Conférence de presse de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur la question du nucléaire iranien, les relations euro-turques, le dossier du Proche-Orient et sur la situation au Kosovo, à Bruxelles le 26 juillet 2010.

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Circonstance : Conseil affaires étrangères, à Bruxelles (Belgique) le 26 juillet 2010

Texte intégral

On a passé en revue pas mal de sujets dont certains sont quand même très importants, par exemple le Kosovo où j'étais juste avant le week-end. Qu'a-t-on passé en revue encore ? L'Iran bien sûr : le Proche-Orient ; toute une série de sujets. On a fait adopter à l'instant la résolution concernant M. Germaneau. Elle vient d'être adoptée. Ce fut une journée très pleine.

Q -(Iran / sanctions)
R - C'est de trouver une solution politique, très clairement, ce n'est pas l'escalade mais au contraire de montrer aux Iraniens que nous sommes sérieux et que nous sommes unis. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé avant la fameuse initiative sur le réacteur de recherche, initiative turco-brésilienne, s'il y a eu un semblant de mouvement à ce moment-là c'est que les Iraniens sentaient bien que la communauté internationale se dirigeait vers des sanctions, là il devait y avoir une lettre de M. Mottaki à Mme Ashton, cet après-midi, qui va peut-être arriver en fin d'après-midi.

Q - Y a-t-il une limite de temps ?
R - Il n'y a pas de limite de temps, les sanctions ont été extrêmement bien préparées, il faut dire qu'on y a mis le temps, entre nous, elles ont donc eu le temps d'être prêtes, préparées, ciblées, de sorte qu'elles ne viennent pas pénaliser le peuple mais le régime lui-même dans les secteurs où il est le plus sensible et notamment sur les secteurs de l'énergie, sur les avoirs dans un certain nombre de sociétés qui appartiennent aux gardiens de la révolution. Disons que le système est conçu pour être à la fois ciblé, efficace et ne toucher que le régime et pas la population, donc nous avons le temps. La main est toujours tendue. En anglais, on dit "double track", c'est-à-dire la double approche. D'un côté, la main est tendue pour une solution politique et diplomatique, de l'autre, s'il n'y a pas de solution diplomatique, on va continuer à mettre la pression, une pression ciblée. J'ai ajouté dans mon intervention d'ailleurs qu'il faudrait que nous soyons aussi attentifs au fait qu'il y a le nucléaire certes, mais il y a aussi un régime qui est particulièrement répressif en matière de droits de l'Homme. Il est bon que l'Europe reste mobilisée sur ces sujets auprès de ceux qui, en Iran, se battent pour la démocratie.
Il y a toute une série de points, je vous disais énergie donc pétrole et gaz, interdiction d'investir, interdiction de fournir des équipements clés, de l'assistance technique ou des services financiers, secteur bancaire : gel de huit banques parmi lesquelles toutes les principales banques iraniennes : Melat, Saderat, de nombreuses filiales de la banque Melli, elle-même déjà gelée par l'Union européenne ; interdiction pour les banques iraniennes non gelées d'ouvrir de nouvelles succursales ou filiales en Europe ou d'établir de nouvelles relations bancaires avec des établissements européens ; mise en place d'un système d'autorisation préalable pour les transferts supérieurs à 40.000 euros entre l'Iran et l'Union européenne, en matière d'assurances ; interdiction de fournir des services d'assurance en Iran, en matière de transports ; gel de la principale compagnie maritime iranienne, la fameuse IRSL et de ses filiales impliquées à de nombreuses reprises dans le contournement des sanctions ; limitation d'exportations vers l'Iran ; extension des biens à double usage interdits d'exportation vers l'Iran ; interdiction d'exportation de biens pouvant contribuer à la répression interne ; interdiction du crédit-export de moyen et long terme ; enfin, gel d'avoirs, outre les banques iraniennes, la compagnie IRSL, une trentaine d'entités impliquées à différents degrés dans les trafics proliférant, verront leurs actifs gelés parmi lesquels le corps des Gardiens de la révolution et plusieurs entités ou filiales.
Donc vous voyez que c'est un "paquet" sérieux, préparé de longue date, ciblé et qui j'espère, conduira à une solution politique et diplomatique. Personne n'a été critiqué les initiatives prises par ces deux pays, simplement nous avons dit que ces soi-disant accords qui avaient été annoncés à l'époque ne correspondaient pas au problème. Le problème, ce n'est pas le réacteur de recherche de Téhéran, c'est l'enrichissement, les capacités d'enrichissement. On n'est pas obligés de tomber dans tous les écrans de fumée mais cela dit nos amis Turcs et Brésiliens essayent de trouver une solution, alors pourquoi pas ?

Q - (Turquie/Union européenne)
R - Vous savez, la Turquie est dans une relation étrange avec l'Union européenne. J'ai dit à Istanbul l'autre jour, qu'elle était un pays candidat qui occupait en partie un pays membre. On a une relation un peu particulière. Nous sommes favorables au maintien de la discussion avec la Turquie mais nous ne sommes pas favorables, comme vous le savez, au point d'arrivée. Ils peuvent avoir, et ils ont le droit d'avoir une attitude différente. Moi, je ne fais pas partie de ceux qui, comme le secrétaire à la Défense américain, pensent qu'on a "perdu" la Turquie. Personne n'a perdu la Turquie. La Turquie a une conception complexe de ce qu'elle est, c'est-à-dire un pont entre l'Occident et l'Orient. Elle a toujours été historiquement très présente en Orient et elle l'est à nouveau, de façon aujourd'hui très visible. Mais, pour ceux qui connaissent bien ce pays, les prémices étaient visibles depuis un moment, la Turquie est très visible dans les Balkans, présente au Maghreb, présente en Asie centrale, présente en Afghanistan, tout autour de la mer Noire. Elle a des relations intéressantes avec la Russie. C'est un grand pays, c'est un pays émergent sur le continent européen, il est normal qu'elle ait une politique en direction du monde arabo-musulman où elle essaye d'instaurer sa présence, voire son leadership tout en étant un partenaire de l'Union européenne.

Q - (Iran/sanctions)
R - J'ai dit ce matin que naturellement la crédibilité de toute l'entreprise dépend de la mise en oeuvre des sanctions. Il ne suffit pas de les annoncer, il faut les appliquer et plus ce sera hermétique, plus on aura de chances d'être pris au sérieux par un régime que nous voulons convaincre de revenir à la table des négociations de façon sérieuse. Donc, ce que vous venez de dire, cela vaut pour tout le monde.

Q - (Evolution situation Proche-Orient - Mission Catherine Ashton)
R - Sur le Proche-Orient, il y a une longue discussion qui a été d'ailleurs très utile. Le Proche-Orient représente vraiment un succès du point de vue égoïste de l'Europe et du fonctionnement de notre machinerie diplomatique. C'est vraiment un bonne nouvelle au niveau européen parce qu'il y a eu une crise, vous avez vu que les Européens ont ensuite mandaté Mme Ashton. Mme Ashton est allée dans la région et elle a fait entendre la voix de l'Europe.
Pour une fois, comme je l'ai rappelé toute à l'heure, l'Europe a parlé d'une seule voix, même s'il est vrai que sur le Proche-Orient, l'Europe a une position à peu près commune depuis longtemps, depuis 1978. Mme Ashton est allée là-bas représenter l'Europe, elle a pu s'entretenir avec les deux parties et travailler avec l'ensemble des ministres des Affaires étrangères, avec la partie américaine, le sénateur Mitchell. La situation au Proche-Orient est très compliquée mais au moins nous sommes en cohérence. Nous sommes les premiers bailleurs de fonds, donc il est peut-être temps que nous pesions politiquement sans attendre nécessairement que seuls les Américains jouent un rôle dans la région. Après commence un processus qui doit viser à la reprise des négociations directes entre les deux parties. En contrepartie de cela, il y a un certain nombre de conditions, qui sont bien connues, notamment l'arrêt des constructions israéliennes, les mesures de confiance, notamment en Cisjordanie, de façon à desserrer la pression sur la population. Je suis revenu sur la proposition de Bernard Kouchner d'utiliser les compétences européennes pour alléger le blocus sur Gaza, en échange de contrôles de sécurité que nous pouvons effectuer puisque nous l'avons fait dans le passé. Si le problème des Israéliens est le contrôle de sécurité sur un certain nombre de matériel ou matière qui rentre à Gaza, alors l'Union européenne peut le faire, et elle sait le faire. Ce sujet a été également évoqué par Mme Ashton.
Du point de vue de la mise en place de notre système diplomatique nouveau, je dirais que ce qui est en train de se passer au Proche-Orient, après la mission de Mme Ashton, est une bonne chose et cela a d'ailleurs été accueilli comme tel par l'ensemble des Etats membres et cela marche bien. Après il faut naturellement embrayer sur une politique locale.

Q - (Sur le Kosovo)
R - Sur l'avis consultatif de la Cour, je note d'abord qu'il a rendu droit à la position française depuis le début qui était que la déclaration d'indépendance ne violait pas le droit international. C'est ce que nous avions dit, y compris dans notre opinion juridique présentée par la France à la CIJ il y a déjà deux ans. Il ne vous a pas échappé qu'à la suite de cet avis, Mme Ashton a pu donner une position commune des 27, cela veut dire que les cinq pays qui, pour des raisons qui leur sont propres, sont hostiles à la reconnaissance du Kosovo, se sont ralliés à l'opinion générale qui est de considérer que l'avis de la Cour clôt un chapitre juridique.
Maintenant, il faut un dialogue et si possible la réconciliation dans la perspective européenne. Un jour, il y aura bien entendu deux Etats mais surtout deux Etats membres de l'Union. Aujourd'hui quelle est l'attitude de ces cinq pays ? Vous leur poserez la question. Mon impression, c'est que, si sur le principe les problèmes pour eux n'ont pas changé, c'est parce que ce sont des problèmes internes.
Ce qu'il faut, et c'est ce que nous souhaitons côté français, c'est que la Serbie et le Kosovo soient accompagnés dans la période actuelle et non pas livrés ou oubliés, il y a l'avis de la Cour mais après il y a à assurer la vie en commun des deux nations qui coexistaient dans le même Etat. Il n'y a pas si longtemps, nous avons été un certain nombre à engager Mme Ashton à s'impliquer dans tout cela et c'est ce qui est prévu d'ailleurs. Vous parliez des cinq Etats hostiles à la reconnaissance, j'ai trouvé intéressant d'entendre mon collègue grec dire qu'il allait se rendre sur place cette semaine non seulement en Serbie mais aussi au Kosovo ce qui symboliquement montre une certaine évolution que j'ai sentie d'ailleurs chez les intervenants.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juillet 2010