Interview de M. Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique à Europe 1 le 5 octobre 2010, sur le projet de réforme des retraites, les manifestations et grèves, les régimes spéciaux et la pénibilité.

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Média : Europe 1

Texte intégral


 
 
 
J.-P. Elkabbach.- Tous au Sénat ! E. Woerth, bonjour.
 
Bonjour.
 
Merci d'être là aujourd'hui. Tous au Sénat, mais vous avez dans doute l'écho des slogans et la pression des manifs passées et à venir. Un, est-ce que vous pouvez retirer la réforme et tout remettre à plat, comme le demande M. Aubry ?
 
Non ! On ne peut pas remettre et tout remettre à plat parce que ce serait mettre à plat à ce moment-là le système de retraite. Le système de retraite français, il a besoin d'une réforme, tout simplement pour garantir le paiement des retraites.
 
Vous ne retirez pas le projet ?
 
Non ! Bien sûr que non, évidemment ! Pourquoi retirer un projet qui a été voté à l'Assemblée nationale, qui commence tout à l'heure au Sénat, qui a fait l'objet d'une multitude de discussions et qui est une solution, LA solution pour sauvegarder le système de retraite des Français. C'est l'intérêt général.
 
Un référendum ?
 
Mais ça n'a pas de sens un référendum. C'est, en général, la proposition dans le cadre du Parti socialiste de ceux qui décident de ne prendre aucune décision, de ne prendre aucune responsabilité et de faire de l'électoralisme. Quand on ne sait pas quoi faire, souvent on appelle à un référendum. Et là, c'est le cas. Ca servirait à quoi ? On pose une question générale : est-ce que voulez sauver le système de retraite ? Evidemment, les Français répondront oui, mais on ne fait rien de cette réponse. Ou vous posez des questions précises, et évidemment souvent les Français diront non. Ils n'auront pas envie de payer plus d'impôts, comme le propose le Parti socialiste, ou de réduire le niveau des retraites.
 
Donc, pas de référendum.
 
Il faut prendre ses responsabilités. Et un gouvernement, il n'est pas dans l'incantation, il est dans la responsabilité.
 
Et vous avez entendu la menace de grève reconductible pour bloquer l'économie. Ca été dit à plusieurs reprises. Demain, les syndicats CGT des Cheminots décideront si ils déclenchent ou non des grèves illimitées. Ils ne veulent pas y aller seuls, vous avez entendu tout à l'heure D. Le Reste, CGT, avec M.-O. Fogiel, il dit que vous faites « un pari risqué ». Ecoutez-le.
 
D. Le Reste (Extrait interview - Europe 1) : Je dis à E. Woerth que, à force de s'entêter, de traiter avec désinvolture, voire mépris, les millions de manifestants qui s'opposent à la réforme, eh bien, le Gouvernement va créer dans le pays une crise politique peut-être sans précédent. Je, ou le Gouvernement, ne traite avec aucune désinvolture, aucun mépris, aucune humiliation, aucune arrogance ceux qui descendent dans les rues. Par contre, on donne notre opinion, et on a bien le droit de donner notre opinion dans le cadre d'un débat. Il n'y a aucune désinvolture et aucun mépris d'aucune sorte. Il y a simplement l'idée qu'il faut expliquer que la réforme des retraites elle est nécessaire et que c'est l'intérêt général. On n'est pas dans la défense des intérêts catégoriels, on est dans la défense des intérêts généraux des Français. Pour payer les retraites, il faut réformer les retraites et travailler un peu plus longtemps parce qu'on vit tout simplement un peu plus longtemps.
 
Les syndicats vous disent que vous réformez les retraites pour plaire ou céder au marché, aux agences de notation.
 
Oui, j'ai entendu dire cela ! Au fond, non ! On réforme les retraites tout simplement pour pouvoir payer les retraites. Quand vous avez 30 milliards de déficit sur les régimes de retraites et 47 milliards de déficit à l'horizon de 2020, il faut bien ne pas laisser les choses...enfin, il faut bouger. Si vous voulez, si vous regardez les choses sans bouger, si vous mettez de fausses solutions, comme le Parti socialiste l'indique, si vous faites du matraquage fiscal, au fond tout cela ne sert à rien, et à un moment donné vous êtes au mois de novembre, et au mois de novembre vous ne pouvez plus payer les retraites des Français. Qu'est-ce que vous faites ? Vous allez sur les marchés financiers. On va déjà sur les marchés financiers emprunter pour payer la retraite de tous les Français, et ça, ça n'est pas acceptable. On doit équilibrer les systèmes de retraites pour nos enfants et pour nous-mêmes.
 
E. Woerth, la SNCF et la RATP avec leurs régimes spéciaux seront concernées par la réforme des retraites quand ?
 
La SNCF et la RATP sont des régimes spéciaux, donc ils seront concernés cinq ans après tous les Français puisqu'on a eu une réforme des régimes spéciaux en 2007. Nous allons jusqu'au bout de cette réforme des régimes spéciaux. Et après, les régimes spéciaux, SNCF, RATP, par exemple, prennent le relais, et donc auront des mesures d'âge, mais cinq ans après l'ensemble des Français. Donc, je souhaite aussi leur dire : nous avons respecté vis-à-vis de la SNCF et de la RATP, nous avons respecté ce qui a été négocié en 2007 par F. Fillon, par X. Bertrand, sous l'autorité du président de la République.
 
L'intersyndicale, on voit bien qu'elle veut éviter d'être débordée, E. Woerth. Elle réclame des gestes. Les sénateurs aussi. Est-ce qu'ils les auront ?
 
Il n'y a pas de blocage. J'entends de temps en temps dire, « mais il y a du blocage, la négociation est bloquée », non, il n'y a aucun blocage dans la réforme des retraites.
 
Donc, vous avez...
 
...nous, nous avons...
 
Attendez, expliquez-nous, vous avez des cartouches ?
 
Oui, je vais vous expliquer.
 
Est-ce que vous avez des cartouches ?
 
Bien sûr ! Je vais vous expliquer.
 
Est-ce que vous avez des cartouches ? Est-ce que vous allez les utiliser et quand ? Est-ce que vous attendez qu'il y ait sans arrêt des manifs pour sortir au compte-gouttes, comme du poison, des mesures ?
 
Il n'y a aucun blocage dans la réforme des retraites. Nous avons progressé à l'Assemblée nationale, notamment par exemple sur la pénibilité, c'est un dispositif majeur, prendre en compte les carrières dures d'un certain nombre de Français et faire en sorte qu'ils partent à 60 ans.
 
D'ailleurs, on n'en parle presque plus de la pénibilité.
 
D'ailleurs on n'en parle plus parce que la réponse du Gouvernement est bonne et c'est un acquis social nouveau pour les Français. On ne parle plus non plus des carrières longues. Quand vous avez commencé à travailler de bonne heure, vous pouvez partir plus tôt, et ça c'est un acquis formidable que nous avons continué à mettre en place.
 
Prenons un exemple...
 
...Enfin, au Sénat, nous allons continuer à évoluer. Il n'y a pas de blocage. Pourquoi il n'y a pas de blocage ? Moi, je vois des syndicats continuer à faire des propositions, je vois que nous rentrons en discussion au Sénat pour quinze jours ou trois semaines et nous débattrons, et il y aura des propositions du Gouvernement en liaison avec les sénateurs sur des sujets comme par exemple la retraite des femmes.
 
Alors, quinze jours ou trois semaines ?
 
Oh, je ne sais pas, il n'y a pas de délai fixe comme à l'Assemblée nationale. Votre avis. Ecoutez, le débat durera ce qu'il doit durer. Le Gouvernement y est prêt, juste pas d'obstruction.
 
D'accord, j'ai la réponse !
 
Je dis à la gauche : l'obstruction parlementaire c'est un délit de démocratie. Donc, pas d'obstruction mais des débats sur le fond, nous y sommes prêts, quinze jours, trois semaines, les choses devront être débattues jusqu'au fond.
 
Un exemple très précis : le président Larcher vous a dit qu'il allait soutenir un dispositif transitoire qui permet aux femmes nées entre 50 et 62-63 et ayant cessé de travailler pour élever leurs enfants, de continuer à bénéficier d'une retraite à taux plein à 65 ans. Est-ce que cette demande sera accord??e ?
 
Il faut d'abord vraiment répondre à la retraite de toutes les femmes. Il faut vraiment qu'on fasse très très attention au fait que toutes les femmes doivent pouvoir avoir la même retraite que les hommes, ce qui n'est pas le cas. Et ça, c'est un problème, J.-P. Elkabbach, d'inégalité salariale. Et donc, dans le texte, il y a une sanction pour les entreprises qui ne respectent pas l'égalité salariale entre les hommes et les femmes parce qu'après, les femmes, durant leur retraite, inégalité salariale pendant le boulot c'est inégalité de retraite après, pendant la retraite.
 
On comprend votre passion, mais est-ce que vous allez bouger sur les femmes... ...oui, bien sûr !
 
... et j'ai envie de dire sur les parents ?
 
Oui, nous allons bouger sur spécifiquement un certain nombre de sujets concernant les femmes où il y a injustice. Nous le ferons en liaison avec les sénateurs. Je l'avais dit à l'Assemblée nationale, nous prenons le temps du Sénat pour le faire. A l'Assemblée, nous avons amené les dispositifs de pénibilité, nous avons élargi la pénibilité...
 
... au Sénat ?
 
Au Sénat, au Sénat, nous élargirons un certain nombre de dispositifs vers plus de justice dans le domaine des retraites, car notre réforme est profondément humaine, et elle est profondément juste, alors que le Parti socialiste, puisque il faut bien regarder quelles sont les réformes qui sont proposées en face, n'est qu'une réforme d'augmentation des impôts. C'est du matraquage fiscal pour tous, tous les Français en réalité, c'est la réalité.
 
Donc... Bah, bah, bah, ça y est, c'est dit ! La réforme...
 
... Ben, c'est dit, oui, mais c'est un sujet sérieux.
 
La réforme des retraites, elle n'est pas encore tout à fait ficelée. Elle se fabrique.
 
 Nous avons au Sénat quinze jours de débats, et nous allons bouger sur la retraite des personnes  handicapées, nous allons bouger sur les retraites des personnes qui ont eu...
 
... ça été déjà fait en commission.
 
Oui, mais d'accord...
 
... très bien, très bien !
 
Mais oui, mais dès qu'on fait quelque chose c'est que c'est terminé, ça n'a plus d'intérêt...
 
Ah ben, on avance !
 
Moi, je tiens quand même à le dire que les personnes handicapées qui ont travaillé ou les personnes au chômage, les seniors, les seniors qui sont au chômage, doivent trouver des solutions. On va évidemment les trouver, et sur les femmes nous trouveront des solutions.
 
Entre nous, E. Woerth, est-ce que vous jouez la stratégie de l'effilochage comme s'il fallait un gagnant et un perdant ?
 
Il y aura ni gagnant, ni perdant. Le seul gagnant ce seront les retraités, le seul gagnant c'est le système de retraite français. Il faut être courageux là-dessus. Il ne faut pas faire d'électoralisme. C'est normal qu'il y ait des manifestants, c'est normal qu'il y ait de l'inquiétude. Quand on modifie, quand on réforme un sujet aussi important que les réformes, je veux dire c'est normal dans la tradition sociale française. Et en même temps, il faut pouvoir vraiment se regarder dans la glace quand on fait ça, il faut être courageux, et il faut être capable de réformer parce que c'est l'intérêt de tous les Français.
 
Ce matin, vous dites que la réforme sera votée ?
 
Oui, elle sera votée au Sénat, évidemment. Et quand on a un gamin de 22 ans qui commence à travailler, ou de 25 ans qui commence aujourd'hui à travailler, il doit avoir confiance dans les systèmes sociaux français. Et s'il veut une retraite publique, alors il faut évidemment réformer les retraites. Il faut le faire progressivement, il faut le faire généreusement. Après la réforme, le système français sera encore le système le plus généreux d'Europe.
 
Bonne journée, bonne escalade.
 
Bonne journée.
 Source  :  Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 octobre 2010