Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Bonjour. Je serai bref dans cette intervention liminaire parce que vous avez entendu tous les ministres vous dire les mêmes choses. Il s'est agi, en effet, d'une séance qui a été l'occasion de souligner l'existence d'une parfaite cohésion entre les Alliés. C'était le but de cette première réunion des ministres du Conseil atlantique depuis le début des opérations au Kosovo. Cela nous a permis de vérifier ce que nous savions, c'est-à-dire que nous sommes vraiment tous sur la même ligne. Il y a une véritable homogénéité. Nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il fallait faire ce qui est en cours en ce moment. Nous sommes tous d'accord sur les cinq exigences qui ont été adressées au président Milosevic. Cette rencontre, encore une fois, a donc été une très grande démonstration de cohésion.
Nous avons eu, d'autre part, dans ce tour de table, des échanges intéressants à propos du rôle de la Russie, à propos de la recherche de la solution future, du rôle du Conseil de sécurité et de la nécessaire approche régionale, qui a été soulignée par plusieurs intervenants, dont le ministre turc, le ministre grec, M. Fischer qui a rappelé sa proposition, moi-même qui ai également développé cette idée.
Une demande concernant le Kosovo devra s'inscrire dans une vision plus large de ce que sera demain la réinsertion d'une Yougoslavie devenue démocratique dans l'Europe moderne, voire dans une approche encore plus large concernant l'ensemble des Balkans. Cette réunion a été utile à ce stade des opérations ; elle a pleinement rempli son objectif.
Q - Est-ce qu'il est facile de préparer la stabilité des Balkans, de préparer la paix demain et de dessiner les contours tant que le président Milosevic est en place ?
R - Ce n'est pas lui qui va déterminer notre politique demain dans les Balkans. Ce n'est d'ailleurs plus lui qui détermine notre politique aujourd'hui. On ne va pas attendre que les problèmes se résolvent par eux-mêmes pour nous y attaquer. Cela fait quelques années que, autour du sud-est de l'Europe, autour des Balkans, autour de l'avenir de la Yougoslavie, beaucoup de choses ont été dites. Le moment arrive où il faut rassembler ces différentes idées, déterminer avec précision le rôle que peut jouer chaque organisation, dans son domaine propre (l'Union européenne, l'OTAN, l'OSCE, etc) et la place que doit revêtir l'action bilatérale. Il convient de bien réfléchir à ce qui doit être faite cas par cas. Il y a le Kosovo en paix qui est notre objectif, naturellement, et après l'avenir de la Yougoslavie, mais aussi de l'Albanie, la Macédoine, la Bosnie, la Bulgarie, la Roumanie.
Ce sont des problèmes tout à fait différents mais qui forment géographiquement un tout. Il convient de choisir le bon moment, pas trop tôt, pour nous en occuper quelle que soit la durée, que nous ne connaissons pas, quels que soient les événements par lesquels nous devrons encore passer. Le moment viendra naturellement où la Yougoslavie trouvera sa place dans cet ensemble. Il est important que nous ayons commencé déjà à travailler là-dessus.
Q - Vous avez mentionné le projet d'un pacte de stabilité dans les Balkans, comment voyez-vous la stabilité dans la région et la place que peuvent jouer d'autres pays de la région, comme la Roumaine, dans ce type de concept ?
R - C'est une question que vous pourriez poser à M. Fischer puisque c'est lui qui a présenté ce projet de pacte, mais je sais très bien ce qu'il veut dire par là et cela rejoint des idées ou des préoccupations que la France avait déjà mises en avant.
Il y a quelques années, nous avions parlé nous-mêmes de l'expression " pacte de stabilité " qui avait joué, à l'époque, un rôle utile par exemple en ce qui concerne les relations entre la Roumanie et la Hongrie. Dans cette idée de pacte de stabilité comme dans toute idée de charte concernant les Balkans ou le Sud-Est de l'Europe, ou dans toute idée de conférence sur les Balkans, finalement on retrouve la même chose. On retrouve l'idée que tous les problèmes qui peuvent encore se poser dans cette région concernant les minorités, concernant les frontières, parfois contestées, doivent absolument, et de façon définitive, être résolus par des moyens pacifiques. C'est une idée simple, donc cela suppose que tous ceux qui pourraient avoir des problèmes prennent des engagements les uns par rapport aux autres et que des procédures pacifiques de règlement, encore une fois, se substituent de façon définitive à l'emploi de la force.
Après, il y a la question des droits qu'il faut pouvoir donner à une minorité dans telle ou telle situation pour qu'elle ne se sente pas brimée dans ses droits élémentaires, et ensuite, il y a tout ce qui relève de la coopération entre les pays, puisque malheureusement beaucoup de ces pays sont juxtaposés, avec des conflits anciens mal surmontés, ou alors une coopération économique qui est tout à fait balbutiante, qui est insuffisante, avec un manque à gagner terrible par rapport à ce que pourrait être le développement de Balkans modernes. Il faut bien trier ce qui relève du développement.
Selon les cas, les initiatives appuient plutôt sur un aspect ou sur un autre, privilégient plutôt une organisation qu'une autre. Je pense qu'il faudra travailler à une synthèse de tout cela. Naturellement, pour chaque pays, il devra y avoir une réponse visant à traiter ces problèmes. On ne peut pas mettre sur le même plan tous les pays que j'ai cités tout à l'heure, par exemple.
Aujourd'hui, nous avons tous en tête la question du Kosovo. C'est cela la priorité, bien sûr. Mais puisque nous avons en tête, aussi bien au sein de l'Union européenne qu'au sein de l'OTAN, que ces problèmes doivent un jour être traités d'une façon large. Je dis que c'est une bonne idée, c'est une bonne approche, c'est une bonne méthode de travail. Il faut avancer.
Q - Vous avez, dans une intervention devant le Conseil, fait allusion au fait qu'il faudrait, à votre avis, un contrôle effectif politique des opérations militaires. Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur le sens de cette demande de contrôle effectif. Est-ce à dire que c'est une critique de la manière dont les opérations ont été menées jusqu'à présent, ou bien cela demande une reprise en main de quelques états-majors. Deuxième question, votre collègue, M. Fischer, a parlé, juste avant que vous n'entriez dans cette salle, de critiques qui auraient été formulées au cours de la réunion du Conseil sur la politique d'information menée ici même à l'OTAN concernant toute cette opération. Est-ce que vous confirmez ce compte rendu et qu'en pensez-vous ?
R - D'abord, sur le premier point, c'est très simple, j'ai dit que je souhaitais la poursuite du contrôle effectif. Je n'ai donc pas de critiques à formuler et mon pays est satisfait de la façon dont les uns et les autres ont joué leur rôle : chaque pays a joué son rôle, le Secrétaire général de l'OTAN a joué son rôle, les autorités politiques ont joué leur rôle et les responsables militaires font leur travail. Je n'ai pas de critiques à formuler sur ce plan et je n'en ai pas faites. Comme nous trouvons que cela c'est bien déroulé, nous souhaitons que cela se poursuive de cette façon. C'est cela que j'ai voulu dire.
Il est toujours délicat de mener des opérations de ce type. Il est important que chacun soit dans son rôle et je crois que c'était important de le souligner, ne pas l'interpréter autrement. Quant aux critiques sur la communication, je suis sorti un moment pour téléphoner, c'est à ce moment-là que cela s'est passé, mais en tout cas je n'ai pas fait particulièrement de critiques pour la communication. Il faut être indulgent. S'il y a eu des " couac " à un moment ou à un autre, ce n'est pas facile. Nous sommes une grande Alliance démocratique. Dans chaque pays, beaucoup de gens s'expriment. Dans l'Alliance elle-même, beaucoup de gens s'expriment. A différents niveaux, l'information est considérable, et il peut y avoir des ajustements ou des contradictions apparentes. Il faut quand même simplifier pour avoir les messages essentiels. Je crois que les messages essentiels ont été émis puisque, c'est la preuve, ils ont été entendus. Puisque si vous regardez l'attitude des opinions publiques, elles manifestent une forte compréhension par rapport à ce qui a été dit. Il est bien que cela ait été dit.
Q - Il est clair que beaucoup d'éléments présents dans l'Accord de Rambouillet soient dépassés par les événements sur le terrain en Yougoslavie. Pensez-vous que le moment est venu de réfléchir sur une idée d'un protectorat au lieu d'autonomie pour les Albanais du Kosovo ?
R - Les grands principes de Rambouillet demeurent valables et, d'ailleurs, je note que la plupart des dirigeants de l'Alliance, ces derniers jours encore, se réfèrent aux principes de Rambouillet, sur la base de Rambouillet, dans le cadre de Rambouillet. Mais chacun, notamment les Français, souligne aussi qu'il faut s'adapter. Quand je dis que nous restons dans le cadre des Accords de Rambouillet, c'est que sur le principe fondamental qui est autonomie ou indépendance, il n'y a pas de changement d'attitude des pays de l'Alliance. Cela est un point clair.
En revanche, Rambouillet doit être forcément complété et adapté. Il est clair qu'il faut quelque chose concernant l'organisation du retour des réfugiés, qui est une chose très compliquée. Il ne suffit pas de les faire rentrer. D'abord, ils rentreront quand la sécurité sera assurée, et d'autre part, il y a tout un travail de reconstitution des papiers, des états civils, indépendamment de la reconstruction, donc tout un volet réfugiés qui n'est pas couvert. D'autre part, il y a la réflexion qui doit être enrichie, et peut être adaptée aussi, sur les conditions de la sécurité. D'autre part, il y a le rôle du Conseil de sécurité sur lequel on voit que les uns est les autres sont en train de chercher des solutions convergentes. Il me semble qu'il y a un accord qui commence à se dessiner sur le fait de voir le Conseil de sécurité jouer un rôle important pour la définition du cadre général. Mais ce sont des éléments, à mon avis, qui se complètent très bien, qui sont complémentaires, qui ne sont pas contradictoires avec les principes de Rambouillet. On est plutôt dans l'adaptation que dans le remplacement. Voilà ce que je pense.
Q - Comment voyez-vous le rôle des Russes ?
R - D'abord, je voudrais rappeler, vous l'avez tous à l'esprit, mais ne l'oublions pas, l'engagement vraiment très poussé de la Russie au cours des mois écoulés dans la recherche d'une solution.
La Russie a vraiment été côte à côte avec nous pour trouver une solution politique et pour convaincre les autorités de Belgrade de saisir cette chance en quelque sorte. Nous avons été ensemble jusqu'à Rambouillet. Vous vous rappelez le négociateur russe, les visites à Belgrade de M. Primakov ou de M. Ivanov, etc. Dans la période des frappes où nous sommes naturellement, les dirigeants russes ont un problème très difficile à traiter. On peut tous le comprendre et ils l'ont traité naturellement dans le respect des réactions de l'opinion publique russe. Mais, en même temps, ils ont gardé le cap stratégique, et leur cadre stratégique c'est d'insérer de plus en plus la Russie dans la communauté mondiale et de faire de la Russie un grand partenaire moderne et stable, aussi bien pour les Européens, que pour les Américains que pour les autres.
On voit bien que la crise du Kosovo, quelles que soient les réactions très violentes de l'opinion russe, a donc été gérée avec une intelligence stratégique par les dirigeants russes qui voient plus loin. Cela correspond à ce que nous pensons. Je dis nous parce que je sais que ce sentiment est partagé par tous les Alliés. Nous pensons que la Russie continuera à jouer un rôle-clé en ce qui concerne la sécurité et la stabilité en Europe.
Quand nous disons, aujourd'hui, que nous souhaitons que la Russie joue un rôle dans le règlement au Kosovo, ce n'est pas par amitié, par compréhension pour aider les Russes dans un moment difficile. C'est parce que nous pensons, sur le fond, que c'est une nécessité. C'est un élément structurant d'une politique. C'est pour cela que nous sommes en train de parler avec eux sur la configuration du règlement politique, sur les modalités de la sécurité sur le terrain, sur le Conseil de sécurité, etc.
Nous préparons le moment, à l'heure actuelle, par nos contacts avec eux, les différents contacts bilatéraux. Il y en a qu'aura Mme Albright demain, il y en aura d'autres. Nous préparons le moment où nous pourrons nous remettre d'accord sur un schéma de règlement. Alors, après, il reste la question de savoir comment imposer le règlement à la Yougoslavie, aux autorités de Belgrade. Je ne sais pas si les Russes ont des moyens particuliers, en réalité, par rapport aux autres. Notre approche est plutôt fondée sur l'idée que nous nous faisons, à long terme, de la Russie dans l'Europe. Pour imposer le règlement, ils seront avec nous, et nous réfléchirons au meilleur moyen.
Q - Est-ce que l'évolution de la situation ne va pas conduire l'Alliance à reconnaître une partition quelconque du Kosovo ?
R - Je ne sais pas de quoi on parle quand on parle de partition. On me questionne souvent à ce sujet, mais je ne comprends pas de quoi il s'agit parce que parler de partition, c'est parler d'indépendance. C'est parler d'indépendance d'un morceau de Kosovo. Nous ne sommes pas dans ce raisonnement. On pose une question géographique alors que cela ne se pose pas en ces termes. Nous réfléchissons, à l'heure actuelle, à un Kosovo en paix dans lequel les différents groupes d'habitants pourraient coexister sans s'affronter. Nous ne réfléchissons pas, nous ne travaillons pas sur la base d'un Kosovo indépendant, ni en entier ni par morceaux. La question de la partition ne se pose pas.
La question qui se pose, en réalité, c'est de savoir comment, dans le Kosovo de demain, les Kosovars et les Serbes qui seraient encore là, et d'autres minorités, pourront cohabiter. C'est donc une question de droit, de protection des minorités, de savoir qui exerce le pouvoir politique. C'est là où peut intervenir le Conseil de sécurité, et c'est là où on peut penser à une force, encore à définir, de tutelle exercée par la communauté internationale. Mais, dans tous les cas, on ne travaille pas sur des découpages territoriaux.
Q - Certains disent que l'OTAN pourrait être remplacée par d'autres organisations pour la mise en oeuvre d'un accord au Kosovo.
R - Soyons prudents avec les mots. Je ne peux pas aller au-delà de ce que je vous dis parce que j'irais plus vite que la musique. Je ne peux pas anticiper sur des discussions qui n'ont pas toutes eu lieu, qui ne sont pas conclues. Ce que je suis en train de vous dire simplement, c'est qu'on voit qu'il y a un désir général d'un rôle du Conseil de sécurité, et en même temps, on voit bien que l'OTAN doit continuer à jouer un rôle. Certains pensent à d'autres organisations, comme l'OSCE.
Nous allons combiner tout cela, chercher à les emboîter. Mais, bien sûr, le Kosovo devra bénéficier d'une garantie internationale. Nous l'avons toujours dit quand nous parlions de forces de sécurité, déjà avant ce qu'il s'est passé aujourd'hui. Quand nous parlions à Rambouillet d'une sécurité internationale, c'est parce qu'on sait bien qu'elle sera indispensable pour la stabilité, pour s'interposer.
Q - Comment espérez-vous assurer la sécurité sur le terrain ? Vous venez de parler de l'OSCE, de l'ONU. Est-il crédible de croire à d'autres formes que la présence des forces de l'OTAN ? La crise du Kosovo ne va-t-elle pas compromettre le Sommet de Washington ?
R - D'abord, en ce qui concerne les différentes formes de sécurité sur le terrain, là aussi restons prudents parce que ce sont des conversations qui ont commencé, vous êtes informés de pas mal d'éléments mais rien de tout cela n'est conclu. Il faut en parler au conditionnel, il faut en parler avec prudence. Je n'ai pas connaissance de projet qui écarte complètement l'OTAN. Les idées que je connais, ce sont des idées visant à combiner l'action des différentes organisations, sous le chapeau du Conseil de sécurité. Alors, il y a peut-être d'autres idées, celles auxquelles vous faites allusion, mais je n'ai pas été saisi de plan dans lequel l'OTAN ou les pays membres de l'OTAN seraient écartés. Ce ne serait d'ailleurs pas un schéma réaliste.
D'autre part, le Sommet de Washington a pu être présenté comme un sommet de célébration, mais c'est un sommet de travail. Oublions l'aspect célébration, qui n'est pas très adapté au contexte, il reste l'aspect travail. C'est un sommet dans lequel nous devons débattre et conclure, précisément, du rôle de l'OTAN demain, comment l'OTAN s'adapte. Il y a la question des nouvelles menaces, des nouvelles missions ; il y a les questions de l'identité européenne de défense et de sécurité. Toutes ces questions sont toujours là et il est toujours valable d'en discuter entre nous.
Q - Ne regrettez-vous pas d'avoir suivi les Américains dans cette aventure ? Ne remettez-vous pas en cause les principes que vous vouliez voir réaffirmés à Washington ?
R - Qu'est-ce qui vous fait dire cela ? C'est une interprétation. Ce n'est plus une question. Nous ne pensons pas avoir suivi. D'ailleurs cela étonnerait la plupart de ceux qui ont travaillé avec nous. Aucun Européen pense avoir suivi les Américains. Les Américains ne pensent pas avoir suivi les Européens non plus. Et aucun Européen pense avoir suivi qui que ce soit. Le sentiment qui existe aujourd'hui chez les Alliés, c'est que les dirigeants de tous les pays concernés se sont librement déterminés et sont tous arrivés à la conclusion qu'il fallait donner un coup d'arrêt à la politique de Belgrade. Il n'était plus possible de tolérer en Europe ce qu'il se passait. Personne n'a eu le sentiment d'être contrait par qui que ce soit, et notamment pas par un autre pays. Les dirigeants américains ont partagé, au cours de ces mois et au cours des négociations et au cours de Rambouillet et après, les mêmes interrogations. Ils ont souhaité, comme nous, arriver à une solution politique. Mais nous sommes arrivés à la conclusion que malheureusement on avait tout essayé, qu'il fallait à un moment donné changer de moyens pour modifier le rapport de forces et modifier ce blocage obstiné des autorités de Belgrade. C'est un constat qui a été fait ensemble.
Encore une fois, ce n'est pas du tout le sentiment qui prévaut. Quant à nos positions, elles n'ont changé en rien. Par exemple, nous estimons que nous avons tiré la légitimité de l'action de l'OTAN des trois résolutions du Conseil de sécurité qui ont été votées en septembre et en octobre. C'est vrai que, d'un point de vue français, nous aurions pu souhaiter que les résolutions en question soient plus précises et plus opérationnelles dans leur conclusion. Reste qu'il s'agissait là de résolutions votées en invoquant le Chapitre VII qui comportaient des exigences extrêmement précises adressées aux autorités de Belgrade, dont aucune n'a jamais été satisfaite. Nous avons donc considéré, même si nous aurions souhaiter des résolutions plus complètes, que l'objectif visant à donner un coup d'arrêt à cette politique des autorités de Belgrade passait avant tout. Nous n'avons pas changé notre théorie ni nos positions et nous continuons à souhaiter que le Sommet de l'OTAN encourage, comme il le convient, les efforts que les Européens mènent pour développer leurs propres capacités, d'analyse, de décision, les moyens qui vont avec, tout ce qui peut se faire à partir de ce qui avait été décidé à Berlin, tout ce qui peut se faire à partir de l'initiative de Saint-Malo.
Q - Les parties albanaises soulignent que Rambouillet est dépassé. Y aura-t-il une intervention terrestre pour résoudre la situation humanitaire au Kosovo ?
R - S'agissant de la crise humanitaire à l'intérieur du Kosovo, ce que je peux vous dire que des contacts sont en cours pour trouver une solution à un problème plus difficile à résoudre que celui que connaît l'Albanie. Pour le reste, la tragédie, immense, des réfugiés et des déportés du Kosovo n'apporte pas de contradiction de principe avec les Accords de Rambouillet.
En ce qui concerne une intervention terrestre, je ne puis que vous renvoyez aux interventions quotidiennes des différents dirigeants de l'Alliance sur ce point. Ce qui s'est passé ces derniers jours sur le terrain de la tragédie humanitaire ne nous dispense pas de continuer à réfléchir et à agir dans le sens d'une solution politique durable. Je vous ai montré, par les réponses à vos questions, que nous étions en train d'enrichir et de compléter les principes sur lesquels nous avons travaillé en mars. Encore une fois, ce travail est encourageant et l'on voit les complémentarités possibles avec les Russes même si cela n'est pas encore totalement au point dans le détail.
Je vous remercie.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 avril 1999)
Bonjour. Je serai bref dans cette intervention liminaire parce que vous avez entendu tous les ministres vous dire les mêmes choses. Il s'est agi, en effet, d'une séance qui a été l'occasion de souligner l'existence d'une parfaite cohésion entre les Alliés. C'était le but de cette première réunion des ministres du Conseil atlantique depuis le début des opérations au Kosovo. Cela nous a permis de vérifier ce que nous savions, c'est-à-dire que nous sommes vraiment tous sur la même ligne. Il y a une véritable homogénéité. Nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il fallait faire ce qui est en cours en ce moment. Nous sommes tous d'accord sur les cinq exigences qui ont été adressées au président Milosevic. Cette rencontre, encore une fois, a donc été une très grande démonstration de cohésion.
Nous avons eu, d'autre part, dans ce tour de table, des échanges intéressants à propos du rôle de la Russie, à propos de la recherche de la solution future, du rôle du Conseil de sécurité et de la nécessaire approche régionale, qui a été soulignée par plusieurs intervenants, dont le ministre turc, le ministre grec, M. Fischer qui a rappelé sa proposition, moi-même qui ai également développé cette idée.
Une demande concernant le Kosovo devra s'inscrire dans une vision plus large de ce que sera demain la réinsertion d'une Yougoslavie devenue démocratique dans l'Europe moderne, voire dans une approche encore plus large concernant l'ensemble des Balkans. Cette réunion a été utile à ce stade des opérations ; elle a pleinement rempli son objectif.
Q - Est-ce qu'il est facile de préparer la stabilité des Balkans, de préparer la paix demain et de dessiner les contours tant que le président Milosevic est en place ?
R - Ce n'est pas lui qui va déterminer notre politique demain dans les Balkans. Ce n'est d'ailleurs plus lui qui détermine notre politique aujourd'hui. On ne va pas attendre que les problèmes se résolvent par eux-mêmes pour nous y attaquer. Cela fait quelques années que, autour du sud-est de l'Europe, autour des Balkans, autour de l'avenir de la Yougoslavie, beaucoup de choses ont été dites. Le moment arrive où il faut rassembler ces différentes idées, déterminer avec précision le rôle que peut jouer chaque organisation, dans son domaine propre (l'Union européenne, l'OTAN, l'OSCE, etc) et la place que doit revêtir l'action bilatérale. Il convient de bien réfléchir à ce qui doit être faite cas par cas. Il y a le Kosovo en paix qui est notre objectif, naturellement, et après l'avenir de la Yougoslavie, mais aussi de l'Albanie, la Macédoine, la Bosnie, la Bulgarie, la Roumanie.
Ce sont des problèmes tout à fait différents mais qui forment géographiquement un tout. Il convient de choisir le bon moment, pas trop tôt, pour nous en occuper quelle que soit la durée, que nous ne connaissons pas, quels que soient les événements par lesquels nous devrons encore passer. Le moment viendra naturellement où la Yougoslavie trouvera sa place dans cet ensemble. Il est important que nous ayons commencé déjà à travailler là-dessus.
Q - Vous avez mentionné le projet d'un pacte de stabilité dans les Balkans, comment voyez-vous la stabilité dans la région et la place que peuvent jouer d'autres pays de la région, comme la Roumaine, dans ce type de concept ?
R - C'est une question que vous pourriez poser à M. Fischer puisque c'est lui qui a présenté ce projet de pacte, mais je sais très bien ce qu'il veut dire par là et cela rejoint des idées ou des préoccupations que la France avait déjà mises en avant.
Il y a quelques années, nous avions parlé nous-mêmes de l'expression " pacte de stabilité " qui avait joué, à l'époque, un rôle utile par exemple en ce qui concerne les relations entre la Roumanie et la Hongrie. Dans cette idée de pacte de stabilité comme dans toute idée de charte concernant les Balkans ou le Sud-Est de l'Europe, ou dans toute idée de conférence sur les Balkans, finalement on retrouve la même chose. On retrouve l'idée que tous les problèmes qui peuvent encore se poser dans cette région concernant les minorités, concernant les frontières, parfois contestées, doivent absolument, et de façon définitive, être résolus par des moyens pacifiques. C'est une idée simple, donc cela suppose que tous ceux qui pourraient avoir des problèmes prennent des engagements les uns par rapport aux autres et que des procédures pacifiques de règlement, encore une fois, se substituent de façon définitive à l'emploi de la force.
Après, il y a la question des droits qu'il faut pouvoir donner à une minorité dans telle ou telle situation pour qu'elle ne se sente pas brimée dans ses droits élémentaires, et ensuite, il y a tout ce qui relève de la coopération entre les pays, puisque malheureusement beaucoup de ces pays sont juxtaposés, avec des conflits anciens mal surmontés, ou alors une coopération économique qui est tout à fait balbutiante, qui est insuffisante, avec un manque à gagner terrible par rapport à ce que pourrait être le développement de Balkans modernes. Il faut bien trier ce qui relève du développement.
Selon les cas, les initiatives appuient plutôt sur un aspect ou sur un autre, privilégient plutôt une organisation qu'une autre. Je pense qu'il faudra travailler à une synthèse de tout cela. Naturellement, pour chaque pays, il devra y avoir une réponse visant à traiter ces problèmes. On ne peut pas mettre sur le même plan tous les pays que j'ai cités tout à l'heure, par exemple.
Aujourd'hui, nous avons tous en tête la question du Kosovo. C'est cela la priorité, bien sûr. Mais puisque nous avons en tête, aussi bien au sein de l'Union européenne qu'au sein de l'OTAN, que ces problèmes doivent un jour être traités d'une façon large. Je dis que c'est une bonne idée, c'est une bonne approche, c'est une bonne méthode de travail. Il faut avancer.
Q - Vous avez, dans une intervention devant le Conseil, fait allusion au fait qu'il faudrait, à votre avis, un contrôle effectif politique des opérations militaires. Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur le sens de cette demande de contrôle effectif. Est-ce à dire que c'est une critique de la manière dont les opérations ont été menées jusqu'à présent, ou bien cela demande une reprise en main de quelques états-majors. Deuxième question, votre collègue, M. Fischer, a parlé, juste avant que vous n'entriez dans cette salle, de critiques qui auraient été formulées au cours de la réunion du Conseil sur la politique d'information menée ici même à l'OTAN concernant toute cette opération. Est-ce que vous confirmez ce compte rendu et qu'en pensez-vous ?
R - D'abord, sur le premier point, c'est très simple, j'ai dit que je souhaitais la poursuite du contrôle effectif. Je n'ai donc pas de critiques à formuler et mon pays est satisfait de la façon dont les uns et les autres ont joué leur rôle : chaque pays a joué son rôle, le Secrétaire général de l'OTAN a joué son rôle, les autorités politiques ont joué leur rôle et les responsables militaires font leur travail. Je n'ai pas de critiques à formuler sur ce plan et je n'en ai pas faites. Comme nous trouvons que cela c'est bien déroulé, nous souhaitons que cela se poursuive de cette façon. C'est cela que j'ai voulu dire.
Il est toujours délicat de mener des opérations de ce type. Il est important que chacun soit dans son rôle et je crois que c'était important de le souligner, ne pas l'interpréter autrement. Quant aux critiques sur la communication, je suis sorti un moment pour téléphoner, c'est à ce moment-là que cela s'est passé, mais en tout cas je n'ai pas fait particulièrement de critiques pour la communication. Il faut être indulgent. S'il y a eu des " couac " à un moment ou à un autre, ce n'est pas facile. Nous sommes une grande Alliance démocratique. Dans chaque pays, beaucoup de gens s'expriment. Dans l'Alliance elle-même, beaucoup de gens s'expriment. A différents niveaux, l'information est considérable, et il peut y avoir des ajustements ou des contradictions apparentes. Il faut quand même simplifier pour avoir les messages essentiels. Je crois que les messages essentiels ont été émis puisque, c'est la preuve, ils ont été entendus. Puisque si vous regardez l'attitude des opinions publiques, elles manifestent une forte compréhension par rapport à ce qui a été dit. Il est bien que cela ait été dit.
Q - Il est clair que beaucoup d'éléments présents dans l'Accord de Rambouillet soient dépassés par les événements sur le terrain en Yougoslavie. Pensez-vous que le moment est venu de réfléchir sur une idée d'un protectorat au lieu d'autonomie pour les Albanais du Kosovo ?
R - Les grands principes de Rambouillet demeurent valables et, d'ailleurs, je note que la plupart des dirigeants de l'Alliance, ces derniers jours encore, se réfèrent aux principes de Rambouillet, sur la base de Rambouillet, dans le cadre de Rambouillet. Mais chacun, notamment les Français, souligne aussi qu'il faut s'adapter. Quand je dis que nous restons dans le cadre des Accords de Rambouillet, c'est que sur le principe fondamental qui est autonomie ou indépendance, il n'y a pas de changement d'attitude des pays de l'Alliance. Cela est un point clair.
En revanche, Rambouillet doit être forcément complété et adapté. Il est clair qu'il faut quelque chose concernant l'organisation du retour des réfugiés, qui est une chose très compliquée. Il ne suffit pas de les faire rentrer. D'abord, ils rentreront quand la sécurité sera assurée, et d'autre part, il y a tout un travail de reconstitution des papiers, des états civils, indépendamment de la reconstruction, donc tout un volet réfugiés qui n'est pas couvert. D'autre part, il y a la réflexion qui doit être enrichie, et peut être adaptée aussi, sur les conditions de la sécurité. D'autre part, il y a le rôle du Conseil de sécurité sur lequel on voit que les uns est les autres sont en train de chercher des solutions convergentes. Il me semble qu'il y a un accord qui commence à se dessiner sur le fait de voir le Conseil de sécurité jouer un rôle important pour la définition du cadre général. Mais ce sont des éléments, à mon avis, qui se complètent très bien, qui sont complémentaires, qui ne sont pas contradictoires avec les principes de Rambouillet. On est plutôt dans l'adaptation que dans le remplacement. Voilà ce que je pense.
Q - Comment voyez-vous le rôle des Russes ?
R - D'abord, je voudrais rappeler, vous l'avez tous à l'esprit, mais ne l'oublions pas, l'engagement vraiment très poussé de la Russie au cours des mois écoulés dans la recherche d'une solution.
La Russie a vraiment été côte à côte avec nous pour trouver une solution politique et pour convaincre les autorités de Belgrade de saisir cette chance en quelque sorte. Nous avons été ensemble jusqu'à Rambouillet. Vous vous rappelez le négociateur russe, les visites à Belgrade de M. Primakov ou de M. Ivanov, etc. Dans la période des frappes où nous sommes naturellement, les dirigeants russes ont un problème très difficile à traiter. On peut tous le comprendre et ils l'ont traité naturellement dans le respect des réactions de l'opinion publique russe. Mais, en même temps, ils ont gardé le cap stratégique, et leur cadre stratégique c'est d'insérer de plus en plus la Russie dans la communauté mondiale et de faire de la Russie un grand partenaire moderne et stable, aussi bien pour les Européens, que pour les Américains que pour les autres.
On voit bien que la crise du Kosovo, quelles que soient les réactions très violentes de l'opinion russe, a donc été gérée avec une intelligence stratégique par les dirigeants russes qui voient plus loin. Cela correspond à ce que nous pensons. Je dis nous parce que je sais que ce sentiment est partagé par tous les Alliés. Nous pensons que la Russie continuera à jouer un rôle-clé en ce qui concerne la sécurité et la stabilité en Europe.
Quand nous disons, aujourd'hui, que nous souhaitons que la Russie joue un rôle dans le règlement au Kosovo, ce n'est pas par amitié, par compréhension pour aider les Russes dans un moment difficile. C'est parce que nous pensons, sur le fond, que c'est une nécessité. C'est un élément structurant d'une politique. C'est pour cela que nous sommes en train de parler avec eux sur la configuration du règlement politique, sur les modalités de la sécurité sur le terrain, sur le Conseil de sécurité, etc.
Nous préparons le moment, à l'heure actuelle, par nos contacts avec eux, les différents contacts bilatéraux. Il y en a qu'aura Mme Albright demain, il y en aura d'autres. Nous préparons le moment où nous pourrons nous remettre d'accord sur un schéma de règlement. Alors, après, il reste la question de savoir comment imposer le règlement à la Yougoslavie, aux autorités de Belgrade. Je ne sais pas si les Russes ont des moyens particuliers, en réalité, par rapport aux autres. Notre approche est plutôt fondée sur l'idée que nous nous faisons, à long terme, de la Russie dans l'Europe. Pour imposer le règlement, ils seront avec nous, et nous réfléchirons au meilleur moyen.
Q - Est-ce que l'évolution de la situation ne va pas conduire l'Alliance à reconnaître une partition quelconque du Kosovo ?
R - Je ne sais pas de quoi on parle quand on parle de partition. On me questionne souvent à ce sujet, mais je ne comprends pas de quoi il s'agit parce que parler de partition, c'est parler d'indépendance. C'est parler d'indépendance d'un morceau de Kosovo. Nous ne sommes pas dans ce raisonnement. On pose une question géographique alors que cela ne se pose pas en ces termes. Nous réfléchissons, à l'heure actuelle, à un Kosovo en paix dans lequel les différents groupes d'habitants pourraient coexister sans s'affronter. Nous ne réfléchissons pas, nous ne travaillons pas sur la base d'un Kosovo indépendant, ni en entier ni par morceaux. La question de la partition ne se pose pas.
La question qui se pose, en réalité, c'est de savoir comment, dans le Kosovo de demain, les Kosovars et les Serbes qui seraient encore là, et d'autres minorités, pourront cohabiter. C'est donc une question de droit, de protection des minorités, de savoir qui exerce le pouvoir politique. C'est là où peut intervenir le Conseil de sécurité, et c'est là où on peut penser à une force, encore à définir, de tutelle exercée par la communauté internationale. Mais, dans tous les cas, on ne travaille pas sur des découpages territoriaux.
Q - Certains disent que l'OTAN pourrait être remplacée par d'autres organisations pour la mise en oeuvre d'un accord au Kosovo.
R - Soyons prudents avec les mots. Je ne peux pas aller au-delà de ce que je vous dis parce que j'irais plus vite que la musique. Je ne peux pas anticiper sur des discussions qui n'ont pas toutes eu lieu, qui ne sont pas conclues. Ce que je suis en train de vous dire simplement, c'est qu'on voit qu'il y a un désir général d'un rôle du Conseil de sécurité, et en même temps, on voit bien que l'OTAN doit continuer à jouer un rôle. Certains pensent à d'autres organisations, comme l'OSCE.
Nous allons combiner tout cela, chercher à les emboîter. Mais, bien sûr, le Kosovo devra bénéficier d'une garantie internationale. Nous l'avons toujours dit quand nous parlions de forces de sécurité, déjà avant ce qu'il s'est passé aujourd'hui. Quand nous parlions à Rambouillet d'une sécurité internationale, c'est parce qu'on sait bien qu'elle sera indispensable pour la stabilité, pour s'interposer.
Q - Comment espérez-vous assurer la sécurité sur le terrain ? Vous venez de parler de l'OSCE, de l'ONU. Est-il crédible de croire à d'autres formes que la présence des forces de l'OTAN ? La crise du Kosovo ne va-t-elle pas compromettre le Sommet de Washington ?
R - D'abord, en ce qui concerne les différentes formes de sécurité sur le terrain, là aussi restons prudents parce que ce sont des conversations qui ont commencé, vous êtes informés de pas mal d'éléments mais rien de tout cela n'est conclu. Il faut en parler au conditionnel, il faut en parler avec prudence. Je n'ai pas connaissance de projet qui écarte complètement l'OTAN. Les idées que je connais, ce sont des idées visant à combiner l'action des différentes organisations, sous le chapeau du Conseil de sécurité. Alors, il y a peut-être d'autres idées, celles auxquelles vous faites allusion, mais je n'ai pas été saisi de plan dans lequel l'OTAN ou les pays membres de l'OTAN seraient écartés. Ce ne serait d'ailleurs pas un schéma réaliste.
D'autre part, le Sommet de Washington a pu être présenté comme un sommet de célébration, mais c'est un sommet de travail. Oublions l'aspect célébration, qui n'est pas très adapté au contexte, il reste l'aspect travail. C'est un sommet dans lequel nous devons débattre et conclure, précisément, du rôle de l'OTAN demain, comment l'OTAN s'adapte. Il y a la question des nouvelles menaces, des nouvelles missions ; il y a les questions de l'identité européenne de défense et de sécurité. Toutes ces questions sont toujours là et il est toujours valable d'en discuter entre nous.
Q - Ne regrettez-vous pas d'avoir suivi les Américains dans cette aventure ? Ne remettez-vous pas en cause les principes que vous vouliez voir réaffirmés à Washington ?
R - Qu'est-ce qui vous fait dire cela ? C'est une interprétation. Ce n'est plus une question. Nous ne pensons pas avoir suivi. D'ailleurs cela étonnerait la plupart de ceux qui ont travaillé avec nous. Aucun Européen pense avoir suivi les Américains. Les Américains ne pensent pas avoir suivi les Européens non plus. Et aucun Européen pense avoir suivi qui que ce soit. Le sentiment qui existe aujourd'hui chez les Alliés, c'est que les dirigeants de tous les pays concernés se sont librement déterminés et sont tous arrivés à la conclusion qu'il fallait donner un coup d'arrêt à la politique de Belgrade. Il n'était plus possible de tolérer en Europe ce qu'il se passait. Personne n'a eu le sentiment d'être contrait par qui que ce soit, et notamment pas par un autre pays. Les dirigeants américains ont partagé, au cours de ces mois et au cours des négociations et au cours de Rambouillet et après, les mêmes interrogations. Ils ont souhaité, comme nous, arriver à une solution politique. Mais nous sommes arrivés à la conclusion que malheureusement on avait tout essayé, qu'il fallait à un moment donné changer de moyens pour modifier le rapport de forces et modifier ce blocage obstiné des autorités de Belgrade. C'est un constat qui a été fait ensemble.
Encore une fois, ce n'est pas du tout le sentiment qui prévaut. Quant à nos positions, elles n'ont changé en rien. Par exemple, nous estimons que nous avons tiré la légitimité de l'action de l'OTAN des trois résolutions du Conseil de sécurité qui ont été votées en septembre et en octobre. C'est vrai que, d'un point de vue français, nous aurions pu souhaiter que les résolutions en question soient plus précises et plus opérationnelles dans leur conclusion. Reste qu'il s'agissait là de résolutions votées en invoquant le Chapitre VII qui comportaient des exigences extrêmement précises adressées aux autorités de Belgrade, dont aucune n'a jamais été satisfaite. Nous avons donc considéré, même si nous aurions souhaiter des résolutions plus complètes, que l'objectif visant à donner un coup d'arrêt à cette politique des autorités de Belgrade passait avant tout. Nous n'avons pas changé notre théorie ni nos positions et nous continuons à souhaiter que le Sommet de l'OTAN encourage, comme il le convient, les efforts que les Européens mènent pour développer leurs propres capacités, d'analyse, de décision, les moyens qui vont avec, tout ce qui peut se faire à partir de ce qui avait été décidé à Berlin, tout ce qui peut se faire à partir de l'initiative de Saint-Malo.
Q - Les parties albanaises soulignent que Rambouillet est dépassé. Y aura-t-il une intervention terrestre pour résoudre la situation humanitaire au Kosovo ?
R - S'agissant de la crise humanitaire à l'intérieur du Kosovo, ce que je peux vous dire que des contacts sont en cours pour trouver une solution à un problème plus difficile à résoudre que celui que connaît l'Albanie. Pour le reste, la tragédie, immense, des réfugiés et des déportés du Kosovo n'apporte pas de contradiction de principe avec les Accords de Rambouillet.
En ce qui concerne une intervention terrestre, je ne puis que vous renvoyez aux interventions quotidiennes des différents dirigeants de l'Alliance sur ce point. Ce qui s'est passé ces derniers jours sur le terrain de la tragédie humanitaire ne nous dispense pas de continuer à réfléchir et à agir dans le sens d'une solution politique durable. Je vous ai montré, par les réponses à vos questions, que nous étions en train d'enrichir et de compléter les principes sur lesquels nous avons travaillé en mars. Encore une fois, ce travail est encourageant et l'on voit les complémentarités possibles avec les Russes même si cela n'est pas encore totalement au point dans le détail.
Je vous remercie.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 avril 1999)