Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "RTL" le 27 juillet 2010, sur la mort de l'humanitaire français Michel Germaneau exécuté par le groupe islamiste Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), les revendications des terroristes et les risques encourus par les humanitaires au Sahel.

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Texte intégral

Q - Dès que la mort de Michel Germaneau a été confirmée, le président vous a demandé de vous rendre en Mauritanie, au Mali et au Niger. D'abord, avez-vous davantage de précisions sur l'issue tragique ? Savez-vous, par exemple, quand est mort Michel Germaneau ?
R - Etait-il mort avant cette opération ? Est-il mort après ? Je ne le sais pas. Ici, en Mauritanie, malgré la connaissance que les Mauritaniens - et les Français aussi - ont du terrain et des déplacements d'Al Qaïda, personne ne le sait. (...)
Q - On ne peut pas exclure l'hypothèse selon laquelle il serait mort, peut-être du manque de médicaments, et que les combattants aient voulu maquiller sa mort ?
R - On ne peut pas l'exclure. Je crois vraiment qu'il faudra du temps pour connaître la vérité. En effet, ces gens - je parle d'Al Qaïda au Maghreb - n'ont pas accepté les médicaments que nous faisions parvenir à Michel Germaneau. Ils n'ont pas accepté, non plus, que cet homme représente la bonté même, que ce soit un volontaire, si j'ose dire obscur. Il est maintenant, malgré sa mort, en pleine lumière. Comme l'a dit le président de la République, il faisait du bien. Quand on est un islamiste terroriste, on ne peut pas accepter le bien...
Q - Vous avez rencontré des ressortissants français qui sont installés dans le Sahel. Souhaitez-vous que certains d'entre eux reviennent en France afin d'éviter de nouvelles prises d'otages ?
R - Pas du tout ! J'ai en effet rencontré des compatriotes, il y a environ 2.000 Français en Mauritanie. Les gens qui sont là ne sont pas partis en vacances ; ils résident ici et ils connaissent la situation. Je leur ai demandé de prendre les précautions les plus élémentaires.
Q - C'est-à-dire, quelles mesures de sécurité supplémentaires ?
R - Quand on se déplace dans des zones dangereuses, il faut prendre quelques précautions. Mais ils le savaient déjà très bien. Je n'ai pas brandi de menaces (...).
Q - Pourtant, les capitales, même si elles sont éloignées des zones désertiques, sont parfois dangereuses pour les ressortissants français. On sait que, l'année dernière, l'ambassade de France à Nouakchott avait été la cible d'un attentat ?
R - Oui, mais la Mauritanie renforce ses défenses. Elle est même, vous l'avez vu, capable de conduire des attaques ou de prendre des mesures de prévention. Je crois que c'est un exemple que la Mauritanie donnera à tous les pays du Sahel. Je suis très confiant, voyez-vous, parce que ce terrorisme allégué comme "islamiste" ne triomphera pas, ce n'est pas possible.
Q - Souhaitez-vous qu'il y ait davantage de coopération, d'échanges de renseignements entre la Mauritanie, le Mali, le Niger et la France ?
R - Certainement ! Mais il n'y a pas seulement des renseignements à échanger. Il y a aussi de la coopération à échanger, il y a un partenariat, il y a des projets formidables qui sont ici mis sur pied. Toute la bande sahélienne connaît des difficultés : trafic de drogue, trafic d'armes, terrorisme. Mais il n'y a pas que cela ! Il y a un avenir pour ces jeunes gens, ici, dans le développement. Et c'est cela que nous ne devons pas abandonner.
Q - En France, une partie de l'opposition s'interroge sur des "zones d'ombre" et, notamment, sur le raid mené, la semaine dernière, avec les Mauritaniens, au nord du Mali. Martine Aubry demande, par exemple, que les conditions de la détention et de l'exécution de Michel Germaneau soient éclaircies.
R - Je souhaiterais qu'on puisse les éclaircir ! En tout cas, ici, on ne peut pas le faire parce que nous n'avons pas trouvé Michel Germaneau. Ici, tout le monde pense - personne ne dit le contraire - que malheureusement, ou il avait déjà été exécuté ou, de toute façon, il l'aurait été. L'absence totale de contact, le refus d'accès aux médicaments démontraient, encore une fois, la cécité, l'aveuglement des ravisseurs.
Q - Pouvez-vous nous confirmer qu'une des premières revendications de ce groupe - Al Qaïda au Maghreb Islamique - était de faire libérer des terroristes condamnés et emprisonnés à vie en France ?
R - Ils avaient demandé la libération de prisonniers - pas seulement en France - qu'il aurait sans doute été impossible de leur consentir.
Q - Notamment, Rachid Ramda qui avait été condamné à perpétuité pour les attentats de 95 ?
R - En tout cas, vous voyez bien en prononçant cette phrase qu'il aurait été impossible d'accepter tout cela. L'impression générale, ici, c'est que rien de ce qu'ils auraient demandé n'était acceptable.
Q - Al Qaïda au Maghreb islamique promet "les portes de l'enfer pour la France et les Français". Y a-t-il une menace accrue d'actions terroristes en France ?
R - Nous avons déjà été la cible de menaces. Nous avons été la cible d'attentats. Je ne pense pas qu'on ait la moindre évidence d'un danger accru sur le territoire français. Mais c'est pour cela aussi que je parle aux Français, que je les écoute et que, de Nouakchott à Niamey, nous allons continuer.
Q - Vous avez été vous-même un humanitaire. Peut-on empêcher, demander à des humanitaires comme Michel Germaneau, de ne pas se rendre dans une région où ils viennent en aide à des populations ?
R - On doit leur demander. En tout cas, on doit les prévenir et leur permettre de prendre toutes les précautions. C'est ce que nous faisons.
Q - Ils ont le droit de refuser ?
R - Les humanitaires prennent des risques, les journalistes aussi. Il faut que ces risques, même pour ces deux professions, soient parfaitement éclairés. On peut parfois remettre un voyage ou le décaler de quelques heures ou de quelques jours. Il faut qu'ils soient conscients des risques encourus. Ici, la communauté française l'a tout à fait accepté : c'est pour cela que nous le faisons.
Q - Donc, vous ne demandez pas aux organisations humanitaires d'annuler tout leur programme d'aide dans les pays du Sahel ?
R - Je sais qu'il faut que les risques soient éclairés pour les programmes humanitaires, que l'on sache de quoi il s'agit et qui fait quoi ; cela peut protéger. Mais personne ne demande d'abandonner le soutien aux populations.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juillet 2010