Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec le quotidien suisse "Le Matin dimanche" le 24 octobre 2010 à Montreux, sur le sommet de la Francophonie.

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Circonstance : XIIIe Sommet de la Francophonie à Montreux (Suisse) du 22 au 24 octobre 2010.

Texte intégral

Q - Quel est votre mot préféré de la langue française ?
R - «Amour», Madame. Évidemment !
Q - Qu'est-ce que la France, qui fait par ailleurs partie du G8, peut tirer d'un sommet comme celui de la Francophonie ?
R - La Francophonie sans la France, vous n'y pensez pas !
Q - Mais je veux dire au niveau diplomatique ?
R - Il n'y a pas de niveau diplomatique avant un contenu humain. Or la langue, c'est-à-dire la façon dont nous parlons, nous réfléchissons, et même nous rêvons, c'est primordial. Un sommet comme celui-là est l'une des manières les plus fortes de revendiquer ce vecteur qu'est la langue.
Q - N'est-ce pas un club trop fermé ?
R - Non, la Francophonie s'ouvre de plus en plus. Sur la géopolitique, mais aussi sur Internet - nous sommes la troisième langue sur la Toile, je vous rappelle. Et en même temps, ce serait une erreur de vouloir imposer le français contre l'anglais. Le français doit s'ouvrir à l'anglais pour mieux avancer dans la communication et faire passer des valeurs très importantes comme l'égalité homme-femme, les droits de l'Homme ou une certaine idée de la démocratie. C'est aussi la meilleure manière pour que les gens ne parlent pas qu'anglais. Je suis contre la guerre des langues.
Q - Qui rencontrez-vous à Montreux ?
R - J'ai notamment une entrevue avec Micheline Calmy-Rey. Nous nous connaissons très bien. Cela fait longtemps que nous travaillons ensemble. Je trouve que c'est quelqu'un de très efficace, très obstinée et très talentueuse.
Q - Et les dirigeants algériens ? Vous aviez appelé récemment à un renouvellement du pouvoir en Algérie...
R - Non pas du tout, je n'ai pas appelé à un renouvellement de génération. Je parlais du souvenir et de la génération de la guerre d'Algérie : la mienne. J'ai dit : d'autres générations viendront qui n'auront pas les mêmes cruels souvenirs. Je rencontre souvent les autorités algériennes. Encore à New York, fin septembre, puis à Paris. Et si elles sont à Montreux, je les rencontrerai. On n'est pas fâchés, loin de là, nous sommes amis.
Q La France et le Canada ont appelé à renouveler le mandat d'Abdou Diouf comme secrétaire général de l'OIF. Pourquoi ?
R - Voilà un homme qui représente merveilleusement la Francophonie: un militant, un Africain, une figure respectée, un démocrate, et - bon, je laisse voter les gens comme ils veulent bien entendu - mais c'est un homme qui est tellement imprégné de la culture française et de la culture sénégalaise qu'il est le meilleur symbole que l'on puisse trouver de la Francophonie.
Q - La presse française a affirmé que vous aviez remis votre lettre de démission à Nicolas Sarkozy à la fin du Conseil des ministres le 25 août. L'Elysée a démenti au début du mois. Aux Suisses, vous pouvez le dire: avez-vous l'intention de démissionner ?
R - Bonjour les Suisses, je n'ai rien à vous dire là-dessus !
Q - Mais vous étiez en désaccord sur la politique du gouvernement sur le renvoi des Roms. On vous sent gêné, un humanitaire comme vous. Qu'avez-vous fait concrètement pour tenter d'éviter la fermeture des camps ?
R - J'ai vu les choses de beaucoup plus près que les autres parce que je travaille avec les Roms depuis plus de 25 ans. J'ai même été responsable de cette question dans le gouvernement de Michel Rocard. Donc j'ai fait tout ce que j'ai pu pour que ces populations, et cela n'est pas facile, soient dans leur pays d'origine capables d'être scolarisées, d'avoir accès au service de santé, parce que nous, en France, nous avons tout cela. Mais c'est un combat de longue haleine.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 octobre 2010