Texte intégral
M. Biraben et C. Roux.- M. Biraben : E. Woerth, le ministre du Travail, de la solidarité et de la Fonction publique, est l'invité de « La Matinale ». A tous ceux qui pensent que c'est l'Elysée qui a piloté cette réforme, il répond avec autorité : la réforme des retraites c'est moi ! Evidemment, le front s'éclaircit pour le Gouvernement, avec un texte voté ce soir définitivement, et une mobilisation qui marque le pas. Seule ombre au tableau, le dossier Bettencourt qui revient encore et encore, et cette fois par la fenêtre ! E. Woerth, bonjour.
Bonjour.
C. Roux : Bonjour.
M. Biraben : Bienvenue.
Merci. Bonjour.
C. Roux : Alors, si vous le voulez bien, on va évacuer les sujets qui fâchent, avant de passer au dossier des retraites. Alors le Parquet de Versailles a demandé à P. Courroye d'ouvrir une information judiciaire sur l'ensemble des enquêtes préliminaires concernant l'affaire Bettencourt. La question qui se pose ce matin, c'est : est-ce que c'est une mauvaise nouvelle pour vous ?
Ecoutez, je n'ai pas d'opinion là-dessus, c'est une question d'organisation interne de la justice. Donc la justice s'organise comme elle le souhaite. Je n'ai pas plus de commentaires à faire sur le sujet.
C. Roux : Votre avocat a précisé hier qu'il aurait préféré qu'on en reste au circuit court de l'enquête préliminaire, c'est votre cas également ?
Ecoutez, il faut se référer à ce que dit mon avocat, et c'est un homme sage.
C. Roux : Concernant le dépaysement du dossier du tribunal de Nanterre, puisque c'est aussi de cela qu'il s'agit, est-ce que vous considérez que c'est une bonne façon pour que la justice gagne en sérénité ?
Ouh, là, je ne veux surtout pas m'exprimer sur quelque chose dans lequel mon nom est cité. Donc je veux dire, la justice doit continuer à faire son travail, et par principe c'est mieux dans la sérénité, oui, bien sûr, oui.
M. Biraben : Bien. Nous allons tenter le dossier des retraites.
C. Roux : Ça sera plus simple peut-être. Alors, ce matin, B. Thibault...
Non, non, ce n'est pas compliqué...
C. Roux : Ce matin, B. Thibault, dans Libération, prédit un changement de forme de conflit. Il dit que dans les entreprises, les salariés vont refuser d'appliquer la loi. Est-ce que vous prenez ça comme une façon de siffler la fin du mouvement ?
Enfin, la loi c'est la loi, donc la loi, elle sera appliquée. Maintenant, on voit bien que cette semaine, qui est une semaine de vote de la loi, marque un changement, et ce qui est assez normal. Tant que la loi n'est pas votée, il y a une pression de tous ceux qui sont contre ou qui d'ailleurs n'ont pas toujours tout à fait regardé le contenu de cette loi, il y a beaucoup d'informations et de contre informations. Et puis, à un moment donné, la loi devient la loi, et elle s'applique à tous. Nous, notre rôle, c'est de continuer à expliquer. Et dans le domaine des retraites, on a vu que c'était un élément majeur, parce que chacun le prend pour soi-même, c'est normal. Ma retraite, qu'est-ce que je vais devenir, comment, mes enfants... Donc il faut absolument qu'on continue à expliquer, non plus sur un projet - c'est encore plus compliqué sur un projet - mais sur la loi votée, telle qu'elle est, et on se rendra compte, et nos compatriotes se rendront compte qu'elle est complète, qu'elle est juste, qu'on a envisagé beaucoup, beaucoup de solutions, et qu'on a, d'une certaine manière, beaucoup évolué, au fond, notamment avec les organisations syndicales. Beaucoup des idées des organisations syndicales ont été reprises...
C. Roux : De la CFDT précisément...
Oui, de la CFDT, mais de la CGT, mais enfin, des organisations syndicales, je ne vais pas commencer à faire un tri, parce que, notamment sur la pénibilité, le travail qui a été réalisé, on l'a oublié, mais, en juin, en mai, en juillet, a été un travail considérable pour le Gouvernement, mais à l'issue de discussions extrêmement denses avec les organisations syndicales.
C. Roux : Pourtant, il y a quand même une mobilisation demain, il y en aura une autre samedi prochain. Et-ce que vous dites ce matin que ces mobilisations n'ont plus de sens ?
Je dis que ça n'a pas d'impact sur la réforme des retraites, le texte est voté. Je peux comprendre qu'il y a un mois ou deux mois, on essayait au fond de faire entendre sa voix pour transformer et modifier le texte, on est dans un jeu normal de la démocratie française. Grandes réformes, réformes fortes, donc mobilisations fortes. On est dans la continuité de notre histoire sociale. Aujourd'hui, bloquer un dépôt d'essence ou faire grève n'a pas de sens pour la réforme des retraites. Ce qui compte pour le Gouvernement, c'est de continuer à expliquer, vraiment, je le dis, on a beaucoup expliqué avant, ce qui fait que les Français se sont rendu compte qu'il fallait réformer les retraites, parce qu'ils auraient pu se dire : non, non, il ne faut pas réformer les retraites, quelle drôle d'idée, ne réformons pas les retraites. Si. Ils se sont bien dit qu'il fallait réformer les retraites, et puis maintenant, on doit mettre en avant les solutions que nous avons choisies, dans la sérénité.
C. Roux : Le texte sera voté aujourd'hui. Est-ce que vous parleriez de victoire politique pour la majorité ?
Moi, je n'ai jamais évoqué les choses comme ça, j'ai toujours dit : il n'y a pas de rapport de force, il n'y a pas de raisons particulières de jouer une France, au fond, contre une autre, celle qui descend dans la rue, celle qui ne descend pas dans la rue ; donc je ne crois pas qu'il y ait de victoire. Et ce serait une grosse erreur de considérer qu'il y a une victoire d'un camp par rapport à un autre. Je pense que les grands victorieux, c'est tous ceux qui, à un moment donné, prendront leur retraite, c'est notre système de retraite par répartition, c'est qu'on a su et qu'on a pu réformer. Le président de la République a lancé cette réforme en juin 2009, donc il y a déjà du temps, et il l'a fait en sachant que ce serait très difficile. Il le savait, il n'y avait pas de doute là-dessus. Mais il était à la hauteur du défi, et ce défi, c'était de sauver le système par répartition, il a fait son devoir de chef d'Etat.
C. Roux : B. Thibault dit - toujours dans Libération - : ce n'est pas fini, le Parti socialiste dit aussi : ça n'est pas fini, et souhaite donc saisir le Conseil constitutionnel. Est-ce que ça va retarder la promulgation de la loi ?
Eh bien, par principe, oui, de quelques jours, mais vous savez, le nombre de textes qui font l'objet d'un recours au Conseil constitutionnel est important, le Parti socialiste l'a fait régulièrement, l'opposition le fait régulièrement...
C. Roux : C'est un non événement alors.
Oui, c'est dans le droit fil de nos institutions, ils ont le droit de le faire, et donc ils le font, et il n'y a rien à dire là-dessus. Au Conseil constitutionnel, après, de regarder article par article et de juger. C'est une procédure classique, rien à dire sur le sujet. Par contre, beaucoup à dire sur l'attitude du Parti socialiste, ça, c'est autre chose : très irresponsable durant l'ensemble de ce débat. Il aurait pu se hisser au niveau de ce débat, ça n'a pas été le cas, et il s'est hissé, si je puis dire, en dessous du niveau de ce débat.
C. Roux : Alors, un mot sur des accusations portées par J.-L. Mélenchon, et reprises encore une fois par B. Thibault ce matin dans Libération, qui dit qu'il y a des infiltrations de policiers, qui seraient des agitateurs dans les manifestations. Est-ce que vous prenez ces accusations au sérieux et est-ce que vous dites : il faut mener une enquête pour savoir de quoi il en retourne réellement ?
Il faut demander au ministre de l'Intérieur. Mais enfin, c'est du Grand Guignol, mais c'est du Grand Guignol ! Enfin, comment peut-on croire un instant à ce que dit monsieur Mélenchon, enfin...
C. Roux : C'est ce que dit monsieur Thibault aussi.
Enfin, moi, je réponds à monsieur Mélenchon, je ne veux pas déclencher une polémique avec les organisations syndicales, moi, je suis un homme politique, je parle aux partis politiques...
M. Biraben : Il le dit pourtant ce matin dans Libération...
Enfin, voilà, pour moi, c'est évidemment du Grand Guignol. La politique, enfin, la police est une police en France responsable, est une police, au contraire, qui a su et qui sait toujours éviter les provocations.
C. Roux : Alors, vous avez dit hier, de façon un peu étonnante - nous, ça nous a surprises - : « la réforme des retraites, c'est moi ». Donc, puisque c'est vous...
C'est vrai que je ne me mets pas souvent en avant...
C. Roux : Oui, mais là, pour le coup, vous le faites, vous voulez qu'on parle de la réforme Woerth en fait, que l'histoire retienne que c'est la réforme Woerth ?
Non, mais, on verra ce que...
C. Roux : Vous pouvez dire oui...
En général, on met une loi, loi Untel ou loi Untel. Et puis, on verra ce que ça donne. Mais ce n'est pas... franchement, ça n'a aucune importance. Non, je réagissais à une question, c'est plutôt cela. Et on me disait, on essayait de m'opposer à mon ami R. Soubie, qui est le conseiller social de l'Elysée, en disant : la réforme - parce que je le lis partout - la réforme, c'est l'Elysée, et puis, vous, au fond, vous êtes... vous n'avez pas fait grand-chose. Donc permettez-moi juste de rétablir la vérité. Le travail, c'est fait au ministère du Travail, mais c'est normal, le président de la République m'a demandé de le faire, c'est mon ministère qui a produit ce travail, le conseiller social a une expérience extraordinaire, R. Soubie est un homme formidable, nous en avons discuté à plusieurs reprises, on a échangé nos scénarios, et puis, à un moment donné, on va à l'arbitrage du président de la République et du Premier ministre dans une dizaine, quinzaine de réunions sur le sujet.
C. Roux : Nous, on en était resté là, la réforme donc c'est vous. Si c'était à refaire, est-ce que vous referiez le processus de négociation, la rentrée sociale qu'on vient de vivre de la même manière, est-ce que vous changeriez quelque chose ?
Je ne veux pas donner l'impression d'être arrogant, ce que je ne suis pas, mais je pense que, oui, je ne changerais pas grand-chose, parce que je ne crois pas qu'on puisse réformer les retraites ou un élément de notre protection sociale aussi important sans qu'il y ait des tensions sociales. Et je pense que ceux qui disent : vous auriez dû aller plus vite, ce sont les mêmes qui nous disent : il n'y a pas eu suffisamment de débats, au fond, c'est un peu les mêmes. Et donc c'est assez compliqué à organiser. Si nous avions fait la réforme plus tôt, on aurait tronqué le débat. Nous avons accepté, et le président de la République a accepté de prendre du temps pour discuter. Cette discussion a eu lieu. Il n'y a pas eu de négociation, mais je l'ai dit dès le début, et les organisations syndicales l'ont dit dès le début, dès le mois d'avril, tout le monde a oublié le mois d'avril, mais dès le mois d'avril, quand je les ai reçues, les organisations syndicales ont dit : pas de négociation parce qu'on n'est pas d'accord sur le report de l'âge. Et donc on a poussé le report de l'âge, le Gouvernement a dit : on ne fait pas de réforme des retraites sans reculer l'âge de la retraite, c'est vrai dans tous les pays, mais on discute à fond de tous les autres sujets. Et c'est ce que nous avons fait. Donc il y a eu un dialogue, une discussion, quelle que soit la façon dont vous l'appelez, extraordinairement approfondi, et ça, ça a été, je pense, l'acquis de cette réforme. Et puis, après, il y a des tensions, il y a une explication vis-à-vis des Français, c'est compliqué, c'est difficile ; c'est beaucoup plus difficile de faire la réforme des retraites que de ne jamais en faire.
C. Roux : Alors, maintenant, il va falloir renouer les fils du dialogue avec les partenaires sociaux. Est-ce que vous êtes le mieux placé pour rester au ministère du Travail, et donc entreprendre des négociations, notamment sur l'emploi des seniors et l'emploi des jeunes...
Mais écoutez, je ne suis pas mal placé, j'ai des relations de confiance avec les organisations syndicales, même après une réforme de cette nature, personne ne s'est trompé, personne ne s'est humilié, personne ne s'est trahi, ça a été des relations... enfin, dures, bien sûr, une réforme comme ça, c'est dur, c'est difficile. Mais en même temps...
C. Roux : Ça veut dire que vous souhaitez continuer à mener cette discussion avec les partenaires sociaux au ministère du Travail ?
Ecoutez, il y a un remaniement, c'est au - je dirais, la réponse classique de tous mes collègues - c'est au chef de l'Etat de décider. C'est la même chose pour votre rédacteur en chef...
C. Roux : Vous avez le droit d'être original...
Oui, j'ai le droit d'être original, et puis, j'ai aussi le droit de ne pas l'être.
C. Roux : C'est plus simple, c'est ça, de faire comme vos petits camarades.
Non, mais ce n'est pas moi qui fixe le contenu de l'équipe...
C. Roux : Vous savez que vous avez des petits camarades, notamment E. Besson qui a dit : ben, moi, j'aimerais bien changer, j'aimerais bien prendre un portefeuille qui soit lié aux affaires économiques...
Moi, j'ai dit que j'aimerais bien rester au Gouvernement, parce que j'ai consacré ma vie...
C. Roux : Mais ce n'était pas la question...
En grande partie, ma vie à la vie politique, et je trouve que, voilà, on est dans une réforme, on est globalement dans une société qui doit changer, et il faut l'accompagner...
C. Roux : Ce serait injuste si vous ne restiez pas au Gouvernement ?
Je ne qualifierais pas de tout cela...
C. Roux : Après la réforme des retraites, que vous avez menée...
Et puis, je ne me situe pas dans cette perspective, voilà...
M. Biraben : En tout cas, vous le regretteriez, puisque vous aimeriez bien rester...
Oui, mais bien sûr, bien sûr que je le regretterais, oui, pourquoi dire le contraire. Mais je pense que les Français s'en moquent en réalité, donc c'était mieux de parler des retraites que de parler de l'avenir individuel d'untel ou d'untel, parce que vous avez trente ou quarante membres du Gouvernements qui vont venir vous raconter, chacun, leur petite histoire.
C. Roux : Mais ça nous plaît.
Je m'en doute, mais c'est toujours un moment... on lit beaucoup de choses d'ailleurs dans les journaux à propos des remaniements...
C. Roux : C'est pour ça qu'on vous pose la question directement...
Et je me suis aperçu d'une chose, c'est qu'il ne faut jamais vraiment croire ce qu'on dit. (.../...)
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 novembre 2010