Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur la création cinématographique, le numérique et l'offre légale de films, Dijon le 22 octobre 2010.

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Circonstance : Rencontres cinématographiques de Dijon (ARP) le 22 octobre 2010

Texte intégral


Messieurs le Vice-Président de la Société civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs (l'ARP), cher Pierre Jolivet,
Mesdames, Messieurs, Chers amis,
Dialoguer avec les auteurs et les créateurs, c'est une exigence pour le Ministre en charge de la création et des professions artistiques, c'est même une mission première. J'ai eu beaucoup de plaisir à être à vos côtés l'an dernier et j'ai pu notamment y exposer les fondements d'un « pacte pour la création cinématographique à l'ère numérique ». Je l'ai conçu comme la condition du développement de notre cinéma dans un contexte de mutations technologiques rapides.
Aujourd'hui, avec le concours actif de l'ARP et de ses membres - et je vous en remercie chaleureusement - une part importante des éléments constitutifs de ce pacte a été mise en oeuvre : au delà de la mise en place effective de l'HADOPI, la numérisation des salles de cinéma, et celle des catalogues de films sont lancées avec les financements nécessaires pour l'accomplissement de ces projets. Je ne doute pas qu'ils assureront la relance et la pérennité de l'offre légale de films.
Car la numérisation de l'ensemble des moyens de diffusion constitue bien un bouleversement sans précédent auquel est confronté l'ensemble de notre industrie cinématographique et audiovisuelle. Je peux vous l'assurer : c'est un chantier qui nous mobilise en priorité.
Dans le cadre du Grand emprunt , l'investissement voulu par le gouvernement au bénéfice de la numérisation des contenus culturels est une première réponse à ce défi, dont le cinéma doit absolument tirer profit. La richesse unique de notre production cinématographique est une chance pour affirmer notre présence sur les nouveaux réseaux de diffusion, mais aussi pour garantir une offre légale artistique et culturelle de qualité et contribuer au rayonnement culturel de notre pays.
Les principaux détenteurs de catalogues qui restent les moteurs de l'initiative sont maintenant mobilisés et engagés pour parvenir à trouver une impulsion financière à travers les investissements d'avenir, afin de numériser plus 3000 oeuvres cinématographiques de longs métrage de patrimoine d'avant 1989. Un panel ouvert des principaux détenteurs de catalogue travaille autour de la SACD, en dialogue avec le CNC, afin de construire d'ici la fin de l'année une proposition éligible dans le cadre des investissements d'avenir. Elle prévoit également la création d'une plateforme commune de vidéo à la demande afin d'apporter une offre commerciale rapide et efficace sur ces nouveaux marchés.
Ce temps est celui de l'élaboration des projets soumis à l'instruction et aux règles financières des investissements d'avenir. Il se prolongera durant l'année 2011, après les lancements des appels à projets et la manifestation d'intérêt prévus d'ici la fin de l'année.
Mais cette initiative ne permettra pas de répondre à l'ensemble des besoins de la numérisation des oeuvres.
20 ans après le plan Nitrate, le plan de numérisation des oeuvres que je souhaite mettre en oeuvre doit être une chance pour la sauvegarde et la valorisation de l'ensemble de notre patrimoine, mais aussi pour les oeuvres plus récentes. Une réponse à l'ensemble des détenteurs de catalogues doit donc être trouvée, en complément de celle consentie par le grand emprunt. Il s'agit d'aider à la numérisation des titres reconnus pour leur valeur artistique et culturelle, y compris les oeuvres de courts métrage ou encore celles incontournables du cinéma muet.
Je suis convaincu qu'il nous faut faire ce pari de la numérisation de ces oeuvres de grande qualité, souvent méconnues, mais toujours reconnues. Grâce aux nouveaux modes de consommation, grâce à la puissance des nouveaux réseaux, je suis certain qu'elles pourront rencontrer un nouveau public et s'inventer une « nouvelle vie ».
C'est la raison pour laquelle je souhaite que le CNC dans les prochaines semaines travaille avec l'ensemble des professionnels afin que, dès 2011, s'engage un soutien financier pluriannuel dans ce sens, complémentaire de celui du Grand Emprunt.
Pour les salles, j'ai annoncé un plan de 125 millions d'Euros destiné à la numérisation des cinémas qui n'auraient pas les moyens financiers de passer au numérique. C'est un complément de la loi instaurant désormais la contribution financière des distributeurs à l'équipement des salles. Il permettra de maintenir la diversité de l'exploitation en France, qui est une singularité précieuse dans un paysage européen beaucoup plus contrasté. C'est une initiative pour le moment sans précédent dans le monde. Elle marque à nouveau l'attachement de la France à son cinéma.
Cet effort est possible dans la mesure où les recettes du compte de soutien et leur croissance sont sécurisées, dans un contexte économique pourtant contraint. Il assure la poursuite d'un soutien efficace et substantiel de l'Etat au cinéma et à ceux qui le font.
En septembre 2010, le Président de la République a pris un certain nombre d'orientations mises en oeuvre dans le projet de loi de finances initial pour 2011 prévoit ainsi :
- à coté la TVA à taux plein pour les services de télévision vendus dans des offres composites (« triple et quadruple play ») ;
- le maintien de la TVA à taux réduit pour la télévision payante, maintien que j'ai défendu au nom du rôle pivot joué par le groupe Canal Plus dans le cinéma ;
- une sanctuarisation des recettes du CNC qui financent la création cinématographique et audiovisuelle.
Quel que soit le régime de TVA qui leur est applicable, il est légitime que les fournisseurs d'accès à Internet contribuent au fonds de soutien du CNC, dès lors qu'ils distribuent des services de télévision, qui font toute l'attractivité de leurs offres.
Il est nécessaire, afin de strictement maintenir le niveau de leur contribution de repenser le mode d'emploi de cette taxe, du fait de la modification du régime de la TVA.
En effet, dans le chiffre d'affaires du « triple play », c'était la part soumise à TVA réduite - soit 50% jusqu'à présent- qui servait d'assiette à la taxe CNC. Il faut donc redéfinir ce dispositif pour assurer sa pérennité. Il en va de notre créativité, de notre singularité, mais aussi de l'avenir de nos industries culturelles dans l'économie globalisée.
En tenant compte de l'abattement de 10% qui existe pour toutes les catégories de distributeurs soumis à la taxe, on aboutit ainsi à 45% du chiffre d'affaires du « triple play » soumis à la taxe CNC, soit un abattement de 55%.
Une disposition complémentaire vient aussi augmenter à la marge les recettes du compte de soutien. Elle porte de 4.5% à 6.7% la dernière tranche du barème applicable aux distributeurs qui éditent eux-mêmes leurs contenus. Dans les faits, il s'agit des abonnements de Canal Plus, seul acteur de cette catégorie dans cette tranche.
La mesure se justifie par la spécificité du cumul des métiers d'éditeur et de distributeur, et la proximité de Canal plus avec les contenus financés par le CNC, proximité bien supérieure à celle des autres distributeurs. Elle se comprend aussi en tenant compte du fait que le groupe continue de bénéficier de la TVA à taux réduit.
Je souhaite également revenir en quelques mots sur la politique de mon ministère en matière de médias audiovisuels à la demande, et d'accès non-linéaires aux contenus culturels audiovisuels et cinématographiques.
Le régime de contribution des services de médias à la demande au développement de notre industrie est défini par un projet de décret que je vais transmettre pour avis au Conseil d'Etat dans les tous prochains jours. Conformément aux engagements que j'ai pris devant les créateurs, les grands principes qui ont assuré la contribution efficace des services audiovisuels au succès du cinéma français y seront réaffirmés. C'est un choix de cohérence, c'est une orientation claire qui repose sur une ambition culturelle.
Ce projet de décret SMAd est l'aboutissement d'un long travail de concertation engagé en avril 2009 avec l'ensemble des opérateurs concernés. Il nous permet d'adapter notre politique culturelle aux nouveaux médias. Il nous incite à réfléchir aux modalités futures de la création à l'ère numérique.
Afin de ne pas entraver le développement de ces nouveaux services, deux grands principes ont guidé l'élaboration de ce texte :
D'abord, la prise en compte du modèle économique de ces services, notamment les services de vidéo à la demande rémunérés à l'acte, qui représentent aujourd'hui l'essentiel de l'activité. Il s'agit, en effet, de développer cette offre afin qu'elle soit plus largement accessible. Il convenait donc notamment de distinguer les modalités de la contribution à la production de ce type de services afin que ne s'y développent pas de pratiques d'exclusivité. Compte tenu de leur situation concurrentielle différente, les services par abonnement doivent pour leur part avoir un régime adapté mais similaire à celui des chaînes de télévision payantes puisque leur économie est assez proche.
Ensuite, la prise en compte du caractère émergent de ces nouveaux services. Il est ainsi prévu d'appliquer des règles moins contraignantes que dans le domaine de la télévision. Les obligations de production ne s'appliquent qu'après le dépassement d'un seuil de chiffre d'affaires offrant la possibilité aux opérateurs d'anticiper leur entrée dans le régime d'obligation. Il s'agit bien de préserver un équilibre entre la promotion de la création et le développement économique des entreprises du numérique : à mes yeux, les deux ne s'opposent pas, ils se complètent.
Certes, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a émis sur ce texte un avis défavorable le 27 septembre dernier, estimant que le projet de décret imposait des obligations excessives à ces services.
Toutefois, je me permets de souligner que les propositions de modification formulées par le CSA n'ont pas pour effet de bouleverser l'économie générale du projet. Une intégration de certaine de ces suggestions est envisageable, s'agissant notamment d'une montée en charge progressive des obligations, et d'une clause de rendez-vous à moyen terme, pour évaluer le dispositif.
J'ai souhaité qu'une nouvelle concertation ait lieu suite à l'avis du CSA. Elle a permis de constater à nouveau que ce projet de décret constituait un point d'équilibre entre l'ensemble des demandes. Nous sommes donc sur un « chemin de crête » que nous ne devons pas quitter : c'est un choix exigeant, c'est une orientation que nous devons tenir au service de la création et de la promotion de la qualité culturelle de nos productions.
J'ajoute qu'un autre décret, en cours de publication, permet d'empêcher qu'un opérateur de télévision ou de médias audiovisuel à la demande ne réclame l'application d'une autre législation en s'implantant dans un autre État membre de l'Union européenne, dans le seul but de contourner ces dispositions. Ce décret permettant d'éviter le contournement du dispositif est un corollaire indispensable du décret Smad. Il répond clairement à certaines des inquiétudes exprimées concernant la concurrence entre des éditeurs qui ne seraient pas soumis aux mêmes règles.
Enfin, je souhaite que la mission confiée à Madame Sylvie Hubac sur l'accès des services de VAD aux plateformes des fournisseurs d'accès à Internet, sur la rémunération minimale garantie des ayants-droit et la circulation des oeuvres aboutisse rapidement à des mesures concrètes. Il importe d'assurer une exploitation permanente et suivie des oeuvres.
La convergence entre l'univers traditionnel de la télévision et les nouveaux services audiovisuels non linéaires disponibles sur Internet nous amène donc à repenser et moderniser la réglementation. Cette convergence est aujourd'hui une réalité palpable, dans tous les foyers français. Le développement récent de la télévision connectée à Internet constitue une nouvelle expression de ce phénomène.
Sur ce sujet, laissez moi vous faire part de ma conviction. Il ne s'agit pas d'un péril mais d'une opportunité pour nos créateurs, nos entreprises audiovisuelles et pour toute l'économie de la culture. Cessons de penser notre rapport au monde comme si nous nous trouvions dans une « citadelle assiégée » : nous avons des savoir-faire, des expertises, des domaines d'excellence, préservons-les et valorisons-les.
Mon Ministère est profondément engagé dans l'accompagnement les récentes mutations liées au numérique - TNT, télévision haute définition, services audiovisuels à la demande, etc. L'essor des télévisions connectées et le lancement de la « Google TV » prévue en France au cours de l'année 2011 marque une nouvelle étape dans le renouvellement des usages quant-à l'accès aux contenus audiovisuels.
Si je suis optimiste sur l'avenir de notre création et de notre offre, je sais aussi qu'il convient de veiller à ce que les acteurs audiovisuels nationaux puissent offrir une alternative forte aux offres étrangères. Je sais aussi qu'il faut sans cesse veiller à la préservation de la diversité culturelle à laquelle nous sommes tous attachés.
C'est l'objet des décrets relatifs aux médias audiovisuels à la demande, que je viens d'évoquer. C'est aussi l'objet des projets portés dans le cadre des investissements d'avenir, que j'ai mentionnés auparavant. Aux côtés des professionnels, l'État est fortement engagé afin d'offrir une alternative nationale aux projets de Google ou Apple en matière de référencement des catalogues de contenus mis à disposition sur internet par nos éditeurs de services.
Enfin, à l'instar de mon engagement total dans le domaine de la numérisation des livres, je veux vous assurer de la détermination de mon Ministère pour encadrer les éventuelles répercussions de cette innovation sur les acteurs français.
Les nouveaux services comme la « Google TV » ne sauraient en effet se développer sans respecter les droits de l'ensemble des acteurs français : des créateurs, des producteurs et des diffuseurs. A cet égard, je pense particulièrement au respect des principes essentiels du droit d'auteur, qui imposent notamment de recueillir l'autorisation des ayants droit afin de donner accès à des contenus audiovisuels. Ce n'est ni une attitude frileuse, ni un protectionnisme obsolète : c'est la volonté d'un traitement équilibré et paritaire de tous les acteurs présents sur le marché français.
Dans la perspective des discussions qui seront engagées entre Google et les chaînes de télévision, je serai donc particulièrement vigilant et mobilisé.
C'est avec la même vigilance que je suis les débats relatifs à la neutralité du net. ils posent en effet de nombreuses questions de société, qui concernent très directement le secteur de la culture et de la communication :
-·Comment assurer l'accès de tous à tous les contenus, notamment culturels, véhiculés sur les réseaux de façon transparente et non discriminatoire ?
-·Comment concilier le respect des droits d'auteur avec la possibilité de pouvoir accéder à tout contenu ?
-·Comment assurer le développement de l'Internet en permettant à chaque maillon de la chaîne de valeur - opérateurs, fournisseurs de contenus et de services - de développer un modèle économique qui garantisse leur développement dans la durée ?
Ces questions sont tout aussi essentielles que celles posées au monde des télécommunications, même si elles ont été moins prises en compte jusqu'alors. Pour autant, il me paraît essentiel que les enjeux relatifs aux contenus soient, eux- aussi, largement pris en compte, car ils sont évidemment indissociables, je le répète, des réseaux grâce auxquels ils peuvent circuler.
L'un des principaux enjeux et sans doute le premier, c'est précisément la lutte contre la piraterie. Le 2ème enjeu, c'est celui de la régulation des services audiovisuels, et d'une concurrence non faussée entre les acteurs. Le 3ème enjeu a trait aux conséquences des évolutions actuelles sur les relations au sein de la chaîne de valeur audiovisuelle et aux risques qui pourraient surgir si les différents acteurs opéraient directement sur le réseau, s'ils s'affranchissaient de l'acteur qui les précède dans la chaîne.
En somme, c'est toute la chaîne audiovisuelle qui pourrait se trouver bousculée et, dans la foulée, les principes vertueux de solidarité financière qui se trouveraient remis en cause. Il ne s'agit pas de « surveiller et punir », mais bien de réguler pour garantir.
Il existe donc, pour les industries du contenu, des enjeux considérables et encore insuffisamment examinés. Je souhaite aujourd'hui accélérer notre réflexion sur le sujet, et je vous invite aujourd'hui à prendre tout la part qui vous revient dans ces réflexions.
Pour terminer, je voudrais dire un mot sur la médiation que j'ai confiée à Roch-Olivier Maistre sur le nécessaire protocole d'accord auteurs-producteurs dont je souhaite qu'il soit maintenant rapidement conclu. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, ce protocole est la clé et la condition d'une réforme du soutien à la production qui conforte le rôle du producteur délégué et permet aussi de mieux accompagner le travail des auteurs. Il faut maintenant qu'il soit conclu au plus vite. Il convient que la profession donne d'elle une image de solidarité et un sens de l'intérêt général qui justifie l'effort considérable que l'Etat consent envers le cinéma.
C'est de l'ensemble de ces sujets dont j'aurai souhaité débattre avec vous aujourd'hui.
Malheureusement des circonstances indépendantes de ma volonté ont compromis mon déplacement à Dijon, et je le regrette infiniment.
C'est pourquoi j'ai demandé à mon cabinet de me représenter lors de vos débats.
J'aurai plaisir à recevoir prochainement une délégation de l'ARP pour entendre les conclusions de vos travaux et prolonger le dialogue fructueux et toujours constructif que nous avons entamé ensemble depuis maintenant plus d'un an. Celui-ci doit être conduit dans un climat de confiance et d'estime réciproque. Vous connaissez ma personnalité et ma méthode : voir, juger, agir. Je ne veux pas imposer sans dialoguer, je ne souhaite pas arbitrer sans associer. En tant que Ministre de la Culture et de la Communication, mon ambition consiste à accompagner fortement le tournant numérique, tout en étant le garant de notre création et de notre « exception culturelle », Ce sont des orientations qui doivent nous mobiliser, ce sont des principes qui doivent nous rassembler.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 26 octobre 2010