Interview de M. Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique à France 2 le 22 octobre 2010, sur le vote au Sénat sur le projet de loi sur la réforme des retraites, le climat social et les relations avec les partenaires sociaux.

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Média : France 2

Texte intégral


 
 
R. Sicard.- Vous avez provoqué un beau tollé hier, en annonçant au Sénat ce que l'on appelle le vote unique, c'est-à-dire que les sénateurs vont voter en une fois, sur tous les amendements qui restent. M. Aubry parle de "coup de force permanent" de N. Sarkozy. Qu'est-ce que vous répondez à ça ?
 
Nous avions terminé l'examen du texte. Alors, c'est compliqué, mais il y a 33 articles dans ce texte, nous avons terminé cet examen sur une durée de plus de... de quasiment trois semaines de débats, nuit et jour. Donc on a regardé le texte dans tout son détail. Tous les débats ont eu lieu. Ce sont des articles ou des amendements additionnels, qui, au fond, ne sont que la répétition de ce qui a déjà été dit. Donc le Gouvernement a estimé, en liaison avec d'ailleurs le président du Sénat et le Sénat, que l'on pouvait procéder à un vote unique, c'est-à-dire au lieu de voter 270 fois, puisqu'il y a 270 amendements, on votera en une seule fois. Par contre, le débat continue.
 
Mais ça va écourter le débat quand même.
 
Mais le débat continue, c'est compliqué, mais il faut le comprendre, le débat continue, chaque auteur d'amendement peut présenter ses amendements. En ce moment, on siège, on a siégé hier toute la nuit, on va siéger encore aujourd'hui, et donc on examine bien tous les amendements, mais il n'y aura qu'un seul vote au lieu de 270 votes. Je tiens à dire, d'ailleurs, que le Sénat a plusieurs fois employé ce type de méthode, ce qui est bien naturel. Et d'ailleurs, ce n'est pas un coup de force, parce que M. Aubry devrait regarder d'un peu plus près comment fonctionnent nos institutions, c'est juste l'application de la Constitution de la République française, et l'application du règlement du Sénat. On ne peut pas essayer de bloquer le débat au Sénat, avec le règlement du Sénat, et reprocher au gouvernement d'utiliser le même règlement du Sénat.
 
Le calendrier, c'est quoi maintenant ?
 
Le Sénat se prononcera, je pense, dans la soirée, ou cette nuit, donc votera cette réforme dans les heures qui viennent. Et puis après, il y aura ce que l'on appelle une commission mixte paritaire, c'est-à-dire l'Assemblée et le Sénat, discuteront du texte issu de leurs deux assemblées, se mettront d'accord sur un texte définitif, puisque chacune s'est prononcée avec des différences, par principe, donc, ils vont se mettre d'accord sur le même texte...
 
Et le vote final ? Le vote final, c'est quand ?
 
...D'ici lundi. Et le vote final aura lieu à la fois à l'Assemblée et au Sénat, le texte revient à l'Assemblée et au Sénat, pour que tout le monde se mette bien définitivement d'accord. Et ça, ce sera la semaine prochaine.
 
Quel jour ?
 
La commission mixte paritaire sera lundi, je pense que le texte sera prêt à l'Assemblée et au Sénat, entre mardi, mercredi, jeudi.
 
Les syndicats, eux, appellent à manifester jeudi, justement. Est-ce que vous comprendriez que les manifestations continuent après le vote de la loi ?
 
La loi est la loi dans la République, donc, là, il y a un mouvement social, qui est d'ailleurs assez traditionnel, et à la hauteur de l'importance de la réforme qu'a voulue le président de la République sur les retraites, pour sauver le régime des retraites. Les choses sont bien claires, notre détermination, elle n'est pas « il faut absolument passer un texte », non, il faut sauver le régime par répartition et il faut, il est bien nécessaire, donc, de le réformer. Ce qu'ont fait d'autres, et tous les autres pays du monde, nous devons le faire en augmentant légèrement la durée légale du... la durée du travail durant toute la vie. Et nous aurons, donc... La loi est la loi...
 
Mais ma question, c'était : est-ce qu'il peut y avoir...
 
Mais la loi est la loi, donc les manifestations, le mécontentement, l'inquiétude, qui s'organisent par le biais des syndicats, il doit prendre fin au moment où la loi est votée, parce qu'il y a un dialogue social. Ce dialogue social a eu lieu pour construire la loi. Il y a eu un dialogue social...
 
Pas suffisant, selon les syndicats.
 
Mais je pense que tout le monde dira toujours que c'est insuffisant, quand on n'est pas d'accord avec un texte. Ce dialogue social a eu lieu d'une façon extrêmement approfondie, jusqu'à la loi. Nous avons même fait, le Gouvernement, un document d'orientation dès le mois de mai, pour bien préciser nos orientations, sur la base des discussions que nous avons eues. Et puis nous avons rediscuté, et puis c'est venu au Sénat, puis c'est venu à l'Assemblée nationale, puis c'est venu en commission. Nous avons beaucoup discuté avec nos partenaires sociaux et on a beaucoup discuté, évidemment, énormément, avec les députés et les sénateurs, avec les partis politiques aussi. J'ai reçu tous les partis politiques, parfois même à plusieurs reprises. Donc le dialogue, il a eu lieu. Cette loi elle n'est pas tombée, comme ça, d'un coup, et elle a évolué cette loi, depuis le mois... depuis l'entrée de la loi à l'Assemblée nationale, elle a évolué plus de 18 fois, parce qu'on a écouté, on a entendu. Mais une fois que la loi est votée, elle est votée, et les partenaires sociaux sont trop...
 
Et là, elle n'évoluera plus ?
 
Ben non, une fois qu'elle est votée, elle est votée. Les partenaires sociaux sont trop respectueux de la démocratie - chacun son rôle - trop respectueux de la démocratie, pour ne pas, j'imagine, faire très attention à l'après vote de la loi.
 
L'entrée des jeunes dans le mouvement, ça vous a surpris ?
 
Oui et non. Il faut toujours s'attendre à tout dans le domaine d'un climat social. Mais, oui, un peu quand même, parce que, au fond, cette loi, elle est faite... cette réforme elle est faite pour les jeunes. Si les jeunes estiment qu'il faut absolument qu'ils paient tout ce que n'ont pas voulu ou pas osé faire leurs adultes, leurs parents, bon, mais je ne crois pas que ça soit le cas. Vous ne pouvez pas commencer à 25 ans, dans la vie, c'est déjà très, très difficile, vous ne pouvez pas commencer en payant à la fois la retraite de vos parents, de vos grands-parents, de vos arrières grands-parents, tout simplement parce que, eux-mêmes, n'ont pas voulu faire les efforts nécessaires. C'est un système par répartition, de solidarité entre nos générations, et on ne doit pas charger, comme ça, la barque, des jeunes. Alors, parfois, je sais bien, ce n'est pas ce que l'on entend dans les manifestations, mais la réalité est celle-là : on doit travailler plus longtemps, parce que si on ne travaille pas plus longtemps, puisqu'on vit plus longtemps, eh bien il y a bien ceux qui vont payer. Ceux qui vont payer, ce sont les jeunes générations. Et il y a un deuxième argument qui, moi, je dois le dire vraiment aux jeunes, ce n'est pas parce que vos parents partiront plus vite en retraite, qu'au fond vous aurez un emploi plus vite. L'emploi des seniors n'est pas l'ennemi de l'emploi des jeunes, bien au contraire, c'est parce que les seniors vont rester au travail, jusqu'à 62 ans, que la France produira plus de richesses, qu'il y aura plus de croissance et donc il y a plus d'emplois pour les jeunes. Tous les pays qui ont un taux d'emploi de seniors importants, ont en même temps un taux d'emploi des jeunes, important.
 
Il y a un amendement qui a été voté au Sénat, qui va permettre d'ouvrir la discussion sur ce que l'on appelle la retraite par points. Ça veut dire qu'après 2013, après la présidentielle en tout cas, on va recommencer à discuter des retraites. Cette réforme, elle est provisoire alors ?
 
C'est un débat continu les retraites. Quand on me dit : on a commencé à parler des retraites, on n'a pas eu assez de temps. Mais ça fait trente ans en France que l'on parle des retraites !
 
Mais cette retraite, cette retraite-là, elle est provisoire ?
 
Ce ne sont que les gouvernements de droite qui ont réformé, d'ailleurs, les retraites, et qui ont eu ce courage. La réforme, elle est très importante, sinon il n'y aurait pas tous ces mouvements sociaux. Donc l'âge, l'intégration de la pénibilité, la prise en compte de la pénibilité, qui est un nouvel acquis social ; le fait que quand on a commencé à travailler tôt, on pourra continuer à partir à 60 ans. Je rappelle d'ailleurs que les 62 ans, c'est en 2018, que les gens qui partiront l'année prochaine, en retraite, à 60 ans, ceux qui sont nés en 1951, ils partiront avec 4 mois de plus, pas à 62 ans tout de suite. C'est évidemment une réforme progressive. Et on dit aussi : il faut continuer à réfléchir à un système très différent d'organisation de notre retraite, c'est-à-dire par points : vous accumulez des points toute votre vie, et puis le jour où vous partez en retraite, eh bien le point il a une valeur, et vous avez la valeur de votre retraite. Il y a d'autres pays qui fonctionnent comme ça. Nos systèmes complémentaires, l'Agirc et l'Arrco, fonctionnent comme ça. Donc nous avons dit aux sénateurs : nous sommes d'accord pour engager une réflexion de cette nature - qui peut durer plusieurs années - une réflexion de cette nature à partir de 2013, et puis à l'issue des effets de la réforme de 2010, c'est-à-dire le rééquilibrage de nos systèmes de retraite, 2018/2020, eh bien le pays pourra continuer à réfléchir pour savoir s'il veut changer, alors, radicalement, le système de retraite. Mais tout ce que nous faisons, l'âge, la pénibilité, les carrières longues, l'intégration des femmes, le rééquilibrage financier de notre système de retraite, c'est une condition préalable absolument essentielle et indispensable. Donc l'un va avec l'autre.
 
Sur la pénurie d'essence, il y a une raffinerie qui a été réquisitionnée cette nuit, est-ce qu'il y en aura d'autres ?
 
D'abord, les dépôts sont débloqués au fur et à mesure du temps, et une raffinerie qui est réquisitionnée, le Gouvernement est très, très ferme, le président de la République a donné des instructions...
 
Mais il y en aura d'autres ou pas ?
 
Ce n'est pas à moi de le dire, c'est à B. Hortefeux et puis à J.-L. Borloo. Mais le Gouvernement a une ligne très claire : oui au droit de grève, évidemment, on peut manifester, moi j'ai beaucoup de respect pour tout cela, la démocratie française est une démocratie très vivante, ceux qui ont quelque chose à dire, doivent le dire, même les jeunes, je n'ai pas de problème avec le fait que les jeunes s'expriment. Mais en même temps, non aux blocages. Le pays ne peut pas être bloqué, parce que certains décident qu'ils sont bloqués. Vous ne pouvez pas être empêché de circuler, votre liberté, c'est votre liberté de circulation, vous ne pouvez pas être empêché de le faire parce que quelques-uns décident de bloquer un outil de travail. Oui, au droit de grève, non au droit de blocage.
 
D'un point de vue personnel, est-ce que vous avez le sentiment que vous avez été affaibli, par ce que l'on a appelé "l'affaire Woerth- Bettencourt" ?
 
Non, je ne crois pas du tout.
 
Vous souhaitez rester au gouvernement ?
 
Oui, je l'ai déjà indiqué, bien sûr que je souhaite rester au gouvernement. C'est au président de la République de dire tout cela, au moment du remaniement, qui interviendra... voilà, je ne sais pas quand, je n'ai pas plus d'informations que vous. Mais moi je fais mon métier, mon métier c'est d'amener la réforme des retraites et puis de gérer le ministère des Affaires sociales, où il y a beaucoup d'autres sujets très importants.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 9 novembre 2010