Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à RTL le 11 avril 1999, notamment sur la nécessité d'une solution politique au conflit du Kosovo, le rôle de la diplomatie russe, celui du Conseil de sécurité, le futur statut du Kosovo et l'aide de l'OTAN aux réfugiés.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde LCI - RTL

Texte intégral


Q - Anita Hausser et Patrick Jarreau sont à mes côtés pour parler avec vous ce soir des bombardements sur la Serbie, de leurs conséquences politiques, de leurs conséquences sur le terrain et aussi des perspectives davenir pour cette partie si troublée de lEurope. Monsieur Védrine, nous avons connu une réelle effervescence vendredi dernier avec les propos du président Eltsine qui parlait de guerre européenne voire de guerre mondiale, a-t-il dit, et ceci na pas empêché les bombardements de lOTAN de se poursuivre mais il semble aussi que lactivité diplomatique saccentue depuis 48 heures, est-on entré dans une nouvelle phase de la crise ?
R - Nous sommes entrés dans une phase où il y a une préparation, il y a une réflexion et une concertation sur la suite. La suite, ce sera nécessairement à un moment donné une solution politique, celle que nous avions tant recherchée avant et qui malheureusement navait pas pu être mise en place - chacun sen rappelle - en raison de lobstination des autorités de Belgrade. Mais à un moment ou à un autre, après que nous ayons dû employer ces moyens militaires pendant un certain temps pour débloquer cette situation, pour modifier en profondeur ce rapport de force, compte tenu des pratiques de ce régime de Belgrade, il faudra en effet bâtir une solution politique pour le Kosovo.
Q - Donc, la diplomatie sactive à nouveau.
R - Je dirais quelle na jamais cessé parce que dabord, il y a une partie de la diplomatie qui évidemment est constante, et la concertation quotidienne entre nous-mêmes et les autres membres de lAlliance atlantique, notamment avec les Américains, les Britanniques, les Allemands, les Italiens, beaucoup dautres. Cest un travail qui continue et qui nous amène sur une évaluation de la situation par rapport aux objectifs qui étaient fixés.
Ce qui sest passé depuis quelques jours, et je dois dire notamment à linstigation de la France - vous vous rappelez des déclarations qui ont été faites par le président de la République, par le Premier ministre, par moi-même à ce sujet - cest davoir à rebâtir avec les Russes un cadre de travail et un socle de travail pour la suite. Cela navait jamais été complètement rompu en dépit des déclarations sévères quils ont dû faire, mais nous sommes dans cette phase.
Q - Est-ce quil sagit dabord de ménager les Russes ou est-ce quon en est à un stade militaire suffisamment avancé pour maintenant envisager une solution diplomatique ?
R - Il nest jamais trop tôt pour penser à la suite. Il ne sagit pas de ménager les Russes en tant que tels, il sagit dabord de les respecter mais il sagit surtout de travailler avec eux parce quils sont utiles et même, à mes yeux, indispensables pour la suite. Ils sont une composante de la sécurité donc de la stabilité en Europe. Ils ont été des membres très actifs du Groupe de contact pendant toute la période politico-diplomatique. Ils ont partagé exactement les mêmes analyses que nous, les mêmes objectifs, et ont fait pression aussi avec tous les moyens dont ils disposaient sur Belgrade. Malheureusement, ils nont pas réussi à faire fléchir lobstination de Belgrade. Ils se sont retirés de cette démarche à partir du moment où nous avons, nous, pensé quon navait pas dautres choix que demployer la force. Ils ont maintenu les canaux de toutes sortes et nous avons - même dans les moments les plus difficiles - maintenu cet échange parce quil est intéressant en soi. Ce nest pas spécialement pour les ménager encore une fois mais il faut avoir à propos de la Russie une vision sur la Russie daujourdhui, la Russie de demain et le type de Russie que nous voulons avoir dans dix ou quinze ans par rapport à notre Europe.
Q - Y a-t-il eu au sein de lAlliance de la part de certains pays une négligence à légard de la Russie voire même lidée que, après tout, les humilier ne serait pas dangereux ?
R - Non, je nai pas rencontré ce sentiment. Ce serait dailleurs gravement irresponsable de raisonner comme cela. Si on prend un tout petit peu de recul, je dirais que depuis que lUnion soviétique a commencé à être changée, fondamentalement grâce à Mikhaïl Gorbatchev, a continué après en tant que Russie avec Boris Eltsine, lensemble des pays occidentaux nont pas commis lerreur absolument tragique commise après la première guerre mondiale, notamment par rapport à lAllemagne. Au contraire, lidée a prévalu quil fallait accompagner cette mutation, ce long changement de lURSS vers la Russie et de la Russie actuelle vers la Russie moderne et démocratique qui sera notre grand voisin. Elle est déjà démocratique mais elle a encore à se moderniser beaucoup. On a plutôt pris le bon cap stratégique. Rappelez-vous comment petit à petit la Russie est associée au Sommet des 7, devenu Sommet des 8 dans ces circonstances.
Là où on a peut-être été moins pertinent - mais tout le monde sest un peu trompé, y compris les dirigeants russes - cest sur le type de politique économique quil fallait développer. Plaquer sur la situation quils connaissaient, cest-à-dire sur les décombres de léconomie soviétique, beaucoup de conseils trop inspirés par lidéologie ultra libérale du moment qui sont peut-être raffinés pour des économies extraordinairement développées, nétait absolument pas adapté à la situation de la Russie dalors. Cest une composante de leurs difficultés mais ce nest pas lié au fait quils aient été maltraités, méprisés, encore moins que qui que ce soit ait voulu les humilier.
Q - Mais du point de vue de la confrontation avec Milosevic, est-ce que les Russes aujourdhui apportent quelque chose, est-ce quils sont porteurs douverture possible ?
R - Ils apportent une volonté commune daboutir à un résultat quils ont montré pendant tous les mois écoulés dans le Groupe de contact, quils ont montré pendant Rambouillet où ils avaient un représentant, un co-négociateur, que M. Ivanov a montré par de multiples visites à Belgrade ainsi que M. Primakov, même si cela na pas abouti à des résultats tout de suite. Il ne faut pas se tromper sur les déclarations de Boris Eltsine ou de M. Primakov parce quils tiennent compte dune sensibilité russe très forte.
Q - Une troisième guerre mondiale, quand même, ça fait peur, non ?
R - Oui mais, je crois que cela nest pas fondé. Il ny a donc pas de raison que cela fasse peur. Il faut le remettre dans son contexte. Il faut tenir compte de cet élément-là mais il ne faut pas oublier leur cap stratégique et je crois pouvoir dire quil est le même. Leur cap stratégique, cest de faire en sorte que la Russie sintègre, sinsère de plus en plus dans la communauté mondiale. Ils savent quils ont un certain nombre détapes à franchir. Cette affaire du Kosovo vient à un très mauvais moment pour eux. Je veux dire que ce nest pas de leur faute, ce nest pas de la nôtre, cest un fait. Dune façon ou dune autre, nous rétablirons ce dialogue stratégique à long terme avec la Russie. Cela aura une utilité immédiate pour le Kosovo et une utilité bien plus vaste après pour lEurope...
Q - Encore un mot tout de même, est-ce quil y a lieu de redouter vraiment et de craindre les conséquences de ce conflit en Serbie ou avec les Serbes sur le pouvoir de M. Eltsine qui est quand même un pouvoir ébranlé ? On voit le parti communiste russe qui suscite beaucoup dactivités autour dune réunion des Etats slaves. Alors, est-ce que vous redoutez que M. Eltsine soit mis en difficulté ?
R - Je crois quil garde, en dépit des difficultés de tout ordre, une grande autorité morale en Russie. Cest un vrai démocrate, le peuple russe le sait. La Russie est maintenant une démocratie, elle na pas envie de se laisser entraîner dans des aventures. Naturellement, sur le spectre de la vie politique russe, il y a aussi des nationalistes qui peuvent vouloir utiliser le traumatisme de lopinion, à un moment donné. Je crois que les dirigeants russes, le président Eltsine, le Premier ministre Primakov, sont des personnalités fortes, quils sont capables dencadrer et de résister à ce moment, de canaliser ces emportements sans perdre de vue leur carte stratégique dont je parlais il y a un instant. Nous sommes en train de travailler avec eux à une réunion dans laquelle les différents ministres concernés pourraient se retrouver pour aller plus loin dans la recherche de la solution, par exemple, cela pourrait être les ministres des 8 pays, du Sommet des 8 - ce quon appelle le G8. On est dans une phase où ils peuvent montrer que leur pays va jouer un rôle et leur opinion peut se ressouder autour deux sur ce plan.
Q - Cette réunion pourrait avoir lieu quand ?
R - Elle nest pas encore fixée.
Q - Il y a eu des contacts préliminaires.
R - Oui, il y a eu des contacts. Les ministres sont représentés dans ces cas-là par des hauts fonctionnaires de leur ministère quon appelle les directeurs politiques qui sont les personnes par lesquelles passent les contacts au quotidien notamment sur toutes ces grandes questions politico-stratégiques. Il y a eu une réunion au niveau des directeurs politiques. On a réfléchi au type de conclusions auquel on pourrait aboutir. On ne peut pas faire une réunion des ministres des huit, ni du Groupe de contact, si on ne sest pas mis daccord sur les résultats auxquels on peut parvenir. Nous sommes dans cette phase. Les réunions au niveau des directeurs ont eu lieu, la réunion des ministres nest pas encore programmée, nous y travaillons en étudiant à quoi nous pouvons parvenir. Nous avons notamment travaillé avec les Russes à partir des cinq questions que les pays de lAlliance - ce que M. Kofi Annan a repris après - ont posées aux autorités de Belgrade. Nous avançons.
Q - Les Russes vous ont-ils dit « Nous ne pourrons jamais accepter une offensive terrestre de lOTAN » ?
R - Ils lont dit publiquement, naturellement, mais je vous rappelle que les autorités américaines disent quelle nest pas prévue, quelle nest pas programmée. Aucune autorité américaine a pris cette décision.
Q - Américaine et française et anglaise et allemande et...
R - Naturellement, mais je dis cela parce que je pense que les Russes et quelques autres font particulièrement attention à ce qui se déclare à Washington sur ce plan mais ceci na été annoncé dans aucun autre pays de lAlliance, puisque chaque pays a également son libre arbitre et sa détermination.
Q - Est-ce que les Russes reprennent à leur compte les cinq points que vous mentionniez, que vous évoquiez à linstant, qui étaient ceux de lOTAN et qui sont devenus ceux de lONU ?
R - Il faut entrer un tout petit peu dans le détail. En ce qui concerne le cessez-le-feu, oui sans problème. En ce qui concerne le droit au retour des réfugiés, oui, naturellement, la mise en oeuvre de ce droit, le plus vite possible, naturellement. En ce qui concerne le principe dun accord politique, oui puisquils étaient complètement mêlés, quils ont élaboré avec nous ce quon a appelé les accords de Rambouillet...
Q - Qui, à leurs yeux, restent la base.
R - Oui, aux yeux de tout le monde, restent la base ou le cadre, voir ce qui reste complètement opérationnel, ce quil faut adapter. Par exemple, il ny a pas de disposition sur les réfugiés, il est clair quil faut bâtir quelque chose de particulier sur le retour des réfugiés. Ensuite, on arrive à un des points qui a été la difficulté principale de Rambouillet, qui sera à nouveau la difficulté mais que, cette fois-ci, il faudra absolument surmonter - ne serait-ce que parce que, à travers cette période dactions militaires, nous aurons modifié le rapport de force, ce sont les conditions de la sécurité future dans le Kosovo de demain. Là, il est clair, on le voit encore plus après ce qui sest passé, après ce qui sest passé dhorrible, il est évident quon ne peut pas imaginer le Kosovo de demain brusquement comme cela sans transition avec des Kosovars et des Serbes côte à côte, sans oublier les autres minorités qui y sont. Il faut une sécurité, il faut une sécurité internationale. Aucun de ces deux groupes ne peut faire confiance aux forces de sécurité de lautre...
Q - Une force internationale au Kosovo.
R - Une force internationale au Kosovo dans le cadre dun accord qui était un des volets de Rambouillet. Cest le volet de Rambouillet que les Kosovars, eux-mêmes, refusaient : ils avaient fini à la longue par accepter - et que les Serbes nont jamais accepté. Sur ce point, il peut y avoir une discussion : les projets antérieurs parlaient presque exclusivement dune force de lOTAN, les Russes pourraient peut-être sassocier à une force qui serait fixée, décidée, déterminée dans le cadre des Nations unies. Il peut y avoir une combinaison entre différentes forces de sécurité et cest une des pistes sur lesquelles nous travaillons, même si cest un peu tôt pour en dire plus.
Q - Alors, avant de voir plus en détail ce que pourraient être les termes dun accord politique mettant fin à cette crise ou tout au moins permettant de mettre fin à laction militaire, où en est-on de laction militaire ? Tout à lheure, à Bruxelles, le porte-parole de lOTAN disait « Ah, les forces yougoslaves commencent à craquer ! », ce sont aussi vos informations ?
R - Oui. Mais, ce qui est clair, cest que les actions quotidiennes, je crois que nous en sommes au 19ème jour, quenviron 150 cibles importantes ont été détruites...
Q - Sur combien ?
R - La question ne se présente pas comme cela parce que le nombre de cibles est variable. En tout cas, les résultats sont déjà considérables.
Q - Le nombre de cibles est variable en fonction de quoi ?
R - Il ny a pas de définition arithmétique des cibles et...
Q - Oui mais quand on dit 50 % des objectifs sont atteints, alors dautres disent 20 %...
25% a dit Mme Albright...
R - Il y a une terminologie « otanienne » dans laquelle on distingue les cibles qui ont été simplement touchées, celles qui ont été endommagées, celles qui ont été détruites. Les ordinateurs calculent à partir des dégâts à porter à tel ou tel bâtiment, à telle ou telle caserne, à tel centre de communication, à telle ou telle voie ferrée militaire etc, etc. Ce que je peux vous dire, cest que cette action donne des résultats très importants et que là, il y a un avis partagé au sein de lensemble des pays de lAlliance sur le fait que le programme annoncé est vraiment en cours de réalisation. Vous vous rappelez que lobjectif, cétait de porter un coup décisif à la machine militaire de répression. Cette armée yougoslave dans son aspect répressif va être de plus en plus incapable de fonctionner sur ce plan.
Q - Est-ce que cela permet dexclure loffensive terrestre parce que vous disiez tout à lheure que les autorités politiques excluaient cette offensive terrestre mais les autorités militaires ne lexcluent pas.
R - Non. Dabord, ce ne sont pas les autorités militaires qui décident...
Q - Non mais elles sont sur le terrain.
R - ...Non, elles ne sont pas sur le terrain précisément. En tout cas, tous les pays de lOTAN sont des pays démocratiques dans lesquels ce ne sont pas les autorités militaires qui décident. Elles ne prétendent dailleurs pas le faire. Simplement, les autorités militaires - et cela a pu prêter à confusion - disent quelles examinent toujours toutes les hypothèses possibles et imaginables pour ne pas être prises au dépourvu si on leur pose des questions sur la faisabilité de ceci ou de cela. Il ny a pas véritablement de débat sur ce plan puisque, en réalité, on voit bien que par rapport à lobjectif poursuivi qui est de porter un coup décisif à lappareil militaire de répression pour modifier le rapport de force, les offensives terrestres auraient été plus longues, beaucoup plus coûteuses en hommes, beaucoup plus tragiques pour les populations des pays concernés notamment le Kosovo. Ce nest pas lalternative pour ceux qui sétaient posé des questions sur les actions menées.
Q - Il y a tout de même un autre cas de figure... persévérer...
R - On pense à persévérer...
Q - Avec les frappes ?
R - Avec ce type dactions militaires aériennes. On pense quelles sont en train de donner des résultats importants et durables. Globalement, à long terme.
Q - Face à de telles cruautés, sil advenait que, daprès toutes les informations reçues par lAlliance atlantique, larmée serbe était véritablement très affaiblie, est-ce quon attendrait laccord de Belgrade pour déployer des forces internationales au Kosovo ou bien à ce moment-là, compte tenu du fait quon pourrait supposer que les combats seraient assez peu importants au Kosovo même, on commencerait à déployer cette force internationale sans laccord de Belgrade ?
R - Pour le moment, le problème na pas été posé en ces termes parce quil faudrait pouvoir les analyser plus complètement laction et les résultats des campagnes aériennes qui ont été menées. A un moment donné, les chefs dEtat et de gouvernement feront une évaluation des objectifs qui ont été atteints. Ils verront, ils vont privilégier naturellement la recherche dun accord politique...
Q - A quel moment va se décider cette évaluation ?
R - ...Dans un certain temps, je ne peux pas vous dire et vous ne vous étonnerez pas que je ne vous donne pas un moment exact naturellement. Cest à partir de cette évaluation quon reprendra peut-être cette question. Naturellement lobjectif serait daboutir à un accord politique accepté dans lequel il y aurait un volet sécurité au sol, nous en parlions il y a un instant, qui est tout à fait indispensable. Non seulement pour faire revenir les réfugiés, mais même après, pour servir dinterposition, pour stabiliser.
Mais, il y a un problème qui va se présenter avant celui-là, qui est de savoir dans quel cadre cela doit se faire. Où est lautorité légitime qui doit prendre ce type de décision ? Parce que les questions que vous posez, qui vont se poser, sur lesquelles nous travaillons et pour lesquelles vous pouvez comprendre que je ne puisse pas apporter aujourdhui toutes les réponses même si jindique des voies, des tendances. Les questions, ce sont celle du cadre. Nous pensons, nous, Français, et cest un de nos sujets de conversation des derniers jours avec nos partenaires, que ce sera au Conseil de sécurité de déterminer le cadre général du règlement et dans sa dimension politique et dans sa dimension sécurité internationale. Doù dailleurs, le travail avec les Russes...
Q - Avec les Russes, mais il ny a pas quavec les Russes, il y a les Chinois aussi ?
R - ...Oui, il y a les Chinois aussi. En général, les Chinois sopposent surtout à ce qui peut comporter une ingérence dans leurs affaires à eux.
Q - Cela pourrait constituer un précédent aussi par rapport à telle ou telle situation ?
R - Cest vrai, les Chinois ont aussi une stratégie par rapport à la communauté internationale, par rapport aux Etats-Unis, par rapport aux Européens : ils veulent aussi que la Chine soit reconnue comme un grand pays partenaire.
Q - Une précision tout de même Monsieur Védrine, ce que vous venez de nous dire, signifie-t-il que quelles que soient les circonstances du déploiement dune armée terrestre au Kosovo, du point de vue de la France, cela ne pourra se faire quavec lassentiment des Russes ?
R - Non, je voudrais réserver, disons, la décision ultime du président de la République et du Premier ministre sur des questions de ce type, à la fois parce quelles sont très graves et deuxièmement parce quelles ne se posent pas aujourdhui. Je ne vais pas répondre prématurément à une question qui nest pas encore posée, ce serait précipité.
Ce que je veux dire, cest que cest une décision dune gravité extrême et quil faut quelle soit donc entourée dun maximum de légitimité, de légalité, dautorité politique et morale. Vous savez que la position de principe de la France, cest que tous les cas demploi de la force devraient être autorisés expressément par une résolution du Conseil de sécurité, prise au titre du chapitre VII, quen même temps, on ne veut pas pour ces raisons légales - que tout le monde peut comprendre - on ne veut pas dans certains cas durgence, face à des drames extrêmes, être complètement paralysé. Cest pourquoi dans laffaire du Kosovo, nous avons décidé daccepter trois résolutions du Conseil de sécurité qui nétaient pas aussi détaillées, pas aussi précises que nous aurions pu le souhaiter mais qui étaient là, qui existaient, qui se référaient au chapitre VII comportant des exigences extrêmement fortes par rapport aux autorités de Belgrade. Nous avons travaillé sur cette base.
Q - ...Mais quand vous dites « de notre point de vue, cela ne pourra se faire que sous légide du Conseil de sécurité de lONU », cela veut donc dire que les Russes seront associés et au minimum sabstiendraient ?
R - Je nai pas dit exactement ce qui serait déterminé par le Conseil de sécurité. Il peut y avoir une structure générale, cela peut être un cadre, cela peut être plus ou moins précis, il y a toute une série de possibilités dintervention du Conseil de sécurité sur un règlement de ce type. Mais compte tenu de limportance de la chose, qui est de déterminer pour le Kosovo un statut qui soit gérable après non seulement ce qui sest passé depuis quelques jours, quelques semaines, quelques mois, depuis des années et que ce statut soit gérable en préservant différentes solutions davenir possible par rapport à cela. Il faut que ce cadre, ce règlement ait le maximum dautorité et de crédibilité. La réponse normale, cest le Conseil de sécurité. Cest cela dont nous parlons avec nos partenaires russes, cest cela dont nous parlons naturellement aussi avec les Américains, avec les autres membres permanents ou non permanents du Conseil de sécurité et je pense que lobjectif est dailleurs bien compris.
Q - Est-ce que la réunion des chefs dEtat et de gouvernement européens mercredi peut être un lieu de discussion par rapport à ces questions ?
R - Je ne pense pas quelle puisse être un lieu de discussion détaillée par rapport à cela. En revanche, elle peut être une occasion, elle sera une occasion très importante dexpression de principes généraux sur le sujet. Je rappelle quà lorigine, il sagit pour les chefs dEtat et de gouvernement de dîner avec M. Prodi qui a été désigné comme nouveau président de la Commission et quil va y avoir un échange avec eux sur « comment la Commission européenne peut rebondir après ce quil lui est arrivé ces derniers mois ? Comment peut-elle être réformée, recentrée sur ses vraies tâches, renouvelée, mieux gérée ? ». Une série de sujets tout à fait importants pour lavenir de lEurope. Il y a la question du Kosovo, donc finalement, ils vont partager leur rencontre en deux sujets.
Sur le Kosovo, en effet, les Quinze peuvent avoir à dire des choses très fortes à ce propos. Dailleurs, la rencontre des Quinze qui a eu lieu cette semaine, qui portait sur tout, sur lorganisation de laide humanitaire des Quinze par rapport aux réfugiés, par rapport à lAlbanie, par rapport à la Macédoine, était loccasion de ladoption dun texte dans lequel il est fait référence au Conseil de sécurité. Cette idée progresse en ce moment et nous nous y employons particulièrement parce que nous estimons que cest vraiment ce par quoi devront passer les solutions que nous trouverons, même si le détail nen est pas déterminé encore aujourdhui.
Q - Donc, vous souhaitez quà Bruxelles, les chefs dEtat et de gouvernement européen fassent référence au Conseil de sécurité ?
R - Vous savez, cest un dîner informel. De temps en temps, ils se voient pour discuter avec un ordre du jour plus souple que dhabitude. Je ne sais pas si cest à la présidence allemande de faire des propositions pour savoir sil doit y avoir une expression après, un texte, une déclaration de la présidence ou autre, cest à voir. Je parlais sur le fond : ils ne peuvent pas laisser cette occasion...
Q - Kofi Annan va faire une tournée européenne puisquil a commencé par Madrid ?
R - Attendez, je vais y revenir... Ils ne peuvent pas laisser passer cette occasion dune expression sur le Kosovo. Je crois que lEurope a dautres choses à dire. Le soutien des Quinze aux actions en cours est total, il a été exprimé plusieurs fois. Les questions ne se posent même pas. Sur les perspectives davenir, sur le soutien et notamment aux cinq questions qui ont été formulées aux autorités de Belgrade et qui préfigurent un certain nombre déléments de la solution, là aussi, il y a cohésion des Quinze. Ils peuvent avoir deux ou trois idées à lancer en plus.
Quant à M. Kofi Annan, il était en effet à Genève, il est parti...
Q - A Madrid.
R - ...Il est parti à Madrid. Je lai eu dailleurs hier soir au téléphone, je ne crois pas quil reste en Europe après. Mais on est en contact tout le temps et vous voyez quil a commencé à mettre en avant quelques idées depuis trois jours.
Q - Alors, je voudrais revenir à lévaluation, vous y avez fait référence plusieurs fois, bon, en disant que les choses ne sont pas tout à fait claires, mais on est, si on a bien compris, absolument dans ce qui avait été appelé la phase 2 des opérations de lOTAN. Est-ce que cette phase 2, qui là ne vise pas - comment dirais-je ? - le coeur névralgique du pouvoir serbe peut suffire, daprès vous, à créer les conditions pour que Milosevic accepte ce quon lui demande ou bien est-ce que dores et déjà lhypothèse de passer à la phase 3 - où là cette fois, Milosevic lui-même, son système de pouvoir serait directement visé - est envisagée aujourdhui ?
R - Si les dirigeants des pays de lAlliance ont décidé de ne pas passer à cette phase 3 pour reprendre la terminologie de lOTAN que vous utilisez mais de rester à une phase 2, 2 bis, comme on la dit parce quen fait, cest le même genre de cibles mais en plus grand nombre, cest parce que précisément, elles ont voulu rappeler que nous ne sommes pas en train de faire la guerre à un pays. On ne fait pas la guerre à la Serbie, on fait encore moins la guerre au peuple serbe qui est victime de tout cela, qui est victime de cet enfermement, qui est le résultat de ce pouvoir et avec lequel il faudra rebâtir lavenir demain. Cest véritablement une action militaire concentrée, concentrée sur un certain type dappareil militaire de répression, doù un certain type de cibles et cest pour cela que ce cap na pas été franchi. Et cela signifie, vous avez la réponse à votre question, que les dirigeants ont pensé que nos objectifs pouvaient être atteints sans avoir recours à cette phase 3.
Q - Cest ce quils ont pensé au départ, mais aujourdhui ?
R - Non, cest ce quils ont pensé quand ils ont pris cette décision. Ils sont dans le même état desprit, qui est de persévérer...
Q - Vous croyez que politiquement, on peut continuer comme ça à bombarder un pays pendant des semaines, que les opinions publiques tiendront le choc, quil ny aura pas de dérapage, que... cest possible ?
R - Au départ, personne ne le souhaitait, personne ne la souhaité, même pas une minute. Si on avait pu en faire léconomie, on en aurait fait léconomie naturellement. Toutes les occasions avaient été présentées et organisées, préparées pour cela. Maintenant, je constate que les bombardements atteignent des résultats de plus en plus importants, que les opinions publiques soutiennent avec des chiffres qui varient mais qui sont extrêmement élevés dans la quasi-totalité des pays de lAlliance - mis à part le cas particulier de la Grèce où il y a une sorte - comment dire ? - de sympathie orthodoxe et de voisinage qui lemportent sur les autres considérations, mais il nempêche que la Grèce fait partie de lOTAN et que la Grèce est dans les réunions de lOTAN, elle se réserve un peu par rapport au texte, par rapport aux communiqués, mais cela na pas brisé leurs liens avec lensemble de lAlliance.
Donc, cest quand même une dominante, même si on pourrait la nuancer. Et je constate que cette action est comprise, que les gens ont compris quon navait pas le choix, quil fallait faire cela, et quon le faisait non pas pour faire la guerre à un pays mais pour aboutir à une solution politique. Je pense quils attendent maintenant le moment où nous pourrons leur dire « voilà la solution politique que nous allons essayer de bâtir ».
Q - Mais les Serbes soutiennent leur régime, on le voit bien ?
R - ...Oui on le voit, mais on ne sait pas très bien non plus. Il ny a quand même pas eu délections totalement libres en Serbie avec des médias pluralistes et permettant à toutes les sensibilités de sexprimer. On aurait alors pu constater si les Serbes étaient véritablement unanimes sur ce plan. Vous voyez bien comment cela fonctionne. Par exemple, pendant très longtemps, les Serbes nont jamais rien su de ce qui se passait au Kosovo. Que savent-ils de ce qui sest passé en Croatie, de ce qui sest passé en Bosnie, de ce qui se passe au Kosovo ? Que savent-ils de ce qui est dit dans le monde extérieur ? Naturellement, cest un pays fier, cest un pays patriotique, cest un pays qui a une vision de sa propre histoire, qui le porte comme cela à se solidariser dans la souffrance et dans lattente du drame. Cest précisément de tout cela que, dans lavenir, nous voudrions pouvoir aider les Serbes à se sortir bien sûr.
Dautre part, face à une action comme cela, cest normal quil y ait un réflexe de solidarité au début, cest normal, ce nest pas étonnant, disons, que cette solidarité soit exploitée par le régime. Mais après, les gens se posent des questions.
Q - Quand vous dites quon ne peut pas passer à une phase supérieure, ça veut dire quon serait prêt à discuter avec M. Milosevic ?
R - Cest autre chose
Q - Monsieur Védrine, on a observé cette semaine une évolution dans le ton des responsables français, mais pas seulement eux dailleurs, de lOTAN vis à vis du président Serbe Milosevic. Le mardi 6 avril, M. Chirac, dans son intervention à la télévision, le qualifiait de dictateur, parlait de barbarie et appelait Milosevic, sans le « monsieur » et puis deux jours plus tard, le Premier ministre nemployait pas tout à fait les mêmes termes, mais rendait à Milosevic son « monsieur ». Est-ce que cela veut dire quaujourdhui au fond vous considérez que lOTAN considère que Milosevic doit être préservé comme interlocuteur du futur accord dont nous avons parlé ?
R - LOTAN nest jamais que lendroit où les différents gouvernements se réunissent pour prendre les décisions sur des bases de souveraineté nationale. Dautre part lOTAN, ni même lalliance Atlantique, nest lorganisation adéquate pour déterminer la solution politique. Cest quelque chose qui se fait dans le Groupe de contact, au sein de lUnion européenne et de préférence, donc nous en parlions, au Conseil de sécurité.
La prise de conscience plus ample de ce qui sest passé, cest que lon a vu, amène à parler de ce régime de Belgrade, dans des termes de plus en plus durs, et cest bien logique. En même temps nous avons adressé des questions à ce pouvoir quand il a annoncé un cessez-le-feu unilatéral. Ce qui veut dire que le monde considère encore que ces autorités sont capables, sont bien placées pour arrêter de martyriser les populations au Kosovo. Que ce soit en les chassant ou en les tenant captives, le monde considère encore que ces autorités peuvent afficher le principe du retour des réfugiés et commencer à le mettre en oeuvre ; quon peut encore attendre delles, quelles acceptent le principe dun accord politique, dun cadre politique sur le Kosovo, quelles acceptent enfin ce principe dune force de sécurité. Je veux dire que le problème pour le moment ne se présente pas tout à fait dans ces termes théoriques : nous nous sommes engagés dans une confrontation, nous voulons obtenir un résultat qui permette de rebâtir lavenir. Cela nexprime pas une préférence, cela nexprime pas un choix, cela nexprime pas non plus une complaisance. Aujourdhui ce quil faut, cest obtenir des engagements sur les points dont vous parlez. Voilà la façon dont cela se présente aujourdhui.
Q - Mais est-ce quà vos yeux Milosevic est quelquun avec qui il est possible de négocier ? Ou bien est-ce que la seule option qui lui est ouverte, cest daccepter les cinq points qui sont maintenant ceux de lONU ?
R - Cela dépend des points :
Arrêter de martyriser les populations ne se négocie pas. Cela sexige, et entraîne donc les actions que vous connaissez.
Le principe de retour des réfugiés aussi ne se négocie pas. Il faut organiser le retour des réfugiés, il faudra les aider à revenir, cest compliqué. Sil est confirmé quon a détruit létat civil, en plus des maisons, il y aura un énorme travail de reconstruction par la suite auquel il faut penser.
Laccord politique nest pas tellement la question de la personne du président Milosevic. Il y a aussi un peuple serbe qui est lui aussi victime de tout cela dune certaine façon. Ils ont aussi des intérêts légitimes et, à la limite, étant donné la défaillance, la succession derreurs impardonnables et le comportement des autorités de Belgrade, nous sommes presque obligés de penser à leur place en réalité aux intérêts du peuple serbe, demain, par exemple dans ce Kosovo, à propos duquel nous maintenons ce principe dune autonomie très poussée.
Il y aura demain des Kosovars et des Serbes, une minorité Serbe, des gens qui sont au Kosovo depuis toujours - cest chez eux aussi, sans parler des monastères. Nous sommes obligés davoir une pensée à ce sujet. Il faut bien une négociation sur ce point. Quand on était à Rambouillet par exemple, on avait accepté les uns et les autres, dadapter les accords de Rambouillet pour que les minorités serbes du Kosovo puissent par exemple ne pas avoir à répondre de leurs actes devant une justice avec des Albanais, en langue albanaise. (...).
Q - Donc vous vous voyez aller rencontrer Milosevic à Belgrade ?
R - Mais personne na envie daller le rencontrer.
Q - Si cétait nécessaire vous iriez ?
R - Cela ne serait pas une décision. Sil fallait à un moment donné, sur un point clé, sans renoncer à quoi que ce soit, pour lavenir tout en pensant que ...(...).
La Yougoslavie, comme les autres pays dEurope, y compris des pays voisins, doit à son tour devenir une vraie démocratie, comme la Bulgarie dont je reviens, ou la Roumanie, la Croatie, la Slovénie, comme dautres pays des Balkans qui sont engagés, eux aussi dans un travail de modernisation et de développement. Il se peut quà un moment donné, il y ait quelque chose à traiter, quelque chose à discuter avec ces autorités de Belgrade. Je ne veux pas quil y ait de malentendus. Jessaie de répondre honnêtement et franchement à votre question pour informer lopinion. Cest une décision qui na pas été arrêtée définitivement, ni par les autorités françaises, ni allemandes, ni britanniques ni américaines, ni autres. Je crois que nous verrons, en fonction de ce qui serait le plus utile à ce moment-là, par rapport au sort des populations qui souffrent, dans cette situation et par rapport à lavenir. Après tout il y a eu des discussions avant, alors quil y a eu des drames horribles aussi en Croatie, en Bosnie, on les a tous à lesprit. Il y a eu des discussions, il y a eu des visites à Belgrade, jy étais allé avec M. Kinkel, quand il était ministre des Affaires Etrangères allemand. M. Ivanov y est allé, M. Holbrooke a été envoyé à plusieurs reprises par le président Clinton. Quest-ce qui dominait ? Ce nétait pas le désir de négocier avec ces autorités, cétait un principe dutilité. On se disait si, à un moment donné, on peut arracher laccord politique, et larracher dans de bonnes conditions, sous un vrai contrôle, une vraie sécurité, à ce moment-là on na peut-être pas le droit de sy refuser. Mais on considérera peut-être quand nous saurons, à lissue de cette séquence militaire, que les choses sont modifiées en profondeur et que ce nest plus le cas. Aucun dirigeant na complètement arrêté sa position sur ce point, précisément pour se garder la possibilité dêtre utile aux populations qui souffrent.
Q - Du point de vue de laccord politique, est-ce que lunité du Kosovo vous paraît encore réaliste aujourdhui, ainsi que son maintien puisque lautonomie certes, mais en restant dans la République fédérale de Yougoslavie ?
R - Aucun pays occidental na changé de position là-dessus. De temps en temps il y a des déclarations dexperts, de commentateurs, il y a des points de vue, des libres opinions qui sexpriment et cest bien naturel. Mais il ny a pas eu de changement sur lidée dune autonomie très substantielle du Kosovo. Il ny a pas de passage à lidée dindépendance compte tenu de ce que cela ne manquerait pas dentraîner, dont on a parlé souvent.
Q - Malgré tout ce qui se passe en ce moment ?
R - Oui parce que la position contre lindépendance nétait pas fondée sur la sympathie que nous avions avant par rapport à la politique de Belgrade, ce qui aurait donc dû changer après ce qui sest révélé. Cest une position de fond, cest une position de réflexion par rapport à la stabilité des Balkans futurs.
Si vous avez un Kosovo indépendant, le rattachement à lAlbanie est quasi irréversible, et posera la question dune partie du Monténégro, dune partie de la Macédoine, voire même dune partie de la frontière avec la Grèce. Vous entrez dans une déstabilisation, vous avez un phénomène quon appelle de Grande Albanie, bien que tout cela, ne soit pas très grand, mais enfin un phénomène de modification des frontières.
Or cest quelque chose, contre laquelle la communauté internationale a lutté contre la Bosnie quand il sagissait des Serbes de Bosnie, qui voulaient sassocier aux Serbes de Serbie, ou des Croates de Bosnie, qui voulaient sassocier aux Croates de Croatie. Il faut essayer de rester logique compte tenu des conséquences que cela pourrait avoir.
Maintenant là où vous avez raison, cest que ce serait surréaliste dimaginer quaprès tout cela, on peut avoir dans le Kosovo, les Kosovars qui sont rentrés dans des conditions pénibles quon imagine et puis à côté les Serbes.
Q - Et puis les forces de police serbe, une armée serbe....
R - ... Donc il y a quelque chose qui ne va pas. Cest pour cela que dans la solution politique que nous devons bâtir, il faut trouver un cadre qui évite ce choc.
Q - Cest la partition ?
R - Non, quand on parle de partition, on raisonne comme si le Kosovo était un Etat indépendant et comme si on allait le couper en morceaux. Ce nest pas la situation actuelle. En dépit de la guerre et de tout, le Kosovo aujourdhui, en terme de droit international, est une province de la Serbie qui, elle-même, fait partie de la Yougoslavie. La question de la partition, je ne sais même pas pourquoi on en parle en ce moment, parce que ce nest pas un problème qui est posé par les événements actuels ni par des solutions envisagées...
Q - Par les mouvements de population. On peut par exemple retrouver un regroupement des Serbes dans une partie du Kosovo et les Kosovars dans lautre partie du Kosovo ?
R - Oui mais cest autre chose, le regroupement cétait déjà le cas avant. Il y avait des zones serbes, des zones kosovares au Kosovo. Lidée de la partition je ne sais pas à quoi cela correspond, puisquencore une fois ce nest pas une solution sur lesquelles les uns et les autres travaillent. Ce qui est vrai, cest quà lintérieur du Kosovo, avant cétait le cas, et peut redevenir le cas après, il y avait des zones kosovares, des zones serbes. Les zones kosovares en majorité, on connaît les chiffres, à peu près 90 % de Kosovars, il y avait aussi des zones serbes, il y a des lieux historiques serbes, cest aussi vrai après quavant. On peut avoir à organiser cette cohabitation, cette coexistence dans le Kosovo de demain, quelque soit son statut exact qui devra être précisé comme je le disais, selon nous, par le Conseil de sécurité. On peut avoir à sassurer des droits des uns et des autres. Cest plus une question, cest cela que je veux dire, ce nest pas tellement une question géographique. Le problème du Kosovo de demain est une question dorganisation des droits des uns et des autres, une future majorité, une minorité....
Q - Ce sera plus difficile quand même ?
R - Naturellement tout est difficile dans le sujet on le sait bien.
Q - Pardon, moi je suis un peu étonnée des précautions que vous prenez quand vous dites : on ne peut pas créer une grande Albanie, on ne peut pas déplacer les frontières. Je veux dire, enfin le drame actuel, oblige quand même à repenser les choses. Alors au nom de quoi est-ce quon ne se mettrait pas autour dune table dire : puisque les choses en sont là, pourquoi...
R - Alors pourquoi on ne le fait pas ? Cest une bonne question. Mais on ne le fait pas au nom des conséquences, pour le moment en tout cas. Vous minterrogez aujourdhui, je vous réponds aujourdhui. Je vous dis quaucun dirigeant des pays occidentaux de lAlliance na franchi ce pas. Je vous informe. Cest la réalité daujourdhui.
Q - On y pense ?
R - Pourquoi ?... Non. Les questions sont posées, mais on sest posé des questions parce quon est interpellé et on a répondu. Si vous acceptez, sous prétexte que les choses ont été trop loin, donc que les Kosovars ne peuvent plus être dans la Yougoslavie de demain, cela veut dire que vous êtes obligé daccepter des suites, des suites donc je vous ai parlé : cest quand même le démembrement possible dune partie du Monténégro, cest le rattachement à lAlbanie, cest le risque de la déstabilisation, pour ne pas dire pire, sur la Macédoine, avec des conséquences sur la frontière grecque. Cela veut dire, en pratique, une autre guerre balkanique.
Les pays responsables sont chargés de traiter à la fois de la crise immédiate du Kosovo et de penser à lavenir et de penser aux Balkans de demain. Notre solution sur le Kosovo doit sinscrire dans un avenir que nous devons penser presquà la place des dirigeants défaillants sur la Yougoslavie, mais il faut penser aux efforts à faire aussi pour demain, pour la Bosnie, pour lAlbanie, pour la Bulgarie, pour la Roumanie, pour la Slovénie, enfin pour lensemble des pays des Balkans, qui ont encore une longue route devant eux pour être, au bout du compte, dune partie de lEurope comme le reste. Il faut avoir à la tête toutes les conséquences le jour où on accepte cela. Les Serbes de Bosnie qui nont accepté quà contrecoeur, comme les Croates de Bosnie, les accords de Dayton, disent : « mais vous accordez aux Albanais, ce quon avait demandé. On avait demandé peut-être de façon violente, mais on leur demande de façon politique, on veut se rattacher aux Serbes de Serbie, comment vous dites non à ce moment-là, si vous avez... »
Q - On peut dire non ?
R - Si vous dites oui, vous êtes obligé daccepter que les Croates de Croatie se rattachent à la Croatie, et vous avez un réduit musulman bosniaque autour de Sarajevo et de quelques villes, qui est lui-même précaire, fragile, petit ou alors il faut le prendre en charge complètement, en matière là aussi, une sorte de système international. Dans le même temps, vous avez la question de la Macédoine qui nest pas réglée. Sans compter quil reste quand même, partout ailleurs, des minorités, des frontières. Rien nest jamais tout à fait satisfaisant. On na pas réglé tous ces problèmes. A un moment donné, on va finir par les considérer comme pas suffisamment dramatique pour continuer de sétriper à ce sujet. Cest plutôt un dépassement quun règlement.
Q - Monsieur Védrine, pour en revenir aux réfugiés et aux cruautés qui sont commises sur le terrain, les Allemands ont expliqué aujourdhui quils tenaient un répertoire très précis de toutes les exactions commises en recoupant les témoignages, en exploitant les possibilités photographiques des satellites, ou dautres sources. Est-ce que la France fait la même chose ?
R - Oui, nous avons dailleurs rassemblé toutes les informations fournies par les ONG qui étaient sur le terrain, ou qui ont des contacts avec certaines dentre elles qui ont pu rester parfois, et nous sommes en train de rassembler ces informations. Cest dailleurs très compliqué, parce que beaucoup dinformations ne se recoupent pas. Mais je comprends et je soutiens cette démarche.
Q - Est-ce que vous aviez connaissance, vous, de ce plan dont ont fait état les Allemands qui rendaient public un document cette semaine à ce sujet, expliquant que les Serbes avaient conçu un plan dit « plan fer à cheval » qui était officiellement destiné à lutter contre lUCK, mais qui, en réalité, était un plan de déportations des populations albanaises du Kosovo ?
R - Je nai pas connaissance dun plan, sous ce nom. Je nai pas connaissance dun plan, mais on avait connaissance de pratiques, avant. Sans avoir à faire semblant de découvrir les choses à propos dun plan. Cest-à-dire quon a bien vu ce qui se passait au Kosovo déjà il y a un an. Le Groupe de contact a, dailleurs, commencé à se saisir de cela, au printemps 98, parce que les choses ont explosé. On était en pleine offensive de larmée yougoslave, contre lUCK, mais lUCK cétait la population en quelque sorte. Ils étaient comme un poisson dans leau, pour reprendre une vieille métaphore. A chaque fois quil y avait des actions de ce type, les populations étaient chassées, ou partaient, elles allaient en montagne et puis elles revenaient. Alors il y a eu le printemps 98, il y a eu lété 98, il y a lautomne 98, à un moment donné où on pensait quon était au bord dune catastrophe, 150 000 à 200 000 personnes risquaient de périr de froid et de faim dans les bois. A chaque fois on voyait bien presque sur la carte, les zones que les Yougoslaves considéraient comme étant des bases fortes de lUCK, étaient souvent des zones de populations dans lesquelles lUCK était protégée en quelque sorte. On voyait bien, que ce soit à lintention, ou que ce soit les conséquences, que cela revenait à terroriser les gens et à les faire partir. Il y avait presque tout cela, sauf le nom quoi.
Q - Alors certains, notamment M. Giscard dEstaing, sindignent en France de voir que lOTAN accroît son rôle jusquà laction humanitaire maintenant. Cest-à-dire que lAlliance Atlantique aurait supplanté lONU, les ONG ou le HCR pour organiser laction humanitaire. Etes-vous, vous-mêmes hostile à cette extension du rôle de lOTAN ?
R - En France nous ne sommes pas favorables à une extension trop élastique du rôle de lOTAN, ni en ce qui concerne les tâches, ni en ce qui concerne les zones géographiques, ni en ce qui concerne son autonomie de décision par rapport au Conseil de sécurité dont nous parlions tout à lheure. Et cest un des sujets permanents de discussions que nous avons avec nos partenaires américains. Aux Etats-Unis, il y a une tendance qui consiste à confirmer lOTAN dans son rôle qui est une alliance militaire, fondamentalement défensive, mais qui peut avoir à mener des actions de rétablissement et de maintien de la paix à sa proche périphérie. Et puis il y a une conception beaucoup plus maximaliste qui veut mettre lOTAN à toutes les sauces et lutiliser à toutes sortes de missions. Cest notre ligne, il faut être vigilant sur ce plan. Mais je rappelle que lOTAN est composée de 19 pays maintenant et quil y a souvent des réactions de ce type où nous sommes tout à fait seul, nous Français, à avoir cette action de précaution.
Q - Cela voudrait dire que lopération abri-allié, se décide sans nous ?
R - Que ?
Q - Lopération abri-allié, cest-à-dire lenvoi de 8000 hommes de lOTAN pour les actions humanitaires sera décidée sans la France ?
R - Non ce dont je parlais cétait un principe général par rapport à lélargissement des tâches de lOTAN. Nous sommes pour que lOTAN reste dans son rôle et dans son espace, et quil reste logiquement subordonné au Conseil de Sécurité, comme dailleurs le prévoit la Charte des Nations unies et le Traité qui, en 1948 à Washington, a fondé lalliance Atlantique.
Maintenant, il y a des circonstances où les uns et les autres disent : il faut que lOTAN fasse ceci, cela, parce que les autres ny arrivent pas. Je crois que ce moment démotion est un peu dépassé sur les réfugiés, puisque sur le terrain, pendant quil y avait toutes sortes de disputes, un peu théoriques, sur le rôle des organismes à Bruxelles ou à Genève, ou je ne sais où, en Albanie et en Macédoine, toutes les organisations ont réussi à travailler très bien ensemble. On a vu que le HCR, on a vu que lUnion Européenne, on a vu que les pays les uns et les autres, ont fait beaucoup - vous vous rappelez de la mission que M. Josselin a fait sur place et chaque pays en a fait autant.
Q - En France même certaines organisations humanitaires sinquiètent du fait dont lOTAN déborde en quelque sorte de son rôle et soccupe de laide aux réfugiés ?
R - Oui, ce nest pas souhaitable dans son principe...
Q - Parce que cela attire laction humanitaire dans une orbite à laquelle elle cherche à échapper justement ?
R - Je comprends bien. Ils cherchent à préserver une certaine autonomie, une certaine rigueur de leurs approches.
Q - De leur neutralité.
R - Il est arivé, à certains endroits, il ny avait que lOTAN qui avait des hélicoptères ou des moyens de transports, que la route sétait effondrée, et quil fallait faire cela en urgence, quil y avait des forces qui étaient là pour dautres missions, notamment en Macédoine, ou en Albanie. Ce nétait pas possible par purisme sur le sujet de dire : « non pas possible, il vaut mieux aller à pieds que dutiliser les hélicoptères de lOTAN ». Il y a eu des réactions durgence de ce type. Cela na pas pris lallure dun système et je crois que la réunion européenne, qui a eu lieu la semaine dernière à 15, sur lorganisation et la coordination de laction humanitaire a remis les choses en place.
Q - Les 8000 hommes quon envoie....
R - Oui. Cest en Albanie, à la demande des Albanais. Parce que les Albanais, finalement, sont ceux qui prennent le choc le plus grand, puisquen Macédoine, les réfugiés sont passés, mais les Macédoniens ont été extrêmement inquiets à lidée quils puissent rester. Cest une société très fragile, où il y a un peu moins de 30 % dAlbanais de Macédoine, les autres étant en quelque sorte des cousins des Serbes, ou encore dautres minorités. Ils ont demandé quon les aide à faire transiter ces gens vers lAlbanie. Cest lAlbanie qui assume le plus lourd du choc. Cest pour cela que, finalement, en Albanie, on a concentré lessentiel des moyens et que lon a mis à contribution tout le monde... y compris lOTAN. Mais nen faisons pas un drame, ce nest pas une dérive de la vocation de lorganisation.
Q - Juste une question encore sur les réfugiés. Compte tenu de ce que vous disiez il y a un instant. Cest-à-dire que les mouvements de population avaient déjà commencé lan dernier et quon pouvait sattendre à ce quils saggravent, dans la période actuelle. Est-ce que vous estimez que le Haut Commissariat des Réfugiés de lONU a été défaillant par rapport à la situation qui sest crée, ou qui menaçait de se créer ?
R - Je trouve quon a dit un peu précipitamment quil avait été défaillant, parce quon a vu très vite, quen deux, trois jours, il y avait vraiment sur place tout ce quil fallait, en terme de temps, en terme deau potable, en terme dalimentation, en terme de médicaments, etc. et que cétait un problème de transport, donc de logistique. Le HCR na pas darmée logistique à sa disposition. Cétait un problème de coordination avec les autorités de la Macédoine et de lAlbanie. Je ne vois pas ce quil y a à reprocher au HCR. Le HCR a fait face à des mouvements de population plus grands, en réalité, par exemple, en Afrique où il y a eu des drames beaucoup plus considérables. Cela sest dit un peu trop vite, comme les gens qui disaient au bout de trois jours : les frappes ne servent à rien.
Q - On a encore quelques questions à vous poser, sur lAlliance Atlantique notamment. Il y a en principe le 23 avril prochain, à Washington, la célébration du cinquantenaire de lOTAN. Est-il concevable que lon assiste, et surtout si les frappes aériennes ne sont pas stoppées, à lexposition, par exemple politique, de divergences de vues sur le rôle de lOTAN, telles que vous venez de les exprimer, cest-à-dire le point de vue français, le point de vue américain, pour schématiser, et puis tous les autres milieux alors que les militaires, eux, feraient la guerre ensemble ?
R - Ce sont aux Américains de nous dire quelles sont leurs intentions par rapport à ce sommet. Ce sont eux les hôtes du sommet qui, comme vous dites, a avait été prévu comme étant une célébration. Le contexte se prête mal à une célébration. Maintenant il y a quand même des vrais sujets à débattre dans lOTAN, à la fois concernant limmédiat, le Kosovo, la suite des opérations, la sortie des opérations et, dautre part, un certain nombre de réflexions quil faut continuer à mener sur lavenir de lOTAN, puisque cétait un sommet sur ladaptation de lOTAN. Est-ce que lOTAN va pouvoir se consacrer à de nouvelles tâches ? Comment se prennent les décisions dans lOTAN par rapport au Conseil de Sécurité ? On en a parlé plusieurs fois tout cela. Le problème de fonds demeure, ce nétait pas simplement une fête comme pour le plaisir de se rencontrer. Il y a besoin dun sommet pour déterminer quelle est cette alliance ? Dautre part, il y a un élément très important pour nous, qui est le travail que nous menons obstinément, depuis des années et des années, qui a connu un regain depuis quelques mois et qui concerne lEurope de la Défense ; la défense européenne est le pilier de lAlliance.
Q - Juste un mot quand même.... que les hommes politiques, les dirigeants politiques exposent leurs divergences pendant que les pilotes de tous ces pays réunis, courent les mêmes risques au même moment au-dessus du Kosovo et de la Serbie ?
R - Cela doit faire lobjet dune concertation entre les Américains et les autres membres du sommet, pour voir si le sommet doit être maintenu et, à ce moment là, sil doit être adapté, ou sil doit être déplacé.
Q - Quest-ce que vous voyez demain ?
R - Demain, il y a une réunion à lOTAN à Bruxelles, au niveau des ministres de lAlliance atlantique. La question du sommet na pas encore fait lobjet dune véritable discussion entre nous.
Q - Lidée dEurope de la défense a-t-elle progressé, à la faveur de cette crise au Kosovo
?
R - Non, elle a beaucoup progressé ces derniers mois, depuis les ouvertures qui ont été faites, tant du côté français que du côté britannique et qui se sont concrétisées à Saint Malo, il y a eu une déclaration qui a beaucoup frappé les esprits, puisque la France et la Grande Bretagne étaient, depuis des années, sur des lignes antagonistes en ce qui concerne léventuelle défense européenne, que ce soit dans lAlliance ou à côté de lAlliance. Depuis, nous avons bien travaillé, les Britanniques, nous-mêmes et les Allemands. Les choses ne peuvent pas progresser particulièrement pendant cette crise du Kosovo. Mais je peux vous dire que dès que nous serons en train de sortir de cette phase aiguë, que nous reviendrons sur le terrain politique, que nous allons reprendre notre effort sur ce plan.
Q - Mais tout de même par exemple lautre jour, lorsquil y a eu loffre de cessez-le-feu des Yougoslaves, il y a eu une réaction conjointe de quatre ministres des Affaires étrangères Européens, vous-même, votre collègue allemand, britannique et espagnol, quest-ce que ça signifie ? Ca cest une sorte dautonomie alors que Washington tout de suite avait dit :
Rejet ?
R - Non ça sest passé un peu différemment. Il y a eu, deux minutes après cette annonce de cessez-le-feu, un porte-parole de la Maison Blanche qui a prononcé le mot de rejet, deux minutes après. Il se trouve que quelques temps après, nous avons eu une conversation qui est quotidienne, téléphonique, avec Mme Albright, M. Cook, M. Fischer, M. Dini et quelques autres. Nous parlons régulièrement et quand ce nest pas dans cette configuration, cest dans une autre. Tout le monde se parle tout le temps en réalité et nous avons réfléchi à la façon de réagir. Nous avons pensé que la meilleure façon était de répondre par des questions qui sont des questions clé, qui sont la préfiguration de laccord futur. Et il était convenu que chacun sexprimerait à partir de cela.
Q - Ce nétait pas une autonomie européenne par rapport aux Etats-Unis ?
R - Non, dans le cas despèce cétait un consensus incluant les Etats-Unis. Dailleurs les Etats-Unis se sont exprimés dans les mêmes termes, après simplement tout le monde ne la pas fait à la même heure, ni dans les mêmes conditions. Ca a dailleurs été repris par Kofi Annan donc là cest plutôt le signe dun consensus général.
Q - Justement est-ce que dans ce qui se passe actuellement, cette crise avec la Serbie, est-ce que les critiques françaises sur la trop grande suprématie américaine au sein de lOTAN trouvent un écho auprès des partenaires de la France ?
R - Il faut distinguer. Sur la phase politico-diplomatique, en réalité il y a eu véritablement une égalité des partenaires. Et on ne peut pas dire que les Américains ont imposé leurs vues aux Européens, ou les Européens aux Américains, ou les Européens à dautres.
Q - Mais dans la conduite, après des opérations.
R - Cest tellement rare, que les gens ont du mal à y croire, si jen juge par les commentaires, mais ça sest vraiment passé comme cela. Dans la conduite des opérations, il est évident quen terme de logistique, la logistique aujourdhui efficace, cest celle de lOTAN. Même si nous souhaitons que lEurope ait, le moment venu, le plus vite possible, sa propre capacité, aujourdhui sil y a urgence, cest lOTAN qui a les moyens, qui a la logistique, qui a les mesures... etc. Il y a plus de concertations au sein de lOTAN quon ne peut le croire et quon le croit en général en France, y compris sur le plan militaire, y compris sur des décisions du genre « est-ce quon passe à la phase trois, ou on reste à la phase deux », sur laquelle vous minterrogiez tout à lheure. Quand on est dans cette phase là, évidemment, cest la logistique existante qui est dominante.
Elle est plutôt de type américain, même si chacun peut quand même faire entendre sa voix.
On ne va pas en rester là. Nous voulons bâtir un pilier européen de lAlliance, cest un des enjeux du prochain sommet de lOTAN. Nous allons poursuivre notre tâche. Alors par rapport à cela, nos partenaires sont, disons, sont partagés. Si la France nétait pas là pour mener cette recherche, je ne suis pas sûr quils en feraient une priorité. Et dès lors que la France sexprime avec clarté, que lon voit que cest compatible avec une véritable relation de travail avec nos partenaires, que nous le faisons avec les Britanniques, ce qui montre quils ont surmonté et que nous avons surmonté un certain nombre de pièges anciens sur le sujet, eh bien nous avons une grande capacité à nous faire entendre. Mais cela ne va pas se faire pendant laction au Kosovo...
Q - Monsieur Védrine, concernant le débat en France, on a assisté à des divergences au sein du gouvernement. Maintenant le débat semble clos, du moins publiquement, et on est aussi assez surpris de lentente parfaite qui règne au sommet, entre le président de la République et le Premier ministre. Là aussi cela se fait dune manière tout à fait surprenante, ou est-ce quil faut accorder les violons ?
R - Dabord je ne pense pas quil y ait de divergences au sein du gouvernement. Je pense quil y a une pluralité de points de vue, qui se sont exprimés au sein de la majorité, au Parlement. Ce qui nest pas tout à fait la même chose.
Q - Vous avez lu la prose philosophique que vous avait proposé M. Chevènement ?
R - Oui je lai vu, mais ce nest pas lexpression dune divergence. Je vous apporte un témoignage à lintérieur du gouvernement, je nai pas senti de divergence, je nai pas senti de difficulté dans la marche du gouvernement, sur quoi que ce soit par rapport à cela. Il y a eu des questions, cest bien normal. Toutes les questions que vous posez, que vous exprimez, elles viennent des Français que vous écoutez et les hommes politiques se les posent. Ils se les posent entre eux, ils discutent entre eux, cest normal. Ce nest pas une démocratie muselée, cest une vraie démocratie, y compris au sein dun gouvernement, dune majorité, dune opposition etc. Cest la force, cest la fierté de nos pays.
En ce qui concerne le président de la République et le Premier ministre, ce nest pas depuis 15 jours ou 19 jours quils suivent les problèmes de près. Depuis des mois et des mois ils suivent cela de très près et tout le travail qui a été fait antérieurement, tout le travail de Rambouillet. Jen ai moi-même parlé de façon très détaillée chaque mercredi au Conseil des Ministres, depuis des mois, pas depuis quinze jours. Nous avons suivi tout cela, tous ensemble. Nous avons tous été consternés de voir que Belgrade navait pas saisi loccasion de Rambouillet, et que lon est obligé den passer par la suite. Il y a eu un cheminement en commun. Enfin, face à lépreuve, face à la difficulté, cela ne doit pas vous étonner que le président de la République et le Premier ministre naient quune idée en tête, qui est lintérêt supérieur du pays. Ce dont ils parlent, ce dont ils expliquent dans chaque intervention.
Q - Sur le fond ils passent des compromis entre eux, ou ils sont vraiment daccord ?
R - Là ils sont et nous sommes vraiment daccord./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 avril 1999 )