Interview de M. Georges Tron, secrétaire d'Etat à la fonction publique à Radio Classique le 3 novembre 2010, sur la réforme des retraites, le dialogue avec les partenaires sociaux et l'éventuel remaniement gouvernemental.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

 
 
 
R. Blanc.-  Vous êtes secrétaire d'Etat à la Fonction publique, vous êtes en  première ligne sur le dossier des retraites. Le PS a déposé, hier, un  recours devant le Conseil constitutionnel. Est-ce que vous craignez  un nouveau rebondissement ? 
 
Non, je ne crains pas le fait que le Parti socialise ait saisi le Conseil  constitutionnel, d'abord parce que c'est un texte très important, et je  trouve tout à fait normal que sur un texte très important, il y ait un  recours, d'autant plus que, comme vous le savez, la réforme  constitutionnelle aboutit aujourd'hui à ce que n'importe qui puisse  (inaud.) de ce que l'on appelle l'exception d'anti-constitutionnalité, et  donc demander une vérification de la conformité de la loi à la  Constitution quand elle va s'appliquer à lui. 
 
Donc, vous n'êtes pas choqué et vous n'êtes pas inquiet ? 
 
Pas du tout. Je ne suis pas choqué, je ne suis pas inquiet. J'ai lu le  recours, bon, je ne ferai pas de commentaire dessus, mais enfin... 
 
Ils seront encore des milliers à défiler samedi prochain contre la  réforme des retraites. Qu'avez-vous envie de dire, justement, à ces  manifestants alors que le texte a été voté au Sénat ? 
 
Au Sénat et à l'Assemblée.  Oui !  Deux choses. La première, c'est que nous sommes dans une  République, que contester un projet de loi c'est évidemment exprimer  une opinion, contester le texte d'une loi c'est presque contester le  fonctionnement même de la République. Il faut bien mesurer que  demander à ce que le Parlement, qui est quand même souverain dans la  définition de la loi, soit contrarié, tel que c'est un peu le message qui  ressort de ces manifestations, c'est en quelque sorte une remise en  cause du principe républicain. Donc je dis simplement qu'il faut  mesurer que maintenant le texte est voté par un Parlement qui a été  légitimement élu, on est à un an d'une élection présidentielle et  législative, il me parait que maintenant les choses pourraient se calmer. 
 
Vous avez des contacts avec les syndicats de la fonction publique  depuis, justement, le vote au Parlement ? 
 
Mais perpétuels. Je ne dis pas que je les ai eus depuis, mais perpétuels.  Nous avons plusieurs chantiers sur les non titulaires dans la fonction  publique, sur la modification de certaines indemnités, sur les moyens  qui sont alloués aux organisations syndicales. 
 
Ils seront samedi dans la rue... 
 
Ils seront vraisemblablement samedi dans la rue, je ne le sais d'ailleurs  pas, mais en toute hypothèse, nous n'avons jamais rompu les contacts  avec eux. 
 
Vous avez annoncé, hier, une possible hausse du pouvoir d'achat  des fonctionnaires d'au moins 2 % en 2011 et 2012. A trois jours  d'une très forte mobilisation, c'est un pur hasard ? 
 
C'est une question qui m'a été posée lors de l'audition et de l'adoption  du budget de la fonction publique. J'ai simplement rappelé les choses,  parce que rappeler les vérités parfois, c'est pas mal. J'ai simplement  rappelé que dans les dix dernières années, y compris la seule année où il  n'y a pas eu d'augmentation de ce que l'on appelle le point d'indice  dans la fonction publique, le pouvoir d'achat des fonctionnaires a  toujours augmenté d'un minimum de 0,5 %. Et si je m'en réfère aux  deux dernières années, si je vois le taux d'inflation prévisionnel pour  2011, on peut effectivement, je l'ai dit, sauf s'il y a un élément majeur  sur le plan économique qui bouleverse la donne, mais penser que ce  serait une augmentation de l'ordre de 2 %, voilà. 
 
De 2 %, d'accord. Comment vous expliquez ce mouvement social,  qui a commencé véritablement en septembre, en France ? Est-ce  qu'on a mal expliqué la réforme des retraites ? Est-ce que vous  pensez que vous avez une part de responsabilité ? 
 
On peut toujours dire qu'on a une part de responsabilité. Je fais trois  constats très rapides. Le premier constat, c'est que si nous n'avions pas  fait cette réforme, il n'y aurait plus moyen d'assurer le paiement des  retraites au même niveau qu'aujourd'hui dans les prochaines années.  Or, ça, c'est un message que manifestement nous n'avons pas réussi à  faire passer suffisamment. Donc, je continue, pour ma part, l'exercice  de pédagogie. La deuxième chose que je constate, c'est que tous les  pays l'ont fait avant nous. Nous recevions, hier, au groupe, à  l'Assemblée nationale, des députés allemands ; ils nous ont expliqué  comment la réforme avait été adoptée en Allemagne avec un consensus  quasiment de toute la classe politique, et y compris des syndicats. 
 
Et pourquoi on n'arrive pas, justement, à cela en France, depuis  toujours, quels que soient les gouvernements ? 
 
Vous avez raison. Je crois qu'en réalité, il y a toujours un enjeu  beaucoup plus politique en France que ce qu'on le trouve à l'étranger.  D'ailleurs, j'attire votre attention, et c'était ma troisième remarque, sur  le fait suivant : écoutez aujourd'hui des voix importantes de la gauche,  comme celle F. Hollande il y a deux jours, écoutez celle de M. Valls,  hier matin, et vous verrez qu'en fait, tout ça est politique. On  commence déjà au Parti socialiste, pour certaines voix, je répète  importantes, à nous expliquer qu'en réalité, il ne fallait pas cette  réforme, il ne fallait pas arriver à 62 ans, mais néanmoins qu'il y a de  bonnes raisons de penser qu'on ne changera rien du tout en 2012. C'est  exactement le même scénario que pour les trois précédentes réformes.  Et c'est ça le problème, c'est que tout est politique sur le moment, puis  une fois qu'on a fait son, un peu, pardonnez-moi de le dire, mais enfin  sa partition politique, ensuite on fait en sorte que la loi soit maintenue, y  compris dans les projets politiques alternatifs. 
 
La réforme des retraites et puis l'étape suivante en politique, c'est  le remaniement qui devrait être opéré d'ici une quinzaine de jours.  Vous avez envie de faire partie de ce nouveau gouvernement ? 
 
Je crois que par définition, quand on travaille dans une équipe et qu'on  a le sentiment que le travail n'est pas mal fait, on a toujours envie d'en  faire partie. Cela dit, c'est une appréciation politique qui ne dépend que  du président de la République, dans un contexte qui est un contexte un  peu particulier, c'est celui qui décide et lui qui décide tout seul. 
 
Mais vous êtes partant pour justement un nouveau tour, un  nouveau gouvernement ? 
 
On m'a confié il y a six mois une mission. Je crois que les retraites ont  accaparé une grande partie de mon temps jusqu'à présent, il y a d'autres  chantiers en cours. 
 
Alors, à RTL, à 7 h 55, X. Bertrand justement revient sur ce  remaniement. [Extrait interview X. Bertrand]. Alors, la guerre Copé-  X. Bertrand, et puis surtout J.-L. Borloo que l'on présente comme  le probable Premier ministre, futur Premier ministre. Votre  sentiment sur J.-L. Borloo ? Vous pensez que c'est un bon choix ? 
 
On ne peut pas dire que c'est un mauvais choix que de, éventuellement,  nommer un homme qui est ministre depuis maintenant huit ans et qui  occupe des fonctions éminentes de celles de ministre d'Etat. 
 
Vous le soutenez ? Parce qu'au sein de l'UMP, il est très critiqué ? 
 
Non, je ne le soutiens, ni je ne le soutiens pas. Ce n'est pas une fuite...
 
Très prudent, G. Tron ! 
 
Mais oui, mais c'est-à-dire qu'on nous demande, je n'en fais le  reproche à personne, bien entendu, mais on nous demande d'exprimer  une opinion sur une situation politique qu'un homme et un homme seul  apprécie. Et cet homme seul, c'est le président de la République. On  serait dans une situation où la gauche serait au pouvoir, je ferais le  même type de remarque pour le choix d'un Premier ministre de gauche.  On a, je le répète, un Premier ministre, qui pour ma part ne démérite,  me semble-t-il, que des louanges, parce que je trouve qu'il fait  remarquablement bien son travail de Premier ministre, ce qui est dur. J.-L. Borloo est ministre depuis huit ans, ça veut dire que depuis huit ans,  on reconnaît ses qualités, il est arrivé au sommet, si j'ose dire, de la  pyramide gouvernementale. Or le poste de Premier ministre, que le  choix semble se porter, je dis bien « semble se porter », entre cette  alternative... 
 
...Vous n'allez pas nous livrer un scoop, ce matin, sur Radio  Classique ! 
 
Mais non, et si j'avais un scoop d'ailleurs, je ne vous le livrerais pas  parce que d'abord, ce ne serait plus un scoop, et deuxièmement ce serait  tout à fait particulier que ce soit moi qui l'annonce. 
 
J.-L. Borloo appelle à un grenelle de la fiscalité. Qu'est-ce que vous  en pensez ?
 
Je pense qu'on peut prendre toutes les formules possibles et  imaginables à condition de ne pas oublier une réalité : la France est le  pays, à économie comparable, dans lequel les prélèvements obligatoires  sont les plus importants et dans lequel le taux de dépenses publiques est  le plus important. Quelle que soit la façon de prendre le problème, il y a  deux vérités qui s'imposent : la première, c'est qu'il faut réduire la  dépense publique, et la seconde, c'est que les Français sont saturés, je le  crois profondément, d'impôts. 
 
Mais l'idée d'associer, finalement, plusieurs... voilà, les syndicats,  les associations, à réfléchir justement sur cette fiscalité, est-ce que  vous pensez que c'est la bonne méthode et est-ce que c'est une  méthode qui n'a pas manqué, qui a un petit peu manqué peut-être  sur les retraites ? 
 
Mais pas le moins du monde. Je persiste à le dire, le débat sur les  retraites a été tout à fait exemplaire en matière de négociations. J'ai été  nommé le 22 mars, j'ai commencé avec E. Woerth, aux côtés d'E.  Woerth, les discussions avec les organisations syndicales début avril.  Nous les avons terminées à peu près en juillet, quand le texte a été  présenté en Conseil des ministres. Nous avons passé en juillet trois  jours entiers enfermés dans une salle, comme votre studio, en  commission des Affaires sociales, dix jours à l'Assemblée nationale, 75  heures de discussions et quelque 140 ou 150 heures au Sénat, au cours  desquelles, d'ailleurs, je le signale, la majorité a été remarquable de  tenue puisqu'en fait, les deux tiers du temps, quasiment chaque fois, ont  été accordés à l'opposition. Si ce n'est pas ça la discussion et la  négociation, c'est qu'on n'est plus en démocratie et en République. 
 
Un dernier mot sur le remaniement. Est-ce que ce n'est pas pour  vous une faute politique d'avoir annoncé un remaniement, une  faute de N. Sarkozy d'avoir annoncé ce remaniement il y a  plusieurs mois ? 
 
Non. 
 
Ce qui est quand même assez insolite. Généralement, on fait un  remaniement, on ne l'annonce pas trois mois, quatre mois  auparavant. 
 
Oui, mais je vais faire oeuvre de modestie devant vous. Tout le monde  sait qu'il y a des séquences politiques assez récurrentes dans la vie,  enfin dans un quinquennat. Ce qui s'est passé au mois de mars, et je  suis bien placé pour en parler, puisque je suis entré au Gouvernement à  ce moment-là, ce n'était pas un remaniement. On est entrés à trois : F.  Baroin, P. Daubresse et moi-même, dans des fonctions qui sont  importantes. Donc annoncer ou pas annoncer un remaniement en fin  d'année, en fait, ne changeait pas grand-chose. 
 
Est-ce que vous avez reçu le livre de D. de Villepin qui doit sortir  dans quelques jours ? 
 
Non, je ne l'ai pas encore reçu. 
 
...Et qui s'appelle "L'Esprit de cour, la malédiction française".  D'abord, est-ce que vous êtes toujours proche de D. de Villepin ? 
 
J'ai exactement la même posture à son égard, que j'ai toujours eue,  c'est-à-dire une profonde amitié, la reconnaissance d'un talent que je  trouve magnifique, et parfois des désaccords politiques, notamment  actuellement sur une tactique que je ne comprends pas, mais je le lui ai  dit plusieurs fois. D. de Villepin, me semble-t-il, surestime son poids  dans une opposition systématique au gouvernement et au Président, et  sous-estime son poids dans la majorité, car nombreux sont les  parlementaires qui seraient heureux de le voir faire des propositions  mais au sein de la majorité. 
 
Donc vous prenez vos distances avec D. de Villepin, politiquement. 
 
Mais non. Oui, si vous voulez le dire comme ça... Mais ce que je veux  simplement vous dire, c'est que j'ai toujours eu à l'égard de tout le  monde, et de D. de Villepin, comme des autres, à la fois... enfin, je tente  en tout cas un mélange d'amitié personnel quand je connais la  personne, et c'est le cas pour Villepin, mais simultanément ce n'est pas  parce que je suis en amitié personnelle avec quelqu'un que j'adhère à  tout ce qu'il dit. C'était le cas d'ailleurs, je me permets de le signaler,  avant ma séquence gouvernementale sur des sujets comme la fiscalité. 
 
L'ancien Premier ministre compare le chef de l'Etat au "premier  des courtisans obsédé par l'opinion", il parle d'une "cour apeurée  de perroquets". Est-ce que vous avez l'impression d'être une  perruche, G. Tron ? 
 
Ecoutez, je ne sais pas, je ne suis pas le mieux placé pour le dire. Mais  enfin, en tout cas, si j'étais un oiseau, j'espère pas être une perruche. Et  en second lieu, pour voir le fonctionnement interne de la machine qui  entoure le président de la République, très franchement je n'y ai pas  détecté de perroquet. 
 
Vous avez envie que N. Sarkozy soit le seul candidat de la droite en  2012 ? 
 
Je crois que la question est très simple : est-ce que, oui ou non, nous  voulons, non pas gagner pour le pouvoir parce que ce n'est pas ça le  sujet, est-ce que, oui ou non, il y a aujourd'hui des chantiers  gigantesques encore à mettre en oeuvre ? La réponse est oui. Est-ce que  N. Sarkozy est le mieux placé pour pouvoir continuer ce travail-là ? La  réponse est oui. Donc, il faut qu'on soit derrière N. Sarkozy et que tous  les talents y soient, en particulier notamment celui de D. de Villepin. 
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 novembre 2010