Interview de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la justice, à Canal Plus le 4 novembre 2010, sur la perspective d'un remaniement ministériel et sur la prévention de la délinquance juvénile.

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Circonstance : Remise au Président de la République par le secrétaire d'Etat à la justice de son rapport sur la prévention de la délinquance des mineurs, à Paris le 3 novembre 2010

Média : Canal Plus

Texte intégral

C. Roux.- Merci d'être avec nous. Vous avez remis hier à N. Sarkozy votre rapport sur la délinquance juvénile. Vous faites quinze propositions de prévention, mais évidemment, avant de vous interroger là-dessus, on va parler un petit peu du remaniement qu'on attend, et surtout de la déclaration de F. Fillon hier soir, qui considère qu'il n'est pas nécessaire de changer de cap et qui défend son bilan. Comment est-ce que vous, vous interprétez cette phrase de F. Fillon ? Est-ce que vous considérez qu'il marque sa volonté de rester à Matignon ?
 
F. Fillon est légitime à se positionner. Moi, j'ai pour lui amitié, estime, et je suis fier d'être dans son équipe. Le choix, on sait bien que c'est le président qui le fera, et qu'il n'aime pas se faire imposer ses choix. Par contre, je voudrais vous dire par rapport un peu à ce qu'on entend depuis quelques jours comme critiques, parfois très acerbes, à l'encontre de J.-L. Borloo, que là, trop c'est trop. Moi-même, je fais partie de ceux qui travaillent à une fédération des centres avec lui et d'autres, et quand j'entends ces critiques, j'ai l'impression qu'on parle d'une personne autre que J.-L. Borloo, que moi, je tiens pour quelqu'un de travailleur, de vrai réformateur, qui a porté des textes complexes, et je considère qu'il a, lui aussi, aptitude à exercer cette mission importante, et à donner un nouvel élan autour du président de la République, dans la perspective de 2012, à la politique de réformes de la majorité. Donc pour le reste, évidemment...
 
Vous considérez - c'est important - vous considérez qu'il y a une campagne de dénigrement en ce moment à l'encontre de J.-L. Borloo ?
 
Ecoutez, comme vous, je lis et j'entends un certain nombre de petites phrases, de déclarations. Et là, on n'est pas du tout dans la saine compétition entre le Premier ministre, encore une fois, qui est légitime à faire valoir ses qualités, et qui est quelqu'un de très bien, entre J.-L. Borloo, qui incarne lui aussi quelque chose, à mon avis, de très novateur, et avec un président qui, encore une fois, fera le choix. Mais le reste, qu'est-ce que ça apporte, moi, ça me... franchement, ça me dérange, et je trouve qu'en plus, au fond, on n'est pas dans le débat politique avec ces attaques, on est, au fond, dans une volonté de nuire ou d'imposer au président son choix. Et ça, à mon avis, ce n'est pas bien.
 
C'est un peu à F. Fillon que vous vous adressez aussi ce matin.
 
Pas du tout.
 
...Parce que dans sa déclaration hier soir, on nous a donné quand même le sentiment de cibler J.-L. Borloo, quand il parle des virages tacticiens par exemple, et qu'il parle de la démocratie sociale qui a besoin de la volonté de clarté politique, car la responsabilité syndicale ne peut s'épanouir que dans l'irrésolution et la démagogie du pouvoir...
 
Attendez, bon, là, on est - et c'est un grand classique en ce moment - dans l'avant remaniement, dans l'interprétation journalistique. Moi, encore une fois, je n'entre pas dans ces petites querelles. Nous avons deux hommes de qualité, le président choisira. Par contre, je suis en défense d'attaques que je trouve inacceptables à l'encontre de J.-L. Borloo ; elles ne viennent pas du Premier ministre, elles viennent d'un certain nombre de responsables politiques. Je crois qu'ils seraient bien inspirés de faire la part des choses.
 
En tout cas, votre candidat, c'est Borloo, ça, c'est clair ce matin...
 
Non, non, c'est le président qui choisit, encore une fois, je ne commettrai pas l'erreur de vouloir choisir à la place du président, et je crois que faire cela n'est servir personne.
 
Et vous pensez que le président va poursuivre...
 
Mais quand des gens sont injustement attaqués - je ferais pareil avec F. Fillon - je les défends, et c'est ce que je fais ce matin.
 
Est-ce que vous souhaitez que le président poursuive l'ouverture, puisque vous êtes - on va le rappeler - un ministre d'ouverture ?
 
Si vous voulez, moi, je considère que, avec la gauche moderne, j'incarne l'aile gauche de la majorité. D'ailleurs, le sujet dont on va parler est bien aussi dans cette sensibilité, et je montre-là que nous apportons quelque chose à la démarche de la majorité, c'est au président de voir si dans la perspective, notamment du deuxième tour de 2012, cette démarche a un sens. Moi-même, il le sait, je lui suis loyal, je serai à ses côtés en 2012. Pour le reste, là aussi, le choix lui appartient.
 
On passe au rapport avec les quinze mesures de prévention contre la délinquance juvénile. Il y a une mesure qui va être - c'est sûr - extrêmement commentée, c'est lorsque vous expliquez qu'il faut en fait proposer une prise en charge précoce des difficultés dès l'âge de 2, 3 ans. On se souvient que ça avait été une proposition de N. Sarkozy en son temps, lorsqu'il était ministre de l'Intérieur, très commentée et très critiquée également par les spécialistes. Pourquoi est-ce que vous choisissez de revenir sur cette proposition ?
 
Ah, ces controverses bien françaises ! J'ai été convaincu par un certain nombre d'auditions, notamment avec des pédopsychiatres, et avec un certain nombre de personnes qui travaillent aux côtés de ces enfants, enseignants, etc., qu'on n'était sûrement pas, avec cette idée, dans une prédétermination d'enfants délinquants, ce serait absolument insensé et inacceptable. Par contre, est-ce qu'il faut, pour des raisons simplement sémantiques, d'emploi des mots ou idéologiques, refuser ce que fait le Canada depuis des décennies, c'est-à-dire aider plus tôt des enfants en souffrance ? Car il s'agit de cela, un enfant en souffrance ne sera pas forcément délinquant, mais un enfant en souffrance, s'il n'est pas pris en compte, traité, année après année, s'enfermera dans sa souffrance, au lieu de se nourrir du monde extérieur, de grandir, il sera dans l'autodestruction, il se fera du mal à lui-même, à son environnement. On sait très bien que, intervenir tôt, c'est beaucoup plus efficace. Il ne s'agit que de cela. Mais franchement, c'est important, ne dénaturons pas cette proposition.
 
Excusez-moi, est-ce que ça ne relève pas plutôt de la protection de l'enfance et du ministère de la Famille que du ministère de la Justice ?
 
Mais soyons clairs : le rapport que j'ai présenté concerne au moins huit départements ministériels. J'ai vu mes collègues, ils ont apporté leur contribution. La prévention de la délinquance n'est pas qu'une affaire de spécialistes, si importants soient-ils, c'est d'abord la prévention primaire, c'est-à-dire qu'en France, la délinquance des mineurs a augmenté de 120 % en vingt ans, d'autres pays l'ont vu reculer, certaines villes, Mulhouse, ma ville, Meaux, d'autres villes, par une action à l'initiative du maire, transversale, partenariale, l'ont fait diminuer de manière spectaculaire. On doit pouvoir le faire à condition d'agir sur les flux, c'est-à-dire sur les jeunes qui ne sont pas encore entrés dans la délinquance. D'où mes priorités à la parentalité, à l'école et à l'espace public.
 
Il y en a eu des dizaines de rapports sur la délinquance des jeunes, s'il fallait résumer, qu'est-ce que votre rapport apporte de neuf, que ce soit dans la lecture ou dans les propositions, en quoi c'est novateur ce que vous nous dites ce matin ?
 
Mon rapport s'inspire d'abord des bonnes pratiques, de ce qui fonctionne sur le terrain, avec notamment l'émergence des élus locaux, qui ont d'ailleurs mis des moyens très importants, ce qui montre qu'on n'est pas d'abord sur une question de moyens. Ensuite, mon rapport, à travers toutes ses propositions, c'est un équilibre, je n'équilibre pas une politique du tout sécuritaire, les deux sont étroitement articulés, nous en étions hier d'accord avec le président de la République, ce n'est qu'une seule politique, il faut tendre la main, aider, s'adresser aux parents en difficulté, soutenir toutes les initiatives de l'école contre le décrochage scolaire, travailler sur l'espace public, les nouveaux phénomènes, les bandes de filles, etc. Mais avec, chaque fois, la possibilité de la sanction pour que les gens soient, à un moment donné, amenés à se bouger, à accepter l'aide qu'on leur propose. Et au fond, la sanction, lorsqu'elle existe, elle doit exister, au fond, elle est là pour qu'on n'ait même pas besoin de la mettre en oeuvre, parce que, elle fera aussi effet de levier. Donc voilà, au fond, c'est un état d'esprit. Et je pense sincèrement que, on a la possibilité - les quinze propositions, c'est quelques exemples concrets, il n'y a pas que cela - on a la possibilité en quelques années, en s'y mettant tous, à l'exemple de ce qui se fait sur le terrain, à l'exemple de ce qui se fait dans les pays voisins, de faire enfin reculer la délinquance des mineurs en France. Et c'est aussi un regard qu'on porte sur notre jeunesse, on ne doit pas avoir peur de notre jeunesse, on doit porter sur notre jeunesse un regard de confiance. C'est notre avenir !
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 novembre 2010