Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur le budget 2011 consacré aux arts plastiques et à l'art contemporain, le marché de l'art et la création artistique, Paris le 11 février 2011.

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Circonstance : Réception des professionnels des arts plastiques au ministère de la Culture et de la communication le 11 février 2011

Texte intégral


Je suis très heureux de vous recevoir ici. C'est la première fois, sans doute depuis longtemps, que tous les acteurs qui composent le réseau des arts plastiques sont réunis au ministère de la Culture et de la Communication.
Autour et au service des artistes, il y a ici des représentants des écoles d'art, des musées, des FRAC, des centres d'art, des artothèques, et des artistes bien sûr ; il y a des régisseurs, des conférenciers, des commissaires, des critiques d'art, des blogueurs, des éditeurs de livres d'art, des directeurs de journaux, des amis de musée, des collectionneurs ; des représentants des galeries, des maisons de vente, des fondations, des foires, ainsi que l'IFCIC, l'Institut français, Ubifrance, et des représentants des collectivités territoriales et des régions.
Je vous remercie d'avoir accepté cette invitation, et je remercie le directeur général de la création artistique de l'avoir mise en oeuvre.
J'ai voulu cette réunion pour plusieurs raisons.
La première, c'est vous dire, vous redire, que je suis très attentif aux arts plastiques en général. J'aime l'art contemporain. Je suis sensible à votre engagement en sa faveur. C'est pourquoi j'ai voulu que le budget consacré aux arts plastiques en 2011 soit augmenté significativement, plus de 17% ; d'une part pour permettre les travaux de réhabilitation du Palais de Tokyo ; d'autre part pour accompagner la construction de FRAC agrandis. A ces crédits d'investissement se sont aussi ajoutés des crédits de fonctionnement nouveaux.
La seconde chose que je veux vous dire, c'est que je suis également très attentif aux arts plastiques en particulier. Il est clair à mes yeux que ce secteur, aujourd'hui, est au coeur d'un paradoxe qu'il faut affronter.
A première vue, il donne l'impression de très bien se porter. On parle sans cesse de ventes aux montants extravagants, du marché qui s'envole. L'art contemporain est partout : dans les magasins, dans les hôtels, dans les villes. Les régions veulent des FRAC plus grands. Lille, Nantes, Bordeaux, Lyon ont lancé des commandes publiques très importantes. Il y a une sorte de climat d'euphorie autour de l'art contemporain, qui tranche avec d'autres secteurs de la culture, où l'on entend plus volontiers un discours inquiet.
Et pourtant, je perçois qu'il y a, en même temps, un malaise dans les arts plastiques, et un malaise d'autant plus dur à vivre, sans doute, qu'il ne peut pas se faire entendre, qu'il ne peut presque pas s'exprimer, tant cette euphorie est pressante, presque culpabilisante.
La première raison de ce malaise, c'est que ce « boom » des arts plastiques masque, évidemment, des disparités importantes. Disparités internationales entre New York, Londres et Paris, mais aussi entre Paris et les régions, entre les maisons de vente et les galeries, entre les têtes d'affiches et le terrain.
La seconde raison de ce malaise, plus profonde, c'est que cette croissance va de pair avec des bouleversements importants. Derrière l'euphorie, c'est un choc que subissent les arts plastiques. J'en retiendrai quatre traits :
- premièrement, plus que tout autre secteur artistique, le monde de l'art s'est internationalisé ;
- deuxièmement, et c'est peut-être lié, les acteurs privés ont pris une importance inédite ;
- troisièmement, des nouvelles formes et des nouvelles pratiques artistiques sont apparues ;
- quatrièmement, le rapport des publics à l'art a changé, à mesure que les voies d'accès à l'art se sont multipliées : dans l'espace public, dans l'espace numérique, à l'école...
Ces bouleversements nous imposent de revoir en profondeur nos modèles d'intervention, dans le respect des valeurs que nous portons ensemble.
La mondialisation entraîne deux conséquences : la nécessité d'être mobile et ouvert sur l'extérieur en permanence, ce qui est appréciable, mais qui demande des moyens ; un décentrement de notre regard, auquel nous ne sommes pas assez habitués. Paris n'est plus qu'un centre parmi d'autres, alors que les modes de légitimation se trouvent éclatés, que les interlocuteurs autorisés se multiplient, que les critères d'évaluation sont contestés et se diversifient.
La multiplication des acteurs privés a des incidences sur le rôle de l'Etat. Ses moyens d'intervenir financièrement sur le marché sont limités. Mais d'une certaine manière, la spéculation modifie aussi les équilibres anciens entre acteurs privés. Notre tissu des galeries, de toutes tailles, qui garantit aussi la diversité des approches, souffre d'un phénomène de concentration.
La modification des pratiques artistiques elles-mêmes entraîne des difficultés : produire une pièce multimédia, ou une grande installation, ce n'est pas la même chose qu'accrocher un tableau. Ni pour l'artiste, qui s'improvise entrepreneur individuel, ni pour le galeriste ou le commissaire d'expositions, qui deviennent producteurs ou producteurs délégués. Il faut pouvoir mobiliser des moyens financiers importants. Le relèvement de la taille critique nécessaire pour assumer ces coûts en est une conséquence directe.
Enfin, l'appétence pour l'art contemporain change les pratiques de diffusion et d'accueil, et trouble parfois une certaine relation à la pensée, qui est constitutive du rapport à l'art, notamment à l'art contemporain. Elle pèse aussi sur la formation des très jeunes artistes, qui peuvent être attirés par une forme de star-system, plutôt que par le temps long et intériorisé de la création. Elle pèse enfin sur l'édition d'art, qui doit se réinventer pour satisfaire d'autres types de lecteurs.
A la vérité, ce choc ne nous est pas inconnu. Le cinéma l'a connu dans les années 1960. Le livre dans les années 1980. La musique et la presse dans les années 2000. Certes, les oeuvres d'art plastique ne se vendent pas à des millions d'exemplaires et elles ne se téléchargent pas non plus sur internet... Ici, l'aura dont parlait Walter Benjamin préserve encore l'oeuvre de la logique de la consommation. Mais les billets d'entrées, eux, et la pression du marché sur les opérateurs, ressemblent bien à ceux du cinéma ou de la musique.
On le voit rétrospectivement dans les autres secteurs, ce type de crise de croissance doit être accompagné. On connaît le recul diagnostiqué de la présence de nos artistes à l'étranger. Le risque de voir ceux de nos artistes qui réussissent, hors de nos frontières, quitter la France, existe aussi. Avec tout ce que ça impliquerait pour le monde des arts plastiques en France.
A contrario, si ce choc est bien anticipé, il peut aussi être bénéfique. Je l'ai dit en commençant, cet engouement sans précédent pour les arts plastiques est aussi une chance, un levier qu'il faut saisir. Rappelons-nous, il y a encore dix ans : certains souhaitaient la disparition de l'art contemporain, d'autres évoquaient un « art à l'état gazeux ».
Ceci m'amène à la troisième raison de cette réunion, qui est la plus importante. Je veux que nous réagissions à cette nouvelle donne en travaillant ensemble. Georges-François Hirsch vous décrira dans un instant l'intitulé et la composition des groupes de travail auxquels je souhaite vous associer. J'en attends des propositions concrètes que je m'engagerai à mettre en oeuvre. J'ai demandé qu'elles me soient faites rapidement, car nous ne partons pas de rien, loin s'en faut.
Le rapport Béthenod, le rapport Jobbé-Duval, les analyses de Catherine Grenier et d'Olivier Kaeppelin sur les artistes français en milieu de carrière : tout cela vous est bien connu. L'inspection générale, l'inspection de la création, le département des études et de la prospective nous fournissent aussi un état des lieux de l'art en France. Les professionnels livrent leurs propres analyses. Certes, dans quelques cas, le contexte a déjà changé. Mais pour l'essentiel, les éléments d'analyse sont là.
Nous pouvons aussi nous appuyer sur ce qui existe. Le réseau que nous avons construit en trente ans est exceptionnel, unique. Nous devons saisir l'occasion de cet anniversaire pour penser les trente prochaines années de la décentralisation, avec les FRAC, les centres d'art, les musées d'art contemporain en région, les écoles, en appui sur les collectivités territoriales et les DRAC. Trente ans c'est un âge à la fois mûr, et encore jeune. Nous sommes au milieu du gué. Beaucoup a été fait, de nombreux nouveaux publics ont été conquis, l'espace européen s'est ouvert. Il reste encore énormément à faire. Nous vous accompagnerons.
Le succès du Palais de Tokyo depuis presque dix ans est également stimulant. Ses nouveaux espaces lui permettront de mieux accompagner les artistes sur un segment, entre émergence et confirmation, que nous valorisons mal. Le Palais de Tokyo agrandi sera une Factory à la française. Je sais que vous en attendez beaucoup. Je veillerai à ce qu'il n'y ait pas de déception.
Monumenta, accueilli par l'Etablissement public du Grand Palais, est également une belle réussite.
Nous pouvons aussi nous appuyer sur le nouvel Institut Français. Un nouveau contrat d'objectifs et de moyens est en cours d'écriture. Un projet a déjà été mené à bien : le recensement des résidences d'artistes à l'étranger. J'espère qu'il permettra à terme la création d'un portail simplifié, au service des artistes qui souhaitent se déplacer.
L'observatoire du marché de l'art va aussi faire de nouvelles recommandations en mars. Déjà, une collaboration fructueuse avec l'IFCIC a commencé.
Je n'oublie pas que le processus de transformation des écoles touche presque à sa fin. Cette réforme riche et difficile a permis de jeter un éclairage inédit sur les enseignements supérieurs artistiques et donc, bien évidemment sur les écoles d'art. Au terme d'une vaste opération d'évaluation engagée aux côtés du Ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche, le grade de Master est désormais reconnu et valorisé dans ces écoles.
Enfin, le travail de longue haleine sur la formation continue des artistes-auteurs est en passe d'aboutir.
Les carrières internationales d'une nouvelle génération d'artistes - je pense à Pierre Huyghe, lauréat du prestigieux prix du Smithsonian, à Tatiana Trouvé, Philippe Parreno, Dominique Gonzalez-Forster, Laurent Grasso, Loris Gréaud ou Cyprien Gaillard - doivent essentiellement à leur talent personnel, mais, j'ose aussi le croire, à la force de ce réseau et à ses initiatives.
L'échange Thermostat, Berlin-Paris, l'exposition américaine des FRAC, le programme recherche et mondialisation du Centre Pompidou, l'ouverture d'antennes de galeries à l'étranger, l'arrivée de galeries internationales à Paris, la vitalité de la FIAC, les fondations très dynamiques qui se créent en France : tout cela va dans le bon sens et nous fait progresser.
Avec vous, donc, je veux aller plus loin dans ce processus de réformes essentielles. Non seulement en imaginant ensemble de nouvelles mesures, de nouveaux modes de financement, qui sait, de nouveaux établissements, mais aussi un nouvel état d'esprit.
Dans les arts plastiques, comme ailleurs, l'Etat est l'héritier de deux histoires. L'une, longue, ancienne, privilégie, je l'ai dit, une relation directe entre la puissance publique et les artistes. Elle s'incarne dans les grandes commandes publiques, les grandes expositions, les très belles collections nationales. L'autre, qui s'est beaucoup affirmée dans les années 1980, privilégie les opérateurs, encourage la décentralisation et les partenariats.
Il ne faut sans doute pas choisir une histoire contre l'autre, mais il faut certainement repenser leur rapport, à l'heure où les mutations du monde des arts plastiques nous obligent à travailler plus que jamais ensemble. A cet égard, nous avons sans doute un travail à faire ici, dans le ministère lui-même, quant-à l'articulation du Service des arts plastiques et du Centre national des arts plastiques, créés conjointement en 1982. S'il revient au premier de conduire la politique régalienne du ministère en direction des arts plastiques, le second est en mesure d'être l'opérateur des partenariats public-privés, centraux et déconcentrés, renouvelés, réinventés, que j'appelle de mes voeux. C'est un acteur essentiel du nouveau réseau qui se constitue. On voit dans le cinéma, pour reprendre cet exemple, combien la sauvegarde de l'exception culturelle française a bénéficié du soutien que le Centre national de la Cinématographie a pu apporter aux professionnels.
Je souhaite que Georges-François Hirsch me fasse des propositions pour renforcer notre efficacité en ce sens. Du côté de l'inspection de la création, un travail important de réforme a déjà été accompli. Du côté du Centre national des arts plastiques, beaucoup d'initiatives sont à l'étude.
Je sais que le CNAP expérimente un « fonds de production ». Je serais heureux qu'il étudie la possibilité de l'installer de manière pérenne, afin qu'il puisse venir en appui des productions des galeries qui le souhaitent, à la manière d'une avance sur recettes, pour répondre aux nouveaux besoins de création des artistes.
Je sais que le CNAP achète à l'occasion des oeuvres pour le compte d'autres établissements, notamment les FRAC ou le Musée national d'art moderne qui le sollicitent. Je souhaite qu'il réfléchisse à la possibilité de le faire de manière plus systématique, pour démultiplier notre puissance d'intervention.
Enfin, je sais que le CNAP associe les professionnels aux aides qu'il distribue. J'aimerais qu'il envisage la possibilité de les associer encore davantage, pour renforcer notre réseau.
Je l'ai déjà dit, je le répète : il n'y a pas d'artistes forts et visibles sans un monde de l'art fort et visible. Un artiste se construit grâce à un professeur, une école, un premier article dans un journal, une première exposition dans un centre d'art, un commissaire, un collectionneur, l'entrée dans la collection d'un musée... Cette construction n'est pas le résultat d'un processus vertical, qui partirait du haut et qui irait vers le bas. C'est un processus qui pousse par le milieu, comme dirait Gilles Deleuze. L'Etat a tout à gagner à favoriser la professionnalisation et l'organisation des acteurs qui participent à ce processus.
Il m'intéresse que les arts plastiques imaginent ensemble une convention collective qui manque tant à ce secteur. Je salue à cet égard le travail de professionnalisation des métiers entrepris par le CIPAC depuis plus de dix ans. J'ai tenu à signer la circulaire qui labellise les centres d'art et celle sur la commande publique. Je suis particulièrement fier d'avoir conduit la réforme des écoles. Des opérateurs forts, c'est une chance pour tout le réseau. C'est pourquoi j'ai également tenu à ce que la Force de l'art devienne la Triennale, et qu'elle soit produite par un centre d'art, le Palais de Tokyo, en association avec d'autres jeunes lieux, sous la responsabilité de la Direction générale de la création.
Je veux aussi des professionnels forts. Il faut faire émerger de grands commissaires français pour obtenir que des Français dirigent des institutions étrangères et que des artistes français soient emmenés dans leurs bagages. Je souhaite nous en donner les moyens, y compris financiers. Je pourrais dire la même chose des critiques d'art. Un projet d'aide à la traduction en anglais des textes critiques est à l'étude avec l'Institut Français. Il permettra la diffusion de notre pensée dans le monde. C'est un élément fondamental pour faciliter et préparer le terrain pour nos artistes et nos créateurs. Je souhaite soutenir davantage les journaux qu'on ne le fait aujourd'hui. Il en va aussi de notre rayonnement. Je souhaite, enfin, soutenir davantage les artistes. Les services travaillent déjà à ma demande à un projet visant à simplifier l'installation de plasticiens à Paris, sur le modèle du D.A.A.D berlinois. Votre aide sera précieuse pour le préciser.
Des métiers qui s'affichent, c'est le réseau qui se structure, or notre succès viendra de ces échanges et de ces partenariats que nous saurons nouer entre nous ; de la vie qui circulera dans ces murs et au-delà.
Je veux croire que le fait que vous ayez répondu aussi nombreux à mon invitation témoigne de ce même désir d'évolution partagée, de travail collectif et, osons le mot, de réforme. Je me réjouis du travail que nous allons mener ensemble et j'attends donc avec joie les propositions qui naîtront de vos débats.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 14 février 2011