Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur le tournant de l'économie numérique, notamment la numérisation de l'offre et des contenus culturels, Paris le 22 septembre 2010.

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Circonstance : Conférence de presse sur les investisements d'avenir à Paris le 22 septembre 2010

Texte intégral


Le tournant numérique est devant nos yeux : le Ministère de la Culture et de la Communication est pleinement engagé dans cette nouvelle ère, j'ai fait de la numérisation de l'offre et des contenus culturels l'une de mes priorité. Je suis convaincu qu'il s'agit d'une chance formidable pour nos créateurs et pour l'économie de la culture. Je suis persuadé que, dans la mondialisation, la culture française, dans toute sa richesse et sa diversité, sera numérique ou ne sera pas.
Il implique aussi une exigence soutenue et une vigilance accrue en terme d'éthique et de respect de l'oeuvre. Face aux nouveaux modes de consommation, face aux nouveaux médias, le rôle des pouvoirs publics consiste à rester en alerte : c'est le sens de la loi Hadopi, dans sa dimension dissuasive et pédagogique. Afin de développer l'offre légale, il ne s'agit pas de « surveiller et punir », mais bien de contrôler et garantir.
Le 14 décembre 2009, le Président de la République a annoncé les modalités de l'Emprunt national, d'un montant de 35 milliards d'euros. Cet emprunt a pour objectif d'investir dans les cinq priorités d'avenir que représentent l'enseignement supérieur et la formation, la recherche, le développement des industries et PME, le développement durable et le numérique.
Cependant, nous ne devons pas confondre l'ambition numérique et l'illusion technologique, les moyens et les fins, les tuyaux et la création. La révolution numérique ne sera réussie que si elle s'accompagne de services, d'usages et de contenus riches et stimulants. Il s'agit bien de projeter nos créateurs et nos industries culturelles vers l'horizon mondial, vers l'économie d'aujourd'hui mais aussi vers les marchés de demain.
La logique de co-investissement et le développement de partenariats public-privé sont au coeur de cette démarche car il s'agit de créer une véritable filière numérique culturelle.
Le développement de l'économie numérique est en effet au coeur des « investissements d'avenir »
Les « investissements d'avenir » ont pour objet de renforcer et de stimuler le potentiel de croissance de notre pays. Une politique volontariste d'investissement entend développer quelques axes stratégiques afin de renforcer l'attractivité de notre pays et de favoriser la création de nouveaux gisements d'emploi.
Le Fonds national pour la société numérique, fonds spécial placé auprès de la Caisse des dépôts et consignations, mettra en oeuvre les moyens financiers correspondants. Il a été mis en place le 8 septembre dernier et il consacrera 2,5 milliards d'euros aux nouveaux usages de l'économie numérique, dont 750 Meuros d'euros seront destinés au financement de la numérisation des contenus culturels, scientifiques et éducatifs. Il apportera son soutien aux projets bénéficiant d'un retour sur investissement pour l'Etat et ayant le plus fort impact en termes de création d'activité économique, d'emplois, d'aménagement du territoire.
Les contenus culturels sont au coeur de cette ambition politique. Dans ce domaine, le passage au numérique a longtemps été « subi » ; l'ambition des investissements d'avenir consiste précisément à anticiper, à prendre les devants.
Au-delà du développement de l'offre légale, il s'agit de servir la création et l'offre culturelle, à travers la mise en place d'une véritable filière numérique culturelle. Il s'agit également de suivre les préconisations du rapport de la mission Création et Internet, en cessant de considérer le réseau mondial comme un épouvantail ou un péril à conjurer, mais comme une chance à saisir pour nos artistes et nos créateurs.
La consultation publique sur les usages du numérique a été lancée le 7 juin 2010 par le secrétariat d'État chargé de la Prospective et du Développement de l'économie numérique et le Commissariat général aux investissements, en concertation avec le ministère de la Culture et de la Communication. Elle a mis en évidence une réponse favorable de la part des acteurs du numérique, qu'il s'agisse de grands groupes, PME, TPE, d'associations, d'acteurs publics ou de particuliers. Elle a mis à jour des projets innovants mais aussi des initiatives récentes, qui viennent répondre à des besoins et des usages nouveaux. Le ministère de la Culture et de la Communication doit être à même d'accompagner voire d'anticiper ces nouvelles pratiques et ces nouveaux usages.
La numérisation des contenus culturels, éducatifs et scientifiques est en effet un potentiel identifié dès l'origine. Il a été confirmé par les résultats de la consultation publique.
Au sein du volet « usages, services et contenus », plusieurs champs thématiques ont été identifiés dès l'origine : parmi eux, celui de la « numérisation des contenus culturels, éducatifs et scientifiques », doté de 750 Meuros.
A travers ce soutien, l' Etat entendu poursuivre plusieurs objectifs :
D'abord, le développement d'une offre légale dans le domaine du numérique
Ensuite, l'accent mis sur la Recherche-développement (R&D) et les services innovants
Enfin, la promotion de nouveaux modes de valorisation du patrimoine culturel et artistique ainsi que des contenus éditoriaux
La diversité des 141 contributions apportées à la consultation témoigne de l'intérêt suscité et de la mobilisation des professionnels et des acteurs économiques. Ces contributions concernent tous les types de contenus culturels : l'écrit - presse et imprimé -, la musique, le cinéma, l'audiovisuel, la photographie, mais aussi la création et le jeu vidéo.
Quatre grands chantiers ont déjà fait l'objet d'échanges approfondis durant le premier semestre entre mon Ministère, le Secrétariat d'Etat à l'économie numérique et le Commissariat. Je souhaiterais les évoquer devant vous brièvement, dans la mesure où ils s'inscrivent dans les ambitions qui sont les miennes rue de Valois. Du fait de leur exemplarité au regard des critères définis par le Commissariat général, ils ont dorénavant toutes les chances de passer les prochaines étapes de la procédure.
Tout d'abord, le développement de l'offre légale peut être illustré dans le domaine du cinéma et du livre.
La création d'une plateforme de 3000 titres en format VOD, en lien avec des partenaires privés mutualisant leurs catalogues, s'inscrit dans cet objectif. Devraient ainsi être numérisés les longs métrages postérieurs à 1929, les films de Jean Cocteau, Julien Duvivier, René Clair ou Alain Resnais et, je l'espère aussi, le merveilleux continent du cinéma muet. Restaurer et numériser sur de nouveaux supports, c'est bien entendu servir la mémoire du cinéma et sa transmission. C'est aussi faciliter l'accès à ce patrimoine à un large public, notamment les scolaires et les jeunes générations. C'est enfin préserver et développer un emploi à forte compétence dans les filière techniques et les laboratoires. 20 ans après le dernier grand programme public, le plan Nitrate, c'est adresser à l'Union Européenne et au monde un message fort de positionnement.
Dans le domaine de l'écrit, au regard de la stratégie de numérisation lancée par Google, l'objectif est de faire une proposition nationale, légale, concertée. Ce projet unique en Europe consiste à numériser les livres indisponibles du XXe siècle sous droits, à partir d'un consortium associant partenaires publics - je pense bien entendu à la BNF - auteurs et éditeurs. Dès que ce consortium sera opérationnel, un corpus expérimental de 100 000 livres permettra de valider le modèle économique choisi. A terme, ce sont près de 400 000 livres qui seront numérisés et auxquels nous donnerons ainsi une nouvelle vie. Il s'agit, on l'aura compris, de compléter les programmes de numérisation de la Bibliothèque nationale de France (BNF) engagés depuis 2007, qui concernent 100 000 livres par an. Ces programmes concernent les oeuvres tombées dans le domaine public antérieures au XXe siècle. Or la demande de lecture des internautes concerne également les oeuvres du XXe siècle et les productions récentes. A ce titre, il n'est pas sans intérêt de noter qu'à l'occasion de la rentrée littéraire, de nombreux éditeurs ont proposé parallèlement au format papier des formats numériques. Avec environ 70 000 livres numérique sur les 600 000 livres en version papier, l'offre française est encore embryonnaire, mais elle est appelée à se développer : elle est à même de créer une filière économique et une expertise française. Dans ce domaine, je fais partie des convaincus : le livre numérique est aujourd'hui une « nouvelle frontière » de l'édition et il sera certainement demain un horizon partagé.
Je souhaite également mentionner l'impact des investissements d'avenir dans le domaine de la recherche-développement (R&D) et des services innovants.
L'avenir de la lecture est au coeur des politiques publiques conduites par mon ministère. On dit souvent aujourd'hui que l'heure est à la réalité augmentée ; nous vivons aujourd'hui un saut qualitatif du multimédia et il faut aider le livre à profiter pleinement de ce potentiel. C'est le livre « augmenté », où le texte est complété par des contenus multimédia (couleur, vidéo, son) qui viennent illustrer, renforcer ou accompagner la lecture. C'est une voie nouvelle : elle ne supplée pas bien entendu la lecture traditionnelle, mais elle la complète, elle l'accompagne. Les applications concernent des domaines et des publics très divers : les livres pour la jeunesse, les livres pratiques et professionnels, les livres d'histoire, les livres d'art.
Le lien avec internet et l'interactivité qui en découle rend ce nouveau type de produit culturel accessible sur des terminaux de plus en plus nombreux : smartphones et tablettes. En d'autres termes il rend accessible la culture à chacun et en tout lieu.
À l'occasion de l'exposition « Claude Monet, 1840-1926 » aux Galeries nationales du Grand Palais, la Réunion des musées nationaux et sa filiale, les éditions Artlys, ont lancé Les Chefs-d'oeuvre de Monet, le premier livre culturel « augmenté », en collaboration avec i-Gutenberg, petite société spécialisée dans la conception et la réalisation de livres numériques « augmentés », et Apple. Commentaires inédits de Madame Sylvie Patin, Conservateur général du Musée d'Orsay et commissaire de l'exposition « Claude Monet, 1860-1926 », ressources documentaires, accompagnement musical d'Erik Satie : autant de ressources pour le visiteur, le lecteur ou l'enseignant.
Les investissements d'avenir permettront que ce type d'objet se développe, se perfectionne, se démocratise.
Il s'agit de développer une filière numérique, c'est aussi assurer la promotion de nouveau modes de valorisation des contenus, c'est aussi enrichir les ressources qui existent.
Je voudrais évoquer un projet dans le domaine de l'audiovisuel. Ce dernier envisage la création d'une plateforme répertoriant l'offre gratuite et payante - télévision de rattrapage, vidéos à la demande - pour l'ensemble des contenus audiovisuels et cinématographiques. Jusqu'à aujourd'hui, cette offre est inégalement accessible et très dispersée. Autour de l'INA, qui est en mesure d'apporter la richesse de ses bases de données et son expertise en matière d'indexation, mais aussi autour d'acteurs historiques des médias et de la communication, il s'agit donc de structurer cette offre audiovisuelle légale. C'est une logique de bénéfices partagés qui doit présider à un tel projet : pour les éditeurs de contenus, ce portail offre une source supplémentaire d'audience et de revenus ; pour les ayants droit, c'est une garantie de redistribution du fait du caractère national de l'offre ; pour l'INA enfin, déjà si bien positionnée sur le terrain de la numérisation et de l'édition, c'est aussi le moyen d'affirmer son rôle et sa place dans la distribution des contenus audiovisuels. Ce portail ne sera pas un concurrent pour les offres existantes : il sera un levier et un incitateur au profit de l'offre légale. Il sera un outil parmi d'autres permettant de « civiliser » en somme le réseau internet et de valoriser les contenus de qualité. C'est toute l'ambition du ministère de la Culture et de la Communication, au service du droit à l'information à l'ère numérique.
La création d'un kiosque numérique de la presse assurant la commercialisation de contenus provenant de plusieurs éditeurs de presse s'inscrit dans cette ambition pour la démocratie numérique et le débat citoyen.
Depuis une dizaine d'années, en effet, les éditeurs de presse ont tous développé des sites web ; ils ont aussi offert des formules « Premium » avec des services complémentaires. Afin de préserver ce niveau d'exigence, d'enrichir et de valoriser leur offre éditoriale, plusieurs quotidiens nationaux se sont réunis autour d'un groupement d'Intérêt économique. Le GIE « E-presse Premium » entend rassembler tous les éditeurs de presse, quotidiens mais aussi newsmagazines. A partir de 2011, le projet de kiosque numérique entend élargir les communautés de lecteurs, ouvrir leurs horizons d'attente et leurs exigences. Cette communauté d'intérêt représente plus de 40 sites web sont concernés, soit 32 milliards de pages visitées par an.
Ce projet est donc un outil précieux destiné à sauvegarder l'information de qualité et la spécificité du métier de journaliste. L'information de qualité a un prix, elle a un coût aussi : le tout gratuit ne saurait répondre aux défis de l'avenir pour le secteur de la presse, aujourd'hui confronté à des choix fondamentaux. L'accès payant n'est pas antithétique de la démocratie numérique. Bien au contraire, investir dans la qualité, garantir la spécificité de l'écriture journalistique - ainsi que l'a réaffirmé la loi Création et Internet en réglant la question des droits d'auteur pour les rédactions bi-médias - c'est préserver fondamentalement une offre indépendante, pluraliste. C'est aussi participer au développement du sens critique des lecteurs et à l'horizon d'attente du citoyen.
J'ai signalé ces exemples car ce sont les projets les plus avancés, mais l'objectif du Gouvernement consiste à amorcer un processus, à créer une dynamique. Toutes les initiatives et tous les projets d'entreprise sont et seront les bienvenus. Il reste des pans entiers de notre patrimoine à numériser, dans le domaine de la photographie, de la musique. N'oublions jamais que « le futur appartient à celui qui a la plus longue mémoire ».
L'avenir appartient aux pays qui savent anticiper : c'est l'enjeu des investissements d'avenir lancés dans le contexte de difficultés économiques que nous connaissons aujourd'hui. Le bon gouvernement consiste à être gestionnaire, mais aussi à être visionnaire. La mission qui est la mienne au Ministère de la Culture et de la Communication consiste à conserver et valoriser notre patrimoine, notre création artistique, nos médias mais aussi à donner vie et réalité à ce que seront les biens, les industries culturelles, les médias dans 20 ans, dans 30 ans. Elle consiste à créer de nouvelles filières économiques et de nouveaux terrains pour l'emploi culturel. Elle consiste, enfin, à travers le recours aux « investisseurs avisés », à être un levain dans la pâte, un incubateur d'idées et de projets.
Défendre et préserver ce qui est aujourd'hui suppose aussi d'inventer de ce qui sera demain. Investir dans les nouvelles technologies, c'est encore préserver des filières, des savoir-faire, c'est aussi apporter des garanties à la notion d'oeuvre, qui est centrale.
L'espace du numérique n'est pas un « non lieu », il n'est pas non plus une fiction, il n'est pas une utopie : s'il représente l'avenir de la production culturelle et de la création, il n'est ni une idole, ni un fétiche. Tout l'enjeu consiste à faire en sorte que les promesses de l'économie numérique, que les potentialités des nouvelles technologies et d'internet soient un facteur de développement économique, culturel et humain, qu'elles soient un facteur d'intégration et non un outil de ségrégation. Je suis certain que les orientations définies dans le cadre des consultations pour les Investissements d'avenir y contribueront très fortement. J'espère donc pouvoir vous retrouver dans quelques mois afin de vous présenter d'autres projets ambitieux et d'autres modèles innovants.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 27 septembre 2010