Interview de M. Eric Besson, ministre de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, à "RMC" le 25 janvier 2011, sur la gestion par la France de la transition politique en Tunisie.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Je sais que des liens très étroits vous lient à la Tunisie, Eric BESSON. Alors, cette Tunisie, que nous aimons tant, cette Tunisie, doit-elle être maintenant soutenue économiquement par la France d'une manière vigoureuse ?

Oui, par la France, par l'Europe, le président de la République l'a dit hier, lors de sa conférence de presse. C'était déjà le cas, la France apportait, apporte une aide importante à la Tunisie pour l'aider dans son développement économique. Mais il faut probablement la renforcer. Cette préférence communautaire, ce statut avancé qu'a proposé hier le président de la République, je crois que ce serait, si l'Union européenne en décidait et si la Tunisie le voulait, une étape très importante.

Alors nous avons ce droit de réserve, exprimé hier par le président de la République, et pendant que nous exprimons notre droit de réserve, j'ai vu que le plus haut responsable de la diplomatie américaine dans cette région du monde était à Tunis, pour parler avec les dirigeants tunisiens de l'évolution de la démocratie là-bas, en Tunisie. Ne sommes-nous pas trop absents, franchement ?

Je ne le crois pas, les liens sont forts, que les Etats-Unis s'intéressent à l'avenir de la...

Mais ils sont déjà présents sur place...

Oui, qu'ils s'intéressent à l'avenir de la jeune démocratie tunisienne émergente est une bonne nouvelle, on ne va pas s'en plaindre. Pour autant, la France n'est pas absente, elle n'est absente ni par sa diplomatie, ni par le nombre de Français qui résident sur place, le nombre d'entreprises, les liens avec la Tunisie sont très, très étroits.

Je vous dis ça parce qu'on était prêt à aller aider les forces de police tunisienne à rétablir l'ordre, mais là, on n'est pas prêt à envoyer des diplomates pour aider la Tunisie à établir une démocratie ...

Je ne veux pas épiloguer, mais vous savez pertinemment que ça n'est pas ce qu'a voulu dire Michèle ALLIOT-MARIE, en tout cas, pour ce qui est des liens et de l'appui au développement, le président de la République a dit hier qu'il voulait aussi que le gouvernement tunisien dise ce dont il avait besoin, c'est bien le moins, on peut répondre à des attentes, mais encore faut-il qu'elles soient largement exprimées...

Mais est-ce que des diplomates français sont actuellement en Tunisie pour aider justement cette démocratie tunisienne à se mettre en place ?

Notre ambassadeur à Tunis est présent et actif, il n'a pas été rappelé que je sache.

Oui, il n'a pas été rappelé, cet ambassadeur assez maladroit le jour où BEN ALI est parti et a quitté la Tunisie...

Je ne sais pas, je n'ai pas eu...

Nous n'allons pas y revenir, parce que je sais que vous n'allez pas vouloir vous engager sur ce terrain. Bien, mais moi, j'ai une autre question à vous poser sur ce droit de réserve, c'est vrai que la France soutient logiquement les Droits de l'Homme un peu partout dans le monde. Mais nous avons ce droit de réserve en ce qui concerne nos anciennes colonies, notamment le Maghreb ...

D'abord, il y a un principe général, la France a des relations d'Etat à Etat, vous ne choisissez pas les régimes avec lesquels vous discutez. La France ne peut pas dire, elle ne peut pas être le seul pays au monde à dire : voilà, sur tel continent, avec tel pays, je ne discute pas parce que j'estime que les Droits de l'Homme ne sont pas respectés. Nous discutons d'Etat à Etat, nous ne pouvons pas choisir les gouvernements. Cela ne veut pas dire que nous ne préoccupons pas des Droits de l'Homme, mais il ne faut pas mélanger préoccupation et ingérence. Simplement, ce que le président de la République a dit, mais on le vit tous, dans nos ex-colonies, nos ex-protectorats, il y a une sensibilité particulière, combien de Tunisiens, la semaine dernière encore, disaient : la France n'a pas à se mêler de ce que nous faisons. C'est notre révolution, elle nous appartient. Soutenez-nous, encouragez-nous, mais n'intervenez pas, n'interférez pas dans ce que nous sommes en train de faire. Et je pense que c'est ce qu'a dit le président de la République hier.

Même si nous avons un comportement différent en Côte d'Ivoire ?

Nous n'avons pas un comportement différent en Côte d'Ivoire. En Côte d'Ivoire, il y a un président qui a gagné l'élection...

Qui a été élu...

Alassane OUATTARA...

Que nous soutenons...

Les Nations Unies ont dit : c'est lui le président, Alassane OUATTARA. Et deuxièmement, l'ensemble des Etats d'Afrique de l'Ouest a appelé l'Union européenne et l'ensemble des pays du monde à soutenir Alassane OUATTARA. Donc la France fait ce que fait toute la communauté internationale.

Alors, soutenons économiquement la Tunisie, alors, est-ce que vous comprenez que deux agences de notation ont baissé la semaine dernière, après le départ de BEN ALI, la note de la Tunisie, obligeant la Tunisie à emprunter plus cher sur les marchés financiers.

Je peux le déplorer et le comprendre, chacun son métier, une agence de notation dit à des investisseurs ou dit à des prêteurs : voilà ce que je pense de votre risque, qu'elle estime aujourd'hui qu'il y a, à court terme, je parle bien à court terme, plus de risques, c'est son métier...

Qu'avec la dictature...

Nous, on peut le déplorer...

Le capitalisme préférerait-il la dictature ?

Non, je crois... d'abord, je ne suis pas agence de notation, vous l'avez noté...

Oui, oui...

J'essaie de vous expliquer ce que peut être sa philosophie, l'agence de notation recherche la stabilité, elle peut considérer...

Avec un dictateur, c'est plus stable...

...que la Tunisie est entrée dans une phase instable d'émergence de sa démocratie, je le déplore, mais j'essaie de vous dire ce qui peut être dans la tête d'une agence de notation.

Un dernier mot sur la Tunisie, l'argent détourné, ne faut-il pas désigner très vite un juge d'instruction ?

C'est fait.

C'est fait, mais pour geler tous les avoirs...

C'est fait, c'est fait...

Tous les avoirs sont gelés, on est bien d'accord ?

Enfin, en tout cas, je ne suis pas au jour le jour, mais en tout cas, toutes les procédures ont été diligentées, et une fois que les biens...

Procédures, mais aucun juge d'instruction n'a encore été désigné, mais il va l'être probablement très vite...

Enfin, à ma connaissance, c'est fait ou c'est imminent, en tout cas, c'est en instance. Et il y a des procédures assez précises, et puis si, ensuite, il y a des biens mal acquis, à la demande du gouvernement légitime, ils sont restitués à l'Etat considéré, en la circonstance, à la Tunisie.

Parlons de tout autre chose, parlons de l'essence, j'ai vu une déclaration du prix du carburant, vous êtes directement concerné, j'ai vu une déclaration qui m'a surpris, du ministre saoudien du pétrole qui dit : « le monde est sorti de la crise financière de 2008-2009, donc nous allons augmenter la production et c'est maintenant le moment ou jamais de faire face à la demande venue de Chine ou d'ailleurs, des pays dits émergents ». Beaucoup s'inquiètent du prix des carburants, que dites-vous à ceux qui s'inquiètent ce matin ?

D'abord, qu'on a besoin de régulation, ce que Nicolas SARKOZY évoquait hier lors de sa conférence de presse. Le pétrole va devenir une matière première, « une denrée » entre guillemets, rare, et de plus en plus rare dans le temps. En même temps, les pays de l'OPEP ont des capacités de production, ce qui est important, c'est d'essayer de lisser la courbe naturelle. Tous les économistes parient que nous aurons un baril du pétrole élevé dans les années qui viennent, d'où d'ailleurs les logiques qui sont les nôtres, d'investissement dans le nucléaire ou dans les stratégies dites alternatives, les énergies renouvelables notamment. Donc, ce prix n'est pas très surprenant, puisque la demande est très forte en provenance de Chine et en provenance de l'ensemble des émergents. Donc, le Gouvernement, nous, ce que nous devons faire, d'abord, c'est de vérifier qu'il n'y a pas de spéculations, actuellement, les observations que nous faisons nous donnent à penser qu'il n'y a pas de spéculations ou de marges indues. Et deuxièmement, faciliter l'accès à l'information des Français, de ceux qui nous écoutent à l'instant, et qui peuvent aller sur le site spécialisé : « prix-carburants.gouv.fr », qui les informe en temps réel de ce qu'est le prix des carburants.

Mais on ne peut pas agir sur le prix des carburants, agir plus, parce que ça plombe notre pouvoir d'achat, je ne sais pas, moi, certaines associations de consommateurs demandent une modulation des taxes en fonction de l'augmentation du prix des carburants ?

Je ne crois pas. Et puis, de plus, vous imaginez quel signal ce serait envers les pays producteurs de pétrole, au fond, cela voudrait dire que chaque fois qu'ils augmentent le prix du baril du pétrole, nous, nous baissons la fiscalité, donc, nous créons une espèce de vases communicants. Non, ça n'est pas comme cela qu'il faut fonctionner. Et puis, deuxièmement, nous devons nous habituer à l'idée que le pétrole va rester rare...

Cher...

Et cher. Et donc, il faut nous adapter, d'où les adaptations que nous faisons, le véhicule électrique que j'essaie, que le gouvernement essaie de promouvoir en aidant les constructeurs, en bâtissant une stratégie, en discutant au niveau de l'Union européenne pour quelque chose de très simple, vous savez, quand vous allez avoir votre véhicule électrique, il faudra que vous puissiez passer la frontière en Italie, en Espagne, en Allemagne, et que vous puissiez recharger votre batterie électrique. Donc, tout ceci demande harmonisation, normalisation.

Il y a un tarif pour les plus modestes, un tarif social, on va en parler, pour le téléphone, pour l'électricité, pourquoi est-ce qu'il n'y a pas un tarif social pour les carburants ?

Ah ! Un tarif social pour les carburants...

Non, mais je vais vous dire, parce que vous mettez des tarifs sociaux pour tout le monde, dans tous les domaines aujourd'hui, enfin, pas pour tout le monde, pour... on va en parler, pour savoir qui est concerné, mais EDF, le gaz, le téléphone, Internet, etc., etc., tarif social pour les plus modestes, et rien pour les carburants...

Théoriquement, la fonction que vous évoquez est remplie par les transports publics, on peut dire que dans un certain nombre d'endroits, ce n'est pas facile, mais là où vous avez raison, c'est que nous considérons que le téléphone mobile, l'accès à l'Internet sont devenus aujourd'hui non pas un luxe, une facilité quelconque, mais un bien indispensable, « une commodité essentielle » comme disent les économistes. Et nous allons avec les opérateurs adopter un tarif social de l'Internet, et un tarif social du téléphone mobile.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 3 février 2011