Texte intégral
R. Blanc.- Vous êtes secrétaire d'Etat à la Fonction publique, vous êtes en première ligne sur le dossier des retraites. Le PS a déposé, hier, un recours devant le Conseil constitutionnel. Est-ce que vous craignez un nouveau rebondissement ?
Non, je ne crains pas le fait que le Parti socialise ait saisi le Conseil constitutionnel, d'abord parce que c'est un texte très important, et je trouve tout à fait normal que sur un texte très important, il y ait un recours, d'autant plus que, comme vous le savez, la réforme constitutionnelle aboutit aujourd'hui à ce que n'importe qui puisse (inaud.) de ce que l'on appelle l'exception d'anti-constitutionnalité, et donc demander une vérification de la conformité de la loi à la Constitution quand elle va s'appliquer à lui.
Donc, vous n'êtes pas choqué et vous n'êtes pas inquiet ?
Pas du tout. Je ne suis pas choqué, je ne suis pas inquiet. J'ai lu le recours, bon, je ne ferai pas de commentaire dessus, mais enfin...
Ils seront encore des milliers à défiler samedi prochain contre la réforme des retraites. Qu'avez-vous envie de dire, justement, à ces manifestants alors que le texte a été voté au Sénat ?
Au Sénat et à l'Assemblée. Oui ! Deux choses. La première, c'est que nous sommes dans une République, que contester un projet de loi c'est évidemment exprimer une opinion, contester le texte d'une loi c'est presque contester le fonctionnement même de la République. Il faut bien mesurer que demander à ce que le Parlement, qui est quand même souverain dans la définition de la loi, soit contrarié, tel que c'est un peu le message qui ressort de ces manifestations, c'est en quelque sorte une remise en cause du principe républicain. Donc je dis simplement qu'il faut mesurer que maintenant le texte est voté par un Parlement qui a été légitimement élu, on est à un an d'une élection présidentielle et législative, il me parait que maintenant les choses pourraient se calmer.
Vous avez des contacts avec les syndicats de la fonction publique depuis, justement, le vote au Parlement ?
Mais perpétuels. Je ne dis pas que je les ai eus depuis, mais perpétuels. Nous avons plusieurs chantiers sur les non titulaires dans la fonction publique, sur la modification de certaines indemnités, sur les moyens qui sont alloués aux organisations syndicales.
Ils seront samedi dans la rue...
Ils seront vraisemblablement samedi dans la rue, je ne le sais d'ailleurs pas, mais en toute hypothèse, nous n'avons jamais rompu les contacts avec eux.
Vous avez annoncé, hier, une possible hausse du pouvoir d'achat des fonctionnaires d'au moins 2 % en 2011 et 2012. A trois jours d'une très forte mobilisation, c'est un pur hasard ?
C'est une question qui m'a été posée lors de l'audition et de l'adoption du budget de la fonction publique. J'ai simplement rappelé les choses, parce que rappeler les vérités parfois, c'est pas mal. J'ai simplement rappelé que dans les dix dernières années, y compris la seule année où il n'y a pas eu d'augmentation de ce que l'on appelle le point d'indice dans la fonction publique, le pouvoir d'achat des fonctionnaires a toujours augmenté d'un minimum de 0,5 %. Et si je m'en réfère aux deux dernières années, si je vois le taux d'inflation prévisionnel pour 2011, on peut effectivement, je l'ai dit, sauf s'il y a un élément majeur sur le plan économique qui bouleverse la donne, mais penser que ce serait une augmentation de l'ordre de 2 %, voilà.
De 2 %, d'accord. Comment vous expliquez ce mouvement social, qui a commencé véritablement en septembre, en France ? Est-ce qu'on a mal expliqué la réforme des retraites ? Est-ce que vous pensez que vous avez une part de responsabilité ?
On peut toujours dire qu'on a une part de responsabilité. Je fais trois constats très rapides. Le premier constat, c'est que si nous n'avions pas fait cette réforme, il n'y aurait plus moyen d'assurer le paiement des retraites au même niveau qu'aujourd'hui dans les prochaines années. Or, ça, c'est un message que manifestement nous n'avons pas réussi à faire passer suffisamment. Donc, je continue, pour ma part, l'exercice de pédagogie. La deuxième chose que je constate, c'est que tous les pays l'ont fait avant nous. Nous recevions, hier, au groupe, à l'Assemblée nationale, des députés allemands ; ils nous ont expliqué comment la réforme avait été adoptée en Allemagne avec un consensus quasiment de toute la classe politique, et y compris des syndicats.
Et pourquoi on n'arrive pas, justement, à cela en France, depuis toujours, quels que soient les gouvernements ?
Vous avez raison. Je crois qu'en réalité, il y a toujours un enjeu beaucoup plus politique en France que ce qu'on le trouve à l'étranger. D'ailleurs, j'attire votre attention, et c'était ma troisième remarque, sur le fait suivant : écoutez aujourd'hui des voix importantes de la gauche, comme celle F. Hollande il y a deux jours, écoutez celle de M. Valls, hier matin, et vous verrez qu'en fait, tout ça est politique. On commence déjà au Parti socialiste, pour certaines voix, je répète importantes, à nous expliquer qu'en réalité, il ne fallait pas cette réforme, il ne fallait pas arriver à 62 ans, mais néanmoins qu'il y a de bonnes raisons de penser qu'on ne changera rien du tout en 2012. C'est exactement le même scénario que pour les trois précédentes réformes. Et c'est ça le problème, c'est que tout est politique sur le moment, puis une fois qu'on a fait son, un peu, pardonnez-moi de le dire, mais enfin sa partition politique, ensuite on fait en sorte que la loi soit maintenue, y compris dans les projets politiques alternatifs.
La réforme des retraites et puis l'étape suivante en politique, c'est le remaniement qui devrait être opéré d'ici une quinzaine de jours. Vous avez envie de faire partie de ce nouveau gouvernement ?
Je crois que par définition, quand on travaille dans une équipe et qu'on a le sentiment que le travail n'est pas mal fait, on a toujours envie d'en faire partie. Cela dit, c'est une appréciation politique qui ne dépend que du président de la République, dans un contexte qui est un contexte un peu particulier, c'est celui qui décide et lui qui décide tout seul.
Mais vous êtes partant pour justement un nouveau tour, un nouveau gouvernement ?
On m'a confié il y a six mois une mission. Je crois que les retraites ont accaparé une grande partie de mon temps jusqu'à présent, il y a d'autres chantiers en cours.
Alors, à RTL, à 7 h 55, X. Bertrand justement revient sur ce remaniement. [Extrait interview X. Bertrand]. Alors, la guerre Copé- X. Bertrand, et puis surtout J.-L. Borloo que l'on présente comme le probable Premier ministre, futur Premier ministre. Votre sentiment sur J.-L. Borloo ? Vous pensez que c'est un bon choix ?
On ne peut pas dire que c'est un mauvais choix que de, éventuellement, nommer un homme qui est ministre depuis maintenant huit ans et qui occupe des fonctions éminentes de celles de ministre d'Etat.
Vous le soutenez ? Parce qu'au sein de l'UMP, il est très critiqué ?
Non, je ne le soutiens, ni je ne le soutiens pas. Ce n'est pas une fuite...
Très prudent, G. Tron !
Mais oui, mais c'est-à-dire qu'on nous demande, je n'en fais le reproche à personne, bien entendu, mais on nous demande d'exprimer une opinion sur une situation politique qu'un homme et un homme seul apprécie. Et cet homme seul, c'est le président de la République. On serait dans une situation où la gauche serait au pouvoir, je ferais le même type de remarque pour le choix d'un Premier ministre de gauche. On a, je le répète, un Premier ministre, qui pour ma part ne démérite, me semble-t-il, que des louanges, parce que je trouve qu'il fait remarquablement bien son travail de Premier ministre, ce qui est dur. J.-L. Borloo est ministre depuis huit ans, ça veut dire que depuis huit ans, on reconnaît ses qualités, il est arrivé au sommet, si j'ose dire, de la pyramide gouvernementale. Or le poste de Premier ministre, que le choix semble se porter, je dis bien « semble se porter », entre cette alternative...
...Vous n'allez pas nous livrer un scoop, ce matin, sur Radio Classique !
Mais non, et si j'avais un scoop d'ailleurs, je ne vous le livrerais pas parce que d'abord, ce ne serait plus un scoop, et deuxièmement ce serait tout à fait particulier que ce soit moi qui l'annonce.
J.-L. Borloo appelle à un grenelle de la fiscalité. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Je pense qu'on peut prendre toutes les formules possibles et imaginables à condition de ne pas oublier une réalité : la France est le pays, à économie comparable, dans lequel les prélèvements obligatoires sont les plus importants et dans lequel le taux de dépenses publiques est le plus important. Quelle que soit la façon de prendre le problème, il y a deux vérités qui s'imposent : la première, c'est qu'il faut réduire la dépense publique, et la seconde, c'est que les Français sont saturés, je le crois profondément, d'impôts.
Mais l'idée d'associer, finalement, plusieurs... voilà, les syndicats, les associations, à réfléchir justement sur cette fiscalité, est-ce que vous pensez que c'est la bonne méthode et est-ce que c'est une méthode qui n'a pas manqué, qui a un petit peu manqué peut-être sur les retraites ?
Mais pas le moins du monde. Je persiste à le dire, le débat sur les retraites a été tout à fait exemplaire en matière de négociations. J'ai été nommé le 22 mars, j'ai commencé avec E. Woerth, aux côtés d'E. Woerth, les discussions avec les organisations syndicales début avril. Nous les avons terminées à peu près en juillet, quand le texte a été présenté en Conseil des ministres. Nous avons passé en juillet trois jours entiers enfermés dans une salle, comme votre studio, en commission des Affaires sociales, dix jours à l'Assemblée nationale, 75 heures de discussions et quelque 140 ou 150 heures au Sénat, au cours desquelles, d'ailleurs, je le signale, la majorité a été remarquable de tenue puisqu'en fait, les deux tiers du temps, quasiment chaque fois, ont été accordés à l'opposition. Si ce n'est pas ça la discussion et la négociation, c'est qu'on n'est plus en démocratie et en République.
Un dernier mot sur le remaniement. Est-ce que ce n'est pas pour vous une faute politique d'avoir annoncé un remaniement, une faute de N. Sarkozy d'avoir annoncé ce remaniement il y a plusieurs mois ?
Non.
Ce qui est quand même assez insolite. Généralement, on fait un remaniement, on ne l'annonce pas trois mois, quatre mois auparavant.
Oui, mais je vais faire oeuvre de modestie devant vous. Tout le monde sait qu'il y a des séquences politiques assez récurrentes dans la vie, enfin dans un quinquennat. Ce qui s'est passé au mois de mars, et je suis bien placé pour en parler, puisque je suis entré au Gouvernement à ce moment-là, ce n'était pas un remaniement. On est entrés à trois : F. Baroin, P. Daubresse et moi-même, dans des fonctions qui sont importantes. Donc annoncer ou pas annoncer un remaniement en fin d'année, en fait, ne changeait pas grand-chose.
Est-ce que vous avez reçu le livre de D. de Villepin qui doit sortir dans quelques jours ?
Non, je ne l'ai pas encore reçu.
...Et qui s'appelle "L'Esprit de cour, la malédiction française". D'abord, est-ce que vous êtes toujours proche de D. de Villepin ?
J'ai exactement la même posture à son égard, que j'ai toujours eue, c'est-à-dire une profonde amitié, la reconnaissance d'un talent que je trouve magnifique, et parfois des désaccords politiques, notamment actuellement sur une tactique que je ne comprends pas, mais je le lui ai dit plusieurs fois. D. de Villepin, me semble-t-il, surestime son poids dans une opposition systématique au gouvernement et au Président, et sous-estime son poids dans la majorité, car nombreux sont les parlementaires qui seraient heureux de le voir faire des propositions mais au sein de la majorité.
Donc vous prenez vos distances avec D. de Villepin, politiquement.
Mais non. Oui, si vous voulez le dire comme ça... Mais ce que je veux simplement vous dire, c'est que j'ai toujours eu à l'égard de tout le monde, et de D. de Villepin, comme des autres, à la fois... enfin, je tente en tout cas un mélange d'amitié personnel quand je connais la personne, et c'est le cas pour Villepin, mais simultanément ce n'est pas parce que je suis en amitié personnelle avec quelqu'un que j'adhère à tout ce qu'il dit. C'était le cas d'ailleurs, je me permets de le signaler, avant ma séquence gouvernementale sur des sujets comme la fiscalité.
L'ancien Premier ministre compare le chef de l'Etat au "premier des courtisans obsédé par l'opinion", il parle d'une "cour apeurée de perroquets". Est-ce que vous avez l'impression d'être une perruche, G. Tron ?
Ecoutez, je ne sais pas, je ne suis pas le mieux placé pour le dire. Mais enfin, en tout cas, si j'étais un oiseau, j'espère pas être une perruche. Et en second lieu, pour voir le fonctionnement interne de la machine qui entoure le président de la République, très franchement je n'y ai pas détecté de perroquet.
Vous avez envie que N. Sarkozy soit le seul candidat de la droite en 2012 ?
Je crois que la question est très simple : est-ce que, oui ou non, nous voulons, non pas gagner pour le pouvoir parce que ce n'est pas ça le sujet, est-ce que, oui ou non, il y a aujourd'hui des chantiers gigantesques encore à mettre en oeuvre ? La réponse est oui. Est-ce que N. Sarkozy est le mieux placé pour pouvoir continuer ce travail-là ? La réponse est oui. Donc, il faut qu'on soit derrière N. Sarkozy et que tous les talents y soient, en particulier notamment celui de D. de Villepin.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 novembre 2010