Interview de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'écologie, à Radio Classique le 4 octobre 2010, sur le climat politique et social lié à la réforme des retraites et la prise en compte des problèmes liés à l'écologie.

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Circonstance : Publication du livre de Mme Chantal Jouanno intitulé "Sans tabou - Pour que s'évanouisse la vague climato-sceptique", le 4 octobre 2010

Texte intégral

G. Durand.-  Nous allons parler de politique, C. Jouanno. En fait, en dehors du  livre dont on va parler, évidemment, qui s'appelle « Sans tabou -  Pour que s'évanouisse la vague climato-sceptique », c'est publié aux  Éditions de La Martinière, il y a deux grandes séries de questions  d'actualité ce matin : les retraites, que va-t-il se passer ? Et le  terrorisme, que se passe-t-il ? Commençons par cette affaire des  retraites. Est-ce que vous croyez à l'hypothèse de grève générale,  par exemple, ou d'une grève reconductible ? 
 
Je ne peux absolument pas me prononcer sur ce sujet puisque les  syndicats vont se prononcer cet après-midi. Sur le fond, on est sur  vraiment une réforme incontournable, parce qu'on a un système par  répartition, donc extrêmement indépendant de l'évolution  démographique. Après, le texte arrive au Sénat, il y a encore des  champs de discussion au Sénat qui sont ouverts. 
 
Les mères de trois enfants qui sont nées entre 1950 et... 
 
... G. Larcher, effectivement, s'est prononcé sur... 
 
... a dit ça dans Les Échos, ce matin. 
 
...dans Les Échos, sur ce sujet, ce matin. Surtout pour, en fait, les  classes d'âge qui ont commencé dans les années 45-50, puisque  effectivement elles n'ont pas tous leurs trimestres de cotisations. 
 
Et on voit qu'i y a une petite fenêtre de tir, mais est-ce que vous  croyez à la confrontation ? Est-ce que vous pensez que les syndicats  la cherchent ? Le Gouvernement dit : on touchera à rien sur  l'essentiel. 
 
Sur la question de l'âge de départ, non, parce qu'on ne peut. C'est juste  d'être certain qu'on laisse un système de retraite à nos enfants. Donc,  on ne peut pas toucher à ce sujet-là compte tenu de l'évolution  démographique. 
 
Vous avez entendu ce week-end la phrase de Mélenchon, pardon de  vous interrompre, il dit : « La politique est un gigantesque  cimetière où beaucoup de gens qui ont dit "on ne fera rien, on ne  bougera pas", finissent par bouger et disparaissent ». Il pensait  probablement aux grèves de 95, aux grèves de l'enseignement privé  sous la gauche. 
 
Si l'objectif c'est d'être hyper populaire et de vouloir absolument  s'accrocher au pouvoir, il ne faut pas faire ce genre de réforme. C'est  clair que ce n'est pas une réforme qui est spontanément populaire. Mais  quand on exerce des responsabilités, il y a le terme de  « responsabilités ». Donc, on évite de laisser derrière nous un champ de  ruines, et ça, ça en fait partie. 
 
Mais est-ce que vous considérez, par exemple, comme le dit J.-P.  Raffarin, qu'il manque peut-être à la majorité d'aujourd'hui une  fibre sociale, parce que - vous en parlez beaucoup dans votre livre -  plus importante, être plus à l'écoute ? Est-ce que cette droite est  trop à droite ? 
 
Il faut toujours être à l'écoute et dans le dialogue, et on le voit bien sur  cette questions des retraites, il y a eu beaucoup de dialogue, mais il ne  faut surtout jamais donner ce sentiment qu'on méprise ce qui se dit,  qu'on méprise la parole... la parole de la rue, tout simplement. Donc, je  ne dirai jamais que dans le Gouvernement il n'y a pas de fibre assez  sociale. J.-L. Borloo incarne complètement cette fibre sociale, comme  Fadela... 
 
...Alors, pourquoi Raffarin le déclare ? 
 
Parce qu'il garde le choix de ses propos. Il faut lui demander à lui. Je ne  vais pas juger ce que dit J.-F. Raffarin. Mais, il y a quand même, il y a  une vraie fibre sociale dans le Gouvernement. Maintenant, c'est sûr que  dans l'exercice du pouvoir c'est toujours un exercice très difficile, et on  est en démocratie. Donc, il faut toujours être dans l'ouverture, surtout  dans cette période de crise, de sortie de crise, qui est toujours une  période très dure. Il y a quand même un nombre conséquent de  personnes au chômage, un nombre conséquent de personnes dans la  difficulté. 
 
Dans le livre, vous dialoguez notamment avec C.-É. Vincent qui  dirige Emmaüs, etc. Vous réfléchissez à la pauvreté. C'est pour ça  que je faisais le parallèle entre le Gouvernement et aujourd'hui.  Donc, il y a une fibre sociale dans l'écologie que vous représentez. 
 
Ah oui ! 
 
Est-ce que cette fibre sociale, justement, s'accommode du  durcissement de cet été, du discours de Grenoble, de l'affaire des  Roms ? Est-ce que tout ça n'est pas contradictoire ? 
 
L'écologie ne peut être que sociale, à défaut de quoi on fait une  écologie de luxe qui ne sert à rien sur le fond. Donc, ça ne peut être que  social. Le lien avec l'actualité que vous tirez au maximum, le lien avec  l'actualité... 
 
... J'essaie de voir les paradoxes qui peuvent exister. 
 
Il y a eu des dérapages. Le discours de Grenoble est un discours  d'équilibre, comme l'a toujours fait le Président, entre tous les  (inaudible.). Mais il y a eu des dérapages ensuite, qui sont  effectivement regrettables. 
 
Lesquels ? 
 
Ah ben, je ne vais pas citer de... 
 
Des dérapages, il faut s'expliquer, on est là pour ça. 
 
Il y a eu ensuite des surenchères autour de ce qui avait été dit à  Grenoble, autour de cette politique, et ça a créé, effectivement, cette  ambiance que nous connaissons. 
 
Des surenchères gouvernementales ? 
 
De tous bords. 
 
C'est-à-dire ? 
 
De tous bords, enfin pas seulement... on ne va pas dire  gouvernementales, mais on a vu des voix s'exprimer à droite, et à  gauche aussi d'ailleurs, assez...
 
 ... vous pensez à qui ? A des députés du sud de la France ? 
 
Non, non, je n'ai pas à donner de nom parce que... 
 
...oui, mais enfin, ça vous touche, parce que... 
 
Non mais, ça nous touche peut-être, mais cette politique... 
 
... non, je dis « ça vous touche », vous. 
 
Oui, ça me touche, moi. Mais cette politique où on cite toujours des  noms, ça ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse c'est qu'on parle du  fond des réformes et des projets. 
 
Je dis ça parce que vous représentez quand même, C. Jouanno, une  partie justement de la droite d'aujourd'hui qui peut être, plus que  d'autres, sensible à des thèmes qui ne sont pas forcément des  thèmes gagnés d'avance dans la droite d'aujourd'hui. Vous le  savez ! 
 
Ah, ça, on le sait, oui, oui, bien sûr ! Bien sûr ! 
 
Vous l'exprimez dans le livre, « J'ai failli partir », vous expliquez. 
 
La droite d'aujourd'hui est extrêmement hétéroclite. C'est le principe  du mouvement de l'UMP, c'est extrêmement large, extrêmement  hétéroclite. Donc, on parle moins de certains sujets aujourd'hui, comme  on parle moins de l'écologie aujourd'hui, il n'empêche que le sujet est  toujours présent. 
 
Justement, dans le livre, qui s'appelle « Sans tabou », vous dites : « J'ai un moment... j'ai faillir partir, j'ai douté de ma capacité de  convaincre », tout ça vient après l'affaire de la taxe carbone, au  lendemain de Copenhague, la vague considérable de climatosceptiques.  C'est vrai que c'est troublant quand on a la  responsabilité au Gouvernement et puis depuis des années de la  responsabilité de la réflexion sur l'écologie, dans l'entourage du  président de la République, c'est quand même troublant de se  heurter à cette vague qui, en fait, est un renoncement pour certains. 
 
Assez mûr, oui, alors bon en plus c'était quand même un contexte  particulier parce que j'ai eu la chance d'avoir une formation très  accélérée, donc j'ai subi pas mal de choses à la suite de la campagne  des régionales. Oui, c'est toujours troublant. I y a des flux et des reflux.  Sur le fond, les choses ont quand même beaucoup avancé depuis 2007.  Moi, je ne doute absolument pas du président de la République.  Maintenant, parfois on s'imagine que ça y est, tout le monde adhère,  que la cause est tout à fait entendue. Bon ben, la crise a pas mal aussi  entraîné ces difficultés, on peut le comprendre. On peut le comprendre.  Le problème de l'écologie c'est que souvent ceux qui s'en revendiquent  sont vraiment des donneurs de leçons et ont une vision extrêmement  agressive de l'écologie où grosso modo les autres n'ont rien compris.  Ce n'est pas du tout comme ça qu'il faut voir les choses, c'est plutôt on  doit s'interroger sur pourquoi nous on ne sait pas faire passer le  message. 
 
Mais à un moment, vous expliquez que l'un des problèmes  centraux... alors ce dialogue, je le répète, je vais donner les gens,  redonner le nom des gens avec qui vous dialoguez : C.-É. Vincent,  donc qui s'occupe d'Emmaüs ; R. Descoings qui dirige Sciences  Po ; J.-P. Fitoussi qui est économiste ; J. Goodall qui s'occupe  évidemment des grands animaux. Donc, c'est un dialogue tous  azimuts, la science, la culture. Mais en même temps, vous  reconnaissez que le problème n° 1 aujourd'hui c'est que les gens, et  vous parlez même un peu de vous, les journaux de mode, les  choses... les gens sont accrocs à une consommation qui n'a plus  aucun rapport avec les besoins. Et vous dites que c'est ça la bataille  n° 1. 
 
La bataille n° 1 c'est d'arriver effectivement à remettre l'être, c'est-à-dire  ce que nous sommes, ce que nous croyons, notre culture, devant  l'avoir. C'est-à-dire qu'on n'est pas heureux parce qu'on possède  énormément. On est heureux parce qu'on est, on est heureux par nos  proches. Et au fond de l'écologie, la bataille elle est là parce que les  excès de la société de consommation (sont) l'essentiel des fondements  des difficultés écologiques auxquels nous sommes... 
 
... oui, mais on y est drogués, et une grande partie des pays  émergents, regardez le Brésil dont on parle ce matin, ils n'ont  qu'une seule envie, tout ce qu'on raconte sur Lula depuis des  semaines, c'est : il a amené justement une grande partie des  Brésiliens à la consommation alors qu'ils n'y étaient pas. 
 
Oui, alors ne confondons pas notre situation des pays développés où  parfois c'est plutôt l'excès de consommation qui nous menace et la  situation de pays très démunis où le problème est juste d'apporter le  minimum de base de survie à l'ensemble de la population. Mais la  grande capacité de l'homme c'est justement de pouvoir changer et il faut  bien se dire que ce modèle de surconsommation est un modèle  extrêmement récent dans l'histoire de l'humanité. C'est extrêmement  récent. C'est très court, c'est complètement lié à la naissance du PIB, à  un modèle économique qui est grosso modo le fordisme, et donc on peut  tout à fait changer. De toute façon, il faudra changer et on ne changera  pas pour un retour, on ne changera pas pour un modèle de déconsommation,  ce n'est pas du tout ça le sujet. 
 
Mais c'est une réflexion que vous menez donc avec ces 1, 2, 3, 4, 5  personnes, aux Éditions de La Martinière. 
 
Oui.
 
Pour voir, justement, l'ensemble des questions qui touchent à  l'écologie aujourd'hui. 
 
Oui, et puis sortir des symboles de l'écologie. L'écologie ça ne résume  pas à un problème d'éolienne ou d'OGM. Ca va beaucoup plus loin. 
 
Et puis, vous luttez contre cette vague ou cette vogue de climatosceptique.  Je voudrais qu'on écoute les principales déclarations  politiques de la matinée. Vous choisissez celles qui vous intéressent  pour les commenter. Canal+, C. Bartolone, 7 h 44 ; vous savez qu'il  a été l'un des personnages qui a dit il y a maintenant plusieurs  semaines qu'il y avait peut-être un accord entre D. Strauss-Kahn et  M. Aubry. Voici ce qu'il déclare ce matin. Il souhaiterait que pour  les socialistes il n'y ait pas trop de candidats aux primaires. (Extrait  interview C. Bartolone - Canal+). Voilà. RTL, 7 h 54, D. Bussereau,  qui est avec vous au Gouvernement, et qui lui s'occupe des  transports. Et il ne mâche ses mots, il explique entre les explications  fournies sur le permis à points, qu'il quittera le Gouvernement au  prochain remaniement. (Extrait interview D. Bussereau - RTL).  Voilà, on va aller jusqu'au bout de la liste, mais j'ai entendu un  sourire, car ça s'entend à la radio. C. Duflot, France 2, il était 7 h  56, C. Jouanno. Alors, Borloo Premier ministre, qu'en pense-t-elle ?  Vous avez probablement une opinion sur ce sujet. La réponse de C.  Duflot. (Extrait interview C. Duflot - France 2). Et France Inter,  donc grâce à R. Blanc, L. Fabius, 8 h 28. Alors, là, il revient sur un  thème qu'on a déjà abordé, sur les retraites, dit-il, le Gouvernement  doit reculer. (Extrait interview L. Fabius - France Inter). Voilà !  Borloo Premier ministre, ça vous paraît une bonne chose ? 
 
Je n'ai pas du tout à choisir qui... Alors, ça, bon, mais tous les ministres  qui seront passés là vous diront la même chose s'ils ne sont pas fous,  donc c'est le choix du président de la République... 
 
... mais votre sentiment, est-ce que c'est une bonne chose pour les  Français ? 
 
Est-ce que c'est une bonne chose pour les Français ? Mais il y a des tas  de très bons candidats, chacun incarne quelque chose de différent.  Donc, vraiment, chacun incarne quelque chose. Moi, j'ai une préférence  qui est, entre guillemets, féminine, voilà, mais J.-L. Borloo est  quelqu'un qui incarne justement... 
 
...M. Alliot-Marie ou C. Lagarde ? 
 
... je termine sur Jean-Louis, qui incarne justement et cette fibre sociale  et cette fibre écologique. J'ai entendu les critiques de C. Duflot.  Honnêtement, tout ça ce n'est que de la politique, quoi. Elle incarne  justement cette écologie extrêmement donneuse de leçons. 
 
...mais enfin, vous êtes prudente. Les dérapages, vous ne voulez pas  donner les noms ; quel Premier ministre vous souhaiteriez, vous ne  voulez pas donner les noms, vous donnez des pistes. Tout ça, quand  même, participe d'un climat, tout le monde... Bussereau dit : « ben  moi, je m'en vais ». 
 
Ah mais, moi, j'ai toujours... non, non, mais je vous dis que tous, là, ils  sont très bien. Il n'y a que le Président qui peut décider. 
 
Ils sont tous très bien ! 
 
Et ils ont chacun vraiment leurs qualités pour faire le job. Et Jean-Louis  aussi. Et moi j'aime bien C. Lagarde. 
 
Voilà, c'est dit ! C. Lagarde. En tout cas, vous avez raison de faire  du karaté pour vous défouler dans le contexte politique  d'aujourd'hui. 
 
Absolument ! 
 
Merci beaucoup C. Jouanno. Le livre est une vraie réflexion sur  l'écologie aujourd'hui, avec cinq personnes et vous, C. Jouanno, et  il s'appelle « Sans tabou », il est publié aux Éditions de La  Martinière. 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 octobre 2010