Déclaration de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports, sur la gestion de la crise du transport aérien consécutive à l'éruption du volcan Eyjafjöll en Islande, à l'Assemblée nationale le 8 juillet 2010.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Audition par l'OPECST sur le thème "Les leçons à tirer de l'éruption du volcan Eyjafjöll", à l'Assemblée nationale le 8 juillet 2010

Texte intégral

Monsieur le Rapporteur [Christian KERT, Député des Bouches-du-Rhône],
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux d'intervenir devant vous ce matin, dans le cadre de cette audition publique consacrée aux leçons que nous pouvons tirer de l'éruption du volcan islandais survenue en avril dernier. Je tiens avant toute chose à vous féliciter, Monsieur le Rapporteur, pour cette initiative particulièrement judicieuse. L'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques [OPECST] porte de longue date une réflexion sur les catastrophes naturelles. Vous êtes d'ailleurs, cher Christian KERT, à l'origine de cette démarche, entamée avec la publication en 1999 de votre excellent rapport sur les techniques de prévision et de prévention des risques naturels en France. Depuis lors, l'OPECST a multiplié les travaux et les auditions publiques sur tous les types de risques naturels auxquels notre pays pourrait être confronté, avec un grand sérieux et une constante rigueur.
La matinée que nous consacrons à l'éruption du volcan islandais s'inscrit parfaitement dans cette logique. Le nuage de cendres engendré par ce phénomène naturel a provoqué une crise sans précédent. Au niveau transport aérien d'abord mais par ricochet dans de nombreuses activités économiques ensuite au travers de toute l'Europe. Rarement des centaines de milliers personnes se seront ainsi retrouvées bloquées aux quatre coins du monde et le coût exceptionnel de cette crise, qui dépasse probablement le milliard d'euros, doit aussi nous interpeler.
Le rôle des responsables politiques, des acteurs du transport aérien et des scientifiques est de réfléchir à la façon dont cette crise a pu être gérée, afin d'en tirer les bons enseignements pour le futur. C'est pourquoi je me réjouis que nous puissions travailler ensemble à ce retour d'expérience.
Je voudrais tout d'abord revenir sur la gestion de cette crise, qui a débuté le 14 avril 2010 avec l'éruption du volcan islandais, et s'est définitivement achevée le 21 mai 2010 avec la fin du phénomène. L'action menée par la France, ainsi qu'au niveau européen, s'est articulée autour de trois enjeux majeurs :
- d'abord la sécurité aérienne, notre priorité absolue ;
- ensuite le traitement des passagers bloqués loin de leur destination ;
- et enfin l'attention portée à l'impact économique de la crise sur les compagniesaériennes.
[ 1. Garantir la sécurité aérienne face au nuage de cendres ]
[ 1.1) La fermeture de l'espace aérien, une décision qui s'imposait ]
La nocivité des cendres volcaniques pour les avions est connue depuis longtemps. Plusieurs incidents graves ont mis au jour les conséquences terribles que peuvent entraîner les panaches de volcans en éruption. Moteurs abîmés, perte de toute visibilité, brouillage des communications et des instruments de bord : s'y exposer, c'est risquer ni plus ni moins l'accident de l'appareil.
Les autorités françaises et européennes de l'aviation étaient donc pleinement fondées à se montrer prudentes lorsque, le 14 avril dernier, le nuage de cendres venu d'Islande a commencé à se répandre sur le Nord de la Grande-Bretagne. L'organisme chargé d'indiquer la présence de cendres volcaniques dans l'espace aérien, le VAAC de Londres, a en effet alerté rapidement tous les pays du risque d'extension du nuage sur l'ensemble de l'Europe. En France, l'espace aérien a été fermé progressivement, du Nord vers le Sud, à partir du jeudi 15 avril. Le dimanche, les aérodromes de Nice et Marseille étaient à leur tour concernés, entraînant la fermeture intégrale du ciel français.
Nous avons immédiatement réagi à cette situation en réunissant cellule de crise au Ministère avec JL Borloo. Cette cellule a fonctionné H24 avec deux buts essentiels : ramener au plus vite nos ressortissants bloqués à l'étranger, évaluer la situation au niveau aérien et dégager des solutions techniques préservant la sécurité mais dégageant au plus vite des voies d'accès à notre territoire.
[ 1.2) Des solutions pragmatiques pour une reprise sécurisée du trafic aérien]
La France a été la première à rechercher des solutions pour débloquer, dans la mesure du possible, le trafic aérien. Dès le dimanche 18 avril, la Direction Générale de l'Aviation Civile [DGAC] et Air France ont procédé à des vols tests, à vide, afin d'améliorer les connaissances de l'impact du nuage de cendres sur les avions et leurs moteurs. L'analyse de ces tests, qui a combiné des mesures réalisées sur les appareils aux comptes-rendus de vol des pilotes, a permis de réévaluer le risque représenté par les cendres volcaniques venues d'Islande. Les résultats obtenus ont montré que la densité des cendres contenue dans l'air était en réalité très faible. Des valeurs limites de concentration ont pu être fixées à l'intérieur desquelles les avions ont pu à nouveau voler sans danger.
Le lundi 19 avril, les premiers « corridors » étaient ainsi ouverts au trafic aérien, permettant la desserte des aérodromes du Sud [Toulouse, Nice, Marseille et Bordeaux]. La mise en place de cellules opérationnelles dans toutes les préfectures, en dialogue permanent avec la DGAC, ont permis de superviser cette évolution, et de commencer à rapatrier nos ressortissants en utilisant tous les moyens de transports disponibles.
Le mercredi 21 avril, la France s'est acheminée vers la réouverture de la quasi-totalité de son espace aérien, et de tous ses aéroports.
[ 1.3) Une action coordonnée à l'échelle européenne ]
Cette réouverture progressive de l'espace aérien a été orchestrée en lien avec l'ensemble de nos partenaires européens. La première téléconférence des Ministres des Transports de l'Union européenne, a été un peu chaotique, mais elle a permis finalement d'adopter les préconisations de l'agence européenne de navigation aérienne Eurocontrol et de laisser un peu plus de marge de manoeuvre à chaque d'Etat dans la juste appréciation du phénomène et les possibilités de rouvrir sous certaines conditions son espace aérien.
La France a été grandement aidée par son expertise en aéronautique avec Airbus, Safran, la DGAC et bien sûr Météo-France, qui ont tous travaillé activement pour proposer des solutions pragmatiques face à ce nuage de cendres.
Durant toute la crise, j'ai donc pu faire en sorte que la France soit force de proposition au niveau européen et en l'espace de quelques semaines, c'est toute l'Europe qui a progressé dans la gestion des risques liés aux cendres volcaniques.
Nous soumettrons également nos connaissances sur ces phénomènes, ainsi que les nouvelles règlementations que nous en avons tirées, à l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale, car le problème est évidemment mondial.
[ 2. Assurer l'acheminement de tous les passagers bloqués ]
[ 2.1) La priorité aux vols long-courriers au plus fort de la crise ]
La fermeture de l'espace aérien au début de la crise a, comme vous le savez, mis de nombreux voyageurs dans des situations inconfortables. Plusieurs dizaines de milliers de passagers étaient bloqués à l'étranger ou en France, avec parfois des conditions d'hébergement difficiles. A l'ouverture des premiers corridors de vol, nous avons donc mis en place de ramener tous nos ressortissants dans les meilleurs délais.
Un nombre limité d'aéroports étant ouvert dans un premier temps, une bonne partie des voyageurs ne pouvait être acheminée vers le lieu de leur choix. Le Sud de la France, rapidement rendu accessible, s'est alors doté de « plates-formes d'accueil », relayées par un dispositif de transports terrestres pour les réacheminer ensuite jusque chez eux.
Je tiens ici à saluer la grande implication des préfectures, qui ont coordonné efficacement la mise en place de ces solutions intermodales, et les transporteurs routiers de voyageurs, qui ont fait preuve d'une belle solidarité et d'un sens aigu du service public en aidant de nombreuses personnes à rentrer chez elles. Le système mis en place a montré que l'on pouvait faire jouer à plein la complémentarité des modes de transport en un minimum de temps, grâce à une organisation efficiente.
[ 2.2) Utiliser les aéroports à pleine capacité ]
Une fois l'espace aérien français entièrement ouvert, une logistique considérable a été mise en oeuvre pour ramener à bon port tous les passagers encore bloqués hors de nos frontières. La coordination interministérielle nécessaire a bien fonctionné, notamment entre le Ministère des Transports et le Ministère des Affaires Etrangères, pour les cas de Français situés dans des zones géopolitiquement sensibles.
Le succès de ces opérations tient également à l'engagement total des compagnies aériennes françaises, et notamment d'Air France, à nos côtés. Elles ont fourni des efforts importants pour affréter 120 vols en court, moyen et long-courrier, afin de couvrir la demande des passagers restés bloqués à l'étranger tout en assurant la reprise du trafic aérien régulier. Le jeudi 22 avril, elles ont notamment mis en place 20 vols à destination des zones les plus critiques, en réponse à la demande que j'avais formulée avec Jean-Louis BORLOO. La mobilisation de vols supplémentaires aura permis, au total, le réacheminement vers la France de 150 000 personnes en sept jours. Après trois jours de paralysie de l'espace aérien, le retour à la normale a donc pu s'effectuer dans des délais satisfaisants pour les voyageurs.
[ 2.3) Développer une approche souple du droit européen des passagers]
Nous le voyons bien, le nuage de cendres a engendré une crise inédite du trafic aérien. Ces circonstances exceptionnelles nous ont amené à reconsidérer les règles européennes en vigueur pour les droits des passagers. Peu contestables en période normale, celles-ci ont rapidement semblé difficiles à appliquer ici, en raison du très grand nombre de passagers dont le parcours a été perturbé par la fermeture momentanée de l'espace aérien en Europe.
Avec mes homologues européens, nous avons pris en compte cette question, qui nécessitait une réponse à la hauteur des évènements d'avril dernier. Tout comme je l'ai dit lors du Conseil des Ministres des Transports européens le 4 mai, et rappelé lors de celui du 24 juin, il s'agit d'observer une certaine flexibilité et un principe d'équité dans l'application des droits des passagers suite à cette crise. Je souhaite en effet que l'on évite la multiplication des contentieux entre les voyageurs et les compagnies.
C'est pourquoi j'ai demandé à la Commission de clarifier le règlement européen relatif aux droits des passagers. Je me réjouis que celle-ci en ait pris acte, en annonçant la révision prochaine de ce règlement. Il convient de tendre vers un texte plus équilibré, adapté aux contextes de crises majeures.
Dans le cas présent, l'équilibre passe par la poursuite de deux objectifs. Nous devons ici veiller à prendre en compte équitablement la difficulté des situations individuelles des passagers, sans pénaliser les compagnies aériennes. Ces dernières se trouvaient face à une conjoncture économique difficile et ont été lourdement affectées par la crise du nuage de cendres, et ont fourni, comme je l'ai rappelé, des efforts conséquents pour nous aider à la résoudre au plus vite. Leur situation économique nous importe donc également.
[ 3. Etre attentif à l'impact économique sur les compagnies aériennes ]
[ 3.1) Un préjudice financier important pour les compagnies ]
La propagation du nuage de cendres émises par le volcan islandais a entraîné l'arrêt ou la très forte réduction du trafic aérien sur une grande partie de l'Europe, et par conséquent sur la plupart des aéroports mondiaux. Le déficit d'activité aérienne qui en a résulté est significatif, puisque l'on estime à ce jour que plus de 15 000 vols desservant la France n'ont pu être réalisés. Ceci représente rien moins qu'une perte de trafic aérien, au départ et à l'arrivée de notre territoire, de 1,7 millions de passagers, soit 1,4% du trafic annuel.
Le bilan financier de cette courte paralysie du ciel pour les transporteurs aériens français s'élève à 168 millions d'euros, dont 40 millions d'euros de frais d'assistance aux passagers et 11 millions d'euros consacrés aux vols supplémentaires qu'ils ont affrétés, selon une estimation de la Fédération Nationale de l'Aviation Marchande [FNAM]. J'en profite pour saluer l'action de cette Fédération, qui s'est montrée responsable au cours de la crise, en se mettant au service des passagers.
Par ailleurs, les mesures de chômage partiel mises en place par les compagnies durant l'interruption du trafic aérien ont entraîné la perte de près de 150 000 heures de travail, du seul fait du nuage de cendres. Notons que cette situation est venue alourdir un contexte économique peu favorable pour le transport aérien.
[ 3.2) Des mesures pour favoriser l'activité économique des compagnies aériennes françaises ]
Face à ce constat, nous avons souhaité aider nos compagnies aériennes à repartir après cette crise, en leur donnant les moyens d'êtres compétitives sur le plan international à l'heure de la reprise. Nous sommes donc restés particulièrement attentifs à ce que les normes règlementaires et fiscales n'entravent pas le développement économique du secteur aérien.
C'est pourquoi, avec Jean-Louis BORLOO, nous avons demandé au Premier Ministre que soient mises en oeuvre plusieurs mesures pour soutenir les compagnies de notre pays, notamment :
- l'assouplissement des règles d'utilisation des créneaux horaires pour l'accès aux aéroports coordonnés ;
- l'abandon des sanctions pour les vols exploités dans des conditions contraires aux restrictions d'exploitation des aéroports jusqu'à la résorption de la crise ;
- l'exonération spécifique des charges sociales dans le cadre du dispositif du chômage partiel pour les personnels navigants pendant la durée de la crise.
Nous avons également souhaité finaliser la réforme de la taxe professionnelle, en retirant les appareils des bases fiscales des compagnies aériennes. Ceci se traduira par une amélioration sensible de leur situation concurrentielle. Une seconde étape est attendue avec la sortie du décret relatif à la Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises [CVAE]. Il permettra en effet de faire évoluer les modalités de détermination de la valeur ajoutée des entreprises de navigation maritime ou aérienne. L'exclusion des activités internationales de cet indice offrira à ces entreprises une nouvelle marge de manoeuvre, particulièrement importante dans un contexte économique difficile.
Enfin, nous contribuons à la réactivité économique de nos compagnies en menant avec sérieux ce retour d'expérience sur la crise consécutive au nuage de cendres.
Conclusion
Les progrès que nous avons réalisés aux niveaux français et européen à l'occasion de cette crise serons déterminants si ce type d'évènement venait à se reproduire. Avec l'ensemble des acteurs du transport aérien, à commencer par les transporteurs eux-mêmes, nous avons construit un cadre robuste, garant de la sécurité, pour rendre les vols possibles malgré les cendres volcaniques, en améliorant l'évaluation des risques. Aujourd'hui, le temps de la fermeture totale de l'espace aérien en cas d'éruption volcanique en Europe est, sauf cas vraiment exceptionnel, révolu.Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 9 juillet 2010