Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "RFI" le 19 juillet 2010 à Kaboul, sur l'objectif de la Conférence internationale sur l'Afghanistan et le sort des deux otages français retenus dans ce pays.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Vous êtes arrivé en Afghanistan à l'issue d'un périple qui vous a conduit en Asie centrale, en Géorgie, au Kirghizstan, au Kazakhstan. Vous arrivez à Kaboul dans le but de participer à une conférence internationale sur l'Afghanistan. Quelle est l'atmosphère ? Que ressentez-vous à votre arrivée à Kaboul, vous qui connaissez bien ce pays ?
R - Comment vous dire ? Une lassitude et, en même temps, un appétit toujours renouvelé pour ce pays. Lassitude, parce que la guerre, depuis 20 ans, frappe les populations et que l'on n'en finit pas. Mais, en même temps, c'est un espoir parce que cette conférence dont vous parlez et qui réunit 83 pays de la communauté internationale, signifie quelque chose. Nous avions dit, il y a presque deux ans que si cette conférence au niveau des ministres des Affaires étrangères ne se tenait pas, après la Conférence de Paris sur l'Afghanistan qui avait pour la première fois parlé d'afghanisation, nous perdrions. Ce n'était pas seulement un concept. Cela signifie principalement qu'il n'y a pas de solution militaire seulement, mais une approche des populations civiles, des projets proposés aux Afghans pour qu'ils prennent en main leur destin et leur vie quotidienne dans ce pays d'une pauvreté terrible ; on oublie en effet la pauvreté.
Q - Un défi à la sécurité, on l'a vu, ne serait-ce que dimanche, le lendemain de votre arrivée, déjà deux attentats en une journée...
R - C'est bien sûr un défi à la sécurité mais l'insécurité frappe d'abord les Afghans. Ce ne sont pas les ministres qui sont en question. Ils se réunissent parce que nous le voulons, parce que nous avons voulu porter ce message.
Q - C'est tout de même une énième conférence. Il y en a eu un nombre assez important depuis la chute du régime Taliban en 2001 : Bonn, Londres, La Haye, Paris, Londres une seconde fois, et puis Kaboul à présent. Cela a certes une signification, puisque l'on est en Afghanistan, mais sur le plan du développement on le voit, les choses tardent à se mettre en place. Il y a les problèmes sécuritaires mais, également, les problèmes de la reconstruction de l'Afghanistan, de la corruption. De ce point de vue, n'est-on pas en train de répéter toujours la même histoire ?
R - Le développement ne se fait pas en une nuit. Il faut que chacun prenne son destin en main. Ce qui est important, c'est que c'est la première réunion à Kaboul. Nous faisons confiance à un processus de paix qui se dessine. Nous faisons confiance au président Karzaï qui a convoqué la réunion de que l'on appelle la Jirga, c'est-à-dire les sages du pays. Cela prend du temps, c'est toujours exigeant. Bien sûr, il ne faut pas de corruption. Nos soldats se battent, nous avons des engagements. Dans la région dont la France a la charge, la situation s'améliore. Je ne dis pas que c'est fini ; il y a des morts ; il y a des gens qui sacrifient leur vie pour que l'Afghan le plus pauvre ait un avenir.
Q - Le président Karzaï est déjà en train d'entamer un dialogue avec les Taliban, il en était déjà question à Londres à la dernière conférence. Est-ce que cette fois-ci, encore une fois, on va demander à la communauté internationale d'endosser ce processus de dialogue, de négociations, avec les Taliban, y compris des Taliban assez haut placés ?
R - Je n'ai pas cru entendre ça. Il a proposé un chemin pour la paix, mais il s'est adressé aux Afghans, et il a dit que cela commençait par des élections en septembre. Elles seront, je l'espère, les plus transparentes possibles.
Y a-t-il une autre solution qu'un jour faire la paix ? Je n'en sais rien, on verra bien, mais en tout cas il n'y a pas de solution militaire parce que cela fait vingt ans qu'il y a la guerre en Afghanistan. La solution militaire doit s'accompagner d'un accroissement significatif de la sécurité des Afghans. C'est pour cela que les soldats, et en particulier les soldats français, auxquels je rends hommage, sont indispensables. Et avec la sécurité viendra la confiance. L'un n'est pas séparable de l'autre. Il faut continuer ces efforts, mais en même temps il ne faut pas perpétuer cette guerre éternellement.
Q - Justement, du point de vue de la sécurité, tout de même, vous le savez, nous sommes au mois de juillet. Déjà au mois de juin, les Américains avaient prévu de lancer la grande offensive de Kandahar, pour l'instant elle tarde à venir. Vous avez rencontré, avant même cette conférence internationale, le général Petraeus, qui prend donc la suite de McChrystal. Est-ce qu'il y a une cohérence dans tout cela ? Est-ce qu'on est toujours sur la même logique ? Est-ce que cette grande offensive de Kandahar va se tenir comme prévu ?
R - Je ne sais pas, je ne suis pas un stratège militaire...
Q - Mais vous avez rencontré le général Petraeus.
R - Oui, bien sûr je l'ai rencontré, cela ne me procure pas un savoir militaire suffisant. Mais le général Petraeus est un homme exceptionnel. Je le connais bien, je l'ai rencontré en Irak, je l'ai rencontré avant, je l'ai rencontré à Paris : il a une vision claire de la nécessité de ce qui a été conçu à la Conférence de Paris c'est-à-dire "l'afghanisation", à savoir des projets qui changent en profondeur la vie des Afghans, et ces projets doivent s'accompagner d'une sécurisation. Il mène cette guerre, depuis peu de temps, mais il a été un théoricien de la contre-insurrection. Qu'est-ce que cela veut dire la contre-insurrection ? Cela veut dire qu'à un moment donné les Afghans demanderont aux Occidentaux, comme garants de cet avenir et de ce développement, peut-être de rester, et c'est peut-être le moment où il faudra partir.
Q - Un dernier mot, Monsieur le ministre. Vous avez échangé avec le président Karzaï à propos des otages français en Afghanistan ?
R - Ecoutez, nous n'avons pas d'autres nouvelles à procurer à la famille, à tous ceux qui justement défendent ces deux otages et veulent, comme nous, leur liberté, que de leur répéter que nous déployons tous les efforts possibles pour qu'ils soient libres le plus vite possible. Nos nouvelles concernent leur santé, je l'ai déjà dit, nous ne sommes pas inquiets à ce sujet pour le moment, mais nous voulons les sortir de là le plus vite possible. Je ne peux pas vous en dire plus parce que je n'en sais pas plus. Ils ne sont pas au Pakistan pour le moment, et c'est d'ailleurs une chance pour eux.
Q - Et le gouvernement afghan a l'air mobilisé sur cette affaire ?
R - Il l'est, mais cela ne suffit pas d'être mobilisé. Toute la communauté internationale est mobilisée, nos amis américains, nous-mêmes, nous avons fait tout ce que nous avons pu, et nous espérons que bientôt, mais je ne peux pas vous dire dans combien de temps, ils sortiront, parce que cela fait plus de six mois. C'est beaucoup pour les familles et c'est beaucoup pour eux.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juillet 2010