Interview de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, à RMC le 26 février 2001 sur les élections municipales du 11 mars, les problèmes des éleveurs, les naufragés kurdes.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

A. Laguiller (LO)
Le 26 février 2001
RMC - 7h50
P. Lapousterle Vous êtes en campagne électorale une nouvelle fois pour les municipales. Votre programme est chargé. Il y a des réunions tous les jours. Combien de campagnes électorales avez-vous faites dans votre vie ?
- "Je ne les compte plus, mais celle-là est importante pour Lutte Ouvrière puisque nous réussirons à présenter entre 120 et 130 listes, ce qui est plus du double que ce que nous avions pu faire en 1995. J'espère que nous réussirons à avoir plus de conseillers municipaux."
On vous verra encore à la prochaine présidentielle ?
- "Oui, bien sûr."
Vous êtes candidate ?
- "Je serai candidate. Lutte Ouvrière sera présente et je serai candidate."
Quand était votre première campagne électorale pour la présidentielle ?
- "C'était en 1974."
Vous vous rendez compte ? Cela fait beaucoup quand même.
- "Cela me paraît à la fois loin et proche finalement."
Vous trouvez normal que quelqu'un soit candidat 25 ans après sa première candidature ?
- "Je crois que le fait que des gens ne retournent pas leur veste et continuent à défendre plus de 25 ans après les idées qu'ils avaient en 1974 - et peut-être qu'ils défendaient d'ailleurs par anticipation par rapport à la réalité aujourd'hui qui n'est pas facile pour l'ensemble du monde du travail- est apprécié."
Que proposent les candidats qui se présentent pour une municipalité ? On voit bien ce que vous pouvez dire au niveau national, mais dans une ville, dans une commune ?
- "Représenter les intérêts des travailleurs, des chômeurs, des quartiers populaires. Nous savons bien que les municipalités ne sont pas responsables du chômage, des bas-salaires, de la morgue patronale mais nous pensons qu'au sein des municipalités, il y a quand même des choix budgétaires qui se font. Ce que nous souhaitons, c'est avoir des conseillers municipaux qui, s'ils sont suffisamment nombreux et donc qu'ils reflètent une partie importante de l'opinion populaire, puissent intervenir en ce sens qu'ils pourraient faire que la population se mobilise par exemple pour contrôler la gestion de la municipalité ; interviennent également par des mobilisations pour que dans les choix budgétaires on tienne plus compte des quartiers en difficulté que des centres villes qui sont souvent le plus arrosés ; et puis aussi peut-être pour dénoncer ce qui se fait finalement à tous les niveaux des institutions de la bourgeoisie, de l'appareil d'Etat..."
Une municipalité, ce n'est pas la bourgeoisie.
- "...de l'appareil d'Etat jusqu'aux municipalités. Les institutions de cette société bourgeoise favorisent les grandes entreprises. On le voit d'ailleurs par le nombre de municipalités qui donnent la gestion de l'eau des transports en communs..."
Qui sous-traitent...
- "...du ramassage des ordures, c'est-à-dire tout ce qui devrait rester des services publics, à de grandes sociétés privées qui font du profit privé sur des services. Donc, nous interviendrons sur tous ces sujets dans ce sens-là."
Il y a une réunion européenne extrêmement importante aujourd'hui puisque les ministres de l'agriculture sont réunis pour le problème des éleveurs qui sont en colère et qui manifestent depuis plusieurs semaines. Vous qui êtes parlementaire européen, quel est votre sentiment sur ce sujet ? Est-ce qu'il faut que la France aide nationalement ses éleveurs, même si l'Union Européenne s'y oppose aujourd'hui ?
- "Je pense qu'il y a un réel problème. Je dirais d'abord que, évidemment, il vaut mieux aider les éleveurs, même s'il faut peut-être distinguer entre les difficultés des uns et des autres parce que tous ne sont pas peut-être forcément exactement logés à la même enseigne. C'est certain qu'il faut une aide pour les éleveurs. Ce qui m'a choqué par exemple, c'est qu'on nous a dit qu'on allait débloquer des aides pour les fabricants de farines animales, sans doute parce qu'ils ont essayé de nous empoisonner ! Ce sont plutôt les éleveurs qu'il faut aider et pas ces gros trusts de l'agroalimentaire qui font que les éleveurs sont dans la situation où ils sont aujourd'hui. Au delà, je dirai que la gestion de cette crise devrait être faite depuis une dizaine d'années. C'est il y a dix ans déjà qu'on aurait dû interdire les farines animales..."
C'est fait depuis 96.
- "Oui, c'est fait depuis 96 pour les ruminants, mais cela a été fait seulement récemment pour l'ensemble des élevages."
C'était autorisé pour les porcs et la volaille.
- " Je crois que, s'il y a dix ans il y avait eu une gestion correcte de cette crise, on aurait pu préparer les agriculteurs justement à affronter cela, en changeant les cultures, en faisant que de nouveau on puisse nourrir avec de l'herbe les herbivores et faire qu'il y ait une autre situation. Et bien sûr, au niveau de l'Union européenne, les Quinze ministres savent donner de l'argent pour les grandes entreprises. Il serait nécessaire qu'il y en ait pour les paysans qui souffrent aujourd'hui."
Quel est votre sentiment alors que vous voyez que le Premier ministre annule des déplacements de soutien des candidats à cause de menaces d'agriculteurs ? A-t-il raison ?
- "Je n'en sais rien, cela le regarde s'il n'a pas envie d'affronter ceux qui protestent. Il a affronté les agriculteurs, il a affronté aussi les travailleurs du secteur public. J'ai remarqué que les infirmières en particulier ont manifesté à Avignon. Là aussi, il y a des choix gouvernementaux qui font que, comme la droite, la gauche gouvernementale donne des subventions aux grandes entreprises, les exonère d'impôts, les exonère de cotisations sociales. Pour faire cela, finalement on économise sur les services publics. Or, il y a un gros problème aujourd'hui en matière d'effectifs, dans la santé, dans l'éducation, dans les transports, dans tous ces services publics. C'est à cela que devrait servir l'argent de l'Etat et également, comme on l'a dit tout à l'heure, à aider les éleveurs. Je crois que toutes ces catégories ont raison de manifester et de se faire entendre."
Deux mots sur les naufragés Kurdes. Il faut les accueillir ou non ?
- "D'abord, il faut dire qu'il y a beaucoup d'hypocrisie autour de cette question, tant de la part du Gouvernement que de la part de l'opposition de droite. Evidemment il faut accueillir ces 900 Kurdes, dont la moitié sont des enfants d'ailleurs, dans ce pays. Dans le passé, et peut-être d'ailleurs demain, les grandes entreprise, quand elles ont besoin de faire venir des travailleurs, elles les font venir par dizaines de milliers, par bateaux, par trains entiers, sans même prévoir comment les accueillir, en laissant d'ailleurs à l'Etat le soin de se débrouiller avec l'accueil et le logement pour ses réfugiés. Evidemment il faut les accueillir et arrêter avec cette hypocrisie qui fait que, lorsqu'ils essayent d'aller en Allemagne les accords de Schengen font qu'on les renvoie en France. L'Europe riche, l'Europe capitaliste doit les accueillir. Au-delà, cela pose bien sûr le problème de cette société capitaliste qui fait qu'il y a énormément de misère dans le monde. Ceux qui refusent de voir cela se préparent des lendemains qui déchantent parce qu'il faut changer cette société. Elle est trop mal organisée sur le plan économique, sur le plan social, sur le plan politique. Si nous militons, si nous nous présentons à toutes les élections c'est bien pour dire qu'il faut changer cette société."
Deux mots : vous avez été surprise de relire ce qu'avait écrit D. Cohn-Bendit en 1975 ?
- "Pas vraiment surprise. Je ne sais pas quelle est la vérité là-dedans. D. Cohn-Bendit se défend d'être pédophile. Il dit qu'il a simplement exprimé une opinion. Nous n'avons jamais été de ceux qui ont banalisé ces choses-là. Il ne s'agit pas de faire de l'ordre moral mais je crois qu'il y a des différences entre la sexualité d'une jeune fille de treize, quatorze ans, et celle d'un enfant de cinq ans. Le tout étant qu'à chaque fois on ait le libre choix et que des adultes ne profitent pas de cela, parce qu'effectivement, c'est une infamie."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 26 février 2001)