Déclaration devant la communauté française de M. Alain Juppé, ministre de la défense et des anciens combattants, sur l'action de la France contre le terrorisme au Niger et la mort de deux otages français, à Niamey (Niger) le 10 janvier 2011.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement à Niamey (Niger), le 10 janvier 2011

Texte intégral

Mes chers compatriotes,
Je sais que vous êtes bouleversés, inquiets. Je le comprends. Si je suis venu à Niamey, c'est pour être parmi vous - un petit peu loin, je vous prie de m'en excuser mais j'aurai le temps de redescendre à votre contact dans quelques instants -. Je suis venu vous dire notre solidarité et notre soutien. Vous comprendrez que j'ai d'abord une pensée pour nos deux concitoyens qui ont trouvé la mort à la frontière du Niger et du Mali dans des circonstances d'une brutalité et d'une absurdité révoltantes. Je pense à leurs familles, je pense à la jeune Rakia que je rencontrerai tout à l'heure. Nous avons aussi une pensée pour nos militaires qui ont été blessés dans les affrontements.
Je suis donc venu pour vous apporter le soutien du gouvernement français et de l'opinion publique française et d'abord en vous disant très exactement ce qui s'est passé et ce que nous avons fait. Vous avez droit à la plus complète transparence et nous avons le devoir de vous la donner. Je ne vais pas revenir sur le déroulement des événements, vous les connaissez aussi bien que moi depuis le moment où Antoine et Vincent ont été pris en otage au coeur même de Niamey. Il y a eu immédiatement intervention des forces de sécurité nigériennes, un premier accrochage au nord de Niamey au cours duquel un officier nigérien a été blessé. Le dispositif français s'est mis immédiatement en mesure d'intervenir d'abord grâce à notre Atlantique 2 qui a surveillé la zone puis à nos forces spéciales qui ont été mobilisées et qui sont arrivées sur le site avec leurs hélicoptères et leur armement. Un deuxième accrochage a donc eu lieu qui a permis de stopper l'avance des ravisseurs et au terme de ce combat qui a duré plusieurs dizaines de minutes, un certain nombre de morts ont été trouvés dont les deux otages, les corps des deux otages, dont tout laisse à penser aujourd'hui qu'ils ont été exécutés par les ravisseurs - je ne veux pas l'affirmer de manière définitive parce que l'enquête l'établira définitivement. Cette enquête sera établie par les magistrats et les policiers français qui sont déjà sur le site. Les corps seront ramenés en France dans les heures qui viennent et les actes de médecine légale, les autopsies, seront à ce moment-là, pratiquées.
Voilà ce qui s'est passé. Pourquoi avons-nous pris cette décision ? C'est une décision grave qui incombe aux responsables politiques dans ce type de situation. Elle a été prise par le Président de la République, le Chef de nos armées, qui s'est tenu en contact permanent avec le Ministère de la Défense, moi-même et bien sûr le Premier ministre. A partir du moment où les Forces nigériennes étaient intervenues - et nous intervenions nous-mêmes en soutien et en coordination - quelle était l'alternative, ne rien faire, refuser d'agir ? Cela présentait deux risques. Un premier risque immédiat, c'est que nos otages soient emmenés loin dans un des sanctuaires d'AQMI, dans la zone sahélienne avec les suites que l'on connaît, nous n'avons pas voulu prendre ce risque et nous avons dû tenter de les libérer. Le deuxième risque, plus global, sur l'ensemble de la zone, c'était un signal de non-intervention de la France. C'est-à-dire, d'une certaine manière, de renoncement à lutter contre le terrorisme - avec des conséquences considérables pour l'avenir. Voilà pourquoi nous avons décidé d'agir. C'est une décision - je l'ai dit hier soir à la télévision française - que nous assumons pleinement. Je dois dire quand même que la réaction des principaux responsables français quelle que soit leur sensibilité a été, sinon totalement unanime, du moins extrêmement unie autour des Autorités française pour soutenir la position qui était la notre. Le Premier ministre que j'ai eu à l'instant au téléphone va réunir d'ici un quart d'heure, les Présidents de l'Assemblée nationale, du Sénat, des groupes parlementaires et des commissions de la Défense nationale et des Affaires étrangères pour les tenir informés et leur donner toutes les précisions que je viens de vous donner. Je suis donc venu à Niamey d'abord pour rencontrer - je parle de manière chronologique - le Chef de l'Etat nigérien et plusieurs de ses principaux Ministres comme le Ministre de la Défense et le Ministre de l'Intérieur, notamment. Avec un double message, d'abord pour saluer l'engagement du Gouvernement et des forces nigériennes dans la lutte contre le terrorisme et les assurer du soutien de la France dans ce combat et ensuite pour leur demander de renforcer la sécurité de la communauté française à Niamey et plus largement au Niger. J'ai beaucoup insisté sur la nécessité de renforcer non seulement les mesures physiques ou matérielles mais également la présence humaine autour des sites qui sont les plus fréquentés par nos compatriotes : le lycée, bien sûr, le centre culturel mais aussi un certain nombre de lieux publics particulièrement sensibles comme l'aéroport. Mes interlocuteurs m'ont indiqué qu'ils étaient en train de revoir l'ensemble de leur dispositif de sécurisation et qu'ils tiendraient le plus large compte de nos demandes. J'ai chargé l'Ambassadeur d'être particulièrement vigilant sur ce point.
Quant à nous, nous avons aussi un certain nombre de mesures à prendre - dans les limites que vous connaissez : le Niger est un Etat souverain, la France ne va pas emmener ses forces de sécurité ou de police sur le terrain. Qu'est-ce que nous pouvons faire ? D'abord le Ministère des Affaires étrangères a pris un certain nombre de mesures de précaution et a décidé de transférer en « zone orange » - c'est-à-dire en zone dans laquelle il est recommandé de limiter au strict minimum les déplacements - l'ensemble de la zone qui va de Bamako à Niamey. Cette région était en « zone verte » jusqu'à présent, elle sera classée en « zone orange ». Deuxième axe de travail : il nous faut renforcer la cohésion et l'organisation de la communauté autour de l'ambassade et autour des services de l'ambassade. Il y a des plans de sécurité, il y a un îlotage, il y a des chefs d'îlot, il y a des consignes données en cas d'urgence, il faut vous les approprier, que les chefs d'îlot, en particulier, fassent tout le travail nécessaire pour qu'en cas d'urgence, ce dispositif puisse jouer rapidement et efficacement. Je voudrais, en troisième lieu, lancer un appel aux entreprises françaises qui sont présentes ici - les grandes, peut être les moins grandes - pour qu'en liaison avec les Autorités nigériennes, elles se dotent des plans de sécurité nécessaires. La zone est dangereuse, nous le savons maintenant, le risque de terrorisme est élevé, on ne peut pas rester inactif face à ce risque et donc ces plans de sécurité doivent être renforcés, activés, approuvés avec le soutien des Autorités nigériennes dans les plus brefs délais. Je voudrais aussi - et cet appel passe par vous - m'adresser à tous ceux qui projetaient de venir au Niger, les touristes, les visiteurs, pour leur dire de ne pas le faire. Il faut surseoir à ces déplacements, et j'espère que les organisateurs de voyages le comprendront - nous avons parfois un peu de mal à leur faire passer le message -. Ce n'est pas le moment.
Voilà un certain nombre de lignes d'action que nous allons essayer de mettre en oeuvre ensemble. Je l'ai dit, la menace est forte mais la vie continue. La vie doit continuer. Je sais que pour beaucoup d'entre vous, Niamey, le Niger, c'est une grande partie de votre vie. Certains y ont même fait leurs racines, qu'il y a beaucoup de binationaux. Donc, je ne suis pas venu vous dire qu'il fallait partir mais je suis venu vous dire qu'il fallait accentuer votre vigilance, faire preuve de la cohésion maximum entre vous, et, autour de l'Ambassade, prendre toutes les mesures de précaution qui sont nécessaires. Je sais que ce message est grave et solennel. Mais je voudrais vous assurer aussi que nous sommes à vos côtés, que je suis là pour vous le dire, que le Président de la République et le Premier ministre m'ont demandé de vous le dire. Donc nous serons engagés, vigilants pour faire en sorte que vous puissiez poursuivre ici ce qui est votre vie, votre activité professionnelle, votre vie familiale dans des conditions moins angoissantes que celles qui sont les vôtres aujourd'hui. Vous êtes venus très nombreux. Je voudrais remercier Monsieur l'Ambassadeur de vous avoir invités à venir ici à ma rencontre et je voudrais vous redire ma solidarité, mon soutien, l'engagement du Gouvernement. J'imagine que votre angoisse ou votre préoccupation durera et que ce ne sont pas quelques paroles qui peuvent l'effacer mais soyez convaincus, en tout cas, de notre détermination, de notre volonté et de notre proximité vis-à-vis de vous, non seulement ce soir où je suis là mais de façon constante puisque nous nous tiendrons en liaison avec vos représentants et avec l'Ambassade en particulier pour suivre pas à pas l'évolution de la situation et vous permettre de retrouver la sérénité à laquelle vous avez droit. Merci en tout cas de votre présence, je serai heureux maintenant d'échanger avec vous. Je ne pourrai pas rester plus longtemps à Niamey puisque je dois rejoindre N'Djamena ce soir pour les cérémonies du cinquantième anniversaire de l'Indépendance du Tchad mais je vous le redis, tout le Ministère de la Défense est à votre écoute et prêt à vous aider.
Merci.
source http://www.ambafrance-ne.org, le 19 janvier 2011