Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur le développement de l'économie numérique, les enjeux industriels et culturels des nouvelles technologies de l'information, Paris le 8 février 2011.

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Circonstance : Ouverture des 5èmes journées d'économie de la Culture à Paris le 8 février 2011

Texte intégral


Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour ouvrir cette journée de réflexions, organisée pour la 5ème année consécutive par le Départements d'études et de prospectives de mon ministère.
Les échanges que vous aurez sur les questions de concurrence à l'ère du numérique sont éminemment importants pour nourrir la décision publique. Ils sont amené à éclairer mes choix au quotidien. Saisis par l'accélération du « temps digital », nous avons besoin de prendre du recul et de penser collectivement à la manière dont la révolution numérique recompose l'architecture toute entière des domaines culturels et médiatiques. Les frontières entre les secteurs et les marchés du livre, de la presse, ou encore de l'audiovisuel se font mouvantes. Les modèles d'affaires des acteurs économiques se renouvellent, et les réglementations existantes, notamment celles qui relèvent des politiques de la concurrence, doivent pouvoir être adaptées.
Les industries culturelles et de communication ne peuvent qu'être puissamment bouleversées par le déploiement de la nouvelle infrastructure technologique qu'implique le numérique. Précédemment, c'étaient les logiques verticales qui dominaient : un type de contenu, un type de support ou de canal de diffusion, un type de consommation ou de pratique. On établissait alors des régulation sectorielles, destinées soit à favoriser la création et financer la production de contenus, soit à en faciliter l'accès à un public le plus large possible.
Le numérique, porteur de promesses, est aussi source de remises en cause. Il nous invite parfois à penser de manière plus transversale, selon les fonctions remplies par tel ou tel acteur : qui transporte les contenus, qui les agrège et les édite, qui les produit, qui les crée. Le numérique nous invite surtout à repenser les manières de préserver, dans cet écosystème, les logiques de solidarité et de redistribution qui permettent à la création de vivre et aux oeuvres de circuler.
De nouvelles questions de concurrence se posent, et c'est l'objet de vos débats aujourd'hui. Cette réalité émergente est notamment le fruit de nouvelles stratégies d'exclusivité, qui peuvent concerner les acteurs en aval (informatique, télécommunications, accès à internet...) et les producteurs d'oeuvres, de guides et de programmes.
Ce sont les frontières qui changent :
- entre « marchés pertinents » auxquels s'attachent les régulateurs de la concurrence ;
- entre secteurs marqués par l'émergence de nouveaux entrants - comme dans les télécommunications et la distribution ;
- entre les filières qui connaissent de nouvelles activités, comme la recherche d'information sur internet, ou la prescription ;
- de manière générale, les frontières entre marchés, qu'ils soient mondiaux pour telle ou telle activité, nationaux pour telle autre.
En une décennie, ce paysage industriel et concurrentiel connaît une transformation très profonde. Les acteurs économiques comme Google, Microsoft, Apple ou Amazon, qui comptent parmi les premières capitalisations mondiales, sont devenus des interlocuteurs réguliers et essentiels du ministère de la Culture et de la Communication. Eux et d'autres encore comme les français Orange, Vivendi, ou Free, sont devenus des acteurs indispensables de l'écosystème des biens culturels et de la communication, de l'accès à ces biens, de leur financement. Je remercie d'ailleurs leurs dirigeants et leurs représentants de partager la réflexion que vous allez ouvrir sur « les nouvelles concurrences ».
L'enjeu est industriel. L'enjeu est culturel. La clef d'entrée est le numérique. Telle est le point de départ, à coup sûr pertinent, de votre colloque. C'est par cette entrée que l'Autorité de la concurrence a déjà largement pu exercer un rôle de régulation fécond et précurseur. J'en veux pour preuve le récent rapport de l'Autorité sur le marché de la publicité en ligne, dont nous nous sommes entretenus avec le président Bruno Lasserre. En matière de transparence dans le marché de la publicité en ligne, ou encore d'obligation de reporting pour les acteurs dominants, ce sont autant de préconisations qui me paraissent tout à fait pertinentes, et je souhaite que nous avancions dans cette direction, conjointement avec le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.
Je remercie donc la Vice Présidente de l'Autorité, Madame le professeur Anne Perrot, d'ouvrir cette réflexion qui se jouera sur plusieurs dimensions. C'est par cette entrée que se décoderont sans doute bien des stratégies à l'oeuvre, qui requièrent des approches pluridisciplinaires mais aussi spécialisées.
Je trouve particulièrement heureux que ces 5e Journées d'économie de la Culture et de la Communication renouent avec le principe d'associer les chercheurs les plus pointus sur ce champ et des acteurs professionnels. Elles créent ainsi un temps de réflexion partagée, un temps de recul, d'échanges, un regard sur l'avenir.
Comme les précédentes éditions de ces Journées, je crois que celle-ci pourra utilement nourrir la réflexion du ministère, nous aider à alimenter une perception exacte de l'environnement pour que notre action - celle que nous menons aussi avec d'autres acteurs publics - soit la plus proche de l'intérêt général. Il en va, selon moi, de la vitalité de la création et de l'accès du plus grand nombre à celle-ci.
Je voudrais aussi saisir cette occasion pour me féliciter du lancement du Groupement d'Intérêt Scientifique « Culture-Médias & Numérique », qui est l'un des organisateurs de ces Journées.
Si le développement du numérique exerce ses effets sur toute l'économie de la culture et de la communication, il a par conséquent un impact important sur la création, la production et la diffusion des oeuvres, sur leur régime juridique, sur l'accès du public et sur ses pratiques. De fait, ces mutations en viennent à interroger certaines des notions les mieux établies de la vision culturelle.
Mon ministère, à travers son Département études et prospective (le DEPS), a donc entrepris de s'associer avec des équipes de recherche, qui, dans le domaine des sciences de l'homme et de la société, travaillent sur les mutations culturelles et médiatiques du numérique. Le DEPS, bien connu pour ses enquêtes sur les « pratiques culturelles des français » ou encore sur « enfance et culture » avait déjà suscité et financé des études de ce type - récemment, par exemple, sur le « livre numérique ». Mais nous souhaitions aller plus loin. Il s'agit donc de renforcer notre soutien à la recherche dans ce secteur. Il s'agit également de nous associer à l'initiative de plusieurs équipes, en vue de créer une plate-forme partagée de programmes de recherche en sciences humaines et sociales qui puisse disposer d'une taille suffisante ; une plate-forme qui puisse rapprocher les chercheurs et les équipes qui, au sein de laboratoires ayant souvent un programme beaucoup plus large, travaillent spécifiquement sur ces thématiques - et cela, en relation avec les partenaires privés et publics concernés. Tel est le projet du Groupement d'intérêt scientifique « Culture-Médias&Numérique ».
Je n'entrerai pas ici dans les aspects directement scientifiques de ce programme. Je sais cependant que vos réflexions préparatoires sur le programme scientifique du G.I.S. touchent à des enjeux majeurs pour le Ministère de la Culture et de la Communication.
Je citerai la recherche sur les modèles économiques du numérique, ou sur l'avenir de la propriété littéraire et artistique. Ce sont des sujets sur lesquels vos travaux pourraient à brève échéance nourrir la réflexion des pouvoirs publics, dans la perspective du sommet international sur un ?? Internet civilisé », conciliant protection et diffusion de la création, dont le Président de la République m'a confié la charge.
Mais je souhaiterais aussi vous dire quelques mots sur le sens de cet engagement du ministère de la Culture et de la Communication auprès des chercheurs.
Du temps où l'on parlait encore d'informatique, voire de « télématique », les technologies de l'information pouvaient sembler bien extérieures aux missions du ministère et aux réalités quotidiennes auxquelles il était confronté. Il était avant tout question, dans ce domaine, des moyens de modernisation dont il pouvait disposer, par exemple pour faciliter la gestion, ou l'accès aux oeuvres. Cette situation a été clairement bouleversée par le numérique, et plus précisément par l'internet. Avec la numérisation, les industries de l'information sont devenues des industries culturelles d'un type nouveau. Le web est un média, un média qui supporte d'autres médias : l'actualité nous en fournit chaque jour de nouveaux exemples. L'économie et la régulation de la culture et des médias s'en trouvent transformées, de même que les pratiques culturelles et l'environnement des oeuvres.
À cette situation correspond une redéfinition des rôles. Le ministère de la Culture et de la Communication est passé, en quelques années, d'un rôle d'utilisateur public de l'informatique et des réseaux à celui de responsable politique de premier plan d'un grand nombre de dossiers liés au numérique. Des domaines comme la propriété littéraire et artistique, fondamentaux pour la création intellectuelle et artistique, n'intéressaient directement qu'un petit nombre d'acteurs : ils sont devenus des sujets publics de grande ampleur, des sujets qui passionnent à juste titre l'opinion.
Vous voyez bien pourquoi la recherche sur le numérique, sur la manière dont le numérique s'associe à la culture et aux médias est importante pour le ministère. Elle répond en effet à un besoin stratégique. Elle engage notre vision de la culture.
Pour toutes ces raisons, je ne peux qu'exprimer ma grande satisfaction de voir ce projet déboucher sur la constitution récente du Groupement d'intérêt scientifique, qui rassemble quinze partenaires. Ce sont des équipes scientifiques d'origines diverses, des unités mixtes de recherche, des équipes de recherche d'universités, de grandes écoles, d'entreprises. Je ne commencerai pas à les citer, car il me faudrait toutes les mentionner. Le Groupement d'intérêt scientifique, qui devrait d'ailleurs être rapidement renforcé d'autres partenaires, couvre déjà son champ de recherche de manière très consistante en économie, en droit, ou encore en sociologie. Et je suis certain qu'il trouvera à s'appuyer sur un Conseil scientifique international de grande qualité.
Cher professeur Benghozi, je vous adresse toutes mes félicitations pour avoir été désigné Président de ce Groupement. Ces félicitations, je les adresse également, bien sûr, à l'ensemble des partenaires du ministère dans ce projet, qui sera amené à connaître un développement rapide, dans l'intérêt de tous.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 10 février 2011