Interview de M. Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique à RTL le 13 octobre 2010, sur la poursuite des manifestations et grèves contre le projet de loi portant réforme des retraites, le climat social et les relations avec les partenaires sociaux.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


 
 
 
J.-M. Aphatie.- Vous avez évoqué une "décélération" du mouvement de contestation des réformes des retraites, le 23 septembre dernier. Conviendriez-vous, ce matin, du succès des manifestations ?
 
 Le mouvement a été un mouvement fort. C'est une réforme forte donc il y a un mouvement fort...
 
Mais c'est un succès par rapport à ce que vous aviez prévu ?
 
Ecoutez, moi je ne vais pas qualifier les mouvements de succès ou d'insuccès. Je regarde ce qu'ils sont, donc il y avait du monde dans la rue hier. Ca c'étaient les manifestants dans la rue, il y a aussi des grèves, c'est un peu différent. Il y avait, au fond, à la SNCF à peu près, il y avait plus de monde que le 23 et moins de monde que le 7, en grève. A la RATP, un peu moins. Dans la fonction publique moins. Et dans la fonction publique, d'ailleurs moins qu'en 2003. Il faut regarder les choses comme ça.
 
Est-ce un échec de la pédagogie que vous avez entrepris depuis plusieurs mois à propos de cette réforme des retraites ?
 
Non. Enfin, je ne crois pas. La pédagogie sur les retraites, c'est assez compliqué parce que chacun juge pour lui-même. C'est toujours très, très compliqué. En 2003, il y a eu beaucoup de journées de grève. Il y a eu neuf journées de grèves reconduites. Ca a été le cas aussi en 2007, au moment des régimes spéciaux. Il y a un moment donné, si vous voulez, on est un peu au sommet des choses et de l'actualité quand on est au Parlement.
 
Ca passe ou ça casse, pour vous ?
 
C'est le cas pour le Sénat actuellement, on est à peu près au milieu du gué puisqu'on a encore une semaine, ou une semaine et demie de débats au Sénat.
 
Non, ça doit se terminer le 15. Ca doit se terminer normalement vendredi soir...
 
Non, non, je ne sais pas, on verra...
 
Si. On n'est pas au milieu du gué !
 
En tout cas, on ne veut pas aller... On ira au rythme du Sénat, monsieur Aphatie.
 
Vous n'allez pas accélérer ?
 
Nous irons au rythme du Sénat, mais personne n'accélère. On va au rythme du Sénat. Il y a des règles, il y a des règles de lecture des textes au Sénat et je pense qu'on ira jusqu'en milieu de semaine prochaine, probablement. On verra bien.
 
Dépêche AFP, 20 heures 21, hier soir : "Le débat doit normalement s'achever vendredi soir au Sénat". Donc, on va dépasser ce délai d'après vous ?
 
Mais vous savez, le Sénat avait ouvert une troisième semaine, déjà il y a à peu près quinze jours, donc on ira au rythme des sénateurs et on va au fond du débat. Ca a été le cas pour les 62 ans, les 67 ans...
 
Vous n'accélerez pas ? Pas de vote bloqué ?
 
On n'accélèrera pas. On ne prendra aucun artifice ou élément de procédure, même si ces éléments existent, on n'en prendra évidemment aucun. Nous irons dans la discussion. C'est ce que nous faisons. Nous n'allons pas passer toute la nuit. On parle, on parle... Et puis, on débat. Et puis, on vote des amendements. Et il y a eu notamment un amendement sur les mères de trois enfants, c'est-à-dire que la possibilité pour des personnes qui ont eu trois enfants dans les années 50, parce qu'elles avaient moins de trimestres que les hommes, de prendre - même lorsqu'elles n'ont pas tous leurs trimestres, et c'est inégal par rapport aux hommes, c'est anormal par rapport aux hommes - de prendre leur retraite dès 65 ans et de ne pas passer à 67.
 
Allez-vous proposer de nouveaux amendements pour tenir compte des manifestations d'hier ?
 
L'équilibre général de la réforme, il est maintenant construit. Il a été construit longuement depuis le mois d'avril. On a rencontré les partenaires sociaux un nombre énorme de fois, sur tous les sujets, dans toutes les conditions. On a discuté avec les parlementaires, avec les associations, avec les partis politiques. Donc, à un moment donné, il faut une décision. La question c'est juste de savoir si on sauve ou pas notre régime par répartition ; c'est de faire en sorte qu'il soit équilibré à partir de 2018. Et s'il n'est pas équilibré ce régime par répartition, c'est tous les Français, c'est tous les retraités, c'est tous les futurs retraités qui aujourd'hui trinquent. Donc c'est un sujet trop sérieux pour ne pas aller jusqu'au bout de ce sujet.
 
Donc, vous n'allez rien changer maintenant, le texte est tel qu'il est et rien ne va bouger ?
 
Le débat au Sénat se poursuit donc je ne vais pas dire ça aux sénateurs ! Aucun texte n'est verrouillé tant qu'il n'est pas sorti d'une assemblée, évidemment.
 
Vous êtes prêt à accepter les amendements significatifs ?
 
Mais il y aura des amendements encore, j'imagine, de la part des sénateurs, il y a toute une série d'amendements sur les sujets qui restent en discussion. Mais l'équilibre général du texte, l'économie générale du texte, notamment le fait de reporter l'âge légal à 62 ans, c'est-à-dire de faire que la retraite en France, ce ne sera plus 60 mais 62 ans, c'est une réforme qui est raisonnable. Deux ans de plus, deux ans de plus de travail, c'est au fond moins que ce que beaucoup de pays en Europe ont demandé à leurs concitoyens.
 
Votre position est "intenable", disait B. Thibault, hier soir, sur France 2, "Intenable"...
 
Je ne vais pas commenter les propos non plus de B. Thibault. Elle n'est pas intenable, il y a une démocratie. Il y a une démocratie sociale, ça c'est le dialogue avec les partenaires sociaux. Il y a eu lieu et bien lieu, et beaucoup plus lieu d'ailleurs que dans la plupart des autres réformes de retraites, puisqu'on a pris plus de temps. Et puis, on est en ce moment dans le dialogue à l'Assemblée et au Sénat, dans le dialogue politique, dans le dialogue démocratique, dans le dialogue avec le pouvoir législatif.
 
Mais vous voyez, les manifestations se multiplient, peut-être des blocages. On a vu beaucoup de lycéens, par exemple, hier, dans les manifestations. Ca vous inquiète ?
 
C'est une réforme qui est forte, donc qu'il y ait des manifestations fortes, ce n'est pas surprenant. En 2003, il y a eu des manifestations de même nature. Non, mais on est dans la tradition. Je n'ai aucun... Ecoutez, je ne nie pas qu'il y ait un mouvement social, je ne nie pas qu'il y ait du monde dans la rue, qui peut le nier d'ailleurs ? Et en même temps, qu'est-ce qu'on fait ? On ne réforme pas les retraites ? On baisse les pensions des Français ? On augmente de façon inadmissible les impôts pour essayer d'équilibrer le système ou tout simplement, on essaie de dire aux Français qu'il faut accepter de travailler plus, de ne pas non plus tomber dans tous les panneaux. La retraite, ce n'est pas 67 ans - c'est ce que j'ai entendu dire -, la retraite, ce sera 62 ans. Et 62 ans en 2010, c'est au fond plus jeune que 60 ans en 1980 quand on regarde l'espérance de vie. C'est mieux que ce qu'a fait monsieur Mitterrand et les socialistes dans les années 80. Il faut raisonner comme ça, tous les peuples, tous les pays raisonnent comme ça.
 
La présence des lycéens dans les cortèges, hier, massive, importante ; ça vous inquiète ?
 
Ce que je trouve inadmissible, c'est ceux qui disent aux lycéens de descendre dans la rue, je l'ai dit depuis plusieurs jours. Quand madame Royal dit sur TF1 hier : "Il faut que les lycéens de 15 ans ou de 16 ans descendent dans la rue" - je me demande d'ailleurs ce qu'en pensent leurs parents quand on leur donne comme ça des injonctions, alors que ce sont des mineurs. Mais très sincèrement, je pense que ce n'est vraiment pas bien, ce n'est vraiment pas bien. Je voudrais d'ailleurs dire aussi que madame Royal, une des dirigeantes du Parti socialiste, a parlé deux fois des retraites hier et a fait deux erreurs sur les retraites. Deux erreurs majeures.
 
Lesquelles ?
 
Elle a dit qu'on empêche les gens de partir à 65 ans, même quand ils ont 41 ans de cotisation. C'est faux parce que ces personnes-là, elles pourront évidemment partir à 62 ans. Et puis, elle dit que ceux qui ont commencé à 17 ans, devront cotiser pendant 44 ans, c'est faux. On ouvre le dispositif de carrière longue et les personnes pourront partir à 60 ans. Donc si elle appelle les gens à défiler, les Français à défiler, sur des fautes comme celles-là, c'est assez grave. Et je ne vois pas en quoi elle peut parler d'injustice de la réforme quand elle ne la connaît pas suffisamment bien.
 
Maintenant pour vous, ça passe ou ça casse ?
 
Non, je pense qu'on n'est jamais du tout dans ce type de logique, pas du tout. Nous, on est calmes, on est sereins, on est déterminés évidemment, parce que c'est l'intérêt général que d'être déterminés sur une réforme comme celle-là. Et puis, on est à l'écoute, il faut être attentif à ce que disent nos concitoyens, ce que disent les concitoyens qui ne défilent pas, ce que disent les concitoyens aussi qui défilent. Les retraités, par exemple, qui sont dans les défilés...
 
Mais visiblement, si l'on en croit les sondages, la réforme est tout de même rejetée par une majorité de Français.
 
Monsieur Aphatie, nos concitoyens qui sont retraités, qui sont dans les défilés aujourd'hui, ils ne sont pas touchés, je voudrais leur dire. Il faut qu'on fasse encore plus de pédagogie, expliquer...
 
Réforme minoritaire dans l'opinion, vous en convenez ?
 
Ecoutez, il y a les sondages, il y a aussi la démocratie politique qui est de passer au Sénat et à l'Assemblée, d'aller jusqu'au bout de la discussion. Je remarque quand même que 100 % des Français considèrent qu'il faut réformer les retraites, que 100 % des Français n'acceptent pas d'avoir leur régime de retraites en déficit parce que c'est la première des injustices. Un régime de retraites en déficit, ce n'est plus de retraite dans l'avenir pour les Français.
 
L'addition en 2012, ça vous fait peur ?
 
Non, l'addition ne fait jamais peur quand on est à la hauteur de ses responsabilités.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 novembre 2010