Interview de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, à "France 2" le 28 juin 2010, sur l'affaire Woerth-Bettencourt et la fragilisation possible du ministre, ainsi que sur le choix budgétaire de réduction des dépenses publiques.

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Média : France 2

Texte intégral

J. Wittenberg.- Bonjour à tous, bonjour F. Baroin.

Bonjour.

Vous êtes le successeur d'E. Woerth au ministère du Budget. Alors, comme on l'a entendu dans le journal de 07h30, si on vous pose la même question qu'au président de la République, à savoir : monsieur Woerth est-il fragilisé par toutes les révélations qui circulent et où son nom est cité, est-ce que vous ferez la même réponse que le président, à savoir : « je vous ai déjà dit la même chose qu'hier, circulez, il y a rien à voir », en quelque sorte ?

Oui, puisque j'ai eu l'occasion de m'exprimer hier, il a pris des coups, c'est une période difficile pour lui, mais il est très solide, il est déterminé, tout simplement, à mener à bien la mission qu'est la sienne, c'est-à-dire conduire cette réforme des retraites. Maintenant, dire que c'est une situation facile, ce serait mentir.

Vous avez entendu E. Woerth, il a dit, il a expliqué hier qu'il était une cible. Pourquoi s'en prendrait-on à lui, selon vous, pourquoi explique-t-il que c'est une affaire de presse et qu'il n'y a rien ? Pourquoi serait-il une cible ?

Ça, je suppose qu'il faudrait lui demander plus directement la question. Il est une cible, c'est incontestable, on effeuille un peu comme une marguerite, jour après jour, des éléments d'informations, qui, pris dans un ensemble, en faisant par facilité, comme toujours d'ailleurs, un amalgame et une confusion, donne l'impression d'une culpabilité, alors que sur l'ensemble des dossiers, avec beaucoup de méthode et beaucoup de rigueur et beaucoup de sincérité, E. Woerth a apporté toutes les réponses.

Mais vous croyez qu'à travers toutes ces « attaques », on fragilise aussi le dossier qu'il conduit, à savoir la réforme des retraites ? C'est ce que l'on cherche à faire ?

Vous savez, dans cette question des retraites, on a besoin de beaucoup de pédagogie, pour la faire accepter et consacrer sur une heure d'émission, une demi-heure de son temps de parole utile pour donner les explications de sujets sur lesquels, et c'est connu de tous, monsieur Woerth est un homme intègre, il a été choisi comme trésorier de l'UMP alors qu'il avait été nommé par A. Juppé, à l'époque, je le sais, j'étais secrétaire général de l'UMP pour ses - justement - ses valeurs d'intégrité, de morale, d'application du droit, c'est un homme de grande qualité, c'est un ministre qui a le sens de l'Etat et c'est un homme qui a conduit cette première période de la réforme des retraites, avec je crois beaucoup de méthode. Voilà. Donc c'est un exercice difficile, oui, ce n'est pas une période facile, mais ça ne... les attaques n'ont de sens que si elles vous font dévier de votre trajectoire. S'il ne dévie pas de sa trajectoire, ce que je crois et ce que je sais, eh bien, elles n'auront aucun sens.

Alors, vous le rappelez, il a été nommé trésorier, à l'époque vous occupiez vous-même les responsabilités à l'UMP. Est-il normal qu'il le reste aujourd'hui ? Il a expliqué qu'il n'y avait pas de conflits d'intérêt, pas d'incompatibilité entre le fait d'être ministre et trésorier de l'UMP. Est-ce que vous, par exemple, vous resteriez trésorier de l'UMP, à sa place ?

Ah mais ça, enfin, la question ne s'est jamais posée et je n'ai pas les qualités pour être trésorier d'un parti politique. En revanche, ce que je sais, c'est que ce sont des dossiers d'une nature tout à fait différente. La gestion de la vie politique française sur le plan financier, elle est encadrée par la loi, on n'est pas il y a 15 ans, il y a 20 ans ou il y a 30 ans, où il se faisait un peu tout et n'importe quoi, sans cadre juridique. Aujourd'hui, c'est encadré. Le rôle d'un trésorier c'est de recevoir des dons, dans le cadre légal, s'assurer justement que c'est l'application du cadre légal, et ensuite faire vivre sa formation politique. Les partis sont dans la Constitution, il n'y a rien d'indigne.

Donc on peut rester ministre, tout en étant trésorier, vous, ça ne vous choque pas ?

Ça ne me choque pas, non.

Et dans le même esprit, lorsque monsieur Woerth explique que L. Bettencourt est une contributrice importante de l'UMP, c'est effectivement tout à fait légal, mais est-ce que c'est, j'allais dire, dans le sens de l'époque, vous le rappeliez vous-même, il y a eu une moralisation de la vie publique, aujourd'hui les partis sont financés par l'Etat, est-il normal finalement que la première fortune de France finance le parti majoritaire ?

Les partis qui sont dans la Constitution, qui sont des éléments de la vitalité démocratique, la démocratie elle n'a pas de prix mais elle a un coût. Ce coût, c'est le financement public, le financement des particuliers selon un certain plafond, le financement des entreprises, selon un certain plafond. Madame Bettencourt, comme n'importe quel autre contribuable, fait ses choix. Je ne sais pas si elle a financé l'UMP, je crois qu'E. Woerth l'a annoncé, mais tout ça est « anonymisé », et en même temps, suivi et tracé par des commissions indépendantes.

Donc, sur le plan moral, ce n'est pas choquant non plus ?

Sur le plan moral, la morale, elle trouve sa place dans le cadre de l'application légale.

Vous avez observé que l'opposition, en tout cas les leaders socialistes, à l'exception d'A. Montebourg, sont assez prudents dans cette affaire. Ce n'est pas le cas de toutes les personnalités d'opposition. Par exemple, monsieur Mamère a parlé de « voyous au sommet de l'Etat ». Qu'est-ce que vous pensez, jusqu'à présent, de la réaction de l'opposition ?

Certains ont le sens de l'Etat et savent faire la part des choses, et se trouvent du côté, tout simplement, de l'exigence du Gouvernement. Monsieur Montebourg, qui est un garçon qui a du talent, a toujours été un peu procureur de bistrot, donc il a cette habitude de montrer du doigt et d'être un Fouquier-Tinville chaque matin au bistrot, pour dire : « Toi tu es coupable et tu as cette responsabilité ». Monsieur Mamère, me semble-t-il, est un dangereux récidiviste de l'injure publique.

Le Gouvernement, et ce sera ma dernière question sur cet aspect des choses et le président de la République, font bloc, on l'a entendu, derrière monsieur Woerth, mais est-ce que de toute façon il n'est pas aujourd'hui affaibli, quoi qu'il advienne, dans les prochains jours, pour conduire cette réforme des retraites ?

Je vous ferai un peu la même réponse, si vous déviez de votre trajectoire, si ça vous touche votre statut intérieur et votre colonne vertébrale, alors ces attaques auront eu du sens. E. Woerth est un garçon solide, et comme il est pleinement soutenu par le président de la République et par tout le Gouvernement et par la majorité, il n'y a pas d'interrogation sur ce point.

A partir du 6 juillet, la discussion sur le budget va commencer à travers les grandes orientations du budget, le débat d'orientation des finances publiques. A quoi faut-il s'attendre, F. Baroin, pourquoi en France on ne parle pas expressément de rigueur, comme on le fait en Grande- Bretagne et en Allemagne, par exemple ?

La situation n'est pas la même. En Grande-Bretagne, ils ont augmenté, par exemple, la TVA de près de deux points. La France, le Gouvernement, le ministre du Budget que je suis, ne proposent pas au Premier ministre, au président de la République, d'augmenter pour la prochaine loi de finances, les impôts de manière massive, spectaculaire. Il y a une très grande différence entre augmenter les impôts, ce qui va dans le sens de la rigueur, et diminuer les dépenses. Faire les deux en même temps, c'est la rigueur. Ne faire qu'un seul, ce que nous proposons, car nous avons un niveau de dépenses qui est parmi les plus élevés de l'Europe, et donc c'est d'agir, d'abord et avant tout, sur toutes les sources de dépenses, celles de l'Etat, celles de la Sécurité sociale et celles qui concernent les collectivités locales.

Est-ce qu'il y aura, ou non, un gel du traitement des fonctionnaires ?

Comme ministre du Budget, j'ai évidemment mon avis pour la perspective...

Mais quel est-il ?

Les négociations commencent cette semaine, il y a des ministres sectoriels, ils vont discuter avec les syndicats, j'ai mon point de vue, j'ai formulé des propositions dans un certain sens, attendons la semaine et un peu de patience.

Votre point de vue c'est qu'il faut être, disons, rigoureux, dans ce domaine, si vous ne pouvez pas en dire plus ?

Mon point de vue, c'est que l'on doit intervenir sur toutes les sources. Mon point de vue c'est qu'on a un objectif qui est intangible, c'est de réduire de deux points le niveau de déficit et de passer de 8 à 6 pour l'année prochaine. Ça ne s'est jamais fait. Mon point de vue, c'est que le budget que nous avons à préparer est le plus difficile depuis 30 ans et mon point de vue, c'est que nous devons revenir au niveau de déficit que nous avions avant la crise, d'ici 2013, donc nous devons nous en donner les moyens en agissant sur les dépenses, en essayant d'être juste et équilibré, mais avec beaucoup de détermination.

Eh bien on essayera de comprendre à travers ce que vous venez de nous dire...

La semaine prochaine.

... ce à quoi il faut s'attendre pour le traitement des fonctionnaires. Merci beaucoup, F. Baroin.

Merci.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 29 juin 2010