Interview de Mme Arlette Laguiller, porte parole de Lutte ouvrière, à RTL le 12 février 2001, sur les élections municipales du 11 mars, les suppressions d'emplois, le financement des retraites.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

A. Laguiller (LO)
RTL - 7h50
Le 12 février 2001
R. Arzt Le premier tour des élections municipales, c'est juste dans un mois : combien de listes seront présentées par Lutte ouvrière ?
- "Une centaine de listes, dans la plupart des grandes villes de ce pays."
Grandes villes, petites villes aussi parfois ?
- "Oui, les deux. Par exemple, en Picardie on n'avait que deux listes en 1995, nous en auront sept dans des villes de différentes importances."
Quand vos listes auront plus de 5 % au premier tour, elles pourront et seront en mesure de fusionner avec d'autre listes. Est-ce que vous refusez d'avance cette idée de fusion ou bien cela peut se discuter si telle ou telle liste de gauche ou d'extrême gauche est sympathique ?
- "Non, pour nous il était très clair que nous nous présentons pour avoir des élus sur un programme de défense des intérêts des travailleurs, des chômeurs et pas du tout pour négocier un poste sur des listes qui ne défendent pas la même chose que nous. C'est d'ailleurs une des raisons du désaccord que nous avons eu avec la Ligue communiste révolutionnaire."
Parce que cette fois-ci ,à la différence des européennes, vous n'êtes pas arrivés à vous entendre avec la LCR d'A. Krivine. Vous le regrettez ?
- "Non, je crois que nous avons une politique différente dans ces élections. Autant aux européennes nous étions d'accord pour défendre les intérêts des travailleurs et donc pour attaquer la politique de la gauche gouvernementale ; autant là, la LCR souhaite pouvoir effectivement négocier au deuxième tour ou appeler à voter pour les responsables au niveau du Gouvernement de la politique qui est menée actuellement et qui ne défend pas les travailleurs. On le voit, par exemple, avec toutes ces suppressions d'emplois qui sont annoncées ou qui ont été annoncées chez Michelin, chez Moulinex-Brandt, chez Danone. Et ce Gouvernement n'est pas prêt à interdire les suppressions d'emplois ou les licenciements dans ces grandes entreprises qui font du profit."
Ce n'est guère imaginable dans l'économie d'aujourd'hui...
- "On nous dit que cette économie est formidable, que tout va bien. Nos activités militantes nous amènent à rencontrer des gens qui ne trouvent pas que tout va bien. Ceux qui sont licenciés et qui perdent leur emploi aujourd'hui dans les grandes entreprises, lorsqu'ils retrouvent un emploi c'est en intérim, c'est en CDD, c'est à temps partiel non choisi. Et on est dans une situation où dans ce pays - on ne le dit pas assez -, il y a trois millions de salariés qui gagnent à peine plus que le minimum de l'allocation chômage, c'est-à-dire 4 900 francs par mois. C'est ça la situation. Quand on retrouve un emploi, on le retrouve avec un salaire en baisse aujourd'hui."
C'est la faute du Gouvernement ?
- "Oui, bien sûr parce que si le Gouvernement empêchait ces grands groupes de supprimer des emplois, alors que la plupart du temps il les arrose de subventions, d'exonérations fiscales, d'exonérations sociales, de commandes d'Etat, eh bien, oui, il aurait les moyens justement. Par exemple, un grand groupe comme Alsthom pour lequel l'Etat verse de l'argent par la construction du paquebot qui est en train de se faire en ce moment à Saint-Nazaire, il aurait les moyens de pression pour empêcher ces suppressions d'emplois, évidemment. C'est un choix politique."
Votre analyse, c'est que le patronat est à l'offensive en ce moment, avec des raisons qui peuvent s'expliquer par la mondialisation, par exemple ?
- "C'est une évidence que le patronat est à l'offensive. On le voit avec le problème des retraites aujourd'hui. Certains nous disent que le patronat a reculé..."
Il a reculé dans la mesure où la retraite à 60 ans est repoussé à fin 2002.
- "Il a reculé mais il a réussi à entraîner les organisations syndicales à admettre qu'il y a un problème de retraites."
Vous pensez qu'il n'y en a pas ? Les raisons démographiques objectives montrent quand même...
- "Parlons-en des chiffres. On nous dit aujourd'hui qu'en 1946 il y a avait 16 % de plus de 60 ans. On nous dit qu'en 2030 il y aura 30 % de plus de 60 ans. Cela veut dire qu'en 84 ans, on aura doublé le nombre de retraités. Mais pendant ce temps, cette nouvelle économie dont on nous rabat les oreilles - ce progrès, cette mondialisation - sa productivité a augmenté dans les secteurs de 4, 6 voire 10 fois dans certains secteurs. C'est-à-dire qu'aujourd'hui la quantité de biens produite par un ouvrier et par un salarié est quatre ou six fois supérieure - ou même dix fois - à ce qu'il y avait en 1946. Les fruits de la productivité devraient être affectés pour que tous les vieux travailleurs qui d'ailleurs ont cotisé pendant toute le vie, aient une retraite décente, c'est-à-dire, pour moi, une retraite qui soit égale au salaire."
J'ai l'impression que vous n'êtes pas d'accord avec le CFDT qui n'est pas contre le principe de futures variations dans la durée des cotisations ?
- "Je ne suis pas du tout d'accord et j'espère qu'il se trouvera au moins des syndicats - et en tout cas la CGT à l'air de le dire - pour ne pas signer cet accord."
A propos d'entreprises mondialisées, je pense à Elf. Est-ce que vous attendez avec intérêt ce que pourra révéler A. Sirven ?
- "Je ne sais pas s'il révélera quelque chose ou pas. Je dois dire que je suis surtout écoeurée de voir un grand groupe comme Elf disposer de l'argent gagné à la sueur de ses salariés à la corruption. Aujourd'hui, on dit aux travailleurs qu'ils mettent en péril l'économie quand ils réclament une augmentation de salaire et quand des sommes aussi importantes étaient données à des gens pour acheter leurs services ! Que ce soit Mme Deviers-Joncour, des ministres ou ex-ministres ou tous les gens qui ne sont peut-être pas corrompus mais qu'on a trouvé dans le carnet de M. Sirven. Ces gens-là font partie de ceux qui un jour sont au service de l'Etat, le lendemain au service des grandes entreprises. On a vu M. Balladur, on avait Mme Aubry... Tous ces gens qui passent indistinctement d'une grande entreprise au service de l'Etat et qui finalement, quand ils sont au service de l'Etat, continuent à défendre les intérêts de ces grandes entreprises et certains en acceptant de l'argent."
Si A. Sirven révèle des choses qui déstabilisent des dirigeants, cela n'est pas forcément pour vous déplaire ?
- "Ce n'est pas moi qui vais les plaindre, certainement pas. Je crois qu'il faut qu'il y ait, dans ces procès, le maximum de vérités qui sorte et qu'on voit comment des gens qui prêchent l'austérité, prêchent les sacrifices dans le monde du travail se conduisent en réalité."
Pour terminer sur une autre note : l'arrivée du Vendée Globe. Vous comprenez le triomphe de M. Desjoyeaux et d'E. MacArthur ?
- "Oui. Moi j'ai plutôt une pensée ce matin pour les marins - et ce n'est pas les premiers, il y en a eu il y a quelques semaines - qui disparaissent en mer. Parce que la mer, ce n'est pas seulement ces magnifiques bateaux qu'on voit et ce courage de Desjoyeaux ou d'E. MacArthur, c'est aussi la vie des marins de tous les jours et malheureusement, c'est plus la tristesse qui accompagne cela."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 12 février 2001)