Interview de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, à "Europe 1" le 25 août 2010, sur les convergences possibles pour la fiscalité et le budget entre l'Allemagne et la France et sur la politique actuelle du gouvernement à l'égard des Roms.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Vous rentrez d'Allemagne, quelle santé l'Allemagne, quelle performance ! Est-ce que c'est un exemple, une source d'inspiration ou un modèle ?

C'est un exemple, c'est une source d'inspiration et c'est probablement un modèle sur certains points.

Même s'ils ont des difficultés, les Allemands...

Ils ont des difficultés, il faut quand même jamais l'oublier un modèle économique qui n'est pas le même que le notre. Ils n'ont pas de salaire minimum, on a le Smic, je ne vois personne en France, à droite comme à gauche, proposer la suppression du Smic. Ils ont un taux de remplacement des retraites qui est plus faible que le nôtre, donc c'est un choix quand même important qui n'est pas celui qui est le nôtre autour du pouvoir d'achat...

Des salaires tenus, et des tensions sur les hausses de salaire.

C'est la modération salariale de la réforme Schröder, et c'est ce qu'il leur permet d'avoir des gains de compétitivité. Mais ce qui est vrai, c'est qu'ils ont un rebond d'activité économique, c'est une bonne nouvelle, c'est évidement une bonne nouvelle pour l'Allemagne, mais c'est aussi une bonne nouvelle pour la France. On est le premier partenaire de l'Allemagne, donc ça nous tirera tout ça vers le haut.

En 2010, l'Allemagne prévoit une croissance d'au moins 3 %, nous ça sera 1,5 %, deux fois moins, est-ce que l'on peut éviter l'écart, et que l'écart se creuse ?

Sur l'activité économique c'est une chose, notre priorité à nous, c'est de réduire les déficits, la priorité de l'Allemagne aussi. J'ai été frappé dans mes entretiens avec Schäuble, mon homologue allemand, avec la présidente, d'ailleurs qui n'est pas de la même sensibilité politique que la coalition actuellement au pouvoir en Allemagne, de la commission des finances, du consensus politique qui existe autour de la priorité de la lutte et de la réduction des déficits. Il n'y a pas de débat plus que cela sur l'affectation des recettes supplémentaires de la croissance au désendettement du pays. Eh bien je dis que sur ce point, on a en France encore un peu de travail à faire.

F. Baroin, à Berlin, l'austérité on l'appelle l'austérité, et la rigueur on l'appelle la rigueur.

C'est une discussion sur le sexe des anges, si vous me permettez cette expression matinale. Ça n'a pas de sens, on est dans un plan d'économies, ils ne l'appellent pas austérité, ils l'appellent économie. D'ailleurs, ils sont plutôt positifs, quand ils parlent de chômage partiel, et qu'ils parlent de travail à court terme. Donc positivons les efforts d'économies parce que c'est un élément de confiance.

Avec monsieur Schaüble, quelles convergences vous avez imaginé pour la fiscalité, peut-être pour les budgets ?

Le souhait du président de la République a été effectivement de réfléchir à une convergence relativement rapide sur le plan fiscal dans un certain nombre de pans d'activité.

Par exemple ?

Certainement la fiscalité des entreprises, mais certainement aussi la fiscalité des particuliers. Il n'y a plus en Allemagne, depuis un certain nombre d'années, d'impôts de solidarité sur la fortune, il n'y a donc pas de bouclier fiscal. Comme vous le savez, la société politique est vigoureusement animée par ce débat autour du bouclier, à droite comme à gauche, c'est une source d'inspiration. Le premier président de la Cour des comptes va proposer un prérapport fin septembre sur ce sujet, et si nous pouvons être en temps et en heure pour loi de finances 2010, alors nous engagerons des réflexions autour de ce sujet.

Aujourd'hui, la chancelière Merkel va faire adopter une taxe sur le bénéfice net des banques, est-ce que vous envisagez d'en faire autant ?

Là aussi il y a un consensus franco-allemand. Notre difficulté est de faire en sorte que ce soit partout dans la zone euro et éventuellement au niveau mondial. Ça fait partie des éléments de priorité des G 20, de discussion ; la France et l'Allemagne sont au diapason sur ce sujet.

La Commission de Bruxelles vous demande de taxer les offres "triple play", Internet, téléphone, télévision, est-ce que vous allez le décider ?

Le statu quo sur le "triple play" n'est pas possible. Mais sur ce sujet je dirais, comme sur tous les autres, et on ne va pas égrener tous ces niches fiscales d'ici fin septembre comme une marguerite, on a des rendez-vous, le président de la République à Brégançon nous a demandé d'attendre les chiffres de l'activité économique autour du 15 septembre pour ensuite proposer des arbitrages. Sur le "triple play", je vous réponds franchement, on a une injonction de Bruxelles sur ce sujet qui nous pousse à bouger. Mais nous devons aussi être attentifs aux modalités de financement de l'activité du cinéma.

Vous allez bouger ?

On va bouger.

De beaucoup ?

On va bouger suffisamment pour, non pas que ce soit une source d'économie, mais pour être aussi en ligne sur le plan juridique avec Bruxelles.

A Brégançon, il a été décidé de réduire à partir de 2011 les niches fiscales et sociales de 10 milliards, plus que prévu, puisque la croissance n'atteindra que 2 %. Combien, à ce jour, il vous manque pour atteindre les 10 milliards ? Qu'est-ce qui vous manque ?

La construction d'un budget, c'est donner du sens, être sincère et être réaliste. Le sens de la préparation du budget, tel que l'a souhaité le Premier ministre, le président de la République, tel que je le souhaite moi-même, c'est d'être bien en phase avec l'évolution de l'activité économique. La révision de la croissance de 2,5 à 2 nous pousse à chercher 3,3 milliards de plus par rapport à ce que l'on a annoncé...

Donc il vous manque aujourd'hui 3 milliards ?

Il nous manque 3,3 milliards, qui feront l'objet d'arbitrage au cours du ...

Où vous comptez les trouver ces milliards ?

On a déjà arbitré près de 7 milliards, il nous reste 3 milliards de choix...

Mais où les trouver, où serrer, chez qui ?

... On a 75 milliards de niches fiscales, on en a 45 de niches sociales, on a plus de la moitié de notre croissance qui est en dépense. L'axe essentiel de l'action du Gouvernement, c'est d'agir sur les dépenses, on n'augmentera pas les impôts, ni l'impôt sur le revenu ni la TVA...

C'est une promesse qui sera tenue jusqu'en 2012 ?

Ce n'est pas une promesse, c'est un engagement.

Où vous allez serrer ? Est-ce qu'il y des budgets sanctuarisés ou est-ce qu'il y a des budgets sur lesquels vous pourrez encore rogner ?

C'est un budget d'économies qui n'a jamais été produit. Moi, j'ai 40 milliards à trouver pour l'année prochaine, 40 milliards, on annule le plan de Relance à hauteur de 15 milliards, on fait les 10 milliards sur les niches fiscales, il y a un effort sans précédent produit sur les administrations centrales, sur l'Etat - c'est gelé en valeur -, un effort sans précédent des dotations de l'Etat aux collectivités locales. Oui, c'est un budget d'économie.

Et quelles sont les niches qui sont dans le collimateur ?

On épargne... Quelles sont celles qui ne le sont pas, si vous me permettez, puisque c'est élément de réponse important, on épargne tous les publics fragiles, autour du RSA, des minima sociaux....

C'est quoi un public fragile ou vulnérable ?

Public fragile ou vulnérable, c'est tous les attributaires des minima sociaux, des minimums vieillesse, toutes celles et tous ceux...

Ça on n'y touchera pas ?

On n'y touchera pas. On s'efforcera dans les dispositifs fiscaux, sans trop de casse, même si on est conscient du fait qu'il y a des gens qui vont monter au créneau, qui ne seront pas contents, qui diront c'est injuste, ce budget, il s'efforcera d'être le plus juste possible.

Et cet effort sur les niches, 10 milliards en 2011, combien d'années il va durer ?

Notre objectif, c'est que d'ici 2013, on revienne au même niveau de déficit d'avant la crise.

C'est-à-dire 10 milliards par an ?

On a 100 milliards à trouver sur les trois ans qui viennent. Je reviens d'Allemagne, vous le disiez, ils feront 80 milliards sur 4 ans. Donc quand on dit que l'effort de maîtrise des dépenses publiques est supérieur en Allemagne, ce n'est pas tout à fait vrai. L'effort de maîtrise des finances publiques, il est supérieur en France mais le chemin en France à parcourir est plus important.

Pour F. Hollande, J. Cahuzac, M. Sapin et d'autres encore, vos décisions représentent une augmentation même déguisée des impôts, qu'est-ce vous leur répondez ?

Lorsque N. Sarkozy fixe à 10 milliards la suppression des niches fiscales sur 75, on pousse personne à aller dans une niche fiscale, c'est la grande différence entre raboter des niches et proposer une augmentation des impôts. Si on augmentait les impôts, alors là, oui, on pourrait dire c'est une politique de rigueur. On n'augmente pas les impôts, on fait un choix de maîtrise des dépenses.

Dans Le Figaro de ce matin, l'économiste J. Bichot - que je ne connais pas mais que je lis - définit les niches comme des cadeaux et des avantages illégitimes accordés avec l'argent des contribuables. Vous êtes d'accord ?

En tout cas, la niche fiscale, c'est une forme de dépense qui n'est pas une subvention, c'est un choix de l'Etat pour animer tel ou tel secteur d'activité.

L'Etat Papa Noël ?

Voilà, c'est un peu Papa Noël, et parfois on arrose le sable.

A propos des Roms, F. Fillon a demandé hier à ses ministres d'agir sans laxisme et sans excès. Vous étiez à ce moment-là à Berlin, vous l'avez entendu. Est-ce que vous comprenez qu'il prenne ses distances à l'égard des excès de la société et de la sécurité spectacle ?

C'est une interprétation qui me surprend, parce que je connais bien le Premier ministre, on a travaillé sur des réunions interministérielles sur tous ces sujets. Je ne vois personne au sein du Gouvernement, ni au niveau de l'Etat, qui ne soit pas habité par cette mission essentielle qui est de faire respecter l'Etat de droit. Ne rien faire sur un campement illicite, laisser des hommes des femmes s'installer, sans droit ni titre, sur des propriétés publiques ou privées, c'est dans ce cas-là accepter le coup de force, c'est le droit de la force...

Donc vous soutenez totalement ce qui est en train de se faire ?

Au droit de la force, il faut opposer la force du droit. Et je vais même aller plus loin dans ce débat, où moi je suis frappé de cette curieuse inversion des valeurs : un agresseur s'est transformé en victime, une victime devient douteuse, un prêtre, un dimanche, à la sortie de la messe, souhaite la mort du président de la République. Je ne sais pas où l'on va...

Les valeurs sont inversées, comme disait tout à l'heure le grand rabbin. Dernière question : le Canard Enchaîné, vous ne l'avez peut être pas lu, mais le Canard Enchaîné, lui aussi, vous imagine vous aussi à Matignon. Est-ce que vous vous sentez les épaules, ou est ce que c'est trop tôt ? Les épaules, vous les avez ?

Ecoutez, tout ça c'est vraiment...Enfin, je veux dire, ce n'est pas l'ouverture du balltrap, et j'ai pas l'intention d'être un pigeon d'argile. On a un Premier ministre de grande qualité et celui qui est le maître du temps et le maître du jeu c'est le président de la République.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 août 2010