Texte intégral
G. Morin Est-ce que vous mangez des yaourts Danone ?
- "Pas pour le moment, mais on aime les yaourts quand même. On fait attention à qui fabriquent les yaourts."
Dans votre chère ville de Tulle, avez-vous boycotté ?
- "Nous avons en tout cas dit qu'il fallait être solidaires de ceux qui se manifestent aujourd'hui dans toute la France, pas simplement d'ailleurs par rapport à Danone mais par rapport à l'ensemble des plans sociaux. Il faut que les entreprises sentent bien qu'elles ont en face d'elles des citoyens qui ne sont pas que des consommateurs aveugles, qui sont aussi des hommes et des femmes solidaires de l'emploi des autres travailleurs de ce pays qui ont vocation à continuer à travailler."
Néanmoins, vous reconnaissez les limites du boycott.
- "Oui, mais il est aussi important que les entreprises n'aient pas que des calculs économiques en tête, qu'elles comprennent bien - et le cas de Danone est intéressant - qu'il vaut quelquefois mieux maintenir des emplois plutôt que d'en supprimer lorsqu'il n'y a pas forcément une cause majeure pour cela, parce que c'est très dégradant pour l'image même de l'entreprise en terme de calculs économiques. Est-ce que Danone a vraiment gagné en annonçant son plan ? Est-ce qu'il n'aurait pas mieux valu négocier plus longtemps, regarder si on pouvait maintenir ces sites plutôt que d'avoir une campagne de presse - au-delà même du boycott qui n'aura qu'un effet limité - qui a été à ce point défavorable à l'entreprise. C'est devenu l'entreprise la moins aimée de France. C'est un peu stupide, quand on fait des campagnes de publicité, tous les matins et soirs, d'avoir ainsi une promotion aussi négative."
Cela dit, aujourd'hui, pour Moulinex et pour les salariés d'AOM-Air Liberté et Air Littoral, il y aura peut-être des décisions qui seront difficiles pour l'avenir de leurs emplois. Là, ce n'est dû à des problèmes de communication. Est-ce que c'est donc l'économie française qui va mal en ce moment ?
- "Nous sommes devant une situation à bien des égards paradoxale : nous créons 500 000 emplois en l'an 2000, nous continuons à avoir des créations d'emplois plus importantes, heureusement, que les licenciements ; il y a beaucoup moins de licenciements cette année qu'il n'y en avait en 1997, il y a moitié moins de plans sociaux... Mais il n'empêche : il y a de la croissance et il y a toujours des décisions de suppressions d'effectifs. Quelquefois, vous avez raison, c'est l'effet d'une crise locale de production, d'une crise technologique, d'un système, d'un manque de compétitivité. Là, que faut-il faire ? Faut-il interdire le licenciement ? Personne n'y croit sérieusement. Faut-il prévoir des reclassements, des réindustrialisations, de l'accompagnement social ? Oui ! C'est pourquoi le plan Guigou est à la fois ferme par rapport aux entreprises qui font des profits et qui licencient - c'est inacceptable donc des coûts supplémentaires leur sont infligés, des contrôles supplémentaires et des obligations leur sont imposés - mais par rapport aux entreprises qui ont une crise de compétitivité, il prévoit qu'il faut des systèmes de protection des salariés qui leur permettent d'avoir un reclassement. Pour les villes concernées - j'en suis le témoin dans ma propre ville de Tulle - qui ont une crise industrielle - on l'a eu avec l'industrie de l'armement -, il faut reconvertir, il faut créer de nouveaux emplois."
Cela dit, le plan Guigou a essentiellement le soutien du Parti socialiste. La gauche plurielle est un peu divisée, déchirée : le Parti communiste et les Verts sont critiques. Cela peut-il durer longtemps sur un plan purement politique ?
- "La seule question que l'on doit se poser par rapport à ce plan Guigou - qui prévoit le doublement de l'indemnité de licenciement, une obligation de reclassement, de reconversion, une meilleure consultation des personnels, la possibilité pour l'administration de refuser le plan social s'il n'est justement pas complet -, c'est de savoir s'il est efficace ou pas. C'est la seule question qui vaille. Il est donc certain que cela doit avoir des effets, y compris sur les plans sociaux qui sont annoncés aujourd'hui. Deuxième question : comment est-il reçu par les états-majors politiques ? C'est très simple : la droite ne fait aucune proposition. Pourquoi ? Nous le savons, la droite est contre toute contrainte posée à l'entreprise."
Vous parlez de la droite, mais la gauche critique.
- "Parlons des Verts ou du Parti communiste. Que nous disent-ils ? Il n'y aurait qu'à interdire purement et simplement le licenciement. Mais aujourd'hui, au-delà du propos et de la manière dont il peut être reçu - parce que quand on est salarié d'une entreprise qui annonce un plan social, on préfère entendre "interdiction des licenciements" plutôt que "obligation de reclassement" -, chacun sait bien qu'on ne peut pas, aujourd'hui comme hier, interdire purement et simplement toute suppression d'effectifs."
Dans le même temps, la gauche unie n'apparaît pas unie sur ce plan...
- "C'est un sujet suffisamment grave pour qu'il y ait des opinions différentes. Ce qu'il faut, quand on est aux responsabilités - c'est le cas de toute la gauche, pas simplement pour le Parti socialiste -, c'est être en capacité d'agir, pas simplement en capacité de parler."
Mais on a vu sur un plan purement politique - la répartition des voix et des forces - le calendrier électoral inversé voté avec l'UDF par le PS, et non plus par une autre partie de la gauche... Est-ce que cela veut dire qu'on est en train de recomposer quelque chose ? L'UDF avec le PS, sans l'extrême-gauche qui va vous échapper ?
- "Sur la question du calendrier, il s'agissait d'un choix de bon sens, d'ordre démocratique et de respect de nos institutions. Commence-t-on par une élection présidentielle, qui fait le choix principal, les élections législatives suivant ? C'était l'avis du Parti socialiste, du Mouvement des citoyens, des Radicaux de gauche, pour ce qui concernait la majorité ; de l'UDF - une partie d'ailleurs - pour ce qui concernait la droite."
Ma question est de savoir si nous allons vers une recomposition des forces en France ?
- "Non, nous voulons rester dans la stratégie de gauche plurielle. Nous n'avons pas d'autres alternatives à ce choix-là. Nous sommes à gauche avec nos amis Verts, communistes, Radicaux de gauche et Mouvement des citoyens."
N'aurez-vous pas besoin de l'extrême-gauche pour les législatives de l'an prochain ?
- "On ne va pas non plus faire une coalition avec l'extrême-gauche ! D'autant moins que cette extrême-gauche - une partie d'entre elle du moins - dit que son pire adversaire est la gauche ! Je ne veux pas dialoguer avec une partie de ce que l'on appelle l'extrême-gauche qui n'est plus l'extrême-gauche, qui dit "mieux vaut encore la droite." Quand on est à l'extrême-gauche et qu'on préfère la droite, on n'est plus à gauche !"
Vous avez du travail !
- "Mais il faut du travail ! Et notamment pour les Français, pas simplement pour les formations politiques."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 25 avril 2001)