Texte intégral
Mesdames, Messieurs les membres du comité d'honneur et du comité scientifique du colloque,
Monsieur le Président du conseil d'administration de l'Inp, cher Patrick Gérard,
Monsieur le Directeur général des patrimoines, cher Philippe Bélaval
Monsieur le Directeur de l'Inp, cher Eric Gross,
Mettre en valeur notre patrimoine, ce n'est pas seulement nourrir le « culte des monuments » cher à Aloïs Riegl, ou entretenir la religion des vieilles pierres, c'est aussi renforcer l'attractivité de nos territoires et investir pour l'avenir. La notion de Patrimoines - au pluriel - est à cet égard significative : le patrimoine n'est pas figé, il est ouvert sur les dynamiques de la société, il se façonne et se construit dans le présent. Des chefs d'oeuvres de nos musées aux richesses parfois méconnues du patrimoine rural et industriel, des monuments historiques qui parsèment nos territoires aux documents uniques que conservent nos archives, des découvertes archéologiques aux spécimens naturels conservés dans nos muséums d'histoire naturels, les patrimoines sont une richesse vivante. L'Institut national du patrimoine, et tous ses élèves et anciens élèves qui choisissent de s'engager au service des patrimoines, traduisent pleinement cette vitalité.
C'est pourquoi je voudrais saluer très chaleureusement tous ceux qui ont pris part à l'organisation de ces deux journées du colloque du 20ème anniversaire de l'Institut national du patrimoine, 20ème anniversaire qui est aussi celui de la création du corps et du cadre territorial des conservateurs du patrimoine. C'est en effet en 1990 que l'établissement fut créé. D'abord chargé, sous le nom d'Ecole nationale du patrimoine, d'organiser le recrutement et la formation initiale et permanente des conservateurs du patrimoine, il se vit rattacher l'Institut de formation des restaurateurs d'oeuvres d'art (IFROA) en 1996, et prit en 2001 son nom définitif d'Institut national du patrimoine, avec ses deux départements pédagogiques aujourd'hui complémentaires et indissociables : le département des conservateurs du patrimoine et celui des restaurateurs du patrimoine, deux métiers qui se côtoient en permanence et s'enrichissent mutuellement. Cette création, il y a 20 ans, d'une unique école du ministère de la Culture et de la Communication pour former tous les professionnels du patrimoine, a grandement bénéficié, et bénéficient encore, aux institutions patrimoniales et à tous nos patrimoines.
Un grand merci aux membres du comité d'honneur et aux membres du comité scientifique de ce colloque. Un grand merci au président du comité scientifique, Pierre Rosenberg. Un grand merci aux très nombreux intervenants conservateurs, restaurateurs, universitaires, chefs d'établissement, venus de toute la France mais aussi de toute l'Europe et des Etats-Unis. Un grand merci à vous qui êtes venus, si nombreux, assister à ces journées. Un grand merci aux équipes de l'Institut national du patrimoine, à ses enseignants et à ses élèves conservateurs et restaurateurs. Un Grand merci, enfin, à tous ceux qui apportent leur soutien à l'action de l'Inp, en particulier la fondation présidée par Marc Ladreit de Lacharrière Culture & Diversité, à la Fondation Carnot, et Air France, représenté aujourd'hui par le Général Pons.
Je tenais à être parmi vous ce matin. C'est un engagement que j'avais pris bien avant le remaniement gouvernemental et je me réjouis particulièrement de le tenir quelques jours après que celui-ci a eu lieu.
Le 8 avril, vous vous en souvenez, je suis venu visiter les institutions de cette galerie Colbert où nous nous trouvons. Je me suis rendu à l'INHA. Je me suis rendu à l'Inp. J'ai dit aux élèves que j'ai rejoints pendant leur cours en salle Fernand Braudel que si j'avais leur âge, je ferais aujourd'hui la même chose qu'eux. Je connais peu de métiers aussi passionnants que les vôtres, et aussi importants pour nos sociétés souvent versées dans un hyper-présent sans profondeur ni mémoire. Des sociétés qui oublient le lien ténu - mais si essentiel - entre la valorisation des formes les plus belles et les plus précieuses de notre passé et la construction d'un avenir partagé. Vos métiers, vos techniques, vos talents, votre passion font de vous des « passeurs de culture ».
Vos compétences sont uniques et elles sont diverses. Vous êtes des historiens d'art, des historiens, des ethnologues parfois, apportant à ces disciplines votre rapport si fort à l'objet ; vous êtes des scientifiques maîtrisant les qualités physiques et chimiques des matériaux des oeuvres ; vous êtes des techniciens maîtrisant des procédés et des procédures ; vous avez en commun avec l'artiste la sensibilité, le geste, l'intuition ; vous êtes aussi des administrateurs capables de gérer et diriger des services, capables de mettre en oeuvre des politiques publiques nationales ou territoriales.
Vous êtes responsables de monuments, de collections, d'institutions dont l'âge se compte en siècles et vous affrontez les enjeux et les défis les plus pointus de l'avenir qui seront évoqués à la fin de ce colloque : l'impact des nouvelles technologies et de la numérisation, la mutation des publics, la mondialisation de l'offre muséographique. Sans vous et vos collègues des bibliothèques, pas de Bibliothèque nationale de France ; sans vous, pas de « grand Louvre », pas de musée Guimet rénové ; pas de musée du Quai Branly ; pas de nouveau centre des archives nationales à Pierrefitte ; sans vous, aucune possibilité de relever les monuments dévastés des Abruzzes et je voudrais dire combien je suis fier des enseignants et des élèves restaurateurs de l'Inp, tellement impliqués dans la coopération française pour la restauration de l'Eglise Santa Maria del Suffragio à L'Aquila ; sans vous, pas de politique de numérisation du patrimoine. Pour l'avenir de nos politiques du patrimoine, rien ne peut se faire sans vous, rien ne peut se faire contre vous.
Conserver, restaurer : ces métiers, ces fonctions scientifiques, culturelles, sociales et politiques existent dans tous les pays soucieux de leur patrimoine. Dans chaque pays, voire dans chaque grande aire culturelle, ils présentent des spécificités. Les différences des modèles, des façons de travailler, des relations entre conservateurs et restaurateurs, voire des statuts, feront d'ailleurs l'objet d'une part de vos débats. En ce qui concerne la France, je mesure les attentes des restaurateurs, qui entendent mieux trouver leur place au sein des institutions. Je suis convaincu que le Ministère doit engager une réflexion à ce sujet et je demande au directeur général des patrimoines, Philippe Bélaval, d'approfondir la réflexion, en concertation avec les professionnels et les institutions.
Au-delà des spécificités, vous êtes tous confrontés aux mêmes missions, aux mêmes enjeux, aux mêmes défis. A l'occasion de cet anniversaire, vous avez voulu célébrer ce qui a été accompli : cela est naturel. Mais vous avez souhaité davantage : vous avez souhaité engager une réflexion collective sur l'avenir, à partir d'une rencontre de niveau international.
Nous sommes en effet dans un monde ouvert où les oeuvres et les publics circulent, où les professionnels circulent et sont appelés à circuler davantage pour échanger et enrichir leurs compétences et leur savoir. De ce point de vue, l'espace européen favorise la liberté d'installation et cette dernière s'affirme comme un droit. Cette liberté doit pouvoir se vivre comme un atout, une chance riche de possibles nouveaux, et non pas comme un risque, voire un péril pour la qualité professionnelle et pour la sûreté des collections.
L'Institut national du patrimoine doit ainsi former des restaurateurs et des conservateurs capables de travailler à l'étranger. Je sais que c'est d'ores et déjà le cas.
Dans le même temps, nous aurons demain à accueillir des professionnels venus du reste de l'Europe, dans des conditions compatibles avec les exigences que nous avons quant à la gestion de nos institutions, à l'accueil de nos publics, à la mise en valeur, à l'enrichissement et à la préservation de nos collections. Ma préoccupation sur ce sujet est double : respecter le principe d'ouverture mais aussi de garantir le niveau des qualifications.
De ce point de vue, je ne veux pas esquiver la question de la mise en oeuvre en France, de la directive européenne sur les services. Cette directive nous conduit à faire évoluer nos textes et tout particulièrement le décret d'application de la loi « musées » de 2002 qui réglemente la possibilité d'intervenir en restauration sur les collections publiques. Je suis conscient des enjeux que ce texte représente pour l'avenir de votre profession, et souhaite en faire une de mes priorités.
Ces questions de formation et de compétence, si importantes pour chacun de vous, si importantes pour les institutions et le patrimoine dont vous avez la charge, si importantes pour les collectivités dans leur ensemble, nous devons les aborder avec hauteur, avec générosité, avec ambition. Nous devons les aborder par le haut, nous devons les aborder - pardonnez-moi ce jeu de mots - sans conservatisme. C'est ce que vous faites aujourd'hui dans cette manifestation. C'est ce que doit faire l'Inp au moment de son 20ème anniversaire, et j'approuve, cher Eric Gross, les profondes évolutions imprimées, en ce sens, par sa direction.
Oui ! Vous avez mon appui et je vous demande de mener ces évolutions jusqu'au bout. Au fond, telle que je la comprends, la réponse de l'Inp aux enjeux et aux défis de l'avenir, qu'il s'agisse de la formation des restaurateurs ou de celle des conservateurs, c'est former plus, former mieux. Cela veut dire approfondir la formation scientifique, diversifier et enrichir les parcours, identifier de nouveaux viviers de recrutement, notamment chez les jeunes générations issues de l'immigration qui doivent, elles aussi, pouvoir, à travers leur participation à ces métiers et ces fonctions, se sentir pleinement dépositaires et pleinement responsables du patrimoine commun.
A cet égard, je félicite l'Inp et ses partenaires - l'Ecole du Louvre, l'Ecole des Chartes, la Fondation Culture&Diversité - d'avoir créé une classe préparatoire intégrée aux concours de conservateurs. Vous le savez, je suis cette initiative de très près et je tiens à lui apporter tout mon soutien.
La réponse de l'Inp me semble être la bonne réponse. Elle semble simple, mais elle est complexe à mettre en oeuvre. Elle appelle une politique inédite de rapprochement, de coopération et de partenariat.
D'abord l'établissement, son ministère de tutelle et les professionnels eux-mêmes ont pleinement conscience que l'approfondissement scientifique de la formation doit se faire dans un cadre institutionnel qui est celui de l'enseignement supérieur et de la recherche en France et en Europe. Ce cadre général, c'est celui dit du « LMD » (Licence Master Doctorat), qui est un standard européen. Il en résulte pour les conservateurs, comme pour les restaurateurs, l'objectif et l'ambition de porter leur formation scientifique au niveau du doctorat, avec le soutien de leur établissement de formation, qui restera l'Inp bien entendu, et de leurs ministères de tutelle : le ministère de la Culture et de la Communication et le ministère de l'Intérieur en charge des collectivités locales.
Pour cela, l'Inp a amorcé des rapprochements extrêmement prometteurs, tout particulièrement avec le tout nouveau pôle de recherche et d'enseignement supérieur « Hautes études Sorbonne Arts et Métiers », dont il est désormais un des membres.
C'est bien dans le cadre de ce nouveau pôle que va pouvoir s'envisager la création, en partenariat avec l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne, d'une formation doctorale, qui n'existe pas à ce jour, en Sciences de la conservation et de la restauration.
Et c'est bien ce cadre qui facilitera la poursuite de leur parcours universitaire par de jeunes élèves conservateurs de l'Inp. Mais je souhaite également que ce rapprochement fécond, qui est aussi un décloisonnement, produise bien d'autres effets, notamment en ce qui concerne les coopérations internationales.
Et je veux particulièrement remercier, pour tout le rôle qu'il joue, celui qui, depuis septembre dernier, préside le conseil d'administration de l'Inp, Patrick Gérard, recteur de l'académie, chancelier des universités de Paris.
A ma demande, l'Inp explore une autre voie, en participant au projet de Centre national de conservation, de restauration et de recherches patrimoniales, qu'il est prévu de créer à Cergy Pontoise, près de Paris. Il s'agira, après 2015, d'un ensemble unique réunissant grandes institutions patrimoniales, formations, restaurations et recherches sur les patrimoines qui permettra notamment une continuité entre formation initiale, formation permanente et recherche.
Il était donc très important que ces journées aient lieu et il est très important qu'elles aient des lendemains. C'est important, c'est essentiel pour ces jeunes conservateurs et restaurateurs que nous formons, pour leurs aînés, pour chacun de vous qui êtes dépositaires de savoirs, de compétences, d'expertises, ces qualités dont un certain Prosper Mérimée eut l'intuition sous la Monarchie de Juillet et dont un certain Ludovic Vitet fut le maître d'oeuvre à la même période. Inlassables voyageurs, curieux de tout, ils furent aux origines d'une véritable politique publique en matière de monuments historiques et de patrimoine. Vous en êtes aujourd'hui les héritiers, vous devez maintenir intacte leur passion de la découverte et du voyage, ce Vertige de la liste dont parlait Umberto Eco au Louvre l'an dernier qui fait de la culture un bien jamais acquis, mais un résultat toujours conquis.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 24 novembre 2010