Interview de M. Denis Kessler, vice-président délégué du MEDEF, à RTL le 16 janvier 2001, sur les propositions du MEDEF pour augmenter l'âge de la retraite et sur l'avenir des retraites complémentaires.

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Texte intégral

JEAN-PIERRE DEFRAIN : Le bras de fer continue entre le patronat et les syndicats autour de la retraite à 60 ans. Lors de son Assemblée générale, le MEDEF propose de nouvelles discussions, reprenant les idées avancées en décembre dernier.
JEAN-PIERRE DEFRAIN : Le bras de fer sur les retraites entre les syndicats et le MEDEF. L'organisation patronale, qui tenait son Assemblée générale appelle les syndicats à examiner à nouveau ses propositions formulées le 22 décembre. Le désaccord persistant sur la question des retraites complémentaires, de fait le MEDEF confirme qu'il refuse de cotiser au dispositif permettant de financer le surcoût des retraites entre 60 et 65 ans. Pour le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, le patronat cherche en fait à remettre en cause totalement cette retraite à 60 ans. Alors,
PHILIPPE ROY-CONTENCIN :, vous arrivez tout juste du siège du MEDEF, le Mouvement des Entreprises de France.
PHILIPPE ROY-CONTENCIN : : Oui, alors le MEDEF n'appelle pas explicitement à ce que les entreprises fassent disparaître sur la fiche de paye de janvier les cotisations qui assurent la retraite complémentaire entre 60 et 65 ans, il constate simplement que l'ASF, la structure qui en assure le financement, n'a plus d'existence depuis le 31 décembre dernier. C'est tout de même un appel au boycott, mais les petites et moyennes entreprises de la CGPME et les artisans de l'UPA n'affichent pas une position aussi radicale. Ils ne veulent pas, disent-ils, tout casser, et sont d'accord pour négocier. Le MEDEF, qui veut incarner la France qui avance, veut bien, lui aussi, reprendre les discussions avec les syndicats, sur la base de ses propositions : l'allongement progressif de la durée des cotisations. Il faudra travailler 45 ans en 2023 avant de prendre sa retraite, ce qui fait donc sauter le verrou de la retraite à 60 ans ; On imagine mal les syndicats travailler aujourd'hui sur une telle base, celle-là même qu'ils ont refusé à la fin de l'année dernière. Ils préparent leur manifestation du 25 janvier, une mobilisation qu'ils souhaitent bien entendu forte, quitte à passer aux yeux du patronat pour la France de la gauche et des fonctionnaires, et comme on dit au MEDEF, la France qui freine.
JEAN-PIERRE DEFRAIN : Avec trois questions, trois réponses à DENIS KESSLER, vice-président du MEDEF. Bonsoir.
DENIS KESSLER : : Bonsoir.
JEAN-PIERRE DEFRAIN : Alors, vous nous direz pourquoi le MEDEF ne veut-il pas céder sur les retraites complémentaires, vous nous expliquerez si le principe de la retraite à 60 ans est tenable dans la durée et enfin, y-a-t-il aspiration du MEDEF à jouer un rôle politique. Alors, première question,
DENIS KESSLER :, pourquoi le patronat ne veut-il pas céder sur les retraites complémentaires ?
DENIS KESSLER : : Oh, pour une raison simple, c'est que nous avons négocié pendant un an avec les cinq organisations syndicales pour préparer dès aujourd'hui la réponse au choc démographique sans précédent qu'on doit connaître en 2005 et qui va durer, excuser du peu, 20 ans. Choc incroyable, le nombre de retraités en 2005 augmente de 50 % et ce choc se répète tout au long des années qui suivent. Alors, nous avons négocié
JEAN-PIERRE DEFRAIN : On y reviendra parce que toutes les projections ne voient pas ce choc de la même manière, surtout l'Insee. Mais on y reviendra tout-à-l'heure.
DENIS KESSLER : : Alors, nous avons négocié, nous avons proposé aux syndicats un programme très très très progressif puisqu'il s'agit, à partir de 2004, de relever progressivement d'un trimestre par an les âges de cessation d'activité pour les régimes complémentaires, ce qui fait que l'on atteindrait en 2023, la date de 2023, l'âge de 65 ans pour avoir une retraite pleine.
JEAN-PIERRE DEFRAIN : Mais est-ce que c'est un projet à prendre ou à laisser ?
DENIS KESSLER : : Alors, ça permet Qu'est-ce que nous avions comme objectif ? Un, .
JEAN-PIERRE DEFRAIN : Vous ne me répondez pas. C'est un projet à prendre ou à laisser ?
DENIS KESSLER : : Attendez, Ce que nous disons, c'est que nous souhaitons ne pas augmenter les cotisations sur les jeunes générations. Nous souhaitons absolument ne pas toucher aux retraites servies aux retraités. La seule variable sur laquelle on peut agir, c'est l'âge de cessation d'activité. Si les syndicats nous disent : nous ne souhaitons pas toucher aux âges de cessation d'activité, je ne vois pas comment nous allons pouvoir faire face à ce choc. Et comme, je le répète, nous protégeons les jeunes générations et nous protégeons les retraités, il n'y a pas d'autre solution.
JEAN-PIERRE DEFRAIN : Mais allonger jusqu'à 45 ans la durée des cotisations, c'est mettre en cause le principe même de la retraite à 60 ans ?
DENIS KESSLER : : Oui. Eh bien oui. Eh bien oui. Tous les autres pays l'ont fait. Nous avons fait moins d'enfants à partir de 1965 et nous avons une espérance de vie, monsieur Defrain, qui augmente d'un trimestre par an. La durée de retraite reste constante tout au long de cette période. C'est une formidable nouvelle que nous allons vivre plus longtemps. C'est très clair : en 2023, nous allons vivre 5 ans de plus. Et nous partirons en 2023 avec 5 ans de plus de travail. Nous maintenons, grâce à ce mécanisme progressif de remonter les âges de cessation d'activité, nous maintenons l'équilibre des régimes de retraite, nous solvabilisons ce régime et nous donnons une garantie à tous les salariés de France.
JEAN-PIERRE DEFRAIN : Et pourtant, là, récemment, et notamment l'Insee, toutes les projections, notamment celles de l'Insee, revoient à la hausse l'augmentation de la masse salariale jusqu'en 2005, ce qui repousserait quand même de plusieurs années le déficit annoncé.
DENIS KESSLER : : Non, ça repousse d'un ou deux ans les déficits annoncés. Mais personne ne conteste le fait que, de toute façon, les régimes de retraite, compte tenu de l'ampleur de ce choc démographique, doivent être réformés. La preuve : tous les pays européens, sans exception, ont déjà procédé à ce relèvement des âges de cessation d'activité. Tous nos voisins, tous les salariés des autres pays européens, vont travailler plus longtemps. C'est la raison pour laquelle, nous devons agir aujourd'hui. C'est un principe de prudence, c'est un principe de prévoyance et c'est surtout la seule garantie que l'on peut donner aujourd'hui à tous les retraités de dire : nous n'allons pas faire comme on vient de le faire pour les régimes complémentaires de la fonction publique retraite, nous n'allons pas baisser comme au 1er janvier de 16 % les pensions servies. Ca, nous considérons ça irresponsable. Et on voit bien que la mauvaise gestion aboutit à une situation dramatique pour les retraités. Nous sommes résolument contre ce type de faits. Nous voulons maintenir le pouvoir d'achat des retraités.
JEAN-PIERRE DEFRAIN : Vous ne m'avez pas répondu : c'est un projet à prendre ou à laisser DENIS KESSLER ?
DENIS KESSLER : Nous disons aux syndicats que, bien entendu, nous sommes partisans de la négociation, je vous rappelle que nous avons lancé le grand chantier de la Refondation sociale et que nous le poursuivons tous les jours. Mais nous disons aux syndicats que s'ils décident de revenir à la table des négociations en disant que de toute façon, ils refusent toutes les négociations des âges de cessation d'activité, je ne voie pas ce qu'il y a à négocier parce que nous, nous sommes arcqueboutés sur la protection des jeunes générations et de leur pouvoir d'achat et nous sommes arcqueboutés sur le maintien du pouvoir d'achat des retraites servies aux retraités. Donc, je ne vois pas comment résoudre le problème que j'ai pu indiqué et nous disons aux syndicats : reprenons les négociations, discutons des modalités de relèvement des âges de cessation d'activité, mais soyez responsables, préparons l'avenir.
JEAN-PIERRE DEFRAIN : Sur les cotisations que vous envisagez, vous avez décidé de supprimer, il n'y a rien de nouveau, ils disent : ce n'est pas la peine de revenir à la table des négociations puisqu'on nous propose rien d'autre.
DENIS KESSLER : : Attendez, ce que nous avons proposé, ce n'est certainement pas la suppression de l'âge de la retraite à 60 ans au 1er avril prochain. Les propositions faites fin décembre, rien ne se passe en 2001, rien ne se passe en 2002, rien ne se passe en 2003. Ce n'est qu'en 2004, monsieur Defrain qu'il faudra avoir un trimestre de plus pour avoir une retraite complémentaire pleine. Et tenez-vous bien, en 2010, il faudra travailler jusqu'à 61,5 ans pour avoir la même retraite qu'aujourd'hui à 60 ans. Dans 10 ans. Si vous trouvez un programme, un projet plus progressiste, vous me le dites. Ca n'existe pas. Et donc, les syndicats ont pris le risque de mettre en cause la retraite à 60 ans au 1er avril prochain, plutôt que, avec nous, préparer l'avenir et d'envisager ce grand programme qui ne heurte personne, qui n'est brutal pour personne. Et puis, mon Dieu, on vivra plus longtemps, il faudra travailler plus longtemps.
JEAN-PIERRE DEFRAIN : Sur les cotisations, DENIS KESSLER, le fait que la CGC menace de procès les entreprises qui ne verseraient pas leurs cotisations, vous inquiète ?
DENIS KESSLER : Mais non, c'est l'agitation, vous savez, tout ceci Il faut raison gardée. Moi, je préfère négocier à manifester, chacun a ses principes, et je préfère simplement trouver des solutions aux problèmes identifiés plutôt que de lancer comme ça des idées de procès. Allons, allons, écoutez, c'est tellement important la retraite qu'il ne faut pas jouer avec ça. Et c'est la raison pour laquelle nous, nous sommes responsables. Nous avons la responsabilité des 15 millions de salariés aujourd'hui. Ce sont les gens qui travaillent dans nos entreprises. Alors, que l'on nous fasse confiance ! Quand nous gérons ces problèmes-là, on le fait avec à l'esprit l'idée selon laquelle comment garantir à tous les salariés aujourd'hui une retraite décente dans les 20 prochaines années. C'est ce message d'espoir, c'est ce message positif que nous envoyons, c'est ce programme réaliste et responsable que nous avons élaboré avec les syndicats. Je crois que le moment est venu véritablement de se mettre autour d'une table. On peut réviser, de-ci, delà, les modalités. Mais, que ça soit clair : il faudra travailler demain plus longtemps pour avoir une retraite pleine. Quiconque dit le contraire ment.
JEAN-PIERRE DEFRAIN : Alors, dernière question, DENIS KESSLER, l'aspiration du MEDEF est-elle de jouer un rôle politique ? Parce que c'est clair, l'adversaire du gouvernement, ce n'est pas la droite, là, c'est le MEDEF.
DENIS KESSLER : Pas du tout. Nous n'avons aucun adversaire et nous apprécions mesure par mesure que prend le gouvernement. Quand les mesures
JEAN-PIERRE DEFRAIN : Non, mais attendez, vous avez entendu François Hollande. Les partis de gauche d'abord, vous font porter la responsabilité de la crise actuelle et François Hollande dénonce le chantage du MEDEF, le chantage vis-à-vis des syndicats et des salariés.
DENIS KESSLER : : Mais justement, nous ne faisons pas ce type de politique et je ne veux aucune polémique avec François Hollande. Je vais simplement lui envoyer deux ouvrages reliés. Le premier, qui est le formidable Livre blanc de monsieur Rocard de 1991 sur l'avenir des retraites et je vais lui renvoyer le rapport Charpin, monsieur Charpin ayant été nommé par monsieur Jospin, et qui a fait un rapport en 1999 sur l'avenir des retraites. Je vais lui envoyer en version reliée, il pourra le lire et il verra que les propositions du MEDEF s'inscrivent directement dans ces deux rapports, directement et que, en aucun cas, nous faisons de la politique contre quiconque. Nous avons le seul espoir de trouver une solution à ce problème bien identifié depuis longtemps. Au nom de qui ? Mais attendez, de toutes les générations qui, demain, rentrent sur le marché du travail. Il faut que vous sachiez, monsieur Defrain, qu'aujourd'hui, un salarié du secteur privé, nos auditeurs, qui appartiennent au secteur privé concurrentiel, consacrent 25 % de leur salaire brut à l'heure actuelle aux cotisations aux régimes de retraite par répartition. Nous disons : nous ne pouvons pas aller au-delà. Trois mois de leur salaire brut par an consacrés à l'heure actuelle à des cotisations ! Nous voulons ne pas aller au-delà. Tout simplement pour qu'ils puissent continuer à avoir un pouvoir d'achat, un revenu net. D'ailleurs, la preuve est apportée. Regardez le gouvernement : il décide de rembourser une partie de la CSG. Vous voyez bien qu'on s'inscrit dans la même dynamique de maintenir le pouvoir d'achat et de limiter les prélèvements.
JEAN-PIERRE DEFRAIN : Une affaire à suivre. Merci DENIS KESSLER
(Source http://www.medef.fr, le 07 mars 2001).