Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le projet de loi de réforme de l'action extérieure de l'Etat, Paris le 12 juillet 2010.

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Circonstance : Discussion du texte de la commission mixte paritaire de l'Assemblée nationale et du Sénat : intervention de Bernard Kouchner à Paris le 12 juillet 2010

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission mixte paritaire,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Nous arrivons au terme d'un long travail : trois ans à trois ans et demi pour ce qui me concerne et de longs mois pour vous. Le Parlement va se prononcer sur une réforme très ambitieuse pour la simple raison qu'elle avait été envisagée par nombre de mes prédécesseurs sans avoir jamais vraiment été entamée. Cette réforme s'imposait. Tout le monde murmurait plus ou moins haut - et parfois, peut-être, criait - que notre diplomatie d'influence n'était pas assez performante face à des concurrents nombreux et bien dotés. J'ai nommé, bien entendu, l'Institut Cervantès, le Goethe Institut, le British Council ou l'Institut chinois, entre autres.
Je voudrais vous affirmer, même si vous ne l'entendez pas, que cette réforme n'a rien d'idéologique ! Tout le monde savait - et même lorsque j'étais secrétaire d'Etat auprès de Roland Dumas - qu'il était nécessaire et indispensable d'améliorer notre outil et que, bien sûr, nous allions le faire. Cette bataille mondiale des contenus culturels, des idées et des savoirs nous imposait de le faire maintenant ou jamais. Les nouvelles puissances émergentes dans le monde, ce nouveau système que l'on appelle Internet et qui conditionne la vie de centaines de millions de gens, la façon dont les idées circulent et s'imposent sont une compétition à laquelle nous devions participer. Notre influence politique est toujours en jeu dans un monde en mouvement perpétuel et dont les changements, dont on parle tous les jours, sont évidents. Qu'allions-nous faire ? Je vous rappelle - et ce n'est pas un moindre détail - que, nous, les Européens, avons voté en faveur d'un Traité dit "de Lisbonne" qui impose à notre regard étonné et à notre diplomatie habituelle une Haute représentante de l'Union européenne. Notre influence, en termes diplomatiques et politiques traditionnels, va devoir s'adapter. Or il y a une chose que la Haute représentante - ou le Haut représentant qui lui succédera éventuellement - ne possède pas, c'est l'action culturelle. Ce combat - cette compétition - va s'installer devant nos yeux et nous devons absolument y répondre.
Je me félicite de la création de l'Institut français, qu'il convient d'appeler ainsi ; j'étais d'ailleurs moi-même partisan de l'Institut Victor Hugo. L'Institut français ou les alliances françaises ont un logo commun, que je vous ai d'ailleurs montré. Ainsi, les 130 ou 140 centres culturels, devenus Institut français, et les 500 alliances françaises vont démarrer et progresser ensemble. Ils ont d'ailleurs commencé à travailler main dans la main et vont préparer des projets en commun.
Des opérateurs modernes et efficaces s'imposaient ; nous en avons, et ils permettront une vraie compétition pacifique avec le British Council, l'Institut Goethe et l'Institut Cervantès. Je voudrais vous donner quelques chiffres à ce propos : notre budget pour le réseau culturel est de 350 millions d'euros. C'est beaucoup plus que l'Institut Goethe ou l'Institut Cervantès. Le British Council dispose, lui, d'un budget légèrement supérieur, la langue anglaise, qui fait leur richesse, étant évidemment, et hélas, un peu plus prégnante que la langue française. Mais nous allons nous battre pour que celle-ci progresse. Ne rougissez donc pas des moyens qui manqueraient, cela n'est pas vrai. Bien sûr qu'il manque des moyens, je suis le premier à dire qu'il nous en faudrait plus au ministère des Affaires étrangères, mais ne pensez pas que le réseau culturel soit si pauvre que cela ; 350 millions d'euros, c'est déjà beaucoup.
De plus, avec 100 millions d'euros sur cinq ans pour l'action culturelle, nous avons interrompu la chute des investissements dans le réseau culturel, cela n'est peut-être pas suffisant, mais c'est très notable.
Nous l'avons fait. Bien sûr, j'aurais voulu faire plus, mais dans cette période où tous les ministères se plaignent, je ne me plains pas complètement.
J'ai tenu à ce que l'intégration du réseau culturel à l'agence soit placée sous l'autorité des ambassadeurs. C'était une promesse, sur trois ans, en dehors des dix expérimentations, c'est l'ambassadeur de France qui sera le maître - pardon pour l'expression - de tout le réseau culturel dans le pays où il sera en poste. Vous aurez à en juger, puisqu'un certain nombre de rapports vous seront remis.
Un deuxième point très important concerne la formation. Nous avons décidé que tous les personnels diplomatiques - il y en aura au moins 4.000 - seront formés avec des programmes très précis, dans les disciplines nouvelles, diplomatiques mais aussi culturelles. Ce n'est d'ailleurs pas très facile. L'agence bénéficiera de cette formation, et d'ailleurs ceux qui sont en formation maintenant et pour quatre mois en bénéficient très fortement.
J'ai donc fait le pari de faire travailler ensemble les diplomates et les gens qui proviennent des réseaux culturels, c'est-à-dire le ministère de la Culture, et le ministère des Affaires étrangères et européennes. Croyez bien que c'était assez inédit, car, contrairement à ce que l'on pense, il y avait une opposition, qui perdure encore. Nous devrons faire nos preuves, et j'espère que nous y parviendrons.
Ce projet de loi ne brade ni n'affaiblit personne. Je pense au contraire qu'il renforce notre diplomatie, notre influence dans le monde, et la compétition s'avère dure.
En ce qui concerne les autres dispositions de la loi, je remercie le président de la Commission d'avoir été si précis. Comment pouvez-vous penser, avec la lecture qui vous a été faite d'une rédaction très précise, que nous ayons choisi cette formule plutôt que d'énumérer les professions ? Le Conseil d'Etat nous a demandé de ne pas le faire, car en énumérant, on léserait, au sein de chaque profession, des gens qui n'y appartiennent pas complètement, et dont il aurait fallu préciser la tâche. Jamais nous ne léserons les journalistes qui font leur métier et qui prennent donc des risques inhérents à leur profession. Pensez-vous que nous léserons les humanitaires ? Moi qui ai forcé je ne sais combien de blocus, je proposerais une loi qui leur porterait préjudice ?
Nous réunissons très souvent des agences de voyage au quai d'Orsay, ce sont ceux-là, qui ne lisent d'ailleurs pas les conseils aux voyageurs sur le site du ministère des Affaires étrangères, que nous souhaitons éclairer. Nous avons des exemples de touristes que nous avons dû rapatrier car la date de leur billet n'avait pas été respectée. Cinquante personnes travaillent nuit et jour dans le Centre de crise que j'ai créé à nouveau, car il avait disparu comme par hasard, au service de nos concitoyens qui sont égarés ou qui sont otages. En ce jour, où nos journalistes de France 3 sont toujours bloqués en Afghanistan et où nous ne pouvons pas préciser autre chose que le dévouement acharné que nous mettons à les sortir d'affaire, je vous assure qu'il serait malvenu de dire aux gens qui travaillent pour Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière que nous ne faisons pas tout ce que nous pouvons. J'espère qu'un jour proche, cet acharnement à les protéger sera récompensé, pour eux, pas pour nous.
Pour terminer, je voudrais remercier l'Assemblée, M. Axel Poniatowski, Mme Tabarot et M. d'Ettore. Ce travail a porté ses fruits. Né il y a quelques années déjà, appuyé sur un travail du Sénat, l'Assemblée a complété de la meilleure façon. Ensemble, vous avez tous fait un excellent travail. Les deux personnalités différentes du Sénat et de l'Assemblée se sont complétées pour présenter un projet que j'espère que vous voterez, et qui sera de toutes les façons un progrès par rapport à ce qui n'existait pas, cela ne va pas être très dur !
Par ailleurs, je souhaiterais préciser une chose qui vous a peut-être échappé, Monsieur Loncle, dans le flot d'idées reçues que vous avez déversé : le portefeuille d'Alain Joyandet ne comprenait pas l'audiovisuel public. Jamais ! Je ne suis donc pas plus que vous en charge de ce secteur depuis sa démission. J'ai hérité avec bonheur de la Francophonie et de la Coopération, mais, dès le premier jour, l'audiovisuel public a été transféré, avec son budget, à Matignon, et il relève maintenant du ministère de la Culture. Merci d'en prendre acte, Monsieur.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juillet 2010