenons toujours pour que soient libérés nos compatriotes. Pourtant il n'existe, en droit international comme en droit français, aucune obligation de secours de l'Etat envers ses ressortissants à l'étranger en dehors de l'assistance consulaire prévue par la Convention de Vienne, d'une portée bien évidemment très limitée.
Forts de cette confiance, nos compatriotes sont de plus en plus nombreux à s'exposer à un danger immédiat, dans des pays notoirement dangereux et déconseillés, notamment dans la fameuse rubrique "Conseils aux voyageurs" du site Internet du ministère des Affaires étrangères et européennes.
Que se passe-t-il alors ? Les services de l'Etat peuvent avoir à supporter des dépenses s'élevant à plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d'euros. Les professionnels du tourisme, des transports et de l'assurance sont eux aussi tentés de s'en remettre à l'Etat pour le rapatriement de leurs clients, même lorsque la situation de force majeure n'est pas véritablement constituée. Récemment, la crise de Bangkok ou l'éruption volcanique en Islande ont provoqué une considérable mobilisation du Centre de crise des Affaires extérieures et du gouvernement dans son entier.
Avec ce projet de loi, l'Etat aura les moyens d'exiger des personnes qui se seront mises en danger délibérément - "sauf motif légitime tiré notamment de leur activité professionnelle ou d'une situation d'urgence" - le remboursement de tout ou partie des frais directs ou indirects induits par des opérations de secours à l'étranger.
L'Etat aura, d'autre part, les moyens d'exercer une action récursoire à l'égard des opérateurs défaillants - transporteurs, voyagistes ou compagnies d'assurance -, qui n'auront pu fournir la prestation de voyage ou de rapatriement à laquelle ils étaient tenus et qui ne seront pas en mesure de mettre en évidence un cas de force majeure.
Entendons-nous bien, l'objet de cette mesure n'est pas de limiter la liberté de voyager ou d'exercer une profession, mais d'inciter les voyageurs à mieux mesurer les prises de risques inutiles.
La formulation retenue est volontairement générale car considérée comme plus protectrice que l'énumération démagogique de telles ou telles catégories. Si on précise les catégories, on en oublie toujours et on limite donc l'action. Nous en avons débattu au Sénat, au sein des commissions et avec les juristes : la formule retenue à l'article 13 est beaucoup plus protectrice : "L'Etat peut exiger le remboursement de tout ou partie des dépenses qu'il a engagées ou dont il serait redevable à l'égard de tiers à l'occasion d'opérations de secours à l'étranger au bénéfice de personnes s'étant délibérément exposées, sauf motif légitime tiré notamment de leur activité professionnelle ou d'une situation d'urgence, à des risques qu'elles ne pouvaient ignorer."
Pouvez-vous imaginer que je ne sache pas que les journalistes doivent prendre des risques et que les humanitaires en prennent en permanence ? Ceux-là sont exclus. Mais je maintiens qu'il serait illusoire de prétendre dresser une liste exhaustive. Nous en oublierions toujours. Par exemple, un journaliste qui, dans une équipe, n'aurait pas sa carte de presse, ne serait pas journaliste ? Voyons ! Je ne vise ici, je vous l'affirme, ni les journalistes ni les humanitaires : c'est tout à fait clair et cela a été confirmé par tous les juristes. La demande de remboursement demeure une simple faculté et non une obligation. Elle ne pourra s'appliquer qu'en l'absence d'un motif légitime : je tiens à cette réserve qui vise à préserver par exemple le cas des journalistes intervenant en zone de crise au nom de la liberté d'information et, bien sûr, celui des volontaires humanitaires.
La formulation globale retenue est donc bien plus protectrice, je le répète, qu'une énumération démagogique - on oublie toujours quelqu'un ou il y a toujours quelqu'un qui ne correspond pas à la liste, et à qui on ne pourrait alors légitimement porter secours ?... De toute façon, on porte secours dans tous les cas, nous n'avons jamais barguigné là-dessus.
Mesdames et Messieurs les Députés, ce projet de loi porte une marque. Vous l'aurez reconnue, c'est la marque d'une diplomatie ouverte, capable de fédérer, d'organiser, d'amplifier les initiatives des sociétés civiles. C'est la marque d'une diplomatie prête à se réinventer elle-même pour rester fidèle à l'exigence qui la fait vivre. C'est la marque d'un Etat qui sait se réformer et qui se modernise, pour donner à la France les moyens de donner le meilleur.
Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les Députés, je vous invite à voter ce projet de loi.
(...)
Mesdames, Messieurs les Députés, je vous remercie tous de votre participation, de vos interventions et même de vos critiques.
Pour ne pas retarder l'approbation - je l'espère - de ce projet de loi, je ne vais intervenir que sur un point : l'étude d'impact. Je remercie Hervé Gaymard, car cette étude d'impact, je l'avais complètement oubliée. Elle n'a aucune valeur juridique.
Ne vous fiez pas à la hâte administrative qui a conduit à son élaboration. Je la renie complètement. Il n'est pas question que ce soit la règle qui prévale, même dans son ambiguïté, que vous avez raison de dénoncer.
Puisque ce n'est pas clair, je vous le dis clairement, et de nombreuses années de ma vie plaident pour ma sincérité. Me voyez-vous interdire aux humanitaires de faire leur métier ? D'ailleurs, ce n'est pas un métier, c'est une vocation ; il n'y a pas de carte d'humanitaire. Qu'est-ce que cela signifie ? L'urgence la définit.
Nous avons discuté de ce point avec tous les juristes, puis au Sénat et en commission à l'Assemblée, Messieurs les Rapporteurs. Il est très clair que cette phrase sur les professionnels, l'engagement et l'urgence protège beaucoup plus qu'une liste qui aurait évidemment oublié certaines catégories et n'aurait pas protégé ceux qui n'étaient pas encartés.
L'intention de ce texte n'est pas du tout de ne pas protéger ceux-là. Lorsque nous parlons de motifs légitimement tirés notamment de leur activité professionnelle, nous englobons toutes les catégories que vous mentionnez. Journalistes, professionnels, collaborateurs occasionnels des médias, intervenants humanitaires, chercheurs et universitaires sont concernés.
Depuis le début, je vous l'ai dit, nous avons précisé cela. Nous apportons une réponse juridique à toutes vos inquiétudes.
En outre, je vous rappelle que l'Etat peut demander un remboursement, mais il s'agit d'une simple faculté. Ce n'est ni automatique ni obligatoire.
Je vous en prie ! Compte tenu de notre engagement - y compris de nos engagements personnels - en faveur de tous les otages, ne dites pas que nous avons favorisé en quoi que ce soit la prolongation du séjour de nos compatriotes dans des geôles impossibles ! En créant le Centre de crise, nous nous sommes acharnés à trouver une réponse. Et j'espère, Monsieur Féron, qu'une bonne nouvelle viendra très vite vous rappeler que vous avez été excessif.
Je voulais donc dire clairement que les dispositions de cette étude d'impact sont obsolètes.
Pour le reste, j'enregistre certaines critiques. Ce texte n'est pas d'or pur ; il est imparfait. Mais son élaboration a duré trois ans et demi, ne me dites pas que nous sommes dans l'improvisation ! C'est le temps qu'il a fallu pour venir à bout des résistances et, croyez-moi, il en reste encore où vous l'imaginez et même ailleurs !
Nous n'avons pas fait passer d'un seul coup 8.000 agents culturels de l'autre côté, si j'ose dire, de cette barrière. Nous les avons maintenus, pour un temps. Pendant au plus trois ans, ils ont la possibilité de s'occuper de tout le réseau dans une agence.
Dernier point : vous me reprochez de ne pas avoir suffisamment de financements. Comme si je ne le savais pas ! Savez-vous quel est le financement d'Etat du British Council ? C'est 223 millions d'euros. Et celui du Goethe Institut ? C'est 250 millions d'euros. Savez-vous quelle est la contribution financière de l'Etat au réseau français ? Elle s'élève à 350 millions d'euros. Ne me dites pas que nous n'avons pas fait de progrès : voilà les chiffres ! Cela démontre que nous avons fait des progrès, je ne vous laisserai pas dire le contraire !
Depuis 2000 le budget culturel était en baisse, et nous avons arrêté cette baisse. Il y aurait bien des choses à vous répondre mais, pardonnez-moi, je ne veux pas allonger le débat.
Comme vous l'avez demandé, la commission sera associée, de même que l'audiovisuel, par un représentant au conseil d'administration, mais pas celui que vous imaginez d'ailleurs.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 juillet 2010