Interview de M. Georges Tron, secrétaire d'Etat à la fonction publique, à LCI le 27 novembre 2010, sur le vote définitif de la loi portant réforme des retraites, le climat social et l'emploi des jeunes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info

Texte intégral


 
 
C. Barbier.- G. Tron, bonjour.
 
Bonjour.
 
Vote définitif à l'Assemblée, aujourd'hui, de la réforme des retraites, mais manifestations demain et encore le 6 novembre. Qu'avez-vous envie de dire aux syndicats aujourd'hui ? Qu'il faut savoir terminer une grève, qu'il ne sert à rien de descendre dans la rue contre une loi adoptée ?
 
Qu'il y a le temps de l'avant et puis il y a le temps de l'après, et que la différence entre l'avant et l'après c'est le fait que le texte est voté. On n'est plus dans un projet de loi, on est dans une loi. Donc, avoir une manifestation dans le cadre du projet de loi, des manifestations, c'est explicable, je pense que les Français le comprennent bien ; après, c'est en quelque sorte la remise en cause tout simplement des règles de la démocratie et de la République - c'est autre chose.
 
C'est-à-dire que vous trouvez que demain la manifestation est illégitime ?
 
Elle n'est pas illégitime, mais il faut bien comprendre qu'à un moment ou un autre, il faut savoir arrêter une grève. Le faire le lendemain du vote, c'est peut-être une façon de manifester jusqu'au bout son opposition, il ne faut pas que cela devienne une façon de remettre en cause le texte voté par le Parlement.
 
Est-ce que vous n'avez pas peur surtout du retour des lycéens la semaine prochaine dans la rue ?
 
Non ! Je pense que les lycéens, en réalité, ont participé à la fin de ces manifestations. Je suis confiant sur leur capacité d'une part à comprendre ce dont il s'agit une fois que le texte est voté, et en second lieu à regagner les cours normalement, ce qui, me semble-t-il, d'ailleurs est assez conforme à ce qu'ils devraient faire.
 
Et le recours devant le Conseil constitutionnel ?
 
Il ne me gêne pas du tout.
 
Est-ce que ça vous fait peur ?
 
Pas le moins du monde ! Je crois que quand on est dans les institutions de la Ve République, le Conseil constitutionnel est une étape qui devient maintenant quasi systématique, d'autant plus que la réforme constitutionnelle, comme vous le savez, en mettant en place cette capacité après le vote de la loi à pouvoir arguer d'arguments anticonstitutionnels sur une loi devant le Conseil, fait que de plus en plus on aura une étape indispensable au niveau du vote de la loi.
 
Alors, cette affaire a eu un coût pour l'économie mais elle a un coût politique également : le Président est plus impopulaire que jamais dans les sondages. Est-ce que ce n'est pas une victoire à la Pyrrhus, comme le dit la gauche ?
 
Pas du tout ! Je pense qu'en réalité on est dans la logique habituelle, c'est-à-dire qu'il y a le moment du vote du texte, qui en France, d'ailleurs, est d'autant plus douloureux politiquement pour celui qui porte la réforme que l'opposition est frontale, très frontale, on n'est pas dans une sociale démocratie comme dans tous les pays européens. Mais je pense que dans un second temps, les Français sont, si j'ose dire, dans un réflexe de raisonnement parce que on s'éloigne des passions, et qu'à ce moment-là ils sont plutôt reconnaissants à celui qui a porté la réforme de l'avoir faite.
 
Et pourtant, F. Hollande dit le contraire. Il dit, « il y a une rancune dans ce pays, elle reviendra ». Que lui dites-vous ?
 
Que ce n'est pas la première fois qu'en analyse politique un socialiste se trompe.
 
Et les syndicats qui disent qu'il y aura d'autres formes de manifestations, d'autres formes de protestations ? Une certaine forme de dialogue social entre N. Sarkozy et eux semble rompue.
 
Non, je ne le crois pas. Les syndicats sont dans une logique du jour, sur ce texte-là. Mais il y a plusieurs casseroles sur le feu avec des textes tout à fait importants qui vont venir en discussion. Dans le seul domaine qui est le mien, celui de la fonction publique, j'ai au moins quatre ou cinq chantiers. Et donc, je pense que...
 
... et ils vont revenir comme ça, gentiment, comme si de rien ne s'était passé ?
 
Mais ils ne sont jamais partis méchamment, donc ils n'ont pas à revenir gentiment. Le vrai sujet c'est quoi ? C'est est-ce que oui ou non on a continué à négocier ou à discuter avec les syndicats sur d'autres sujets pendant cette période ? La réponse est évidemment oui. Moi, je suis à même de vous décliner quatre ou cinq chantiers au sujet desquels nous avons discuté avec les syndicats ces dernières semaines.
 
Pour éviter la rancune et pour calmer les esprits, est-ce qu'il ne faudrait pas faire un geste, est-ce que qu'il ne faut pas payer les jours de grève ?
 
Non ! Il ne faut pas rentrer dans une logique qui remette en cause ce qui a été fait. On peut avoir, en revanche, à la suite du vote du texte des discussions qui peuvent perdurer sur d'autres sujets, et notamment, vous le savez - c'est une proposition qui a été formulée, qui me paraît pleine de bon sens - sur l'emploi des seniors et la question des jeunes.
 
Alors, justement, l'emploi des jeunes on aurait pu en parler avant. Pourquoi seulement maintenant ?
 
Ça fait dix ans, quinze ans, vingt ans qu'on parle de l'emploi des jeunes. Je suis toujours surpris quand on dit ça. Depuis des années et des années, les différentes propositions qui sont formulées, en général d'ailleurs par cette majorité, sont l'objet d'un scénario qui est assez habituel, avec des jeunes qui descendent dans la rue, qui protestent contre la réforme en cours. Et puis, on s'aperçoit trois ans, quatre ans après, qu'en réalité la situation des jeunes est particulièrement grave. Donc, je crois qu'à la suite ce texte sur les retraites, peut-être peut-on avoir une nouvelle forme de discussion pour avoir un accompagnement pour les jeunes.
 
Etes-vous prêt à engager des jeunes dans la fonction publique, un peu comme les emplois jeunes de 97 par la gauche ?
 
La fonction publique, pardon de le dire, est là pour rendre une mission de service public. Il peut y avoir des procédures particulières pour embaucher des jeunes, ou d'autres d'ailleurs, mais cela dit sa vocation à la fonction publique c'est de rendre une mission de service public dans les meilleures conditions pour l'usager et dans de meilleures conditions possibles pour les agents. Ce n'est pas d'avoir une vocation sociale qui consiste à embaucher, à embaucher, pour servir d'exutoire aux conditions d'emploi du moment.
 
Alors, dernière attaque des communistes, hier, à l'Assemblée. Vous avez protesté sans vraiment répondre. G. Sarkozy, le frère du Président, vend de la retraite privée, il va profiter de cette réforme.
 
Oui, je déteste ce type d'attaques ad hominem, qui d'ailleurs dans cette réforme ont été malheureusement monnaie courante. Ca été contre E. Woerth, ça été depuis 3-4 jours contre G. Sarkozy. Tout ça est absolument ridicule, et je le dis d'autant plus volontiers que je suis très surpris que les communistes n'aient pas vu que par les arguments qu'ils énonçaient, à mon sens c'est eux-mêmes qui mettaient en place le processus de la capitalisation. Pour une raison très simple, c'est que tous les modes de financement qu'ils proposaient nous éloignaient de la répartition. La répartition ce sont les cotisations du moment qui paient les pensions du moment. Et en remettant en cause ce système-là par la fiscalité et par l'impôt pour payer les retraites, c'est bien eux qui introduisaient le dispositif de capitalisation.
 
Mais la répartition c'est fini. En 2013, on va débattre du passage à la capitalisation, la retraite par points, aux notionnels.
 
Oui, R. Soubie l'a dit l'autre jour, il faut à peu près vingt ans pour arriver, donc on n'en est pas là. Pour l'instant, on est attaché à la répartition, on l'a dit en 2003, on le redit en 2010. Chaque chose en son temps !
 
J.-M. Ayrault, président du groupe socialiste, va proposer la fin de la double cotisation des députés. C'est un régime de retraite assez favorable pour les parlementaires. Est-ce que l'UMP doit voter cette suppression ? Est-ce que le Gouvernement est favorable ?
 
Je crois que ce n'est pas J.-M. Ayrault qui l'a proposée, c'est une question qui se pose à tous les responsables politiques. Le sujet est très simple : les députés ne peuvent pas s'exonérer d'une réforme de leur statut, et incontestablement la double cotisation est une spécificité de leur statut.
 
Et il faut y mettre fin, au nom de l'équité ?
 
Il faut, incontestablement, y réfléchir et je ne vois pas pour ma part d'hostilité à y mettre fin. D'ailleurs, je me permets de vous signaler que lorsque j'ai été nommé ministre, par exemple, j'ai refusé moi-même d'avoir ce système, même si c'est pas tout à fait la même chose, de double cotisation, député d'un côté, ministre de l'autre.
 
J.-L. Borloo à Matignon, est-ce que ce serait une erreur ou est-ce que ce serait une audace ?
 
Je ne sais pas si ce serait une erreur, je ne sais pas si ce serait une audace. C'est une hypothèse sérieuse.
 
Vous êtes indifférent !
 
Je ne suis jamais indifférent, mais en tout cas ça fait partie d'une appréciation globale de la situation que seul le Président peut avoir. Je ne prétends pas l'avoir moi-même.
 
Le procureur Courroye va devoir nommer un juge d'instruction dans l'affaire Woerth/Bettencourt. Ça fait bizarre quand même, le jour où la réforme des retraites est adoptée, on n'a plus besoin d'E. Woerth, il n'est plus indispensable, il y a un juge qui va s'occuper de lui.
 
Écoutez, moi je répondrai simplement : E. Woerth a conduit la réforme, j'ai eu le plaisir et l'honneur de le faire à ses côtés. J'ai été extrêmement choqué du procès qui a été fait à E. Woerth, dans des conditions qui ont été peu respectueuses, ou pour tout dire d'ailleurs pas respectueuses du tout, de sa présomption d'innocence. Je trouve qu'aujourd'hui l'heure est plutôt à lui rendre un grand coup de chapeau pour ce qu'il a fait.
 
Un grand coup de chapeau puis il s'en va du Gouvernement dans le remaniement pour mieux se défendre ?
 
Il peut avoir un grand coup de chapeau et rester au Gouvernement.
 
G. Tron, merci et bonne journée.
 
Merci à vous.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 novembre 2010