Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la justice et des libertés, à RMC le 13 octobre 2010, sur le sentiment d'injustice perceptible dans la population, à l'occasion notamment des manifestations contre la réforme des retraites.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Ce matin notre invitée, M. Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés. Bonjour.
 
Bonjour.
 
Merci d'être avec nous. N'avez-vous pas le sentiment, qu'aujourd'hui, en France, l'injustice, l'injustice ressentie pas les Français, dépasse largement le cadre de la réforme des retraites ?
 
Je pense que les Français ont toujours été particulièrement sensibles à l'idée de la justice, dans quelque domaine que ce soit. C'est un élément qui tient aussi à notre idée de l'égalité, de l'égalité devant la loi, devant l'Etat.
 
Alors, est-ce que (...) sentiment d'injustice aujourd'hui ?
 
Aujourd'hui, les Français peuvent avoir, effectivement, dans un certain nombre de cas, pour des raisons diverses, sur lesquelles j'insisterai une minute, le sentiment que tout le monde n'est pas traité exactement de la même façon. Ce qui n'est d'ailleurs pas le cas pour les retraites, parce qu'il y a un paradoxe dans ce que disent les Français. Ils veulent à la fois que tout le monde soit traité de la même façon, mais ils veulent également que l'on prenne en compte la situation de chacun. Il y a une chose, par exemple, qui est très claire. Aujourd'hui, nous voyons notamment manifester des syndicats de cheminots, or les cheminots avaient des régimes spéciaux, je le rappelle, auxquels ils étaient très attachés, pour la conservation desquels ils ont fait grève. Aujourd'hui, effectivement, ils manifestent contre les retraites, en général, alors même qu'ils ne sont pas concernés, puisqu'ils ont un régime qui va se prolonger encore plusieurs années. Donc vous voyez, il y a toujours une certaine ambiguïté. Ce qui est important néanmoins, c'est que les Français aient toujours l'idée, le sentiment, que les choses sont équitables. Et d'autre part, il y a un autre sentiment qui est lié à ça, c'est l'idée de l'égalité, la volonté d'une égalité devant la capacité de réussir. Et je crois qu'un des problèmes profonds de notre société aujourd'hui, c'est que les Français ont le sentiment que finalement ils n'ont plus la possibilité, quels que soient leurs efforts, quel que soit leur talent, de réellement partir de la base et arriver au sommet. C'est un sentiment qui ne repose pas vraiment sur une réalité, néanmoins il doit être pris en compte par le Gouvernement. Je crois que nous avons besoin de retrouver de la mobilité sociale, de retrouver une vraie promotion sociale. Que celui qui entre comme balayeur chez vous, à RMC, puisse un jour se dire qu'il sera à votre place, ou qu'il sera à la place du PDG. Que celui qui va rentrer au ministère de la Justice comme simple huissier puisse se dire qu'il pourra être un jour directeur. C'est ce qui se passe d'ailleurs...
 
Ou Garde des Sceaux.
 
Ou Garde des Sceaux, bien entendu. C'est ce qui se passe d'ailleurs dans les Armées, et c'est une grande leçon que j'ai tirée, on peut commencer comme simple enfant de troupe et se retrouver chef d'état-major. Si dans toute la société nous disons que cela redevient possible, alors je crois que les Français auront une vision plus optimiste de l'avenir, ils auront une attitude plus volontariste face aux défis.
 
Est-ce que vous ne pensez pas aussi que les Français ont le sentiment que la politique est devenue immorale ?
 
Je ne sais pas. Oh, ça, si vous voulez, c'est quelque chose que vous retrouvez au 19ème siècle, et à chaque fois, en général, vous avez « les politiques sont tous pourris, mais, mon maire, mon député, mon sénateur, mon conseiller général, eux sont des gens biens. » Donc, ça c'est une vieille idée, qui est véhiculée, qui en même temps est démentie par la réalité sur le terrain. Ce qui se passe c'est que dans ce domaine, comme dans bien d'autres domaines, souvent, l'actualité, l'information, va se porter sur un cas, et à partir de ce moment-là vous avez une généralisation. C'est par exemple quelque chose que je vois dans un domaine qui est le mien, c'est celui de Drouot, où vous voyez quelques personnes qui effectivement ont commis des malversations, et à ce moment-là c'est toute une profession qui est mise en jeu, avec toutes les conséquences économiques que cela peut avoir. Donc, je crois qu'il est très important aussi d'être raisonnable, de ramener les choses à leur juste proportion, de punir ceux qui ont commis des infractions, mais de ne pas faire porter l'opprobre sur tous. En ce qui concerne les politiques en particulier, je commence à avoir fait quelques années de politique, à bien les connaître, je peux vous dire que l'immense majorité, la quasi-totalité des parlementaires ou des maires, sont des gens qui consacrent beaucoup de temps, ils n'en sont pas aux 35 heures, loin de là, c'est souvent plus du double, qu'ils ne gagnent pas beaucoup d'argent.
 
Avec un régime spécial de retraite, quand même, M. Alliot-Marie.
 
Avec un régime spécial de retraite qui, attention, n'est pas un régime par répartition, puisque vous avez une cotisation qui est très importante...
 
Oui mais qui va être modifiée ?
 
Alors qui sera peut-être modifiée, encore une fois...
 
Vous êtes favorable à une modification ?
 
Je n'ai pas à être favorable ou défavorable à une modification, dans la mesure où c'est un problème qui concerne le Parlement...
 
Vous avez un avis sur la question.
 
Attendez ! Je suis aujourd'hui membre du Gouvernement, et il ne serait pas convenable, effectivement, que je dise aux parlementaires, ou aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat : voilà ce que je pense, puisque eux-mêmes ont dit qu'ils étaient en train de réfléchir, ensemble, sur les modifications qui doivent être apportées pour que les Français aient un plus juste sentiment de l'égalité entre l'effort qui est fait et la retraite...
 
Alors, M. Alliot-Marie, est-ce que le Gouvernement a raison, aujourd'hui, d'être ferme face aux manifestations ? Est-ce qu'il y a encore, est-ce qu'on pourrait encore, je ne sais pas moi, apporter quelques améliorations au projet de réforme ?
 
Alors, les manifestations ont été nombreuses, c'est vrai, même si par ailleurs la grève a été moins importante qu'autrefois, mais qu'est-ce que ça veut dire ? De toute façon, qu'elles soient nombreuses ou pas, cela veut dire qu'il y a un sentiment d'incompréhension, et donc qu'il faut continuer à mieux expliquer.
 
Ça veut dire que la réforme a été mal expliquée ?
 
Ça veut dire qu'il faut continuer à mieux expliquer...
 
Ça veut dire qu'elle n'a pas été suffisamment bien expliquée alors ?
 
Je pense, si vous voulez, pour avoir discuté au cours de ces dernières semaines avec beaucoup de Français, en réalité, la plupart des Français comprennent bien qu'il doit y avoir un effort de fait, parce que si on reste dans la situation d'aujourd'hui, alors les retraites, pour les gens qui d'ores et déjà sont à la retraite, ne pourront pas être payées, les leurs, pour ceux qui travaillent, ne pourront pas être payées, et en ce qui concerne les jeunes il y aura une grande injustice puisqu'ils devront cotiser à la fois pour eux-mêmes mais également pour ceux qui sont déjà à la retraite. Donc c'est une double pénalité. Aujourd'hui, il y a un système d'équilibre financier des retraites, qui n'est pas garanti. Pourquoi ? Tout simplement parce que vous avez eu un allongement de la vie, et par conséquent les retraites sont payées plus longtemps. Donc la réforme est nécessaire. Pour autant, le Gouvernement est attentif, et a été attentif, à ce qui pouvait être dit et à la façon de rétablir un certain nombre d'équilibres. C'est ainsi, par exemple, que l'Assemblée nationale a pris en compte la pénibilité. Aucun de ceux qui protestent aujourd'hui à gauche contre les retraites, contre le système de retraite, n'avaient pris en compte la pénibilité.
 
Donc les manifestants n'ont rien à faire dans la rue, si je vous écoute ?
 
Non. On peut comprendre que les gens ne soient pas contents, parce qu'on leur demande un effort supplémentaire, c'est infiniment compréhensible, pour autant, ce qui est vrai, c'est qu'il est indispensable que nous nous mettions à un niveau qui nous permette de garantir notre système par répartition, qui est le seul qui crée une égalité, je dirais entre tous, et qui n'écrase pas les plus fragiles dans notre société. Il est indispensable que nous soyons sur un système, qui d'ailleurs est celui de tous nos voisins, qui prenne mieux en compte l'allongement de la durée de la vie, et l'allongement de la durée de la vie en bonne situation, et en même temps un certain nombre de situations particulières, celle des gens qui ont fait depuis longtemps un métier extrêmement pénible, ça a été pris en compte à l'Assemblée nationale, ceux des mères de famille qui ont élevé plus de trois enfants, et dont la carrière a donc été empêchée par ce fait, et également ceux des parents handicapés qui ont une charge supplémentaire, et qu'on prend en compte.
 
Donc ça suffit ?
 
Mais, encore une fois, il serait irresponsable de dire : nous ne faisons rien aujourd'hui sur les retraites. Il serait tout aussi irresponsable de dire, comme certains à gauche : arrêtons tout et puis on va réfléchir, alors même que la gauche n'a rigoureusement aucune proposition à faire en la matière. Nous les avons entendus pendant des heures et des heures, il n'y a rien de concret, aucune proposition, c'est finalement fuir devant l'obstacle, comme ça a été fait par tous leurs gouvernements, lorsqu'ils ont été au pouvoir.
 
Est-ce qu'il est irresponsable, comme l'a fait S. Royal hier soir, d'appeler les lycéens à descendre dans la rue, pacifiquement a-t-elle dit ?
 
Appeler à descendre dans la rue, oui, je considère que c'est irresponsable. Quand c'est un adulte, et quelqu'un qui se veut un responsable politique, qui les incite à aller dans la rue, je dis c'est effectivement irresponsable.
 
On les incite à devenir auto-entrepreneurs à 16 ans ! Pourquoi ?
 
Je vais vous dire pourquoi. J'ai été ministre de l'Intérieur, j'ai été aussi, d'ailleurs, en charge de l'enseignement au ministère de l'Education nationale, et j'ai été à la Jeunesse et aux Sports, ce qu'il faut bien voir c'est que des manifestations dans la rue c'est quelque chose qui présente toujours un certain risque. Alors quand vous avez des adultes, ils savent à peu près mesurer les risques. Le problème avec les lycéens, c'est que pour eux être dans la rue ça a un aspect un peu festif, et à partir de là ils ne savent pas ce qui se passe, si vous avez un mouvement de foule. Parfois j'ai vu des choses complètement irresponsables, de jeunes qui grimpaient avec des grilles, avec tout le risque, effectivement, qu'il puisse y avoir tout simplement un accident. Et moi c'est la raison pour laquelle je n'aime pas voir des jeunes dans la rue, et encore plus quand ce sont des adultes qui leur disent « Allez-y, on vous met devant, on vous pousse devant ». Ça me paraît quelque chose qui effectivement est profondément irresponsable, simplement au regard d'une absence, d'une certaine absence de maturité, par rapport à de telles manifestations.
 
M. Alliot-Marie, nous allons quitter le projet de réforme des retraites, nous allons parler politique et nous allons parler de votre réforme de la garde à vue. A tout de suite. (.../...)
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 novembre 2010