Déclaration de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du gouvernement, sur la prévention et la lutte contre l'illettrisme, Paris le 6 mai 2010.

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Circonstance : Rencontre nationale de l'Agence nationale de Lutte contre l'illettrisme (ANLCI) à Paris les 5 et 6 mai 2010

Texte intégral


Madame la Directrice générale de l'Agence de Lutte contre l'Illettrisme, chère Marie-Thérèse Geffroy, cher Alexandre Jardin qui m'a accompagné et dont j'ai pris plaisir à être avec lui cet après-midi. Mesdames et Messieurs, je suis très heureux d'être parmi vous cet après-midi, pour un sujet aussi important que celui de l'illettrisme et je me réjouis de la façon dont depuis plusieurs semaines, nous travaillons ensemble avec l'Agence Nationale de Lutte contre l'Illettrisme.
Mesdames et Messieurs, la France est le pays des lettres. Un pays dont l'histoire se confond avec ses livres, un pays dont le patrimoine le plus précieux est formé de l'oeuvre de nos auteurs qui, siècle après siècle, ont enrichi ce trésor qu'est la langue française.
Un trésor que nous avons reçu en héritage et que nous avons donc pour devoir de transmettre de génération en génération. Aussi suis-je profondément choqué, naturellement comme citoyen, j'allais dire comme père de famille mais, naturellement, comme Ministre de l'Education Nationale, que 9% que des adultes âgés de 18 à 65 ans soient, dans notre pays, considérés comme illettrés.
9 % c'est à dire 3,1 millions de personnes qui souffrent dans leur vie professionnelle, dans leur vie sociale, dans leur vie personnelle. Car vous le savez comme moi, l'illettrisme est un véritable handicap de tous les jours, un handicap et une souffrance inacceptable, intolérable, indigne dans un pays comme le notre qui depuis les Lumières a toujours su inscrire la transmission du savoir au coeur de son projet d'avenir.
Oui, Mesdames et Messieurs, l'illettrisme est un fléau. Un fléau, parce que ne pas avoir une maîtrise de ces compétences fondamentales que sont la lecture, l'écriture ou le calcul, c'est l'assurance d'être laissé au bord du chemin, tout particulièrement dans le contexte de crise que nous connaissons aujourd'hui.
Mais, plus encore, si l'illettrisme est un fléau, c'est parce qu'il est un mal dont trop souvent on ne parle pas, un mal dont on a honte, un mal que l'on cherche à cacher, car il faut de la patience, de la persévérance, de la rigueur, de la méthode pour percevoir la réalité de l'illettrisme dans notre pays. C'est-à-dire en déterminer les contours et en évaluer l'ampleur et la profondeur.
Et bien, cette patience, cette persévérance, cette méthode sont précisément ce qui fait la marque de l'Agence de Lutte contre l'Illettrisme. Aujourd'hui vous vous apprêtez à fêter vos 10 premières années d'existence et depuis 2000 vous avez su établir un diagnostic précis qui nous manquait, je dois le dire, un diagnostic structuré, incontesté car incontestable Les données que vous avez su collecter, l'expertise que vous avez su fédérer, les ressources que vous avez su développer vous ont permis de vous imposer sur ce sujet comme une véritable référence.
Une référence vers laquelle convergent aujourd'hui tous ceux qui ont pris conscience du fléau que constitue l'illettrisme pour notre pays et qui sont déterminés à le faire reculer.
Cette rencontre nationale démontre d'ailleurs avec éclat que l'Agence de Lutte contre l'Illettrisme répond bien à une attente, bien plus, à un besoin. Si j'ai tenu ,encore une fois, à être parmi vous cet après-midi à Lyon, c'est précisément d'abord, pour rendre hommage à votre travail, pour rendre hommage au travail de l'ANLCI, de ses partenaires, de sa Directrice, chère Marie-Thérèse Geffroy, qui depuis de nombreuses années anime cela avec la passion qu'on lui connait. Les échanges que nous avons eus depuis le début de l'année m'ont permis très clairement d'affiner ma perception du phénomène de l'illettrisme. D'avoir une vue d'ensemble sur les outils ou les actions engagées sur le terrain pour faire reculer l'illettrisme des adultes. Ils ont surtout renforcé ma détermination à attaquer ce fléau par la racine c'est-à-dire dès l'école maternelle. En effet, si les acteurs associatifs, les fondations que vous représentez, les uns les autres, font une action remarquable pour endiguer le phénomène, ma responsabilité de Ministre de l'Éducation Nationale est de prévenir l'illettrisme, en veillant à ce que les enfants que la nation nous confie, acquièrent à l'école les compétences fondamentales qui leur seront utiles tout au long de leur vie.
Le plan de prévention contre l'illettrisme que j'ai ainsi présenté au salon du livre le 29 mars dernier répond précisément à cette ambition et pour le préparer, pour le construire, j'ai largement consulté pendant de nombreux mois, j'ai retiré d'ailleurs de ces consultations, de ces rencontres, deux convictions :
La première conviction c'est qu'il est urgent d'agir pour redresser la barre. Je ne peux accepter qu'un élève sur 5 aujourd'hui ne maitrise pas les savoirs fondamentaux à sa sortie de l'école élémentaire comme le montre les dernières évaluations qui ont été mises en place en CM2. Je ne peux d'autant moins l'accepter que ce sont naturellement les élèves issus des milieux défavorisés qui sont les plus concernés par ce phénomène
Le rapport qui a été publié encore hier par l'institut Montaigne sous le titre : « vaincre l'échec à l'école primaire » renforce d'ailleurs encore ma détermination à agir. Agir pour rompre avec le cercle vicieux des apprentissages fondamentaux mal acquis et qui conduisent à l'échec scolaire et je dirai au-delà : au décrochage scolaire.
Le rapport de l'Institut Montaigne indique que 4 élèves sur 10 sont en difficulté à l'issue du CM2 mais je dois dire que les préconisations avancées dans ce rapport correspondent très clairement à l'action qui a été menée depuis 3 ans et que je compte accentuer dès la prochaine rentrée. Nous devons inscrire d'ailleurs notre action dans la durée sur ce sujet au-delà de toute polémique car il s'agit d'un combat national, il s'agit du devenir de nos enfants. La lutte contre l'échec scolaire, elle est d'ailleurs à l'origine du recentrage des programmes de l'école élémentaire sur les apprentissages fondamentaux.
Elle fonde aussi l'effort engagé à tous les niveaux pour personnaliser notre enseignement afin de mieux répondre aux besoins spécifiques de chaque élève. C'est le sens l'aide personnalisée à l'école élémentaire de l'accompagnement éducatif qui a été mis en oeuvre au collège et dans les écoles de l'éducation prioritaire et demain à la rentrée prochaine de septembre 2010 de l'accompagnement personnalisée qui existera dorénavant au lycée. Et puis je crois que la bonne acquisition des savoirs fondamentaux, elle suppose aussi la sérénité des apprentissages et donc il faut le dire, le dire franchement, le rappeler, le respect tout simplement de l'autorité du maître. Cette question et bien, nous l'avons inscrite au coeur des états généraux .de la sécurité à l'école qui se sont tenus en Sorbonne le mois dernier et nous allons à présent engager un travail de formation ambitieux pour préparer nos enseignants, tout particulièrement les jeunes, à la tenue de leur classe.
Enfin la lutte contre l'échec à l'école elle passe par une réflexion sur les rythmes d'apprentissages, les rythmes scolaires pendant la journée, pendant la semaine, pendant l'année scolaire, et bien c'est l'un des enjeux de la conférence nationale sur les rythmes scolaires que j'ai souhaité installer le mois prochain.
Ma deuxième conviction sur ce sujet c'est que pour que l'action engagée contre l'échec scolaire et pour prévenir l'illettrisme, pour quelle soit efficace, il faut d'abord, avant tout qu'elle soit précoce, il nous faut agir dès le plus jeune âge et donc dès l'école maternelle.
Cette école maternelle, elle est une spécificité française à laquelle nos compatriotes sont particulièrement attachés et que beaucoup de pays en Europe nous envient. Et pour ma part, je crois profondément en la force de cette école pour réduire les inégalités de la naissance qui se prolongent tout au long de la vie. Vous le savez tous, à 5 ans le nombre de mots connus par les enfants varie du simple au triple selon le milieu familial, le milieu social, sociologique et autre. Et bien, c'est cet écart qui fait souvent la différence au moment d'apprendre à lire, le contexte familial, le contexte social, le contexte structurel joue très fortement dans l'inégal accès à notre langue et à sa richesse, à sa diversité. C'est précisément l'école et tout particulièrement l'école maternelle qui peut et qui doit rétablir l'égalité républicaine, l'égalité des chances en ce qui est le vecteur fondamental de l'intégration : la maîtrise de la langue française.
Dans respect de la liberté pédagogique des professeurs il me paraît donc absolument essentiel de concentrer nos effort sur l'apprentissage méthodique du vocabulaire, sur l'installation des automatismes grâce au par coeur, à la répétition, à la récitation. Cet effort doit être mené dès la maternelle mais aussi prolongé à l'école élémentaire afin d'ancrer durablement les apprentissages fondamentaux. Car c'est bien le moyen de préparer la réussite de nos enfants au collège et plus tard au lycée.
Et puis bien sûr, je veux encourager le plaisir de lire sous toutes ses formes à tous les niveaux du système éducatif car le plaisir de lire qui court vers l'aventure, vers l'imaginaire vers l'acquisition progressive de la culture littéraire et à mes yeux essentiel dans le processus de construction et d'établissement de nos enfants.
Donner envie de lire c'est précisément le projet de l'association : « Lire et faire lire » imaginé il y a maintenant plus de 10 ans par Alexandre Jardin et qui n'a cessé depuis d'en être l'infatigable héros.
Partout en France des bénévoles, souvent retraités, vont dans les écoles pour lire aux enfants. Aujourd'hui, 250 000 de nos écoliers profitent des talents de lecteur de leurs aînés. C'est une initiative absolument formidable pour transmettre le témoin de la lecture pour renforcer aussi le lien entre les générations. Et avec le Ministre de la Culture Frédéric Mitterrand j'ai donc décidé d'aider Alexandre Jardin à démultiplier son action : « «Lire et faire lire » pour atteindre très rapidement 50 000 bénévoles et un million d'écoliers. L'objectif et évidement ambitieux mais je crois qu'il est à la hauteur de l'enjeu et je compte, cher Alexandre, sur votre engagement, votre enthousiasme pour l'atteindre rapidement.
Mais, mesdames et messieurs pour tenir le cap que j'ai fixé le 29 mars dernier, il faut aussi une mobilisation sans faille de l'ensemble des acteurs de terrain. De ceux qui sont chaque jour aux côtés de ceux qui apprennent à lire comme aux côtés de ceux qui ont désappris Je pense d'abord, et tout naturellement, aux cadres de l'Education Nationale. En particulier aux 100 inspecteurs de l'Education Nationale en charge de la maternelle et je souhaite qu'ils concentrent leurs actions sur la préparation aux apprentissages de la lecture et sur la prévention de l'illettrisme.
J'aurai l'occasion de les réunir avant la fin du mois pour fixer le cadre de leurs missions et ils recevront avant la fin de cette année scolaire une formation spécifique pour leur permettre de l'accomplir dans les meilleures conditions.
En outre, pour coordonner le déploiement de notre plan de prévention de l'illettrisme j'ai demandé à chaque recteur d'académie de nommer avant la fin de l'année scolaire un correspondant illettrisme à ses côtés. J'installerai d'ailleurs le premier d'entre eux dès mardi prochain dans l'académie de Créteil à l'occasion d'une visite dans une école qui a su inscrire la maitrise de la langue et le goût de la lecture au coeur de son projet.
Ces correspondants illettrisme auront précisément la responsabilité d'animer, d'organiser le réseau dans chaque région de tous les acteurs de l'illettrisme et d'être pour l'Education Nationale l'interlocuteur pour tous nos partenaires, nos associations, les bénévoles qui au quotidien travaillent sur ce sujet de l'illettrisme.
Enfin, et ce sera la première priorité de ces correspondants, je souhaite que chaque académie organise dès la rentrée prochaine les assisses de l'illettrisme. Il s'agira de d'identifier dans chaque académie les forces et les faiblesses de nos territoires dans le domaine de l'illettrisme, de définir des objectifs ambitieux en matière de prévention, et de lutte, et déterminer la stratégie locale pour les atteindre.
Mesdames et messieurs, vous le voyez, c'est bien la mobilisation générale que nous décrétons sur le front de l'illettrisme. Vigilance, détermination, innovation voilà le triptyque qui doit désormais guider l'action des cadres de l'Education Nationale. C'est comme ça que nous ferons reculer l'illettrisme mais l'action de nos cadres sera d'autant plus efficace qu'ils pourront échanger et travailler dans la durée avec l'ensemble des acteurs de la lutte contre l'illettrisme avec les collectivités locales, les associations, avec les fondations et bien sûr avec l' l'Agence de Lutte contre l'Illettrisme. C'est précisément le sens de la convention que j'ai signé le 29 mars dernier au salon du livre avec Marie-Thérèse Geffroy, convention à laquelle elle faisait référence il y a quelques instants et je crois que ce renforcement des liens entre le Ministère de l'Education Nationale avec l'Agence de Lutte contre l'Illettrisme passe d'abord la mise à disposition d'informations, de ressources auprès des cadres du Ministère. Il passe aussi par la valorisation dans les plans d'actions régionaux de l'ANLCI, des actions de prévention qui sont engagés par l'Education Nationale et à mes yeux le symbole le plus fort de ce resserrement des liens entre nous est la présence aujourd'hui à Lyon de délégations nombreuses venues de toutes les académies.que je tiens à saluer et je veux leur dire combien je compte sur elles pour relayer à leur retour les bonnes pratiques qu'elles auront su découvrir lors de cette rencontre nationale.
Mesdames et messieurs, Marcel Proust écrivait : « La lecture est une amitié » il écrivait sur la lecture avant d'ajouter : « elle est l'initiatrice dont les clefs magiques nous ouvre au fond de nous même la porte de demeures où nous n'aurons pas pu, pas su pénétrer ».
Oui, je le crois profondément, la lecture est une ouverture; elle est une ouverture sur le monde, sur les autres comme sur soi même, une ouverture sur notre passé comme sur notre présent et c'est ce qui en fait la force et la richesse.
Cette richesse du voyage sur le fil pages, il est de notre devoir de la faire connaître, de la faire aimer à ceux qui n'en n'ont pas encore la jouissance, de la faire redécouvrir aussi à ceux qui en ont perdu le goût car l'amitié se partage et c'est bien le sens notre combat commun. L'ensemble des actions que nous mettons en oeuvre visent à élargir un peu plus le cercle de lecteurs pour qu'ils accèdent à leur tour au plaisir du texte, pour leur donner les clefs de l'avenir, les clefs de leur avenir. Merci à tous.
Source http://www.anlci.gouv.fr, le 6 juillet 2010