Texte intégral
G. Durand. On va commencer par une question quasiment de cours, un petit peu comme à l'oral de l'ENA : comment peut-on être dans le climat actuel à la fois sarkozyste et villepiniste ?
En gardant sa liberté d'esprit et sa liberté d'exprimer les choses telles qu'on les ressent, en ayant un exemple précis à l'esprit, par exemple...
Parce que la guerre fait rage entre les deux et vous étiez très proche de l'un et maintenant vous êtes dans le gouvernement de l'autre.
Oui. J'avais d'ailleurs prévenu D. de Villepin que je rentrerais au gouvernement, rentrerais a-i-s, si N. Sarkozy me le proposait. Il l'a fait sur un dossier sur lequel je travaillais depuis pas mal d'années. Je suis très bien au gouvernement. Je n'ai aucune difficulté pour y travailler. Et en même temps, je le répète, je suis convaincu qu'on a besoin dans la majorité de D. de Villepin.
Est-ce que vous croyez à l'hypothèse d'une grève générale ? Les syndicats vont se réunir, il y a donc la manifestation le 23 septembre... Est-ce que vous pensez qu'on peut aboutir, étant donné le climat aujourd'hui, à une grève générale ?
Je ne pense pas que les Français y aspirent, et donc je ne pense pas que les syndicats la décideront. Je ne pense pas que les Français y aspirent parce que quelles que soient les controverses sur la réforme des retraites, tout le monde est bien conscient qu'elle est indispensable. On peut en contester le principe et on peut ne peut pas en contester le principe, tout en cherchant à en améliorer les modalités. Une grève générale, c'est un peu l'arme nucléaire. Je ne pense pas que les Français soient dans cet état d'esprit.
Mais dans les conversations que vous avez eues avec les syndicats, vous n'avez pas le sentiment que du côté de Thibault, du coté Chérèque et de la CFDT... parce que c'est quand même ce que réclame une partie des syndicats...
Oui, mais il y a toujours une volonté d'essayer de faire un peu de surenchère par rapport à son voisin, dans la mesure, en plus, où il y a les élections pendant 2-3 heures dans le domaine syndical. Je crois très clairement que les syndicats, aujourd'hui, ont compris que cette réforme était indispensable. Et à partir du moment où ils l'ont compris, je ne vois pas en quoi le fait d'appeler à une grève générale pourrait d'une part modifier la structure même de la réforme des retraites - et je fais en particulier allusion aux mesures d'âge - et pourrait correspondre à ce que les Français attendent.
Est-ce que vous avez le sentiment que quelque chose est négociable dans les heures qui viennent, par exemple au Sénat, notamment sur la pénibilité ?
On peut améliorer les dispositifs. La pénibilité, disons les choses avec simplicité, c'est un dispositif d'une complexité incroyable. Tous les pays au monde qui s'y sont lancés, sont en train de l'abandonner - c'est ce que fait la Pologne -, ou qui l'ont voté n'ont pas pris les décrets d'application tellement c'est compliqué - c'est le cas de l'Italie. La France a pris ce pari. Et on l'a fait en ayant un texte qui est concret, précis. Alors, ensuite, on peut, là encore, en contester les modalités, mais enfin pour la première fois, un pays au monde, la France, a décidé de lier pénibilité et retraite.
Sur ce thème, vous savez que la gauche vous attaque en considérant que ce n'est pas le cas, qu'il peut y avoir éventuellement une sorte de trafic d'influence, parce qui va décider...
Enfin, écoutez, tout ça, ce sont des polémiques.
Mais qui va décider qui, justement, va bénéficier de cette pénibilité ? La médecine du travail ?
Dans la fonction publique, c'est extrêmement simple, il y a la pénibilité reconnue depuis le XIXe siècle par ce qu'on appelle les catégories actives. Donc, le problème ne se pose pas et d'ailleurs on ne remet pas en cause les catégories actives qui correspondent à des métiers spécifiques - policiers par exemple. Dans le secteur privé, le principe est là encore extrêmement simple. Donc la gauche peut dire ce qu'elle veut.
Mais qui arbitre ?
Depuis des années et des années, quelle que soit la réforme des retraites que l'on fait, elle conteste. Quand vous avez une situation de pénibilité professionnelle qui vous conduit à souffrir, c'est-à-dire à avoir dans votre vie personnelle...
... mais c'est du cas par cas.
Voilà. Dans votre vie personnelle, soit une douleur physique, soit éventuellement une douleur d'ailleurs de nature psychologique, il y aura un arbitrage individuel de nature médicale qui sera fait. Et à partir du moment...
Mais qui sera abrité par qui ? Par la médecine du travail ?
Par la médecine du travail, qui est d'ailleurs l'objet d'une réforme, et qui dira de façon précise si, oui ou non, vous avez été exposé à ce que l'on appelle "les facteurs de pénibilité", si vous l'avez été pendant une période pour que cela ait pu avoir des répercussions sur vous. Et à partir de ce moment-là, on vous reconnaîtra l'accès au dispositif de pénibilité.
Mais ça intègre à la fois le stress ou les gens qui ont des épreuves physiques ?
Cela intègre à la fois le stress, les gens qui ont des épreuves physiques, et puis surtout, ça devra bien identifier si la souffrance que vous ressentez est liée à votre vie professionnelle. Je le répète, nous sommes le seul pays à le faire. La gauche qui dit non à toutes les réformes, dans le domaine des retraites comme dans le reste d'ailleurs, par pure démagogie, est mal placée sur ce sujet pour venir nous expliquer comment procéder.
Question précise : F. Hollande, hier, sur TV5 Monde, a exprimé sa quasi-certitude que le président de la République était intervenu pour l'interruption des travaux à l'Assemblée, le vote. Vrai ou faux ?
F. Hollande se trompe absolument. Il n'a d'ailleurs participé que très, très partiellement au débat sur les retraites. On l'a vu intervenir exactement cinq minutes sur un débat qui avait quand même duré une semaine et demie. Le président de la République n'est absolument pas intervenu.
Mais comment vous leur donnez une preuve ce matin ?
Je peux vous donner en tout cas le témoignage, parce que j'ai passé tout le débat à côté d'E. Woerth, et les choses se sont passées de la façon suivante : à 6 heures du matin, hier, alors que le débat s'était déroulé dans de bonnes conditions, nous avons eu un évènement, qui a d'ailleurs échappé à peu près à tous les observateurs, c'est-à-dire que les...
... à 6 heures du matin, c'est assez normal !
Oui, mais enfin, nous, nous y étions. Nous étions dans la situation où les orateurs de gauche ont pris la parole pour vider leur temps de parole, c'est-à-dire qu'on a eu des...
... non mais, c'est le règlement.
Attendez. On a eu des exposés qui n'avaient plus rien à voir. Et puis, une fois qu'ils ont vidé leur temps de parole, il y a toute une série d'incidents qui ont été créés et qui ont détourné en réalité le débat des retraites vers des débats de procédure. Le président de l'Assemblée nationale, B. Accoyer, a décidé immédiatement et en réaction à ce qu'il constatait, lui-même, de prendre la décision de ne pas permettre que les 181 orateurs socialistes pour cinq minutes, viennent nous refaire le débat. C'est le président de l'Assemblée nationale devant nous, nous, ministres, qui n'avions rien à dire sur le sujet, on l'a vu, le président de l'Assemblée nationale le décider. Et je vais même vous faire une confidence, c'est tellement vrai que quand ça été décidé plusieurs d'entre nous, E. Woerth comme moi-même, nous nous sommes interrogés pour savoir si on ne prenait pas un risque constitutionnel. Et le président Accoyer a dit, « j'ai bien vérifié cela, je prends moi-même cette décision ». Donc, je puis vous assurer que c'est lui et lui seul qui a décidé.
Mais la technique de l'obstruction, puisque vous êtes un parlementaire chevronné, vous savez très bien que ça été pratiqué par la droite contre la gauche, donc c'est asse logique. Vous vous y attendiez.
Mais c'est absolument des raisonnements comme ceux-là qui nous conduiraient à ne rien faire.
Ce n'est pas un raisonnement, c'est une question. A la radio, il n'y a pas de point d'interrogation...
Eh bien, je vais vous y répondre, et je vais même mettre un point d'exclamation en ce qui me concerne. Nous avons fait les choses suivantes : on a donné la présidence de la commission des Finances à un député socialiste, on a modifié les questions d'actualité du mardi et mercredi, qui sont maintenant partagées au 50/50, et dans le débat - c'est la question de fond - dans le débat sur les retraites, on a permis à la gauche de s'exprimer 60 % du temps, la majorité n'en ayant que 40 %. Et pourquoi est-ce qu'on a fait ça ? Justement, dans le cadre de la modification du règlement, pour éviter de se retrouver avec des tentatives d'obstruction. B. Accoyer a donné une procédure à usage de l'opposition, quelle qu'elle soit, permettant à un député d'expliquer en cinq minutes sa position par rapport à un texte de loi. Quel était l'objectif ? L'objectif était simplement de faire en sorte que dans un groupe, quand il y a des dissensions internes au groupe, il y ait l'opposition interne à un groupe qui puisse s'exprimer. Or, hier, détournement de procédure puisque nous avions 170 orateurs prévus qui venaient faire exclusivement de l'obstruction. Donc Accoyer en a tiré les conclusions.
Puisque c'est une matinée de confidences - vous en avez évoqué une tout à l'heure -, beaucoup de commentateurs évoquent une équipe gouvernementale un petit peu traumatisée par un remaniement qui n'en finit pas d'intervenir, et notamment dans l'AFP, ce matin, donc assez tôt, on évoque une source gouvernementale qui parle de relations exécrables entre Hortefeux et Besson. Est-ce que c'est vrai ?
Je suis incapable de le dire. B. Hortefeux et E. Besson siègent au Conseil des ministres l'un comme l'autre. Je n'ai jamais entendu l'un ou l'autre émettre la moindre réserve ou la moindre critique en Conseil des ministres dans la politique mise en oeuvre par l'autre...
Ben ça, ça me paraît assez logique ! Ils ne vont pas exprimer leurs désaccords en plein Conseil des ministres... Ben oui, mais alors s'ils le font en privé et qu'en privé, ils ne le font qu'en tête-à-tête, donc ces cas-là, je ne peux pas vous répondre à la question. Je voudrais qu'on écoute un certain nombre de déclarations importantes qui ont été faites ce matin sur toutes les antennes de radio et de télévision. Il était 7 heures 50, Canal Plus, G. Larcher.
[Extrait de l'interview G. Larcher].
F. Bayrou était 7 heures 52 à RTL, sur le vote de la réforme des retraites.
[Extrait de l'interview F. Bayrou].
Et le même F. Bayrou, qui évoque la polémique entre la France et l'Europe. [Extrait interview F. Bayrou]. Et à 8 heures 26, sur France Inter, inévitable, quelqu'un que vous connaissez bien, D. de Villepin.
[Extrait interview D. de Villepin].
Alors, G. Tron, est-ce que c'est une politique de non sens cette politique des Roms et est-ce que le Président fait son métier ? C'est un peu raide le matin de faire le grand écart entre les deux.
Non, mais, j'ai aucune difficulté et je voudrais dire...
... à faire le grand écart, si, si, c'est très compliqué !
Ah bon... Alors, je vais quand même essayer de vous montrer que je suis souple. Quand on est dans la situation où il y a une France qui maintient, et c'est un des seuls pays à le faire à ce niveau-là, des avantages sociaux qui sont donnés indistinctement aux ressortissants français, aux ressortissants étrangers, on doit bien mesurer qu'il y a un formidable appel d'air chez nous. Cet appel d'air, c'est une politique déterminée, c'est une politique qui est voulue et qui consiste à penser que notre tradition de terre d'accueil doit être maintenue. A partir du moment où les choses sont dites ainsi, il faut bien comprendre que de demander, comme le fait le Gouvernement, l'application de la loi et l'application des jugements qui sont prononcés contre des occupations illégales de terrains, c'est exactement le boulot d'un gouvernement et d'un président.
D'accord, mais sur le plan technique tout le monde le comprend, mais le problème c'est d'en faire le symbole de la politique du gouvernement après le discours de Grenoble.
Mais ce n'est pas un symbole.
Mais c'est ça que reprochent les... c'est là-dessus que V. Reding attaque.
Je suis en total désaccord.
C'est là-dessus que la presse internationale attaque.
Oui, enfin sauf que la presse internationale, et surtout les Américains d'ailleurs, qui ne sont pas forcément les mieux placés pour nous donner des leçons dans ce domaine-là...
Ah, vous n'êtes pas d'accord avec D. de Villepin !
Non. Mais sur ce point, pas le moins du monde. D'ailleurs, c'est avec les Américains que je ne suis pas d'accord. Les Américains donnent des leçons à la terre entière sur tous les sujets, qu'ils commencent par appliquer à eux-mêmes les règles qu'ils voudraient que les autres appliquent. J'en reviens au sujet fondamental. Le discours de Grenoble que vous évoquez, c'est quoi ? C'est la réaction du Président et du Gouvernement à une délinquance - et je ne parle des problèmes d'expulsion des Roms là - à une augmentation, non pas en volume, mais en gravité de la délinquance. On a aujourd'hui des forces de l'ordre, et je voudrais être insistant là-dessus, qui sont l'objet d'agressions - c'est ça le discours de Grenoble - d'une violence inouïe, inouïe ! Il y a eu 25 policiers qui ont été tués dans l'exercice de leur fonction l'année dernière, il y a 13.500 policiers et gendarmes qui ont été blessés. La délinquance évolue, la loi évolue. C'est ça le discours de Grenoble.
Mais d'accord, mais tout le monde l'a entendu ça, mais ce n'est pas une raison peut-être éventuellement, c'est une question avec un point d'interrogation, encore une fois, ce n'est pas une raison pour en faire le coeur de la politique.
Mais ce n'est pas le coeur de la politique.
Parce que tous les commentateurs, vous lisez les journaux comme moi tous les matins, tous les commentateurs considèrent que tout ça a été fait : un, pour des raisons techniques et deux, pour des raisons politiques. Et c'est sur la politique que les reproches sont adressés à N. Sarkozy.
Mais attendez, que ce soit fait pour des raisons politiques ou techniques, il y a une seule question qui vaille et la question est la suivante : est-ce que, oui ou non, il faut réagir par la loi à une évolution de cette délinquance ? La réponse est oui.
Mais est-ce que vous avez le sentiment, par exemple, que cet après-midi ça va bien se passer avec la Commission européenne dans la perspective d'un G20 dont il doit assumer la présidence dans un an ?
Mais j'en suis absolument certain. Et d'ailleurs j'ai entendu, comme vous, hier soir, madame Reding émettre des regrets, "des regrets", comme on dit dans le langage diplomatique...
Mais les menaces, elles existent toujours, et les menaces de sanctions, elles existent.
Mais les menaces existent mais la politique de la France étant une politique qui suit précisément - et Barnier l'a rappelé hier après-midi - la législation européenne dans ce domaine, je n'ai aucune inquiétude à ce sujet, aucune inquiétude à ce sujet. Je répète que dans les cas des camps, il s'agit simplement d'appliquer des décisions qui sont des décisions de justice, la justice ayant reconnu l'occupation illégale d'un terrain. Si on est au stade aujourd'hui, en France, seul pays au monde sans doute à s'interroger comme ça sur des questions de cette nature, à devoir considérer comme étant choquant le fait qu'on expulse des personnes, qu'elles soient étrangères ou françaises, d'un terrain sur lequel elles sont rentrées de façon illégale, dans ces cas-là, la porte est ouverte à tout. Je veux dire que, en tant que maire, et maire d'une commune rurale dans laquelle vote plutôt à 70 % pour nous...
Mais ce n'est pas le coeur de la politique, mais enfin...
Mais c'est le coeur de la politique de répondre aux préoccupations des gens.
D'accord, mais le...
Quand je suis à Draveil ou quand je suis à Ris-Orangis, et que vous avez un camp de nomades qui est installé avec 300 caravanes dessus, je peux vous expliquer comment ça fonctionne, quels que soient les riverains, de droite ou de gauche ou d'ailleurs, ils vous demandent de faire appliquer la loi. Et la loi, ça commence par une décision de justice qui demande leur expulsion et une fois que cette demande d'expulsion est prononcée, il appartient aux forces de l'ordre d'agir pour les faire partir. Si quand on est dans cette logique-là, on est remis en cause dans ce que nous faisons, c'est tout l'ordre public qui est remis en cause.
Revenons à la question du début, merci d'y répondre brièvement : le meilleur candidat en 2012 pour la droite c'est N. Sarkozy, D. de Villepin ou F. Fillon ?
Ce sera évidemment celui qui sera en position de gagner.
Ça, je reconnais que vous êtes très souple !
Je ne vais pas répondre, par définition, avant qu'eux-mêmes ne se prononcent. Mais je reviens à la question de base, c'est d'avoir un seul candidat dans une majorité qui soit unie dans laquelle D. de Villepin ...
Et vous y croyez ?
Je le souhaite de tout coeur, je fais tout mon possible pour ça.
Mais vous y croyez à la réconciliation Sarkozy/Villepin ?
Que j'y crois ou que je n'y crois pas, c'est quelque chose qui n'est pas très important, mais que je fasse tout mon possible pour la réaliser, la réponse est oui.
Mais est-ce que vous la souhaitez ?
Mais bien sûr que je la souhaite !
Malgré le procès ?
Mais malgré le procès. Le procès, vous savez parfaitement que j'ai considéré que c'était un mauvais acte politique dans une séquence dont on pouvait penser qu'elle se déroulerait en 2011 sans cela. Bon, elle se déroule avec cela, je suis certain que D. de Villepin a une grande voix à faire entendre dans la majorité et je ferai tout mon possible pour cela.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 septembre 2010