Entretien de M. Laurent Wauquiez, ministre des affaires européennes, à RMC le 6 janvier 2011, notamment sur la question du protectionnisme, la controverse concernant la présidence hongroise de l'Union européenne et sur le budget européen.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q - Les entreprises chinoises et indiennes rachètent leurs concurrents européens. Faut-il permettre des aides publiques pour conquérir des marchés à l'étranger ?
R - Je suis pour une Europe capable de se protéger. Je trouve que parfois l'Europe est naïve dans sa politique commerciale.
Q - Donc, il faut faire du protectionnisme ?
R - Je vais aller jusqu'au bout de ma réponse. Il nous faut une Europe capable de se protéger, qu'est-ce que cela veut dire ?
D'abord, cela veut dire que l'Europe, ce n'est pas zone interdite pour les investissements étrangers, nous avons besoin d'investissements étrangers.
Prenons un exemple concret : Huawei qui est le champion de la téléphonie chinoise a créé son centre de recherche en France et c'est tant mieux. Ce sont des investissements, c'est de l'emploi, on en a besoin.
Mais ce que je veux, c'est qu'il y ait une réciprocité. Là encore du concret, c'est une Europe qui parle à tous et où tout le monde comprend bien.
Autre exemple, récemment, il y a eu un grand marché public pour la construction d'autoroutes en Pologne. Ce sont des entreprises chinoises qui ont gagné le marché mais, dans le même temps, quand ils construisent des autoroutes chez eux, ils n'ouvrent pas leurs marchés publics aux entreprises européennes.
Q - Alors, faut-il faire comme eux ?
R - Ce que cela signifie, c'est que nous, on milite pour la réciprocité. Et l'un des éléments concrets que cela va avoir en 2011, c'est la réciprocité sur les marchandises.
Q - Mais l'Allemagne n'en veut pas !
R - Si, le principe de réciprocité a encore été rappelé.
Q - L'Allemagne ne veut pas de protectionnisme !
R - Le protectionnisme non, la réciprocité oui et c'est là où je fais bien la différence. On ne fait pas zone interdite, ce serait du protectionnisme, mais on refuse le Far West.
Si nos marchés publics sont ouverts, leurs marchés publics doivent l'être aussi et si leurs marchés publics sont fermés, les nôtres le seront aussi.
Q - Le problème de l'Europe, c'est qu'il faut se mettre d'accord. Je prends un exemple : pour les voitures électriques, pas de stratégie commune, toujours pas.
R - Si. La crainte que nous devons avoir : on a des intérêts stratégiques en Europe, on a des entreprises qui sont déterminantes en termes d'innovation, mais on ne peut pas laisser non plus les investissements venir sur tout au risque de démanteler notre recherche. Il y a un exemple précis en ce moment, c'est une entreprise de câbles qui est situé aux Pays-Bas et qui pourrait se faire racheter par les Chinois. Ce sont des connaissances technologiques qui sont cruciales pour l'Europe et ce que je souhaiterais, c'est que l'Europe mette en place une meilleure protection de ses intérêts stratégiques. Je dis : attention, là telle entreprise, c'est le coeur de notre métier, le coeur de notre savoir-faire qu'il faut savoir protéger.
Q - La Hongrie préside l'Union européenne, cela fait débat.
Le Luxembourg se demande si la Hongrie est encore digne de présider l'Union européenne, compte tenu notamment de la récente loi votée en Hongrie qui prévoit des amendes pouvant aller jusqu'à 730 000 euros pour des chaînes de radio ou de télévision en cas d'atteinte à l'intérêt public, l'ordre public et la morale ou encore les informations partiales.
La Hongrie est-elle encore digne de présider l'Union européenne ?
R - Oui, bien sûr, on ne va pas commencer à jeter l'anathème et le problème n'est pas que la Hongrie préside ou non l'Union européenne. Le problème est qu'au sein de l'Union européenne, notre socle majeur, c'est la démocratie et les règles de la liberté d'expression. Le fait d'avoir un journaliste tel que vous qui nous torture et qui torture un politique fait partie des fondements de l'Europe et de la liberté d'expression.
Ils ont adopté une loi sur les médias qui a été votée très récemment. Elle pose des questions et des interrogations.
Q - Faut-il que la Hongrie retire cette loi ?
R - La Commission européenne travaille en ce moment avec la Hongrie. Hier, j'ai échangé avec mon homologue hongroise. Je l'ai mise en garde, en lui disant qu'il y avait des questions qui se posaient sur cette loi. Nous avons besoin que vous ayez une attitude ouverte et constructive pour tout mettre sur la table. Elle m'a indiqué qu'ils y étaient prêts, qu'ils allaient travailler objectivement avec la Commission et mettre leur loi sur la table.
Q - Vous allez aider la Hongrie à modifier leur loi ?
R - La Commission va l'analyser et s'il y a des problèmes, mon homologue m'a dit qu'ils étaient prêts à l'ajuster et à la changer.
Q - La Hongrie pourrait-elle être sanctionnée éventuellement si elle ne modifie pas la loi ?
R - Pour le moment, ce n'est pas le sujet et c'est d'ailleurs positif puisqu'ils indiquent que si jamais il y avait des difficultés sur leur loi, ils sont prêts à la changer.
C'est aussi là où l'Europe apporte beaucoup car si la Hongrie était en dehors de l'Europe, ces échanges n'auraient pas lieu.
L'avantage de l'Europe, c'est qu'elle va nous permettre d'avoir un cadre de travail serein, objectif. La Commission, qui est la gardienne des Traités, va passer cela au «screening» et elle nous dira : là, il y a un problème, il faut qu'en Hongrie cela change, etc.
Q - La France va-t-elle intervenir sur la question de la réforme des médias en Hongrie ?
R - Le travail conjoint de tous les pays de l'Union européenne, c'est de garder notre cap à tous. Notre cap, c'est la République, la démocratie et donc la défense de la liberté de la presse. C'est notre travail à tous et le rôle de la Commission, c'est d'assurer et de préserver ce socle. C'est ce qu'elle est en train de faire et donc, cela va dans le bon sens.
Q - J'ai une question à propos des fonctionnaires européens car elle revient sans cesse chez les auditeurs de RMC. Les fonctionnaires européens ont été augmentés de 3 % n'est-ce pas ?
R - Un petit peu moins en termes de pouvoir d'achat. Disons les choses clairement, au moment où nous, nous sommes vigilants sur l'évolution des dépenses publiques, nous ne pouvons pas accepter qu'à Bruxelles on ait ce sentiment que les caisses sont ouvertes et c'est budget large.
On en a clairement discuté. Je ne sais pas si vous avez suivi mais il y a eu une passe d'armes très compliquée sur la fin de l'année 2010 pour l'adoption du budget 2011. La Commission a compris qu'elle ne pouvait pas faire un budget avec de fortes augmentations et qu'elle était obligée, comme tous les pays de l'Union européenne, d'adopter une bonne discipline budgétaire.
Je crois donc que nous revenons tous sur la même ligne, «ne pas faire valser l'anse du panier», ne pas dépenser plus que ce que l'on gagne.
Q - Quelle est la contribution française au budget de l'Europe ?
R - En moyenne, mais il faut faire attention car cela peut fluctuer, la France est un contributeur autour de 6 milliards d'euros.
Q - Nous contribuons donc à la bonne marche de l'Europe à hauteur de 6 à 7 milliards d'euros. Comment contrôle-t-on l'utilisation de notre argent ?
R - Nous avons un contrôle qui est extrêmement serré. D'abord parce que le budget nous est présenté ; ensuite, parce qu'autour de toutes les dépenses européennes, il y a énormément de verrous et de procédures de contrôle qui sont destinés à s'assurer que précisément, l'argent est bien dépensé. Et puis, parce qu'on a ce qui s'appelle les grands débats sur les perspectives financières de l'Union européenne où tous les pays de l'Union européenne débattent et disent : attention, moi je veux qu'il y ait autant d'argent sur la Politique agricole commune, moi je veux qu'il y ait de l'argent sur une politique qui permette de soutenir les régions les plus défavorisées comme ma chère Auvergne, attention, moi je souhaite avoir du soutien sur la politique ERASMUS qui est une politique à laquelle je crois beaucoup car elle est positive pour nos étudiants, etc.
L'Europe n'est pas quelque chose qui est en dehors de nous. Nous sommes dans l'Europe, nous contrôlons l'Europe c'est une partie de nous. Il nous faut nous l'approprier, c'est une Europe qui nous protège. C'est cela ma bataille.
Q - Parlons d'Europe et d'austérité puisque la voie de l'austérité a été choisie dans de très nombreux pays européens. Cela ne risque-t-il pas de retarder la sortie de crise ?
R - Vous avez évoqué quelque chose de très intéressant, l'inquiétude que peuvent générer parfois les investissements étrangers, lorsque nous dépensons plus et que l'on a besoin des autres pour financer nos dettes. Il est là notre problème, l'Europe, depuis trop d'années dépense plus que ce qu'elle fait rentrer dans les caisses. Cela crée une dépendance par rapport à l'extérieur, cela crée une fragilité et tous les politiques doivent adopter cette logique et être attentifs à cela. Arrêtons de dépenser plus que ce que l'on fait rentrer dans les caisses car sinon, on crée une dépendance par rapport aux autres pays et on ne contrôlera plus notre descente.
Q - Il faudrait expliquer pourquoi les pays émergents sont en forte croissance, pourquoi cela fonctionne aux Etats-Unis et il n'y a que l'Europe qui est à la traîne aujourd'hui ?
R - L'Europe est en train de redémarrer, nous devrions avoir, l'année prochaine, environ 1 % de point de croissance en plus par rapport à l'an passé.
La différence, c'est que, quand vous allez en Chine, il y a des grues partout parce qu'ils ont tout à construire et parce qu'ils n'avaient rien, c'est cela un pays émergent. Mais notre travail, c'est que l'Europe doit se protéger mieux, protéger ses ressources, elle ne doit pas fonctionner de façon trop naïve.
Q - La Chine qui devient le banquier du monde : la Grèce, le Portugal et maintenant l'Espagne ! C'est la Chine qui propose de racheter la dette publique espagnole en partie !
R - On fait semblant de le découvrir, ce n'est pas un scoop. Tous les jours, il y a des dettes de pays européens qui sont rachetées par les Chinois et c'est là où j'insiste bien, on a tous, toute la classe politique européenne de cette génération, un devoir, nous devons restaurer un bon équilibre dans nos comptes publics.
Q - Nous sommes de plus en plus nombreux en France à penser que l'euro nous rend la vie plus chère. Pourquoi n'organisez-vous pas un référendum pour savoir ce que les Français pensent d'un retour au franc ?
R - C'est une très bonne question et cela va me permettre d'être très concret.
Quand nous avions le franc, les taux d'intérêts - par exemple quand vous vouliez acheter un appartement ou une maison - étaient entre 9 et 10 %. Aujourd'hui grâce à l'euro, les taux d'intérêts sont à 3,5 %. Je peux vous dire que lorsque vous devez acheter votre pavillon à 200 ou 300 000 euros et que vous aviez des taux d'intérêts à 10 %, c'était beaucoup plus dur. Et déjà aujourd'hui, c'est difficile. L'euro permet des taux d'intérêt faibles.
Deuxième chose : le fait d'avoir une monnaie forte, cela nous permet d'acheter notre pétrole beaucoup moins cher et d'éviter les hausses, et déjà il est beaucoup trop cher. Dites-vous toujours, lorsque vous faites votre plein à la pompe, que si vous n'aviez pas l'euro, vous paieriez 30 % de plus.
Enfin, l'exemple de la baguette : entre 1980 et 1990, savez-vous combien en prix franc la baguette a augmenté ? Le prix de la baguette a doublé, il est passé d'1,60 franc à 3,20 francs. Alors, euro ou pas euro, ce n'est pas l'euro qui fait augmenter le prix de la baguette, c'est le coût du blé, de la matière première qui augmente.
Alors, arrêtons de mettre sur l'euro tous les maux de la terre, l'euro est pour nous une protection dans cette période.
Q - Une dernière question, quel est le nom du Premier ministre belge ?
R - En ce moment, la Belgique est un pays qui a de grosses difficultés. Très récemment, il y a eu une proposition pour avoir une coalition gouvernementale qui a été rejetée par un des partis flamand. Pour autant, je veux rester très optimiste. Vous savez que j'ai un quart de sang belge, c'est un pays auquel je suis très attaché, qui veut s'en sortir. Et il y a une chose que je voudrais souligner, c'est que, malgré leurs difficultés, ils ont fait une très bonne Présidence de l'Union européenne. Ils ont fait un très beau travail dans la crise et je crois que cela nous permet aussi d'être optimiste. C'est finalement quand la Belgique est unie et qu'elle travaille que cela lui permet de rendre des services.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 janvier 2011