Texte intégral
Le Conseil de l'Europe est l'une des instances qui fait de Strasbourg une vraie capitale européenne. C'est une organisation qui est mal connue. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à prendre la parole devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, l'année dernière, pour son 60ème anniversaire.
J'ai reçu aujourd'hui, à sa demande, M. Jagland, parce qu'il est porteur d'une initiative importante sur la question des personnes d'origine Rom dont nous avions parlé au téléphone précédemment, et aujourd'hui en détail. Je la crois particulièrement pertinente et utile pour passer de la phase des discours et des échanges de propos - propos qui n'ont pas toujours été très agréables - à une phase d'action. Ce qui a animé mon travail depuis un an et demi dans ce ministère sur ce dossier, c'est de ne plus voir ce que l'on voit dans les rues des différentes capitales d'Europe, c'est-à-dire des petits enfants contraints de mendier, de voler, de ne pas aller à l'école et de vivre dans des conditions abominables. Toutes les bonnes volontés sont maintenant nécessaires pour sortir de cette crise par le haut, sortir des anathèmes et entrer dans l'action. Il est temps. Mais c'est difficile de passer à la construction d'écoles, de logements, d'hôpitaux pour 11 millions de Roms sur le continent européen dont 9 sont des citoyens de l'Union européenne.
Voilà la tâche qui est devant nous. De faire des discours, d'envoyer des noms d'oiseaux ne résout pas ce problème, ne change rien à la vie de ces enfants. Ce qui m'intéresse, ce que veut le président de la République, c'est que nous passions à la phase de l'action. Et je vois beaucoup d'intérêt à ce que le Conseil de l'Europe, qui a l'avantage d'avoir une vision globale sur l'ensemble du continent, y compris sur les Roms qui sont aux portes de l'Union dans les Balkans occidentaux, au Kosovo, en Serbie, ailleurs, qui a cette vision globale et surtout qui a une expérience, à la fois dans le domaine des droits de l'Homme mais aussi dans le domaine de l'insertion sociale des communautés Roms, je ne vois que des avantages à ce que le Conseil de l'Europe embrasse, prenne en charge ce dossier, bien sûr en coopération avec l'Union européenne, ses institutions, la Commission et les Etats.
Je dis donc bienvenue à M. Jagland.
Avant de conclure cette brève présentation, parmi les anathèmes il y en a eu un qui a été malheureusement proféré par le Haut-Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, ce qui m'a forcé à engager une démarche diplomatique auprès de lui pour lui demander des excuses - cela, c'était avant d'autres dérapages, mais ses excuses ont été plus ou moins faites. L'incident est clos, on va mettre cela dans la catégorie des incidents qui sont dernière nous. Ce qui nous intéresse, Monsieur Jagland, c'est que nous passions à la phase suivante, celle du travail.
(...)
Le moment est vraiment venu de passer à l'action, une génération entière de Roms a été perdue depuis la chute du mur de Berlin, personne ne s'est occupé d'eux depuis 20 ans. Je crois que cette crise aura au moins eu cela de bon, si nous y arrivons, c'est de percer cette bulle d'hypocrisie qui pesait sur toute l'Europe et qui faisait que 10 millions de personnes vivaient, dans cet état, aussi bien dans les pays d'origine que dans les pays d'accueil temporaire. C'est insupportable, ce n'est pas l'Europe que nous voulons construire et maintenant il faut passer à l'action. Je remercie Monsieur Jagland de son implication, il a beaucoup d'expertise et de moyens, une charte précise d'engagements, je crois qu'il a vraiment un rôle à jouer à côté de l'Union européenne et des Etats. Je souhaite vraiment que l'on entre dans la phase de l'action.
Q - (A propos de la politique du gouvernement roumain à l'égard des Roms)
R - Je ne veux pas rentrer dans des soupçons. Ce que j'attends, ce que nous attendons à l'issue de ma dernière visite - j'en suis à mon sixième rendez-vous ministériel depuis 14 mois avec le gouvernement roumain - on a vraiment essayé de travailler sur l'intégration des gens. C'est facile de monter des coopérations policières, d'échanger des policiers, cela on l'a déjà fait depuis ma visite au mois de février. On va renforcer cela, travailler sur les trafics, les gens qui profitent des enfants, c'est relativement facile.
Ce qui est compliqué c'est d'amener, à faire sortir de terre, des écoles, des hôpitaux, des logements, l'argent existe, je vous le redis. Il existe différents fonds de cohésion sociale, régionale, auxquels nous, les Européens les plus riches, nous contribuons. Je le redis : la France est contributeur net à hauteur de 5 milliards d'euros par an. C'est normal, nous sommes plus riches, les Allemands sont dans le même cas, les Britanniques sont aussi contributeurs. Cet argent va surtout vers l'Est, vers les nouveaux arrivés pour que les régions moins développées rattrapent les niveaux du reste de l'Europe. Voilà comment la solidarité européenne fonctionne, voilà comment elle a fonctionné pour l'Espagne, la Grèce, le Portugal et bien fonctionné. Ce que je constate malheureusement, c'est que les programmes dédiés aux Roms n'ont pas été utilisés, ou très peu. Le chiffre que m'a donné le gouvernement roumain, c'est que sur la période 2007-2013, 85 millions d'euros au total sont prévus pour les Roms, c'est une goutte d'eau par rapport à une population qui dans ce pays atteint, suivant les chiffres qu'on nous donne, entre 500.000, un million et demi - et les associations Roms disent 2 millions et demi, la Commission dit 2 millions, c'est-à-dire 10 % de la population roumaine.
Encore une fois, je ne suis pas dans une polémique avec le gouvernement roumain, on est dans le travail constructif : le gouvernement roumain, le Premier ministre nous a promis pour fin septembre, début octobre un premier plan d'urgence, d'intégration avec un certain nombre d'écoles, de logements, etc..., région par région, auquel ils sont en train de travailler avec leurs préfets. J'ai dit que la France était prête à contribuer au niveau de l'expertise à la préparation de ces plans au niveau régional, y compris nos régions sont prêtes à donner un coup de main. J'ai dit également que j'irai, avec mes collègues roumains, chercher les financements à Bruxelles, parce que Bruxelles donne cet argent, sur la base de plan précis. Ces plans ne sont pas encore arrivés, donc ces 20 milliards d'euros que doit toucher la Roumanie entre 2007 et 2013 beaucoup de cet argent n'est pas utilisé, c'est cela le scandale.
C'est la raison pour laquelle, je dis qu'il faut sortir des discours et arriver à des plans concrets, si en plus le Conseil de l'Europe, parce qu'il a lui des "équipes Roms", qui forment des avocats Roms, des élus Roms, qui défendent ces communautés dans différents pays peut nous aider à "monitorer", à doter d'un organe de contrôle des obligations des uns et des autres alors nous aurons progressé. C'est pourquoi j'ai abordé la question hier avec mon collègue italien, M. Ronchi, j'en parlerai tout à l'heure avec mon collègue allemand, M. Hoyer parce que j'ai une réunion franco-allemande à Evian cet après-midi et il faut que très vite nous ayons une "task force" des ministres des Affaires européennes, pour accompagner les efforts du Conseil de l'Europe et que l'on avance enfin.
Il y a aussi une Charte sociale européenne, où il est dit dans différents articles : droit à la protection de la santé, à l'assistance sociale et médicale, à la famille, à la protection sociale, droit des enfants et des adolescents, droit des travailleurs, des migrants et de leurs familles, protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Ce sont ces droits qu'il faut appliquer, pas seulement les pays d'accueil mais chez l'ensemble des conseils des pays membres, chez les 47 dont 27 sont membres de l'Union européenne. Il y a aussi les autres, je n'oublie pas les Roms qui sont hors de l'Union mais qui sont aussi parfois amenés à immigrer à l'intérieur de l'Union.
Q - Monsieur le Ministre, vous représentez la France auprès de l'Europe, vous parlez de mesures concrètes très bien, mais n'avez-vous pas le sentiment que face à cette crise c'est l'image de la France qui est ternie ?
R - Vous savez Monsieur, je vais vous dire, notre aventure européenne qui a été faite ici même, à l'étage du dessous le 9 mai 1950 par Robert Schuman qui est la main tendue en direction de l'Allemagne, cette Europe a avancé. Ce n'est pas un lit de roses, une espèce de route rectiligne et facile, elle a toujours avancé face à une réalité mouvante, face à des problèmes et parfois par des crises. Ce qu'il y a de bien en Europe, c'est qu'en général on sort plus fort de la crise avec des solutions. Cette année, je note que cela fut une année intense de mise en route des institutions à 27. C'est très compliqué de faire fonctionner 27 navires ensemble, un convoi de 27 c'est lourd, c'est difficile avec plusieurs institutions et vous savez, en France, cela n'a pas été très simple d'avoir un consensus sur ces nouvelles institutions, elles sont désormais en place.
La première partie de l'année - cela ne vous a pas échappé - a été dominée par une crise sur la monnaie, attaque contre la Grèce, puis contre l'Espagne, le Portugal, et contre notre monnaie, cela n'a pas été simple. Pour l'avoir vécu, je me souviens de tensions extrêmement fortes, il y a quelques mois. Rappelez-vous, et pourtant, à l'arrivée, on a trouvé des solutions, on a mis en commun les mécanismes de protection de la Grèce, on a mis en commun des mécanismes sans précédent de défense de l'euro que nous sommes en train de compléter par tout un dispositif de coordination des politiques macroéconomiques, de transparence budgétaire et d'engagement des uns et des autres. C'est ce qui va être annoncé au prochain Conseil européen du mois d'octobre. C'est très difficile à faire, tout le monde n'est pas encore d'accord, d'ailleurs, par exemple, sur les sanctions qu'il faut maintenir ou pas pour que ce système fonctionne et que l'on n'ait plus jamais une crise contre l'un des Etats ou que l'un des Etats annonce des chiffres qui ne soient pas les bons chiffres.
Sous le problème des migrations internes à l'intérieur de l'Union et l'immigration externe, il y a un volet extrêmement sensible. La question Rom nous amène à nous poser la question d'une minorité dont on ne s'est pas occupée, mais une minorité considérable de plus de 10 millions de personnes, dont on ne s'est pas occupé depuis des années et qui pose le problème de mouvements de populations à l'intérieur de l'Union européenne alors que les niveaux de développement sont encore très hétérogènes. Voilà la question qui est posée. Je prétends, moi, et je crois que le président de la République l'a dit mieux que moi hier, que la question ne peut pas se résumer à une mise en cause, à un procès idéologique d'un pays d'accueil. Ce n'est pas que le problème de la France et ce n'est pas qu'un problème juridique, c'est un problème fondamentalement humain qui doit appeler tous les Etats à travailler ensemble, y compris les Etats où se trouvent la majorité de ces populations qui vivent dans des conditions difficiles, tellement difficiles qu'elles sont obligées de prendre la route et vivre dans des conditions épouvantables, coincées entre deux aires d'autoroute. Cela dépasse de loin ce type de mauvais procès ou d'anathème, je voudrais que l'on en sorte, c'est derrière nous.
Je voudrais que l'on passe à la phase travail parce que, pendant que l'on fait les anathèmes, on ne change pas la vie de ces enfants dans la rue. C'est cela le sujet, je remercie donc l'implication du Conseil de l'Europe de saisir les équipes sur le terrain. Il faut des gens de terrain, il faut des programmes scolaires, de logement, région par région dans les pays concernés, l'argent est disponible, faisons-le et arrêtons de faire des discours. Cela fait 20 ans que l'on en fait depuis la Chute du mur de Berlin - toutes ces polémiques, j'ai entendu des choses épouvantables, les tâches sur les drapeaux, etc... Le mot rom n'a pas été prononcé pendant les 10 ou 15 ans qu'ont duré les négociations d'adhésion de ces pays. Vous vous rendez compte ! Voilà le sujet.
Q - (A propos du principe de solidarité dans l'Union européenne)
R - Pendant la crise grecque, nous avons joué un rôle. Vous savez, nous étions, et nous sommes toujours, les militants de la solidarité et Dieu sait que le président de la République a beaucoup donné pour apaiser les choses et réunir le monde.
Je pense que la France, à nouveau, rassemble dans l'action. Je n'ai pas l'impression que l'on soit isolé, je n'ai pas entendu de gouvernement européen critiquer la France, pour une raison simple c'est que beaucoup de gouvernements européens sont confrontés exactement aux mêmes problèmes et qu'ils appliquent la même directive de 2004.
Figurez-vous, c'est tout de même étrange ma position : j'ai entendu des commentateurs dire des choses pas très agréables sur nos libertés publiques, vous avez entendu tout cela, je n'y reviens pas. Les uns nous critiquent car nous serions trop durs et trop à droite. Vous savez ce que j'entends aussi, c'est que nous sommes trop généreux et j'entends que les gens viennent chez nous précisément parce que les soins sont gratuits, que tout le monde peut venir en France se faire soigner, parce que les enfants sont automatiquement scolarisés alors qu'on ne demande pas les papiers, et qu'il nous faudrait être beaucoup plus sévères, il nous faudrait couper les aides. J'ai entendu les deux discours ces dernières semaines, c'est un peu étonnant. Je me dis que la France, comme disait Molière, est quelque part juste au milieu. C'est-à-dire on essaie, on fait ce que l'on peut dans les conditions qui respectent le droit, notre tradition de générosité, en plus on accueille, on est le grand pays d'immigration de l'Europe, vous le savez bien, les Français le savent bien. Mais en même temps, on dit ce n'est pas qu'un problème français.
Essayons de gérer les problèmes à la source, dans les Etats où ces populations vivent dans des conditions très difficiles, ce qui est aussi contraire aux engagements pris dans l'Union européenne. On ne demande rien d'autre, et je n'ai toujours demandé rien d'autre, que l'application du Traité et tout le Traité. Le Traité de l'Union européenne ne se limite pas à l'article 3 sur la libre circulation, le Traité de l'Union européenne est censé remplir les obligations de l'article 2 notamment, qui donnent aux Européens toute une série de droits et c'est le devoir des Etats d'être à la hauteur de ces droits.
Q - Vous vous affichez aux côtés de M. Jagland après avoir brocardé la Commission européenne, est-ce une marque de défiance à l'égard des institutions de l'Union européenne ? Pensez-vous que le Conseil de l'Europe peut apporter des solutions que l'Union européenne n'a pas ?
R - Je redis que je n'ai brocardé personne. J'ai dit, au nom du gouvernement français publiquement, que la France respecte les institutions européennes avec lesquelles nous travaillons chaque jour, la Commission, le Parlement. Cette semaine, je me suis rendu deux fois à Bruxelles, je vais à Bruxelles quasiment toutes les semaines et je travaille avec la Commission, les Commissaires, les Parlementaires. Figurez-vous qu'il m'arrive de travailler dans la meilleure entente et la meilleure coopération. Je vous donne un exemple, quand la France a été frappée par la tempête Xynthia. Cela s'est produit un week-end - un dimanche -, le lundi matin, j'ai été reçu à Bruxelles par le Commissaire chargé des régions, M. Hahn. Le mercredi suivant il était sur le terrain avec moi dans les départements concernés. Il y a une semaine, nous venons d'avoir confirmation que la Commission va verser près de 36 millions d'euros aux victimes de la tempête Xynthia. Vous voyez donc, je suis loin de brocarder, je travaille très étroitement, dans le respect des institutions de chacun.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 septembre 2010
J'ai reçu aujourd'hui, à sa demande, M. Jagland, parce qu'il est porteur d'une initiative importante sur la question des personnes d'origine Rom dont nous avions parlé au téléphone précédemment, et aujourd'hui en détail. Je la crois particulièrement pertinente et utile pour passer de la phase des discours et des échanges de propos - propos qui n'ont pas toujours été très agréables - à une phase d'action. Ce qui a animé mon travail depuis un an et demi dans ce ministère sur ce dossier, c'est de ne plus voir ce que l'on voit dans les rues des différentes capitales d'Europe, c'est-à-dire des petits enfants contraints de mendier, de voler, de ne pas aller à l'école et de vivre dans des conditions abominables. Toutes les bonnes volontés sont maintenant nécessaires pour sortir de cette crise par le haut, sortir des anathèmes et entrer dans l'action. Il est temps. Mais c'est difficile de passer à la construction d'écoles, de logements, d'hôpitaux pour 11 millions de Roms sur le continent européen dont 9 sont des citoyens de l'Union européenne.
Voilà la tâche qui est devant nous. De faire des discours, d'envoyer des noms d'oiseaux ne résout pas ce problème, ne change rien à la vie de ces enfants. Ce qui m'intéresse, ce que veut le président de la République, c'est que nous passions à la phase de l'action. Et je vois beaucoup d'intérêt à ce que le Conseil de l'Europe, qui a l'avantage d'avoir une vision globale sur l'ensemble du continent, y compris sur les Roms qui sont aux portes de l'Union dans les Balkans occidentaux, au Kosovo, en Serbie, ailleurs, qui a cette vision globale et surtout qui a une expérience, à la fois dans le domaine des droits de l'Homme mais aussi dans le domaine de l'insertion sociale des communautés Roms, je ne vois que des avantages à ce que le Conseil de l'Europe embrasse, prenne en charge ce dossier, bien sûr en coopération avec l'Union européenne, ses institutions, la Commission et les Etats.
Je dis donc bienvenue à M. Jagland.
Avant de conclure cette brève présentation, parmi les anathèmes il y en a eu un qui a été malheureusement proféré par le Haut-Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, ce qui m'a forcé à engager une démarche diplomatique auprès de lui pour lui demander des excuses - cela, c'était avant d'autres dérapages, mais ses excuses ont été plus ou moins faites. L'incident est clos, on va mettre cela dans la catégorie des incidents qui sont dernière nous. Ce qui nous intéresse, Monsieur Jagland, c'est que nous passions à la phase suivante, celle du travail.
(...)
Le moment est vraiment venu de passer à l'action, une génération entière de Roms a été perdue depuis la chute du mur de Berlin, personne ne s'est occupé d'eux depuis 20 ans. Je crois que cette crise aura au moins eu cela de bon, si nous y arrivons, c'est de percer cette bulle d'hypocrisie qui pesait sur toute l'Europe et qui faisait que 10 millions de personnes vivaient, dans cet état, aussi bien dans les pays d'origine que dans les pays d'accueil temporaire. C'est insupportable, ce n'est pas l'Europe que nous voulons construire et maintenant il faut passer à l'action. Je remercie Monsieur Jagland de son implication, il a beaucoup d'expertise et de moyens, une charte précise d'engagements, je crois qu'il a vraiment un rôle à jouer à côté de l'Union européenne et des Etats. Je souhaite vraiment que l'on entre dans la phase de l'action.
Q - (A propos de la politique du gouvernement roumain à l'égard des Roms)
R - Je ne veux pas rentrer dans des soupçons. Ce que j'attends, ce que nous attendons à l'issue de ma dernière visite - j'en suis à mon sixième rendez-vous ministériel depuis 14 mois avec le gouvernement roumain - on a vraiment essayé de travailler sur l'intégration des gens. C'est facile de monter des coopérations policières, d'échanger des policiers, cela on l'a déjà fait depuis ma visite au mois de février. On va renforcer cela, travailler sur les trafics, les gens qui profitent des enfants, c'est relativement facile.
Ce qui est compliqué c'est d'amener, à faire sortir de terre, des écoles, des hôpitaux, des logements, l'argent existe, je vous le redis. Il existe différents fonds de cohésion sociale, régionale, auxquels nous, les Européens les plus riches, nous contribuons. Je le redis : la France est contributeur net à hauteur de 5 milliards d'euros par an. C'est normal, nous sommes plus riches, les Allemands sont dans le même cas, les Britanniques sont aussi contributeurs. Cet argent va surtout vers l'Est, vers les nouveaux arrivés pour que les régions moins développées rattrapent les niveaux du reste de l'Europe. Voilà comment la solidarité européenne fonctionne, voilà comment elle a fonctionné pour l'Espagne, la Grèce, le Portugal et bien fonctionné. Ce que je constate malheureusement, c'est que les programmes dédiés aux Roms n'ont pas été utilisés, ou très peu. Le chiffre que m'a donné le gouvernement roumain, c'est que sur la période 2007-2013, 85 millions d'euros au total sont prévus pour les Roms, c'est une goutte d'eau par rapport à une population qui dans ce pays atteint, suivant les chiffres qu'on nous donne, entre 500.000, un million et demi - et les associations Roms disent 2 millions et demi, la Commission dit 2 millions, c'est-à-dire 10 % de la population roumaine.
Encore une fois, je ne suis pas dans une polémique avec le gouvernement roumain, on est dans le travail constructif : le gouvernement roumain, le Premier ministre nous a promis pour fin septembre, début octobre un premier plan d'urgence, d'intégration avec un certain nombre d'écoles, de logements, etc..., région par région, auquel ils sont en train de travailler avec leurs préfets. J'ai dit que la France était prête à contribuer au niveau de l'expertise à la préparation de ces plans au niveau régional, y compris nos régions sont prêtes à donner un coup de main. J'ai dit également que j'irai, avec mes collègues roumains, chercher les financements à Bruxelles, parce que Bruxelles donne cet argent, sur la base de plan précis. Ces plans ne sont pas encore arrivés, donc ces 20 milliards d'euros que doit toucher la Roumanie entre 2007 et 2013 beaucoup de cet argent n'est pas utilisé, c'est cela le scandale.
C'est la raison pour laquelle, je dis qu'il faut sortir des discours et arriver à des plans concrets, si en plus le Conseil de l'Europe, parce qu'il a lui des "équipes Roms", qui forment des avocats Roms, des élus Roms, qui défendent ces communautés dans différents pays peut nous aider à "monitorer", à doter d'un organe de contrôle des obligations des uns et des autres alors nous aurons progressé. C'est pourquoi j'ai abordé la question hier avec mon collègue italien, M. Ronchi, j'en parlerai tout à l'heure avec mon collègue allemand, M. Hoyer parce que j'ai une réunion franco-allemande à Evian cet après-midi et il faut que très vite nous ayons une "task force" des ministres des Affaires européennes, pour accompagner les efforts du Conseil de l'Europe et que l'on avance enfin.
Il y a aussi une Charte sociale européenne, où il est dit dans différents articles : droit à la protection de la santé, à l'assistance sociale et médicale, à la famille, à la protection sociale, droit des enfants et des adolescents, droit des travailleurs, des migrants et de leurs familles, protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Ce sont ces droits qu'il faut appliquer, pas seulement les pays d'accueil mais chez l'ensemble des conseils des pays membres, chez les 47 dont 27 sont membres de l'Union européenne. Il y a aussi les autres, je n'oublie pas les Roms qui sont hors de l'Union mais qui sont aussi parfois amenés à immigrer à l'intérieur de l'Union.
Q - Monsieur le Ministre, vous représentez la France auprès de l'Europe, vous parlez de mesures concrètes très bien, mais n'avez-vous pas le sentiment que face à cette crise c'est l'image de la France qui est ternie ?
R - Vous savez Monsieur, je vais vous dire, notre aventure européenne qui a été faite ici même, à l'étage du dessous le 9 mai 1950 par Robert Schuman qui est la main tendue en direction de l'Allemagne, cette Europe a avancé. Ce n'est pas un lit de roses, une espèce de route rectiligne et facile, elle a toujours avancé face à une réalité mouvante, face à des problèmes et parfois par des crises. Ce qu'il y a de bien en Europe, c'est qu'en général on sort plus fort de la crise avec des solutions. Cette année, je note que cela fut une année intense de mise en route des institutions à 27. C'est très compliqué de faire fonctionner 27 navires ensemble, un convoi de 27 c'est lourd, c'est difficile avec plusieurs institutions et vous savez, en France, cela n'a pas été très simple d'avoir un consensus sur ces nouvelles institutions, elles sont désormais en place.
La première partie de l'année - cela ne vous a pas échappé - a été dominée par une crise sur la monnaie, attaque contre la Grèce, puis contre l'Espagne, le Portugal, et contre notre monnaie, cela n'a pas été simple. Pour l'avoir vécu, je me souviens de tensions extrêmement fortes, il y a quelques mois. Rappelez-vous, et pourtant, à l'arrivée, on a trouvé des solutions, on a mis en commun les mécanismes de protection de la Grèce, on a mis en commun des mécanismes sans précédent de défense de l'euro que nous sommes en train de compléter par tout un dispositif de coordination des politiques macroéconomiques, de transparence budgétaire et d'engagement des uns et des autres. C'est ce qui va être annoncé au prochain Conseil européen du mois d'octobre. C'est très difficile à faire, tout le monde n'est pas encore d'accord, d'ailleurs, par exemple, sur les sanctions qu'il faut maintenir ou pas pour que ce système fonctionne et que l'on n'ait plus jamais une crise contre l'un des Etats ou que l'un des Etats annonce des chiffres qui ne soient pas les bons chiffres.
Sous le problème des migrations internes à l'intérieur de l'Union et l'immigration externe, il y a un volet extrêmement sensible. La question Rom nous amène à nous poser la question d'une minorité dont on ne s'est pas occupée, mais une minorité considérable de plus de 10 millions de personnes, dont on ne s'est pas occupé depuis des années et qui pose le problème de mouvements de populations à l'intérieur de l'Union européenne alors que les niveaux de développement sont encore très hétérogènes. Voilà la question qui est posée. Je prétends, moi, et je crois que le président de la République l'a dit mieux que moi hier, que la question ne peut pas se résumer à une mise en cause, à un procès idéologique d'un pays d'accueil. Ce n'est pas que le problème de la France et ce n'est pas qu'un problème juridique, c'est un problème fondamentalement humain qui doit appeler tous les Etats à travailler ensemble, y compris les Etats où se trouvent la majorité de ces populations qui vivent dans des conditions difficiles, tellement difficiles qu'elles sont obligées de prendre la route et vivre dans des conditions épouvantables, coincées entre deux aires d'autoroute. Cela dépasse de loin ce type de mauvais procès ou d'anathème, je voudrais que l'on en sorte, c'est derrière nous.
Je voudrais que l'on passe à la phase travail parce que, pendant que l'on fait les anathèmes, on ne change pas la vie de ces enfants dans la rue. C'est cela le sujet, je remercie donc l'implication du Conseil de l'Europe de saisir les équipes sur le terrain. Il faut des gens de terrain, il faut des programmes scolaires, de logement, région par région dans les pays concernés, l'argent est disponible, faisons-le et arrêtons de faire des discours. Cela fait 20 ans que l'on en fait depuis la Chute du mur de Berlin - toutes ces polémiques, j'ai entendu des choses épouvantables, les tâches sur les drapeaux, etc... Le mot rom n'a pas été prononcé pendant les 10 ou 15 ans qu'ont duré les négociations d'adhésion de ces pays. Vous vous rendez compte ! Voilà le sujet.
Q - (A propos du principe de solidarité dans l'Union européenne)
R - Pendant la crise grecque, nous avons joué un rôle. Vous savez, nous étions, et nous sommes toujours, les militants de la solidarité et Dieu sait que le président de la République a beaucoup donné pour apaiser les choses et réunir le monde.
Je pense que la France, à nouveau, rassemble dans l'action. Je n'ai pas l'impression que l'on soit isolé, je n'ai pas entendu de gouvernement européen critiquer la France, pour une raison simple c'est que beaucoup de gouvernements européens sont confrontés exactement aux mêmes problèmes et qu'ils appliquent la même directive de 2004.
Figurez-vous, c'est tout de même étrange ma position : j'ai entendu des commentateurs dire des choses pas très agréables sur nos libertés publiques, vous avez entendu tout cela, je n'y reviens pas. Les uns nous critiquent car nous serions trop durs et trop à droite. Vous savez ce que j'entends aussi, c'est que nous sommes trop généreux et j'entends que les gens viennent chez nous précisément parce que les soins sont gratuits, que tout le monde peut venir en France se faire soigner, parce que les enfants sont automatiquement scolarisés alors qu'on ne demande pas les papiers, et qu'il nous faudrait être beaucoup plus sévères, il nous faudrait couper les aides. J'ai entendu les deux discours ces dernières semaines, c'est un peu étonnant. Je me dis que la France, comme disait Molière, est quelque part juste au milieu. C'est-à-dire on essaie, on fait ce que l'on peut dans les conditions qui respectent le droit, notre tradition de générosité, en plus on accueille, on est le grand pays d'immigration de l'Europe, vous le savez bien, les Français le savent bien. Mais en même temps, on dit ce n'est pas qu'un problème français.
Essayons de gérer les problèmes à la source, dans les Etats où ces populations vivent dans des conditions très difficiles, ce qui est aussi contraire aux engagements pris dans l'Union européenne. On ne demande rien d'autre, et je n'ai toujours demandé rien d'autre, que l'application du Traité et tout le Traité. Le Traité de l'Union européenne ne se limite pas à l'article 3 sur la libre circulation, le Traité de l'Union européenne est censé remplir les obligations de l'article 2 notamment, qui donnent aux Européens toute une série de droits et c'est le devoir des Etats d'être à la hauteur de ces droits.
Q - Vous vous affichez aux côtés de M. Jagland après avoir brocardé la Commission européenne, est-ce une marque de défiance à l'égard des institutions de l'Union européenne ? Pensez-vous que le Conseil de l'Europe peut apporter des solutions que l'Union européenne n'a pas ?
R - Je redis que je n'ai brocardé personne. J'ai dit, au nom du gouvernement français publiquement, que la France respecte les institutions européennes avec lesquelles nous travaillons chaque jour, la Commission, le Parlement. Cette semaine, je me suis rendu deux fois à Bruxelles, je vais à Bruxelles quasiment toutes les semaines et je travaille avec la Commission, les Commissaires, les Parlementaires. Figurez-vous qu'il m'arrive de travailler dans la meilleure entente et la meilleure coopération. Je vous donne un exemple, quand la France a été frappée par la tempête Xynthia. Cela s'est produit un week-end - un dimanche -, le lundi matin, j'ai été reçu à Bruxelles par le Commissaire chargé des régions, M. Hahn. Le mercredi suivant il était sur le terrain avec moi dans les départements concernés. Il y a une semaine, nous venons d'avoir confirmation que la Commission va verser près de 36 millions d'euros aux victimes de la tempête Xynthia. Vous voyez donc, je suis loin de brocarder, je travaille très étroitement, dans le respect des institutions de chacun.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 septembre 2010