Texte intégral
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Directeur du "Carré",
Mesdames, Messieurs,
Je veux tout d'abord vous dire le plaisir que j'éprouve à être parmi vous. La problématique de cette rencontre porte en effet la réflexion au cur des enjeux de la politique culturelle auxquels je m'attelle depuis plus d'un an désormais. Pendant deux jours, je voudrais le souligner, vous vous êtes en effet efforcés de construire les réponses au plus près des interrogations nées des expériences de terrain, des pratiques artistiques concrètes, des entreprises singulières menées par chacun d'entre vous.
Cette démarche, permettez-moi de me l'approprier pleinement en commençant par mettre en perspective historique les enjeux et le défi de la décentralisation culturelle dans le domaine des arts plastiques. La visée décentralisatrice reste à atteindre, même si elle a donné l'impulsion à de premières expérimentations dès la naissance du Ministère de la Culture. Elle s'est ainsi tout d'abord concentrée sur le spectacle vivant. L'ambition consistait, hier comme aujourd'hui, à porter l'art auprès du plus grand nombre, à mettre en scène une rencontre authentique entre les démarches artistiques innovantes et les citoyens.
Ce mouvement a pris un tel essor dans les domaines du théâtre, de la danse, de la musique, qu'il a profondément modifié le visage du pays culturel réel.
Les artistes ont pris le chemin des villes moyennes, des théâtres municipaux ; de nouveaux espaces ont été investis et de nouveaux publics conquis.
On a parfois un peu de peine aujourd'hui à prendre toute la mesure de ce qu'il a fallu d'audace, de courage et de souffle pour gagner ce pari. Garder à l'esprit ce goût du risque est vital pour accomplir les mêmes progrès dans le champ des arts plastiques.
Car c'est bien sur ce terrain que l'ambition décentralisatrice a encore beaucoup à défricher, à conquérir.
Il faut en effet attendre le milieu des années 1980 pour que les disciplines que recouvre ce champ soient pleinement concernées par le chantier de la décentralisation culturelle. En moins de vingt ans donc, cette impulsion a eu des retombées fructueuses.
L'ensemble du territoire national est, à ce jour, irrigué par plus de mille lieux où les arts plastiques ont droit de cité. Ces lieux portent la marque de la diversité des démarches qui ont conduit à leur éclosion, qu'il s'agisse des écoles d'art, des galeries et des artothèques mais aussi des résidences d'artistes et des ateliers, ou bien encore des F.R.A.C. et des centres d'art.
Tout cela n'aurait pas été possible si la volonté de l'Etat n'avait pas rencontré celles des collectivités locales. Les pays de la Loire en fournissent une illustration éclatante. Je pense par exemple à l'expérience en cours, de sensibilisation à l'art actuel, où artistes, élus et professionnels disposent d'un lieu de concertation permanente, à la D.R.A.C. ou au F.R.A.C.
Le territoire de votre région est désormais maillé de projets et de lieux dévolus aux arts plastiques.
Du centre culturel "Le Carré", où nous nous trouvons, qui a su positionner les arts plastiques aux côtés du spectacle vivant, à Faymocrau-les-Mines, petite commune rurale de Vendée engagée dans un vaste projet de commande publique, partout se lit la diversité, la prise de risques et la détermination.
Ainsi, Saint-Nazaire a créé un service municipal d'art contemporain, tandis que Fontenay-le Comte, cité historique vendéenne, construit un projet exemplaire fondé sur la relation entre patrimoine et création contemporaine.
A l'autre extrémité de la région, la communauté de communes du Bocage mayennais est à l'origine du Centre d'Art Sacré Contemporain de Pontmain, initiative soutenue par le Conseil Général de la Mayenne.
Le Conseil Général de Maine-et-Loire engage, quant à lui, par l'intermédiaire du Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement, un projet stimulant sur le thème "paysage, économie et art contemporain".
Les acteurs de ce projet prévoient d'associer des entreprises privées aux côtés des collectivités locales et de l'Etat. Je ne pouvais d'ailleurs pas espérer un lieu plus indiqué que celui qui nous accueille aujourd'hui pour évoquer ce foisonnement d'initiatives, de projets, de nouveaux sites.
Le Couvent des Ursulines est un exemple remarquable de mise à contribution d'un monument historique au service du développement culturel. Pour ma part, j'y vois même une illustration tangible des liens qui unissent patrimoine et création, mémoire et utopie créatrice.
Toutes les étapes de la construction de ce lieu en témoignent. A commencer par celle des partenariats institués pour son financement. De même, l'identité de ce lieu, c'est la soif de décloisonnement des disciplines artistiques, de croisement des démarches esthétiques qui la lui confère.
L'installation de l'école de musique et de danse en 1995, la construction d'un théâtre de 500 places par l'architecte Xavier Fabre, la mise à disposition de locaux pour la création théâtrale le démontrent. Toutes ces aventures, et bien d'autres encore, attestent de la belle réussite des Pays de la Loire.
Je prends toute la mesure de ces réalisations, compte tenu des engagements qui ont ainsi été tenus, du défi qui a de la sorte été relevé dans le domaine des arts plastiques.
Ces enjeux touchent en effet au plus intime de la relation de l'art et de la société, de la place des artistes dans la cité. C'est peut-être en effet sur ce registre de la création contemporaine, que se joue, plus vivement que sur tout autre, la rencontre des uvres et du plus grand nombre.
N'est-ce pas ce que révèle la belle leçon d'énergie et de courage politique donnée par ces élus locaux qui osent tourner le dos à l'impasse du plus petit dénominateur commun culturel ? En créant des lieux dévolus aux esthétiques les plus nouvelles des arts plastiques, ils délivrent un message: là où le risque du rejet et du malentendu est le plus fort, c'est aussi là où la rencontre et le partage sont les plus fertiles. Ils font de la sorte écho à ce vers d'Hölderlin : "là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve".
Cet espoir est partagé par tous les acteurs du développement culturel. D'ailleurs, que pèse le risque encouru au regard de ce qui est en jeu ? La passion mise pour organiser une véritable rencontre entre les uvres et leurs destinataires n'est jamais stérile. Car même si l'on peut ne pas s'accorder sur les mots, c'est bel et bien de l'utilité sociale de l'artiste, de l'urgence de l'art dont il s'agit.
Ce que dit Aristote de la philosophie ne vaut-il pas pour l'art ? On peut vivre sans art, mais sans lui on ne peut pas vivre une existence véritablement humaine.
Voilà ce qui fonde l'universalité du droit d'accès de tous à la création. Voilà aussi ce qui rend proprement insupportables les inégalités en la matière ; pas plus que les autres, mais pas moins que les autres. Permettre à tous de dialoguer avec les uvres du temps présent, de s'approprier celles du passé, c'est donner à tous la chance de faire l'épreuve d'une inquiétude et d'un trouble vital.
Les uvres interrogent notre ordre social, elles lui révèlent sa contingence, qu'elles tournent en liberté, en responsabilité. Cette tâche, elles l'accomplissent, chacune à sa manière, par définition toujours inédite et revêche à toute prescription. C'est pourquoi le désordre qu'elles entraînent est tout aussi bien un ordre, ou pour le dire mieux, les horizons d'un nouvel ordre qui reste entièrement à construire par ceux à qui elles s'adressent. C'est aussi pourquoi ces uvres nous font le bonheur de nous déranger, de nous irriter et de nous faire violence. Je n'aurai de cesse de le leur permettre.
Plus que toute autre forme de la création, dans le contexte historique actuel, les arts plastiques sont porteurs de ce besoin d'art auquel la société est confrontée. Paradoxalement, c'est parce qu'ils sont aussi ceux que les "idées courtes" somment le plus souvent de se justifier.
En infligeant un démenti à tout ce qui leur refuse le droit à l'existence, c'est toute la puissance civilisatrice de la présence des oeuvres que libèrent les arts plastiques.
Nul ne peut donc se résigner à la dépossession du plus grand nombre, de l'accès à ces formes d'expression artistique. Cela d'autant plus que les arts plastiques recèlent en leur propre sein les points d'appui de leur rencontre avec tous les publics. Les arts plastiques ne se distinguent-ils pas par leur goût actuel de l'ouverture ? L'ouverture à des espaces nouveaux, industriels, mais aussi ruraux, par exemple.
Le nomadisme des plasticiens eux-mêmes en constitue une illustration magistrale. L'aspiration à fouler de nouveaux territoires afin d'alimenter leur imaginaire, afin de susciter des bouleversements esthétiques le démontre. Ce dialogue avec de nouveaux interlocuteurs n'est évidemment pas à sens unique. Les publics conquis apprennent beaucoup d'eux-mêmes en le nouant.
Les arts plastiques agissent comme un révélateur, au sens photographique du terme. Tout se passe comme s'ils dévoilaient à leurs destinataires leurs propres territoires, la complexité de leur histoire, de leur identité. L'affirmation et l'approfondissement d'une culture régionale a précisément besoin de cette confrontation.
Sur ce point, permettez-moi de tenter de lever un malentendu.
L'assimilation des cultures régionales au repli morbide du régionalisme procède d'un contresens. Le régionalisme est par essence étranger à la culture. Il relève d'une conception fade de l'identité, qui rime avec fermeture et fixité. L'attachement aux cultures régionales prend le contre-pied de cette posture. Il sait que cette identité est en mouvement.
Il sait le prix de l'aventure, du passage par l'altérité pour forger cette identité. Voilà aussi pourquoi les arts plastiques sont exemplaires. Leurs nouvelles esthétiques sont porteuses d'une articulation entre l'Universel et le particulier où la clôture n'est pas de saison. "L'universel, c'est le local sans les murs". La formule est connue.
Ce sentiment de la présence de l'autre en soi, cette ouverture à l'altérité, les plasticiens la cultivent à l'intérieur même du champ de la création artistique. Le désir de décloisonnement, de transgression des frontières est, on le sait, une des innovations majeures de l'art contemporain.
Le dynamisme propre aux arts plastiques y est pour beaucoup. Cette forme d'expression va à la rencontre des autres disciplines ; du spectacle vivant par exemple, avec le décor et la scénographie. Il n'y a qu'à voir la place qu'occupent les arts plastiques dans ces nouveaux lieux qui redessinnent les contours d'un pays culturel différent. La pluridisciplinarité est la raison d'être de ces lieux que nous appelons, pour l'heure, " intermédiaires ". Là encore, on ne gagne rien à vouloir opposer la soif de "métissage" et l'aspiration de chaque discipline à conserver un espace propre. Pour jeter des passerelles et dialoguer avec les autres, chacune a besoin en effet de cultiver sa singularité. Ces deux désirs, loin de s'exclure, se nourrissent l'un de l'autre. Une discipline a besoin de s'ouvrir aux autres pour savoir ce qu'elle est, tout comme elle a besoin de son identité pour enrichir les autres.
L'enjeu des arts plastiques dans une politique de décentralisation est donc majeur. La responsabilité d'un état moderne est grande en la matière. Sachez que j'en mesure quotidiennement toute l'étendue.
Un état moderne c'est un état démocratique. Sur le registre de la politique culturelle, la décentralisation est tout à la fois la fin et le moyen de cette démocratisation. C'est l'esprit qui m'anime et mobilise l'ensemble du gouvernement.
Le fil rouge de ce nouveau souffle de la décentralisation, c'est de rapprocher les institutions des citoyens. Pour y parvenir, de nombreux chantiers sont à ouvrir. L'un d'entre eux, et non des moindres, est de contribuer au dynamisme culturel des collectivités locales.
Cela passe par la clarification et le partage des responsabilités de chacun. C'est aussi une invitation à tisser de nouvelles solidarités, de nouvelles coopérations entre les collectivités elles-mêmes. Ma volonté de créer des établissements publics à vocation culturelle et territoriale répond à cette attente. De même, le soutien à ces nouveaux lieux "alternatifs" qui émergent sur tout le territoire est au cur de mon action.
Du "Collectif 12" à Mantes-la-Jolie jusqu'à la "Friche" de la "Belle de Mai" à Marseille, en passant par le Laboratoire d'Aubervilliers ou Mains d'uvres à Saint-Ouen, chacun de ces lieux cultive une singularité irréductible. Mais tous ont en commun une aventure artistique et culturelle authentique.
Et chacun à sa manière revivifie l'interrogation brûlante de la place de l'art dans la société. Le plus neuf, n'est-ce pas d'ailleurs l'irruption des citoyens eux-mêmes dans ce débat ? Et il faut travailler inlassablement au renouvellement et à l'élargissement de ce débat.
Comment rendre universel l'accès du plus grand nombre aux pratiques artistiques les plus actuelles ? Comment garantir aux créateurs la liberté nécessaire à toute innovation ? Marx a écrit que l'humanité ne se pose que les questions qu'elle peut résoudre...
Celles-ci en font partie. Je souhaite avec vous que ces deux journées d'échanges, de confrontations, contribuent à mettre en cohérence ces questionnements, à dessiner les contours de réponses inédites. Sachez que je m'attacherai à faire fructifier les pistes que vous venez de défricher.
Je vous remercie vivement de cette contribution.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 9 mai 2001)
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Directeur du "Carré",
Mesdames, Messieurs,
Je veux tout d'abord vous dire le plaisir que j'éprouve à être parmi vous. La problématique de cette rencontre porte en effet la réflexion au cur des enjeux de la politique culturelle auxquels je m'attelle depuis plus d'un an désormais. Pendant deux jours, je voudrais le souligner, vous vous êtes en effet efforcés de construire les réponses au plus près des interrogations nées des expériences de terrain, des pratiques artistiques concrètes, des entreprises singulières menées par chacun d'entre vous.
Cette démarche, permettez-moi de me l'approprier pleinement en commençant par mettre en perspective historique les enjeux et le défi de la décentralisation culturelle dans le domaine des arts plastiques. La visée décentralisatrice reste à atteindre, même si elle a donné l'impulsion à de premières expérimentations dès la naissance du Ministère de la Culture. Elle s'est ainsi tout d'abord concentrée sur le spectacle vivant. L'ambition consistait, hier comme aujourd'hui, à porter l'art auprès du plus grand nombre, à mettre en scène une rencontre authentique entre les démarches artistiques innovantes et les citoyens.
Ce mouvement a pris un tel essor dans les domaines du théâtre, de la danse, de la musique, qu'il a profondément modifié le visage du pays culturel réel.
Les artistes ont pris le chemin des villes moyennes, des théâtres municipaux ; de nouveaux espaces ont été investis et de nouveaux publics conquis.
On a parfois un peu de peine aujourd'hui à prendre toute la mesure de ce qu'il a fallu d'audace, de courage et de souffle pour gagner ce pari. Garder à l'esprit ce goût du risque est vital pour accomplir les mêmes progrès dans le champ des arts plastiques.
Car c'est bien sur ce terrain que l'ambition décentralisatrice a encore beaucoup à défricher, à conquérir.
Il faut en effet attendre le milieu des années 1980 pour que les disciplines que recouvre ce champ soient pleinement concernées par le chantier de la décentralisation culturelle. En moins de vingt ans donc, cette impulsion a eu des retombées fructueuses.
L'ensemble du territoire national est, à ce jour, irrigué par plus de mille lieux où les arts plastiques ont droit de cité. Ces lieux portent la marque de la diversité des démarches qui ont conduit à leur éclosion, qu'il s'agisse des écoles d'art, des galeries et des artothèques mais aussi des résidences d'artistes et des ateliers, ou bien encore des F.R.A.C. et des centres d'art.
Tout cela n'aurait pas été possible si la volonté de l'Etat n'avait pas rencontré celles des collectivités locales. Les pays de la Loire en fournissent une illustration éclatante. Je pense par exemple à l'expérience en cours, de sensibilisation à l'art actuel, où artistes, élus et professionnels disposent d'un lieu de concertation permanente, à la D.R.A.C. ou au F.R.A.C.
Le territoire de votre région est désormais maillé de projets et de lieux dévolus aux arts plastiques.
Du centre culturel "Le Carré", où nous nous trouvons, qui a su positionner les arts plastiques aux côtés du spectacle vivant, à Faymocrau-les-Mines, petite commune rurale de Vendée engagée dans un vaste projet de commande publique, partout se lit la diversité, la prise de risques et la détermination.
Ainsi, Saint-Nazaire a créé un service municipal d'art contemporain, tandis que Fontenay-le Comte, cité historique vendéenne, construit un projet exemplaire fondé sur la relation entre patrimoine et création contemporaine.
A l'autre extrémité de la région, la communauté de communes du Bocage mayennais est à l'origine du Centre d'Art Sacré Contemporain de Pontmain, initiative soutenue par le Conseil Général de la Mayenne.
Le Conseil Général de Maine-et-Loire engage, quant à lui, par l'intermédiaire du Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement, un projet stimulant sur le thème "paysage, économie et art contemporain".
Les acteurs de ce projet prévoient d'associer des entreprises privées aux côtés des collectivités locales et de l'Etat. Je ne pouvais d'ailleurs pas espérer un lieu plus indiqué que celui qui nous accueille aujourd'hui pour évoquer ce foisonnement d'initiatives, de projets, de nouveaux sites.
Le Couvent des Ursulines est un exemple remarquable de mise à contribution d'un monument historique au service du développement culturel. Pour ma part, j'y vois même une illustration tangible des liens qui unissent patrimoine et création, mémoire et utopie créatrice.
Toutes les étapes de la construction de ce lieu en témoignent. A commencer par celle des partenariats institués pour son financement. De même, l'identité de ce lieu, c'est la soif de décloisonnement des disciplines artistiques, de croisement des démarches esthétiques qui la lui confère.
L'installation de l'école de musique et de danse en 1995, la construction d'un théâtre de 500 places par l'architecte Xavier Fabre, la mise à disposition de locaux pour la création théâtrale le démontrent. Toutes ces aventures, et bien d'autres encore, attestent de la belle réussite des Pays de la Loire.
Je prends toute la mesure de ces réalisations, compte tenu des engagements qui ont ainsi été tenus, du défi qui a de la sorte été relevé dans le domaine des arts plastiques.
Ces enjeux touchent en effet au plus intime de la relation de l'art et de la société, de la place des artistes dans la cité. C'est peut-être en effet sur ce registre de la création contemporaine, que se joue, plus vivement que sur tout autre, la rencontre des uvres et du plus grand nombre.
N'est-ce pas ce que révèle la belle leçon d'énergie et de courage politique donnée par ces élus locaux qui osent tourner le dos à l'impasse du plus petit dénominateur commun culturel ? En créant des lieux dévolus aux esthétiques les plus nouvelles des arts plastiques, ils délivrent un message: là où le risque du rejet et du malentendu est le plus fort, c'est aussi là où la rencontre et le partage sont les plus fertiles. Ils font de la sorte écho à ce vers d'Hölderlin : "là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve".
Cet espoir est partagé par tous les acteurs du développement culturel. D'ailleurs, que pèse le risque encouru au regard de ce qui est en jeu ? La passion mise pour organiser une véritable rencontre entre les uvres et leurs destinataires n'est jamais stérile. Car même si l'on peut ne pas s'accorder sur les mots, c'est bel et bien de l'utilité sociale de l'artiste, de l'urgence de l'art dont il s'agit.
Ce que dit Aristote de la philosophie ne vaut-il pas pour l'art ? On peut vivre sans art, mais sans lui on ne peut pas vivre une existence véritablement humaine.
Voilà ce qui fonde l'universalité du droit d'accès de tous à la création. Voilà aussi ce qui rend proprement insupportables les inégalités en la matière ; pas plus que les autres, mais pas moins que les autres. Permettre à tous de dialoguer avec les uvres du temps présent, de s'approprier celles du passé, c'est donner à tous la chance de faire l'épreuve d'une inquiétude et d'un trouble vital.
Les uvres interrogent notre ordre social, elles lui révèlent sa contingence, qu'elles tournent en liberté, en responsabilité. Cette tâche, elles l'accomplissent, chacune à sa manière, par définition toujours inédite et revêche à toute prescription. C'est pourquoi le désordre qu'elles entraînent est tout aussi bien un ordre, ou pour le dire mieux, les horizons d'un nouvel ordre qui reste entièrement à construire par ceux à qui elles s'adressent. C'est aussi pourquoi ces uvres nous font le bonheur de nous déranger, de nous irriter et de nous faire violence. Je n'aurai de cesse de le leur permettre.
Plus que toute autre forme de la création, dans le contexte historique actuel, les arts plastiques sont porteurs de ce besoin d'art auquel la société est confrontée. Paradoxalement, c'est parce qu'ils sont aussi ceux que les "idées courtes" somment le plus souvent de se justifier.
En infligeant un démenti à tout ce qui leur refuse le droit à l'existence, c'est toute la puissance civilisatrice de la présence des oeuvres que libèrent les arts plastiques.
Nul ne peut donc se résigner à la dépossession du plus grand nombre, de l'accès à ces formes d'expression artistique. Cela d'autant plus que les arts plastiques recèlent en leur propre sein les points d'appui de leur rencontre avec tous les publics. Les arts plastiques ne se distinguent-ils pas par leur goût actuel de l'ouverture ? L'ouverture à des espaces nouveaux, industriels, mais aussi ruraux, par exemple.
Le nomadisme des plasticiens eux-mêmes en constitue une illustration magistrale. L'aspiration à fouler de nouveaux territoires afin d'alimenter leur imaginaire, afin de susciter des bouleversements esthétiques le démontre. Ce dialogue avec de nouveaux interlocuteurs n'est évidemment pas à sens unique. Les publics conquis apprennent beaucoup d'eux-mêmes en le nouant.
Les arts plastiques agissent comme un révélateur, au sens photographique du terme. Tout se passe comme s'ils dévoilaient à leurs destinataires leurs propres territoires, la complexité de leur histoire, de leur identité. L'affirmation et l'approfondissement d'une culture régionale a précisément besoin de cette confrontation.
Sur ce point, permettez-moi de tenter de lever un malentendu.
L'assimilation des cultures régionales au repli morbide du régionalisme procède d'un contresens. Le régionalisme est par essence étranger à la culture. Il relève d'une conception fade de l'identité, qui rime avec fermeture et fixité. L'attachement aux cultures régionales prend le contre-pied de cette posture. Il sait que cette identité est en mouvement.
Il sait le prix de l'aventure, du passage par l'altérité pour forger cette identité. Voilà aussi pourquoi les arts plastiques sont exemplaires. Leurs nouvelles esthétiques sont porteuses d'une articulation entre l'Universel et le particulier où la clôture n'est pas de saison. "L'universel, c'est le local sans les murs". La formule est connue.
Ce sentiment de la présence de l'autre en soi, cette ouverture à l'altérité, les plasticiens la cultivent à l'intérieur même du champ de la création artistique. Le désir de décloisonnement, de transgression des frontières est, on le sait, une des innovations majeures de l'art contemporain.
Le dynamisme propre aux arts plastiques y est pour beaucoup. Cette forme d'expression va à la rencontre des autres disciplines ; du spectacle vivant par exemple, avec le décor et la scénographie. Il n'y a qu'à voir la place qu'occupent les arts plastiques dans ces nouveaux lieux qui redessinnent les contours d'un pays culturel différent. La pluridisciplinarité est la raison d'être de ces lieux que nous appelons, pour l'heure, " intermédiaires ". Là encore, on ne gagne rien à vouloir opposer la soif de "métissage" et l'aspiration de chaque discipline à conserver un espace propre. Pour jeter des passerelles et dialoguer avec les autres, chacune a besoin en effet de cultiver sa singularité. Ces deux désirs, loin de s'exclure, se nourrissent l'un de l'autre. Une discipline a besoin de s'ouvrir aux autres pour savoir ce qu'elle est, tout comme elle a besoin de son identité pour enrichir les autres.
L'enjeu des arts plastiques dans une politique de décentralisation est donc majeur. La responsabilité d'un état moderne est grande en la matière. Sachez que j'en mesure quotidiennement toute l'étendue.
Un état moderne c'est un état démocratique. Sur le registre de la politique culturelle, la décentralisation est tout à la fois la fin et le moyen de cette démocratisation. C'est l'esprit qui m'anime et mobilise l'ensemble du gouvernement.
Le fil rouge de ce nouveau souffle de la décentralisation, c'est de rapprocher les institutions des citoyens. Pour y parvenir, de nombreux chantiers sont à ouvrir. L'un d'entre eux, et non des moindres, est de contribuer au dynamisme culturel des collectivités locales.
Cela passe par la clarification et le partage des responsabilités de chacun. C'est aussi une invitation à tisser de nouvelles solidarités, de nouvelles coopérations entre les collectivités elles-mêmes. Ma volonté de créer des établissements publics à vocation culturelle et territoriale répond à cette attente. De même, le soutien à ces nouveaux lieux "alternatifs" qui émergent sur tout le territoire est au cur de mon action.
Du "Collectif 12" à Mantes-la-Jolie jusqu'à la "Friche" de la "Belle de Mai" à Marseille, en passant par le Laboratoire d'Aubervilliers ou Mains d'uvres à Saint-Ouen, chacun de ces lieux cultive une singularité irréductible. Mais tous ont en commun une aventure artistique et culturelle authentique.
Et chacun à sa manière revivifie l'interrogation brûlante de la place de l'art dans la société. Le plus neuf, n'est-ce pas d'ailleurs l'irruption des citoyens eux-mêmes dans ce débat ? Et il faut travailler inlassablement au renouvellement et à l'élargissement de ce débat.
Comment rendre universel l'accès du plus grand nombre aux pratiques artistiques les plus actuelles ? Comment garantir aux créateurs la liberté nécessaire à toute innovation ? Marx a écrit que l'humanité ne se pose que les questions qu'elle peut résoudre...
Celles-ci en font partie. Je souhaite avec vous que ces deux journées d'échanges, de confrontations, contribuent à mettre en cohérence ces questionnements, à dessiner les contours de réponses inédites. Sachez que je m'attacherai à faire fructifier les pistes que vous venez de défricher.
Je vous remercie vivement de cette contribution.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 9 mai 2001)