Interview de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, à "LCI" le 7 juillet 2010, sur les réactions politiques aux implications supposées d'Eric Woerth dans le dossier fiscal Bettencourt, ainsi que sur les prévisions budgétaires.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Bonjour.

Regrettez-vous d'avoir provoqué les socialistes hier à l'Assemblée en les accusant de faire le jeu des extrêmes ? Le PS ne fait que jouer son rôle d'opposition ?

Pas tout à fait, je ne regrette pas du tout, et je les respecte, et ils le savent bien, on en a discuté après, mais on ne peut pas systématiquement, en permanence, sur une dizaine de questions d'actualité, poser la même question. Et la question du député socialiste pour, au fond, faire sur un autre dossier, un autre sujet, ce qu'ils font sur Bettencourt, c'est prendre un risque très fort, et je l'ai dit, je l'ai dit au président Ayrault, je l'ai dit à un certain nombre de parlementaires socialistes, on ne peut pas, quelle que soit la volonté de transparence, la volonté de vérité, prendre en otage le secret professionnel en matière fiscale, on ne peut pas prendre ce risque, les agents des impôts, ce ne sont pas des responsables administratifs aux ordres d'un pouvoir politique. Ils font leur travail.

Exigence de transparence, quand rendez-vous public le rapport de l'Inspection générale des finances sur ce qu'a fait E. Woerth avec le dossier fiscal Bettencourt ?

Il sera sur mon bureau vendredi.

Et il sera dans les médias...

On fera naturellement connaître la réalité de ce qui s'est passé, et ce rapport sera public.

Transparence toujours, pourquoi l'UMP ne prend-elle pas l'initiative d'une commission d'enquête parlementaire, ça permettrait de mettre les choses au clair ?

Mais nous avons déjà dit, enfin, l'UMP a déjà donné sa position :d'abord, ce n'est pas à l'UMP de le dire, dans la mesure où il y a un droit de tirage, vous savez, pour l'opposition, il n'y a aucun problème...

Oui, mais l'opposition, c'est en octobre, elle a déjà utilisé son droit de tirage...

Aucun problème pour une commission d'enquête parlementaire, Accoyer l'a dit aussi, et au contraire, moi, je pense que cette commission d'enquête parlementaire, dans son organisation, dans son fonctionnement, dans le fait que les gens prêtent serment, donc, vont mettre sur la place publique, sur la table, la réalité de ce qui s'est passé, il n'y a aucune difficulté pour une commission d'enquête parlementaire sur ce sujet, comme sur plein d'autres d'ailleurs.

Vous êtes au Budget, vous avez connaissance de tout ce qu'a fait avant vous E. Woerth, n'avez-vous pas été estomaqué par les conséquences de son mélange de casquettes, trésorier et ministre ?

Moi, je connais E. Woerth, qui est un homme intègre, vous savez, on n'est plus dans les années avant les années 90, avant les lois de financement. Le rôle d'un trésorier au fond, c'est quoi, c'est d'appliquer la loi et de permettre à des gens de financer un parti politique. Les partis politiques, ce n'est pas indigne, c'est dans la Constitution, la démocratie, elle n'a pas de prix, mais elle a un coût, ce coût, il est porté, soit, par le contribuable à travers les financements publics, soit, par les particuliers qui veulent, en partageant les valeurs d'un parti politique, permettre le développement de son action. Donc le rôle d'un trésorier, il est très simple : il encaisse des chèques, il fait des reçus, et c'est aussi simple que ça...

Si c'est un rôle aussi simple, pourquoi le confier à un ministre, il n'y a qu'à le confier à un simple militant, un simple cadre ?

Dans le passé, ça existait, il me semble que monsieur Emmanuelli était trésorier du PS et président de l'Assemblée nationale.

E. Woerth a montré hier émotion et indignation, mais l'opposition lui demande de répondre à des questions précises : comment son épouse a-t-elle été embauchée, que faisait-il le 26 mars 2007, puisqu'une ex-comptable l'accuse d'avoir touché une enveloppe ce jour-là. Pourquoi ne fait-il pas cette série de réponses précises ?

Qu'a-t-il mangé avec madame Bettencourt... Enfin, vous auriez pu rallonger la liste précise de toutes les questions qui se posent...

S'il montre ses agendas, ça dissipe la polémique.

Mais, je ne crois pas, si vous voulez, que, un carnet d'adresses soit une qualification juridique d'un délit pénal, peut-être vous-même, vous avez dîné avec des gens qui ont eu des responsabilités ou autres. Quel est le problème, quelle est cette logique d'inquisition, où veut-on aller ? C'est ça que j'ai voulu dire hier, il est incontestable que politiquement, pour un petit gain ponctuel, les socialistes prennent la responsabilité, non pas de construire leur Panthéon avec une rose à la main, mais de mettre des pétales de fleur sur le lit de l'extrême droite, c'est donc une responsabilité globale. On doit revenir à des principes : le secret d'instruction ce n'est pas le secret de polichinelle, le secret fiscal c'est quelque chose de sérieux, c'est un lien intime entre l'administration et les agents des impôts, qui ne sont pas aux ordres. Un contrôle fiscal c'est un acte administratif, ça n'est pas un acte politique. Il faut que chacun reprenne un peu le sens des responsabilités. Et puisque pour le reste, il y a une procédure judiciaire, et il y a un rapport de l'Inspection générale des finances, et il y aura une commission d'enquête parlementaire, qu'est-ce que l'on veut de plus, si ce n'est un acharnement individuel.

Il y aura - le Parquet envisage d'ouvrir une enquête pour financement illégal de la vie politique, après les déclarations de cette ex-comptable des Bettencourt - il y aura donc un témoignage d'E. Woerth ; vous le souhaitez le plus vite possible ?

J'ai le sentiment qu'E. Woerth témoigne à peu près tous les jours matin, midi et soir, il l'a encore fait hier soir. S'il y a une ouverture de l'information judiciaire, il est incontestable qu'E. Woerth ou n'importe quel autre ministre ou n'importe quel autre citoyen, est à la disposition de la justice.

Il ne serait pas plus à l'aise hors du Gouvernement pour mieux se défendre ? C'est arrivé que des ministres se libèrent de leurs charges pour mieux se défendre comme citoyen ?

Mais quitter le Gouvernement ce serait donner raison à tous ceux qui l'accusent de quelque chose qu'il n'a peut-être pas fait, qu'il n'a pas fait, qu'il n'a probablement pas fait. Mais protester de sa bonne foi ne suffit pas aujourd'hui, on ne donne pas à boire à un âne qui n'a pas soif, on n'arrive pas à trouver des arguments pour quelqu'un qui ne veut pas entendre. Ni les socialistes, ni un certain nombre d'acteurs ne veulent entendre cette réalité. Une démission d'E. Woerth aujourd'hui, dans ce contexte, sous la pression, ce serait donner raison à des gens qui ont accusé sans preuves.

N. Sarkozy devrait parler ces jours prochains, le souhaitez-vous et qu'attendez-vous de lui ?

Moi, je lui fais toute confiance pour prendre pleinement la mesure de la situation, pour prendre ses responsabilités, et la parole du président de la République sera évidemment très utile le moment venu.
Faites-vous partie de ceux qui souhaitent un remaniement le plus vite possible, pour relancer la machine des réformes ?

Je ne vais pas vous faire de la langue de bois, je suis au Gouvernement, je travaille énormément sur le budget, si on a quelques secondes pour en parler, ça me semble important pour les Français...

On va en parler tout de suite. Ça serait mieux avec un Gouvernement resserré, relancé ?

C'est une question en fait de séquences, on va rentrer après le budget, me semble-t-il, dans une séquence qui sera beaucoup plus politique, et le dernier gouvernement, comme toujours, d'un quinquennat doit être un gouvernement politique, c'est indiscutable.

Deux points de déficit en moins l'an prochain, c'est votre objectif pour le budget 2011, en diminuant le nombre d'emplois aidés ou les avantages pour l'emploi à domicile, est-ce que vous n'allez pas casser la petite reprise de croissance ?

Vous savez, c'est un exercice difficile, ce budget, il n'a jamais été fait, on a une marche à franchir, qui représente 40 milliards. On doit le faire à cause de la crise, qui a creusé les déficits. Je rappelle qu'on a eu 60% de rentrées fiscales en moins par exemple sur l'impôt sur les sociétés, je rappelle qu'on a eu 30% en moins des recettes au titre des droits de mutation du marché de l'immobilier. Ça remonte, ça va nous faire des recettes en plus. Mais on a un problème français, qui est un taux de dépenses publiques par rapport à notre richesse nationale considérable. Donc on agit sur la dépense, on serre les boulons, ce sera difficile, il n'y a pas de mesures populaires dans ce budget, mais il sera juste et équilibré. On protégera les publics fragiles, on protègera les publics fragiles, et on essaiera de faire partager l'effort par tous, et de faire partager un effort plus important pour ceux qui ont plus de moyens.

Mais est-ce qu'il sera efficace ce budget, vous le fondez sur une hypothèse de croissance très optimiste, vous ne l'atteindrez pas ?

On ne l'a pas fait au doigt mouillé cette prévision de croissance, et on croit à ce que l'on dit, on a un rendez-vous au mois d'août, nous verrons bien. C'est vrai que cette prévision est ambitieuse, c'est vrai qu'elle est peut-être audacieuse, et de toute façon, notre objectif intangible, je l'ai dit à la représentation nationale hier, c'est de passer de 8 à 6% de déficits par rapport à notre richesse nationale. Donc s'il doit y avoir des corrections, il y aura aussi des aménagements au sein du budget.

Pourquoi ne pas toucher au bouclier fiscal, qui amène beaucoup d'ennuis politiques d'un côté, et puis qui n'a pas l'air d'apporter énormément de recettes supplémentaires avec des contribuables qui reviennent de l'étranger ?

Là encore, le débat... vous savez, ce qui serait très simple pour amener de l'argent dans les caisses, c'est ce qu'a fait l'Italie, c'est une amnistie fiscale, c'est une repentance généralisée, ça, ça fait revenir de l'argent. Certainement pas, nous ne mettrons pas le doigt dans l'engrenage d'une amnistie fiscale, donc on maintient un outil qui permet tant bien que mal, cahin-caha, malgré le débat, de protéger celles et ceux qui créent aussi de la richesse.

Et pourquoi ce tabou aussi sur la TVA. A. Juppé et d'autres veulent monter la TVA, ça rapporte ?

J'ai moi-même, comme ministre du Budget, pris des positions, je pense qu'on ne peut pas, d'autorité, dire, d'un côté, on baisse les dépenses et on n'augmente pas les prélèvements obligatoires et ouvrir un débat tout de suite, maintenant, sur la TVA, mais ce débat, nous l'aurons pour la présidentielle.

F. Baroin, merci. Bonne journée !

Merci.

Source : Premier ministre, Service de l'Information du Gouvernement, le 7 juillet 2010