Texte intégral
Madame la Présidente de la Confédération Helvétique,
Madame la Secrétaire d'Etat à la Santé d'Allemagne,
Monsieur le Ministre de la Santé et des Affaires sociales de Genève,
Monsieur le Directeur d'UNAIDS,
Messieurs les Organisateurs de cette Conférence,
Chers Amis,
C'est avec plaisir que je participe à l'ouverture de cette 10ème conférence. Depuis Rotterdam en 1993, j'y ai participé chaque année, en y étant présent ou en m'informant de vos travaux. Je retrouve aujourd'hui beaucoup d'amis, c'est grâce au mouvement international de réduction des risques que nous avons pu en France développer avec retard, malheureusement, une politique pragmatique plaçant l'homme, la femme, l'usager au centre de nos préoccupations.
J'ai été responsable de la santé publique en France à deux reprises en 1992/93 ministre de la Santé, j'ai trouvé une situation catastrophique dans la prise en charge des usagers de drogues. La situation était crispée pour ne pas dire bloquée l'échange des expériences des uns et des autres ne donnaient pas lieu à une mise en commun et conduisant au contraire à des polémiques. Les discussions qui auraient dû préciser les concepts, et déboucher sur une collaboration se terminaient en invectives. Bien sûr le contexte était à l'époque bien différente la pression exercée par l'épidémie de SIDA et par le développement de la précarité rendait nécessaire une mutation de nos concepts.
Cette mutation était compliquée par l'implication nouvelle de certains acteurs :
- les associations dont le rôle fut inestimable,
- les médecins généralistes, qui à cette époque n'était pas reconnu mais qui ont développé la substitution de façon "sauvage".
La décision que je pris après une tournée informative au Etats Unis et en Europe à cette époque d'élargir la substitution déclencha des résistances surprenantes.
La politique que j'ai initiée alors, dont j'ai tracé les grandes lignes, de réduction des risques en matière de toxicomanie, n'est plus considérée comme un instrument de contrôle social.
Depuis, et je me réjouis que le développement de cette politique ait été reprise, après quelques discussions bien normale, et avec succès par mes successeurs, qui sont aussi mes prédécesseurs, puisqu'il y a eu vis-à-vis des toxicomanes en général, et des héroïnomanes en particulier une évolution et une diversification des réponses sanitaires, mais aussi une continuité.
Des grands changements ont eu lieu, ils ont finalement été assez rapide, eu égard à un conservatisme certain, et ce dans tous les champs de la réduction des risques. Echange de seringues, boutiques, méthadone, subutex très particulièrement français. Tous les acteurs du système de santé ont été impliqués, des médecins généralistes que je citais tout à l'heure aux hôpitaux généraux, voire certains CHU et les centres spécialisés qui plus qu'auparavant ont travaillé en réseau avec d'autres partenaires.
Tout cela s'oriente dans la bonne direction et les résultats sont flagrants : une diminution de 50 % des overdoses, une diminution très nette du taux de séro-prévalence au VIH, malheureusement, l'existence encore d'une prévalence à l'hépatite C particulièrement importante, et puis une diminution du nombre d'héroïnomanes, mais aussi une modification des consommations, une apparition des polytoxicomanes.
En dépit de ces résultats encourageants de nombreuses difficultés quotidiennes se dressent toujours, contre la mise en oeuvre de ces actions. J'ai donc demandé aux différents intervenants en toxicomanie de participer aux Rencontres nationales sur l'abus de drogues et la toxicomanie en décembre 1997. Ils m'ont fait près de 80 recommandations au cours d'une conférence qui a permis de discuter ensemble sans invectives et de trouver un certain nombre de consensus.
A la suite de ces rencontres et de leurs recommandations, deux événements particuliers ont ponctué la politique de prise en charge des toxicomanes en France.
D'abord le rapport Roques que j'ai demandé de réaliser sur la dangerosité des drogues et qui a débouché sur ce rapport que vous connaissez et qui a permis une classification différente et une ouverture aux différents toxiques, qu'ils soient légaux ou illégaux.
Une classification aussi juste et précise soit-elle ne peut rassembler la problématique liée a l'usage des drogues. Tous ceux qui de prêt ou de loin ont été touchés dans leur famille savent combien ces schémas sont insuffisant à résumer une personnalité, une histoire, une vie, des joies comme de terribles souffrances, de l'amour aussi.
On l'a vu avec l'alcool et le tabac, ce n'est pas parce qu'une substance est licite qu'elle ne présente aucun danger pour l'organisme. Un autre exemple nous est donné avec l'abus de médicaments. La consommation de tranquillisants en France est trois fois supérieure à la moyenne européenne. Notre situation contraste d'ailleurs avec celle de nos voisins où la consommation de tranquillisants a baissé au cours des dix dernières années de 30 % en Hollande, de 47 % en Allemagne, de 57 % en Grande-Bretagne.
L'armoire à pharmacie est devenue un refuge pour un certain nombre de nos concitoyens qui en sont réduits à absorber diverses substances pour dormir, se réveiller, faire l'amour, danser, travailler, rire...
Grâce à cet arsenal médicamenteux issu de nos laboratoires, tous les espoirs nous seraient permis pour nous raccrocher à un modèle connu, rassurant, traiter le surpoids, faire repousser les cheveux, rendre euphorique, n'importe quel déprimé.
Ces abus qui débouchent à l'évidence sur une véritable dépendance face aux médicaments n'en sont pas moins socialement et médicalement admis. Ils ne sont pourtant pas sans conséquence sur la santé. Une étude menée dans le 16ème arrondissement de Paris a montré que 7 % des nourrissons de 3 mois auraient déjà consommé tranquillisants et hypnotiques. Il faudrait, sans doute, aussi mesurer leur impact sur les performances scolaire, le rendement professionnel.
Dans son rapport, Bernard Roques souligne à maintes reprises qu'aucune substance n'est complètement dépourvues de danger, dans la mesure où toutes sont édoniques et stimule le système dopaminergique, autrement dit le système de récompense. Tous les individus vont-ils pour autant tomber dans la toxicomanie à la moindre stimulation de ces systèmes ? Non. Tous les individus ne sont pas égaux devant le risque toxicomaniaque, sans d'ailleurs qu'il soit possible de distinguer la part qui relève de la nature des produits, de facteurs environnementaux, sociétaux. Le pharmacologue relève ensuite que les états dépressifs, les troubles obsessionnels compulsifs, les personnalités anti-sociales, l'anxiété, sont retrouvés avec une très forte incidence chez les sujets dépendants à l'héroïne, l'alcool et la cocaïne.
Quant à la toxicomanie proprement dite, elle refléterait enfin une difficulté, voire une impossibilité à mettre en oeuvre une conduite ajustée aux situations rencontrées conflictuelles ou non.
Par ailleurs, le deuxième changement est celui de la nomination à la tête de la Mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie de Mme Nicole Maestrachi, magistrate de talent qui a pris cette présidence en juillet 98 et qui lors d'un rapport d'étape au Premier ministre a proposé comme il lui avait demandé l'élargissement des missions de la MILDT, à l'alcool, au tabac et aux médicaments. Un plan triennal va être proposé, la réduction des risques constituera la trame de ce rapport.
Elle vous exposera elle-même les projets en cours lors d'une séance plénière sur le rôle et l'action interministériels de la structure qu'elle préside.
Il est certain qu'il nous reste beaucoup de chose à faire. Car comme je vous l'ai dit nous sommes confrontés actuellement au développement rapide de la consommation des drogues de synthèse en particulier l'ecstasy, dont l'INSERM vient de souligner les effets toxiques. Même si les données dont nous disposons sont très incomplètes, les types de consommation semblent très différents. Il faut prendre en compte les polytoxicomanies et les nouveaux, modes de consommation.
Une partie de la population de moins de 20 ans présente des comportements de consommation qui se caractérisent principalement par une consommation toxicomaniaque d'alcool, ou par une consommation d'ecstasy au cours de soirées raves, licites ou illicites. Ces types de consommation s'inscrivent dans un mouvement de recherche de défonce, dans un contexte festif et collectif et ne coïncide pas avec l'identité du toxicomane, héroïnomane connu et repéré depuis les années 70. Ces problématiques doivent donc faire l'objet d'une réflexion spécifique.
Les études relatives au phénomène de l'ecstasy montrent que les données socio-démographiques des consommateurs d'ecstasy sont stables, la moyenne d'âge est de 22 ans. Une assistance sanitaire sur les milieux de rassemblement est nécessaire pour assurer une réduction des risques de contamination des maladies transmissibles et une prévention des risques liés à l'environnement et à la consommation de produits illicites. Une expertise collective de l'INSERM montre que l'ecstasy est un produit dangereux qui peut provoquer des troubles psychiatrique à court, moyen et long terme ainsi que des problèmes cardiaques et endocriniens A la dangerosité du produit, s'additionne celles des substances ajoutées (alcool, cannabis, héroïne).
Depuis l997 sont financées des associations qui assurent sur les lieux de rave une réponse sanitaire en terme de réduction des risques. Il est légitime de trouver des solutions pour protéger la jeunesse et donc regarder objectivement leur comportement, en essayant de se rapprocher d'eux plutôt que de les marginaliser.
Par ailleurs, il faut prendre en compte les comorbidités psychiatriques. L'émergence de troubles psychiatriques chez certaines personnes sous traitement de substitution, la consommation de produit tel que le crack ou l'association de certains médicaments psychotropes détournés de leur usages, ont des conséquences qui nécessitent dans certains cas une intervention psychiatrique.
Le plus souvent les équipes spécialisées en toxicomanie n'ont pas les compétences nécessaires pour réaliser face à ces troubles psychiatriques une intervention efficace et de qualité.
Nous avons essayé de développer une politique expérimentale dans le 18ème arrondissement de Paris, grâce à des équipes de travailleurs sociaux de proximité, afin d'aider des toxicomanes très désinsérés à avoir accès à une prise en charge.
Enfin, reste le problème de la loi, notre politique légale est régi en France par la loi de 1970. Je réfute toutes approches idéologiques et préfère pour ma part une démarche pragmatique. L'approche idéologique se trouve dans les deux camps. Le camp de ceux qui prônent sa modification immédiate, comme chez ceux qui la refusent obstinément. En effet, modifier la loi pour faire l'apologie des drogues quelles qu'elles soient pour faciliter l'usage des drogues n'est pas recevable. Il s'agit d'un faux combat. Libéraliser l'usage des drogues ne peut être une fin en soi. Je dirais même que ce serait une régression par rapport aux efforts qui ont été déployés au cours des dernières années de prévention d'autres fléaux sanitaires que sur l'alcoolisme et le tabagisme, et au meilleur encadrement de l'usage des médicaments. A l'inverse s'arquebouter à la loi en y voyant un rempart contre les drogues, une protection de la société contre elle-même n'est pas plus pertinent.
La loi n'a pas empêché l'usage des drogues. Elle a pu donner une bonne conscience, elle a pu surtout masquer certains enjeux.
C'est en quoi je salue la démarche suivie en Suisse. Dans leur grande sagesse, ceux qui avaient en charge la politique des drogues dans votre pays ont changé les pratiques patiemment depuis 1988, et ont développé une véritable politique de réduction des risques avec la possibilité d'accès à une prise en charge pour l'immense majorité des usagers de drogues. Cette politique a été acceptée par la population, et lors de votations on a vu le succès de ceux qui défendaient cette politique contre ceux qui prônaient un retour au passé.
Je suis impressionné par les thèmes et les questions que cette conférence a décidé d'aborder :
- la politique de réduction des risques et l'évolution entre la conférence de Liverpool en 1986 et celle de Genève,
- le coût efficacité en matière de réduction des risques est une donnée fondamentale car bien entendu nous ne pouvons éviter cette question,
- les minorités et peuples indigènes, les migrations, la dimension culturelle, religieuse et la norme sociale. Les phénomènes de toxicomanie touchent tous les pays, notre expérience doit être partagée avec nos partenaires du Sud,
- la réduction des risques pour le cannabis et pour le tabac et l'alcool. Il faut pouvoir aborder ces problèmes sans se cacher les yeux et en permettant aux jeunes d'avoir une information précise et efficace,
- la réduction des risques dans le dopage, sur laquelle la France vient d'adopter une loi très importante,
- les nouvelles tendances de consommation,
- la santé publique et l'ordre public,
- le traitement,
- la drogue et le sexe,
- la prévention
Quel programme ! Je vous souhaite de bons travaux. Je me tiendrais informé grâce à Patrick Aeberhard qui est mon conseiller et fait partie de votre comité de direction. Bon travail.
(Source http://www.france.diplomatie.fr, le 24 mars 1999)
Madame la Secrétaire d'Etat à la Santé d'Allemagne,
Monsieur le Ministre de la Santé et des Affaires sociales de Genève,
Monsieur le Directeur d'UNAIDS,
Messieurs les Organisateurs de cette Conférence,
Chers Amis,
C'est avec plaisir que je participe à l'ouverture de cette 10ème conférence. Depuis Rotterdam en 1993, j'y ai participé chaque année, en y étant présent ou en m'informant de vos travaux. Je retrouve aujourd'hui beaucoup d'amis, c'est grâce au mouvement international de réduction des risques que nous avons pu en France développer avec retard, malheureusement, une politique pragmatique plaçant l'homme, la femme, l'usager au centre de nos préoccupations.
J'ai été responsable de la santé publique en France à deux reprises en 1992/93 ministre de la Santé, j'ai trouvé une situation catastrophique dans la prise en charge des usagers de drogues. La situation était crispée pour ne pas dire bloquée l'échange des expériences des uns et des autres ne donnaient pas lieu à une mise en commun et conduisant au contraire à des polémiques. Les discussions qui auraient dû préciser les concepts, et déboucher sur une collaboration se terminaient en invectives. Bien sûr le contexte était à l'époque bien différente la pression exercée par l'épidémie de SIDA et par le développement de la précarité rendait nécessaire une mutation de nos concepts.
Cette mutation était compliquée par l'implication nouvelle de certains acteurs :
- les associations dont le rôle fut inestimable,
- les médecins généralistes, qui à cette époque n'était pas reconnu mais qui ont développé la substitution de façon "sauvage".
La décision que je pris après une tournée informative au Etats Unis et en Europe à cette époque d'élargir la substitution déclencha des résistances surprenantes.
La politique que j'ai initiée alors, dont j'ai tracé les grandes lignes, de réduction des risques en matière de toxicomanie, n'est plus considérée comme un instrument de contrôle social.
Depuis, et je me réjouis que le développement de cette politique ait été reprise, après quelques discussions bien normale, et avec succès par mes successeurs, qui sont aussi mes prédécesseurs, puisqu'il y a eu vis-à-vis des toxicomanes en général, et des héroïnomanes en particulier une évolution et une diversification des réponses sanitaires, mais aussi une continuité.
Des grands changements ont eu lieu, ils ont finalement été assez rapide, eu égard à un conservatisme certain, et ce dans tous les champs de la réduction des risques. Echange de seringues, boutiques, méthadone, subutex très particulièrement français. Tous les acteurs du système de santé ont été impliqués, des médecins généralistes que je citais tout à l'heure aux hôpitaux généraux, voire certains CHU et les centres spécialisés qui plus qu'auparavant ont travaillé en réseau avec d'autres partenaires.
Tout cela s'oriente dans la bonne direction et les résultats sont flagrants : une diminution de 50 % des overdoses, une diminution très nette du taux de séro-prévalence au VIH, malheureusement, l'existence encore d'une prévalence à l'hépatite C particulièrement importante, et puis une diminution du nombre d'héroïnomanes, mais aussi une modification des consommations, une apparition des polytoxicomanes.
En dépit de ces résultats encourageants de nombreuses difficultés quotidiennes se dressent toujours, contre la mise en oeuvre de ces actions. J'ai donc demandé aux différents intervenants en toxicomanie de participer aux Rencontres nationales sur l'abus de drogues et la toxicomanie en décembre 1997. Ils m'ont fait près de 80 recommandations au cours d'une conférence qui a permis de discuter ensemble sans invectives et de trouver un certain nombre de consensus.
A la suite de ces rencontres et de leurs recommandations, deux événements particuliers ont ponctué la politique de prise en charge des toxicomanes en France.
D'abord le rapport Roques que j'ai demandé de réaliser sur la dangerosité des drogues et qui a débouché sur ce rapport que vous connaissez et qui a permis une classification différente et une ouverture aux différents toxiques, qu'ils soient légaux ou illégaux.
Une classification aussi juste et précise soit-elle ne peut rassembler la problématique liée a l'usage des drogues. Tous ceux qui de prêt ou de loin ont été touchés dans leur famille savent combien ces schémas sont insuffisant à résumer une personnalité, une histoire, une vie, des joies comme de terribles souffrances, de l'amour aussi.
On l'a vu avec l'alcool et le tabac, ce n'est pas parce qu'une substance est licite qu'elle ne présente aucun danger pour l'organisme. Un autre exemple nous est donné avec l'abus de médicaments. La consommation de tranquillisants en France est trois fois supérieure à la moyenne européenne. Notre situation contraste d'ailleurs avec celle de nos voisins où la consommation de tranquillisants a baissé au cours des dix dernières années de 30 % en Hollande, de 47 % en Allemagne, de 57 % en Grande-Bretagne.
L'armoire à pharmacie est devenue un refuge pour un certain nombre de nos concitoyens qui en sont réduits à absorber diverses substances pour dormir, se réveiller, faire l'amour, danser, travailler, rire...
Grâce à cet arsenal médicamenteux issu de nos laboratoires, tous les espoirs nous seraient permis pour nous raccrocher à un modèle connu, rassurant, traiter le surpoids, faire repousser les cheveux, rendre euphorique, n'importe quel déprimé.
Ces abus qui débouchent à l'évidence sur une véritable dépendance face aux médicaments n'en sont pas moins socialement et médicalement admis. Ils ne sont pourtant pas sans conséquence sur la santé. Une étude menée dans le 16ème arrondissement de Paris a montré que 7 % des nourrissons de 3 mois auraient déjà consommé tranquillisants et hypnotiques. Il faudrait, sans doute, aussi mesurer leur impact sur les performances scolaire, le rendement professionnel.
Dans son rapport, Bernard Roques souligne à maintes reprises qu'aucune substance n'est complètement dépourvues de danger, dans la mesure où toutes sont édoniques et stimule le système dopaminergique, autrement dit le système de récompense. Tous les individus vont-ils pour autant tomber dans la toxicomanie à la moindre stimulation de ces systèmes ? Non. Tous les individus ne sont pas égaux devant le risque toxicomaniaque, sans d'ailleurs qu'il soit possible de distinguer la part qui relève de la nature des produits, de facteurs environnementaux, sociétaux. Le pharmacologue relève ensuite que les états dépressifs, les troubles obsessionnels compulsifs, les personnalités anti-sociales, l'anxiété, sont retrouvés avec une très forte incidence chez les sujets dépendants à l'héroïne, l'alcool et la cocaïne.
Quant à la toxicomanie proprement dite, elle refléterait enfin une difficulté, voire une impossibilité à mettre en oeuvre une conduite ajustée aux situations rencontrées conflictuelles ou non.
Par ailleurs, le deuxième changement est celui de la nomination à la tête de la Mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie de Mme Nicole Maestrachi, magistrate de talent qui a pris cette présidence en juillet 98 et qui lors d'un rapport d'étape au Premier ministre a proposé comme il lui avait demandé l'élargissement des missions de la MILDT, à l'alcool, au tabac et aux médicaments. Un plan triennal va être proposé, la réduction des risques constituera la trame de ce rapport.
Elle vous exposera elle-même les projets en cours lors d'une séance plénière sur le rôle et l'action interministériels de la structure qu'elle préside.
Il est certain qu'il nous reste beaucoup de chose à faire. Car comme je vous l'ai dit nous sommes confrontés actuellement au développement rapide de la consommation des drogues de synthèse en particulier l'ecstasy, dont l'INSERM vient de souligner les effets toxiques. Même si les données dont nous disposons sont très incomplètes, les types de consommation semblent très différents. Il faut prendre en compte les polytoxicomanies et les nouveaux, modes de consommation.
Une partie de la population de moins de 20 ans présente des comportements de consommation qui se caractérisent principalement par une consommation toxicomaniaque d'alcool, ou par une consommation d'ecstasy au cours de soirées raves, licites ou illicites. Ces types de consommation s'inscrivent dans un mouvement de recherche de défonce, dans un contexte festif et collectif et ne coïncide pas avec l'identité du toxicomane, héroïnomane connu et repéré depuis les années 70. Ces problématiques doivent donc faire l'objet d'une réflexion spécifique.
Les études relatives au phénomène de l'ecstasy montrent que les données socio-démographiques des consommateurs d'ecstasy sont stables, la moyenne d'âge est de 22 ans. Une assistance sanitaire sur les milieux de rassemblement est nécessaire pour assurer une réduction des risques de contamination des maladies transmissibles et une prévention des risques liés à l'environnement et à la consommation de produits illicites. Une expertise collective de l'INSERM montre que l'ecstasy est un produit dangereux qui peut provoquer des troubles psychiatrique à court, moyen et long terme ainsi que des problèmes cardiaques et endocriniens A la dangerosité du produit, s'additionne celles des substances ajoutées (alcool, cannabis, héroïne).
Depuis l997 sont financées des associations qui assurent sur les lieux de rave une réponse sanitaire en terme de réduction des risques. Il est légitime de trouver des solutions pour protéger la jeunesse et donc regarder objectivement leur comportement, en essayant de se rapprocher d'eux plutôt que de les marginaliser.
Par ailleurs, il faut prendre en compte les comorbidités psychiatriques. L'émergence de troubles psychiatriques chez certaines personnes sous traitement de substitution, la consommation de produit tel que le crack ou l'association de certains médicaments psychotropes détournés de leur usages, ont des conséquences qui nécessitent dans certains cas une intervention psychiatrique.
Le plus souvent les équipes spécialisées en toxicomanie n'ont pas les compétences nécessaires pour réaliser face à ces troubles psychiatriques une intervention efficace et de qualité.
Nous avons essayé de développer une politique expérimentale dans le 18ème arrondissement de Paris, grâce à des équipes de travailleurs sociaux de proximité, afin d'aider des toxicomanes très désinsérés à avoir accès à une prise en charge.
Enfin, reste le problème de la loi, notre politique légale est régi en France par la loi de 1970. Je réfute toutes approches idéologiques et préfère pour ma part une démarche pragmatique. L'approche idéologique se trouve dans les deux camps. Le camp de ceux qui prônent sa modification immédiate, comme chez ceux qui la refusent obstinément. En effet, modifier la loi pour faire l'apologie des drogues quelles qu'elles soient pour faciliter l'usage des drogues n'est pas recevable. Il s'agit d'un faux combat. Libéraliser l'usage des drogues ne peut être une fin en soi. Je dirais même que ce serait une régression par rapport aux efforts qui ont été déployés au cours des dernières années de prévention d'autres fléaux sanitaires que sur l'alcoolisme et le tabagisme, et au meilleur encadrement de l'usage des médicaments. A l'inverse s'arquebouter à la loi en y voyant un rempart contre les drogues, une protection de la société contre elle-même n'est pas plus pertinent.
La loi n'a pas empêché l'usage des drogues. Elle a pu donner une bonne conscience, elle a pu surtout masquer certains enjeux.
C'est en quoi je salue la démarche suivie en Suisse. Dans leur grande sagesse, ceux qui avaient en charge la politique des drogues dans votre pays ont changé les pratiques patiemment depuis 1988, et ont développé une véritable politique de réduction des risques avec la possibilité d'accès à une prise en charge pour l'immense majorité des usagers de drogues. Cette politique a été acceptée par la population, et lors de votations on a vu le succès de ceux qui défendaient cette politique contre ceux qui prônaient un retour au passé.
Je suis impressionné par les thèmes et les questions que cette conférence a décidé d'aborder :
- la politique de réduction des risques et l'évolution entre la conférence de Liverpool en 1986 et celle de Genève,
- le coût efficacité en matière de réduction des risques est une donnée fondamentale car bien entendu nous ne pouvons éviter cette question,
- les minorités et peuples indigènes, les migrations, la dimension culturelle, religieuse et la norme sociale. Les phénomènes de toxicomanie touchent tous les pays, notre expérience doit être partagée avec nos partenaires du Sud,
- la réduction des risques pour le cannabis et pour le tabac et l'alcool. Il faut pouvoir aborder ces problèmes sans se cacher les yeux et en permettant aux jeunes d'avoir une information précise et efficace,
- la réduction des risques dans le dopage, sur laquelle la France vient d'adopter une loi très importante,
- les nouvelles tendances de consommation,
- la santé publique et l'ordre public,
- le traitement,
- la drogue et le sexe,
- la prévention
Quel programme ! Je vous souhaite de bons travaux. Je me tiendrais informé grâce à Patrick Aeberhard qui est mon conseiller et fait partie de votre comité de direction. Bon travail.
(Source http://www.france.diplomatie.fr, le 24 mars 1999)