Texte intégral
Messieurs le Présidents,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Permettez-moi de vous remercier de votre invitation, qui me permet d'aborder avec vous un sujet qui me tient particulièrement à coeur, celui de la défense européenne.
Comme vous le savez, en 2008, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a réaffirmé la dimension européenne de notre politique de défense en établissant très clairement qu'elle s'inscrit dans deux cadres complémentaires et qui se renforcent mutuellement, l'Alliance atlantique et l'Union européenne. Cette Europe de la défense vous l'avez d'ailleurs bien identifiée comme l'un des enjeux de la réforme instituée par le Traité de Lisbonne dans le rapport d'information de Mme GUIGOU et M. BUR.
Aujourd'hui plus que jamais, elle reste une priorité fondamentale de notre politique étrangère et de défense :
- Par ambition politique pour l'Europe, d'abord : l'Union ne pourra jouer tout son rôle politique, elle ne pourra peser de tout son poids dans les équilibres du monde que si elle est adossée à une capacité de défense. L'Europe de la défense est une condition indispensable de l'Europe politique que la France appelle de ses voeux ;
- Par réalisme ensuite : dans un monde plus imprévisible que jamais, l'Europe ne peut être la seule à renoncer aux moyens de contribuer à la sécurité internationale et d'assurer sa propre défense ;
- Par nécessité enfin : face à la réduction des budgets de défense, les Européens doivent fédérer leurs efforts pour accroître ensemble l'efficacité globale de la dépense militaire. Si une politique européenne a un sens, c'est bien aujourd'hui, à un moment où les ressources sont contraintes.
Pour autant, les enjeux de la défense européenne, eux, ont sensiblement évolué.
Je ne reviendrai pas sur la vieille rivalité entre l'OTAN et l'Union européenne, qui a pu exister, mais qui n'a plus de sens aujourd'hui.
L'enjeu institutionnel ne revêt plus non plus la même importance. L'Europe dispose désormais des mécanismes et des procédures nécessaires pour agir.
Le traité de Lisbonne achève en effet la construction institutionnelle engagée il y a plus de dix ans. Avec la création du poste de Haut représentant, également Vice-président de la Commission, et avec la mise en place au 1er janvier du service européen d'action extérieure (troisième réseau diplomatique au Monde, avec 136 délégations et 3 700 diplomates), il dote l'Union européenne des leviers nécessaires pour mener une action extérieure cohérente et devenir un acteur stratégique majeur.
Certes, des ajustements restent nécessaires.
- Il faudra renforcer la cohérence entre les outils restés en dehors du service européen d'action extérieure - je pense notamment aux outils financiers - et les structures de gestion de crise.
- Il faudra aussi clarifier la place de ces structures au sein du service.
- Il faudra enfin que l'Agence européenne de défense puisse jouer tout son rôle.
Mais j'ai fait part de ces préoccupations à la Haute Représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangère et la politique de sécurité, Mme ASHTON, lors de notre première rencontre, le 27 janvier dernier, et j'ai toute confiance en M. VIMONT, qui a été nommé Secrétaire général du service européen d'action extérieure pour mettre en place des structures efficaces.
Je veille également à ce que l'influence française, et plus particulièrement l'expertise défense, soit présente au sein des outils de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense Commune (PSDC). Nous sommes en mesure de présenter des candidats de très bon niveau pour les postes de responsabilité, et nous devons maintenir cette influence dans la durée. Il en va de la crédibilité de l'Europe de la défense.
C'est d'autant plus important que je vois aujourd'hui deux nouveaux et véritables enjeux pour l'Europe de la défense.
- Le premier, c'est la faiblesse, maintenant évidente, de son outil militaire dans un monde qui réarme. Les chiffres européens sont éloquents : coupe de 8,3 milliards d'euros et diminution des effectifs de 40% d'ici 2014 en Allemagne, réduction de 10% sur la période 2011-2013 en Italie, réduction de 8% sur quatre ans et diminution des effectifs de 40 000 personnes au Royaume-Uni. Confrontée à la même tentation, la France a engagé un effort de modernisation sans précédent, qui traduit ses ambitions nationales et européennes.
- Le deuxième enjeu, c'est la pérennité d'une industrie européenne de défense autonome et compétitive. L'industrie européenne de défense reste en effet fragile : elle demeure fragmentée et souffre d'un effort de recherche et technologie insuffisant. Pourra-t-on parler d'une défense européenne si nous ne disposons plus dans quelques années d'une industrie de défense autonome ?
Face à cette situation, la France refuse de céder au fatalisme et de renoncer à son ambition pour l'Europe. Nous sommes fermement convaincus que nous pouvons donner un nouvel élan à la construction de l'Europe de la défense en agissant dans deux domaines.
Le premier, c'est le domaine capacitaire.
Si nous voulons contrer le risque de déclassement stratégique, militaire et industriel auxquels nous sommes confrontés, nous devons saisir l'opportunité de la crise budgétaire actuelle pour accélérer de manière décisive le partage et la mutualisation de nos ressources, de nos compétences et de nos capacités militaires.
Dans un contexte de contrainte budgétaire, nous devons en effet utiliser au mieux les ressources disponibles, en recherchant des solutions communes de partage et de mutualisation des capacités, des synergies entre nos forces armées, des économies d'échelle et des gains de productivité, partout où cela est possible et utile. C'est tout le sens des engagements pris par les 27 chefs d'Etats et de gouvernement en décembre 2008, sous présidence française.
Malgré les avancées réalisées depuis deux ans - je pense notamment à la création en septembre 2010 du commandement aérien de transport stratégique (EATC) - les progrès demeurent cependant insuffisants, tant il est vrai que nos partenaires n'ont pas tous la même conscience des enjeux, ni par conséquent la même volonté politique pour l'Europe de la défense. Plus que jamais, face à la crise, la tentation du repli est grande.
Face à cette situation, je suis convaincu que nous devons avancer pas à pas, en privilégiant toutes les pistes concrètes de coopération, à différents niveaux : en bilatéral, à quelques-uns ou à 27.
Avec le traité franco-britannique signé le 2 novembre dernier, qui vise à organiser dans la durée une coopération de défense sans précédent entre nos forces et nos industries de défense, qui représentent plus de 75% des capacités européennes, nous avons franchi une étape importante - nous avons notamment décidé de préserver une capacité missilière et de travailler ensemble au développement d'un drone de combat. C'est dans le même esprit que nous travaillons actuellement à relancer le partenariat de défense franco-allemand - les questions capacitaires seront au coeur de mes discussions avec mon homologue, M. ZU GUTENBERG, le 3 mars prochain.
Ces coopérations bilatérales ne sont pas exclusives d'avancées à 27, même si ces dernières sont toujours plus difficiles à obtenir. C'est la raison pour laquelle nous avons engagé au sein des instances européennes une réflexion sur le partage et la mutualisation des capacités de défense des Etats membres.
Pour y parvenir, il nous faut renforcer notre confiance mutuelle, respecter bien évidemment les décisions souveraines des Etats, mais également veiller à ce que ce travail d'analyse de la situation soit men?? à bien dans les meilleurs délais. C'est dans cet esprit que je rencontrerai mes homologues la semaine prochaine à Budapest et que les chefs d'état-major feront des propositions concrètes au début du mois de mai.
Ce travail doit bien évidemment être encadré par une instance qui ne soit pas à la fois juge et partie. C'est l'objectif de l'initiative française de création d'un groupe des sages, adossé à l'Agence européenne de défense. Ce groupe pourrait être rapidement mis en place si nous nous accordons sur son intérêt. Composé de personnalités européennes de très haut niveau, il devrait bénéficier de la confiance des décideurs publics et industriels de haut rang. Il sera chargé de proposer d'ici la fin de l'année aux chefs d'Etats et de gouvernement des 27 les mesures à mettre en place et les projets de coopération capacitaires susceptibles d'être développés pour éviter que l'Europe ne se désarme. J'ai d'ailleurs abordé ce sujet fin janvier avec les présidents du Conseil de l'Union européenne, M. VON ROMPUY et de la Commission, M. BARROSO, qui m'ont tous deux assuré que des propositions concrètes seraient présentées pour le Conseil européen de l'automne.
Naturellement, cela ne signifie pas que nous entrons dans une logique de compétition, ni avec les Etats-Unis, ni avec l'OTAN. Bien au contraire. Dans certains domaines, la coopération capacitaire doit être recherchée.
Le deuxième domaine dans lequel l'Europe de la défense acquiert réalité et crédibilité, ce sont les opérations.
Avec un vingtaine d'opérations ou de missions menées au cours de la décennie passée, l'Europe de la défense a acquis une crédibilité opérationnelle forte pour la gestion des crises. Sa première opération navale de lutte contre la piraterie au large de la Somalie, toujours en cours, est un succès politique et militaire : elle fédère l'action internationale et donne les résultats escomptés en contenant la menace des pirates. En outre, dans cette opération, l'Union européenne ne fait pas seulement de la gestion de crise : elle défend aussi des intérêts de sécurité communs.
Ces acquis opérationnels doivent être préservés, en termes d'expérience comme en termes de volonté politique.
Cela suppose d'abord de savoir mettre un terme aux opérations qui ont atteint leur objectif opérationnel. Je pense par exemple au volet exécutif de la mission Althéa, en Bosnie-Herzégovine, qui n'a plus raison d'être.
Cela suppose également de soutenir les opérations structurantes, comme Atalante, dont la France reste le premier contributeur. Nous savons tous que dans la lutte que mène l'Union européenne, aux côtés de ses alliés, pour défendre les intérêts européens de sécurité face à la piraterie, le volet militaire n'est pas suffisant. Mais nous savons aussi que l'Europe dispose des outils nécessaires pour compléter Atalante et mettre en oeuvre une approche multidimensionnelle dans la Corne de l'Afrique, seul moyen pour stabiliser durablement la région.
Cela suppose enfin d'optimiser le fonctionnement des structures de gestion de crise : le renforcement des capacités de planification et de conduite des opérations au niveau stratégique reste toujours d'actualité.
Mais cette action en faveur de la relance de la défense européenne ne portera tous ses fruits que si nous sommes capables de développer une volonté politique commune et une vision partagée du positionnement stratégique de l'Union européenne.
L'Union européenne doit d'abord définir une politique claire vis-à-vis de ses grands voisins, au premier rang desquels la Russie et la rive Sud de la Méditerranée.
Vous le savez, le sommet de Lisbonne a donné un nouveau départ à la relation OTAN-Russie. Comme la majorité des Alliés, nous sommes ouverts à la volonté des Russes de se voir associés au système de défense antimissile de l'OTAN. Si, sur le plan de la répartition des responsabilités, l'option de sectorisation prônée par le Président MEDVEDEV n'est pas viable, nous ne pouvons nous interdire la mise en commun de systèmes d'analyse et d'évaluation face à une menace - celle de la prolifération - qui nous concerne tous.
Comme l'OTAN, l'Union européenne doit elle aussi renforcer son dialogue stratégique avec la Russie, avec laquelle elle entretient une relation d'interdépendance. Le Président de la République l'a rappelé au Président MEDVEDEV, à Deauville, le 18 octobre dernier : nous devons parvenir à l'horizon de 15 ans à la construction d'un espace économique, humain et de sécurité commun. Le Sommet d'Astana de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) a marqué un jalon important dans ce sens. Bien sûr, la Russie demeure un partenaire difficile. Mais nous ne devons pas perdre de vue nos intérêts de sécurité communs à long terme.
En ce qui concerne la rive Sud de la Méditerranée, les bouleversements en cours en Egypte et en Tunisie ne peuvent qu'interpeller l'Europe : nous devons réfléchir à une approche commune de problèmes de la démocratisation et du développement des pays de la région.
La montée du terrorisme islamiste au Sahel avec Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) constitue également une menace pour l'Europe tout entière. La France s'est fortement mobilisée en faveur de l'établissement d'une stratégie globale pour le Sahel, qui devrait bientôt être adoptée par l'Union européenne.
Outre le dialogue avec nos grands voisins, la France se bat et continuera à se battre pour favoriser l'émergence d'une volonté politique européenne partagée. C'est un combat difficile car tous les pays n'ont pas la même conviction que l'Europe doit être une puissance politique et militaire, capable de peser dans les équilibres du monde.
Ma conviction, en effet, c'est que l'initiative doit avant tout venir des Etats membres : l'Europe de la Défense reste une politique intergouvernementale et la volonté des Etats est essentielle.
C'est tout le sens de la lettre qu'avec Mme ALLIOT-MARIE et nos homologues allemands et polonais, nous avons adressée à Mme ASHTON à la fin du mois de décembre. Cette initiative des pays du triangle de Weimar propose des orientations concrètes pour les prochains mois : l'amélioration des capacités de planification et de conduite des opérations européennes ; la consolidation des groupements tactiques inter-armés de réaction rapide, qui constituent un élément important de modernisation de nos forces ; le renforcement des capacités militaires européennes, à travers des formules nouvelles de mutualisation ou de partage, permettant d'optimiser l'utilisation de nos ressources ; enfin, le renforcement de la coopération Alliance atlantique / Union européenne, aussi bien au plan opérationnel qu'au plan capacitaire.
Dans son récent courrier de réponse, Mme ASHTON a accueilli très favorablement cette initiative, qui fait désormais l'objet de discussions entre les 27. Elle sera l'un des points majeurs de la prochaine rencontre des ministres de l'Union européenne la semaine prochaine.
Au cours des prochains mois, je mettrai tout en oeuvre pour parvenir à une relance concrète de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense Commune (PSDC), qui pourrait aboutir à un conseil européen consacré aux questions de défense en fin d'année, sous présidence polonaise.
Je sais pouvoir m'appuyer sur la dynamique parlementaire que vous entretenez au sein du triangle de Weimar pour soutenir nos initiatives. L'avenir de l'Europe de la défense en dépend.
Mesdames, Messieurs les Députés,
L'Europe de la défense demeure une nécessité. Le contexte actuel n'est pas facile. Mais la volonté de la France est plus forte que jamais.
Avec la crise économique, nous disposons d'une opportunité de franchir une étape nouvelle.
Vous pouvez compter sur mon engagement et mon énergie pour relever ce défi.
Je vous remercie et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 21 février 2011
Mesdames, Messieurs les Députés,
Permettez-moi de vous remercier de votre invitation, qui me permet d'aborder avec vous un sujet qui me tient particulièrement à coeur, celui de la défense européenne.
Comme vous le savez, en 2008, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a réaffirmé la dimension européenne de notre politique de défense en établissant très clairement qu'elle s'inscrit dans deux cadres complémentaires et qui se renforcent mutuellement, l'Alliance atlantique et l'Union européenne. Cette Europe de la défense vous l'avez d'ailleurs bien identifiée comme l'un des enjeux de la réforme instituée par le Traité de Lisbonne dans le rapport d'information de Mme GUIGOU et M. BUR.
Aujourd'hui plus que jamais, elle reste une priorité fondamentale de notre politique étrangère et de défense :
- Par ambition politique pour l'Europe, d'abord : l'Union ne pourra jouer tout son rôle politique, elle ne pourra peser de tout son poids dans les équilibres du monde que si elle est adossée à une capacité de défense. L'Europe de la défense est une condition indispensable de l'Europe politique que la France appelle de ses voeux ;
- Par réalisme ensuite : dans un monde plus imprévisible que jamais, l'Europe ne peut être la seule à renoncer aux moyens de contribuer à la sécurité internationale et d'assurer sa propre défense ;
- Par nécessité enfin : face à la réduction des budgets de défense, les Européens doivent fédérer leurs efforts pour accroître ensemble l'efficacité globale de la dépense militaire. Si une politique européenne a un sens, c'est bien aujourd'hui, à un moment où les ressources sont contraintes.
Pour autant, les enjeux de la défense européenne, eux, ont sensiblement évolué.
Je ne reviendrai pas sur la vieille rivalité entre l'OTAN et l'Union européenne, qui a pu exister, mais qui n'a plus de sens aujourd'hui.
L'enjeu institutionnel ne revêt plus non plus la même importance. L'Europe dispose désormais des mécanismes et des procédures nécessaires pour agir.
Le traité de Lisbonne achève en effet la construction institutionnelle engagée il y a plus de dix ans. Avec la création du poste de Haut représentant, également Vice-président de la Commission, et avec la mise en place au 1er janvier du service européen d'action extérieure (troisième réseau diplomatique au Monde, avec 136 délégations et 3 700 diplomates), il dote l'Union européenne des leviers nécessaires pour mener une action extérieure cohérente et devenir un acteur stratégique majeur.
Certes, des ajustements restent nécessaires.
- Il faudra renforcer la cohérence entre les outils restés en dehors du service européen d'action extérieure - je pense notamment aux outils financiers - et les structures de gestion de crise.
- Il faudra aussi clarifier la place de ces structures au sein du service.
- Il faudra enfin que l'Agence européenne de défense puisse jouer tout son rôle.
Mais j'ai fait part de ces préoccupations à la Haute Représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangère et la politique de sécurité, Mme ASHTON, lors de notre première rencontre, le 27 janvier dernier, et j'ai toute confiance en M. VIMONT, qui a été nommé Secrétaire général du service européen d'action extérieure pour mettre en place des structures efficaces.
Je veille également à ce que l'influence française, et plus particulièrement l'expertise défense, soit présente au sein des outils de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense Commune (PSDC). Nous sommes en mesure de présenter des candidats de très bon niveau pour les postes de responsabilité, et nous devons maintenir cette influence dans la durée. Il en va de la crédibilité de l'Europe de la défense.
C'est d'autant plus important que je vois aujourd'hui deux nouveaux et véritables enjeux pour l'Europe de la défense.
- Le premier, c'est la faiblesse, maintenant évidente, de son outil militaire dans un monde qui réarme. Les chiffres européens sont éloquents : coupe de 8,3 milliards d'euros et diminution des effectifs de 40% d'ici 2014 en Allemagne, réduction de 10% sur la période 2011-2013 en Italie, réduction de 8% sur quatre ans et diminution des effectifs de 40 000 personnes au Royaume-Uni. Confrontée à la même tentation, la France a engagé un effort de modernisation sans précédent, qui traduit ses ambitions nationales et européennes.
- Le deuxième enjeu, c'est la pérennité d'une industrie européenne de défense autonome et compétitive. L'industrie européenne de défense reste en effet fragile : elle demeure fragmentée et souffre d'un effort de recherche et technologie insuffisant. Pourra-t-on parler d'une défense européenne si nous ne disposons plus dans quelques années d'une industrie de défense autonome ?
Face à cette situation, la France refuse de céder au fatalisme et de renoncer à son ambition pour l'Europe. Nous sommes fermement convaincus que nous pouvons donner un nouvel élan à la construction de l'Europe de la défense en agissant dans deux domaines.
Le premier, c'est le domaine capacitaire.
Si nous voulons contrer le risque de déclassement stratégique, militaire et industriel auxquels nous sommes confrontés, nous devons saisir l'opportunité de la crise budgétaire actuelle pour accélérer de manière décisive le partage et la mutualisation de nos ressources, de nos compétences et de nos capacités militaires.
Dans un contexte de contrainte budgétaire, nous devons en effet utiliser au mieux les ressources disponibles, en recherchant des solutions communes de partage et de mutualisation des capacités, des synergies entre nos forces armées, des économies d'échelle et des gains de productivité, partout où cela est possible et utile. C'est tout le sens des engagements pris par les 27 chefs d'Etats et de gouvernement en décembre 2008, sous présidence française.
Malgré les avancées réalisées depuis deux ans - je pense notamment à la création en septembre 2010 du commandement aérien de transport stratégique (EATC) - les progrès demeurent cependant insuffisants, tant il est vrai que nos partenaires n'ont pas tous la même conscience des enjeux, ni par conséquent la même volonté politique pour l'Europe de la défense. Plus que jamais, face à la crise, la tentation du repli est grande.
Face à cette situation, je suis convaincu que nous devons avancer pas à pas, en privilégiant toutes les pistes concrètes de coopération, à différents niveaux : en bilatéral, à quelques-uns ou à 27.
Avec le traité franco-britannique signé le 2 novembre dernier, qui vise à organiser dans la durée une coopération de défense sans précédent entre nos forces et nos industries de défense, qui représentent plus de 75% des capacités européennes, nous avons franchi une étape importante - nous avons notamment décidé de préserver une capacité missilière et de travailler ensemble au développement d'un drone de combat. C'est dans le même esprit que nous travaillons actuellement à relancer le partenariat de défense franco-allemand - les questions capacitaires seront au coeur de mes discussions avec mon homologue, M. ZU GUTENBERG, le 3 mars prochain.
Ces coopérations bilatérales ne sont pas exclusives d'avancées à 27, même si ces dernières sont toujours plus difficiles à obtenir. C'est la raison pour laquelle nous avons engagé au sein des instances européennes une réflexion sur le partage et la mutualisation des capacités de défense des Etats membres.
Pour y parvenir, il nous faut renforcer notre confiance mutuelle, respecter bien évidemment les décisions souveraines des Etats, mais également veiller à ce que ce travail d'analyse de la situation soit men?? à bien dans les meilleurs délais. C'est dans cet esprit que je rencontrerai mes homologues la semaine prochaine à Budapest et que les chefs d'état-major feront des propositions concrètes au début du mois de mai.
Ce travail doit bien évidemment être encadré par une instance qui ne soit pas à la fois juge et partie. C'est l'objectif de l'initiative française de création d'un groupe des sages, adossé à l'Agence européenne de défense. Ce groupe pourrait être rapidement mis en place si nous nous accordons sur son intérêt. Composé de personnalités européennes de très haut niveau, il devrait bénéficier de la confiance des décideurs publics et industriels de haut rang. Il sera chargé de proposer d'ici la fin de l'année aux chefs d'Etats et de gouvernement des 27 les mesures à mettre en place et les projets de coopération capacitaires susceptibles d'être développés pour éviter que l'Europe ne se désarme. J'ai d'ailleurs abordé ce sujet fin janvier avec les présidents du Conseil de l'Union européenne, M. VON ROMPUY et de la Commission, M. BARROSO, qui m'ont tous deux assuré que des propositions concrètes seraient présentées pour le Conseil européen de l'automne.
Naturellement, cela ne signifie pas que nous entrons dans une logique de compétition, ni avec les Etats-Unis, ni avec l'OTAN. Bien au contraire. Dans certains domaines, la coopération capacitaire doit être recherchée.
Le deuxième domaine dans lequel l'Europe de la défense acquiert réalité et crédibilité, ce sont les opérations.
Avec un vingtaine d'opérations ou de missions menées au cours de la décennie passée, l'Europe de la défense a acquis une crédibilité opérationnelle forte pour la gestion des crises. Sa première opération navale de lutte contre la piraterie au large de la Somalie, toujours en cours, est un succès politique et militaire : elle fédère l'action internationale et donne les résultats escomptés en contenant la menace des pirates. En outre, dans cette opération, l'Union européenne ne fait pas seulement de la gestion de crise : elle défend aussi des intérêts de sécurité communs.
Ces acquis opérationnels doivent être préservés, en termes d'expérience comme en termes de volonté politique.
Cela suppose d'abord de savoir mettre un terme aux opérations qui ont atteint leur objectif opérationnel. Je pense par exemple au volet exécutif de la mission Althéa, en Bosnie-Herzégovine, qui n'a plus raison d'être.
Cela suppose également de soutenir les opérations structurantes, comme Atalante, dont la France reste le premier contributeur. Nous savons tous que dans la lutte que mène l'Union européenne, aux côtés de ses alliés, pour défendre les intérêts européens de sécurité face à la piraterie, le volet militaire n'est pas suffisant. Mais nous savons aussi que l'Europe dispose des outils nécessaires pour compléter Atalante et mettre en oeuvre une approche multidimensionnelle dans la Corne de l'Afrique, seul moyen pour stabiliser durablement la région.
Cela suppose enfin d'optimiser le fonctionnement des structures de gestion de crise : le renforcement des capacités de planification et de conduite des opérations au niveau stratégique reste toujours d'actualité.
Mais cette action en faveur de la relance de la défense européenne ne portera tous ses fruits que si nous sommes capables de développer une volonté politique commune et une vision partagée du positionnement stratégique de l'Union européenne.
L'Union européenne doit d'abord définir une politique claire vis-à-vis de ses grands voisins, au premier rang desquels la Russie et la rive Sud de la Méditerranée.
Vous le savez, le sommet de Lisbonne a donné un nouveau départ à la relation OTAN-Russie. Comme la majorité des Alliés, nous sommes ouverts à la volonté des Russes de se voir associés au système de défense antimissile de l'OTAN. Si, sur le plan de la répartition des responsabilités, l'option de sectorisation prônée par le Président MEDVEDEV n'est pas viable, nous ne pouvons nous interdire la mise en commun de systèmes d'analyse et d'évaluation face à une menace - celle de la prolifération - qui nous concerne tous.
Comme l'OTAN, l'Union européenne doit elle aussi renforcer son dialogue stratégique avec la Russie, avec laquelle elle entretient une relation d'interdépendance. Le Président de la République l'a rappelé au Président MEDVEDEV, à Deauville, le 18 octobre dernier : nous devons parvenir à l'horizon de 15 ans à la construction d'un espace économique, humain et de sécurité commun. Le Sommet d'Astana de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) a marqué un jalon important dans ce sens. Bien sûr, la Russie demeure un partenaire difficile. Mais nous ne devons pas perdre de vue nos intérêts de sécurité communs à long terme.
En ce qui concerne la rive Sud de la Méditerranée, les bouleversements en cours en Egypte et en Tunisie ne peuvent qu'interpeller l'Europe : nous devons réfléchir à une approche commune de problèmes de la démocratisation et du développement des pays de la région.
La montée du terrorisme islamiste au Sahel avec Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) constitue également une menace pour l'Europe tout entière. La France s'est fortement mobilisée en faveur de l'établissement d'une stratégie globale pour le Sahel, qui devrait bientôt être adoptée par l'Union européenne.
Outre le dialogue avec nos grands voisins, la France se bat et continuera à se battre pour favoriser l'émergence d'une volonté politique européenne partagée. C'est un combat difficile car tous les pays n'ont pas la même conviction que l'Europe doit être une puissance politique et militaire, capable de peser dans les équilibres du monde.
Ma conviction, en effet, c'est que l'initiative doit avant tout venir des Etats membres : l'Europe de la Défense reste une politique intergouvernementale et la volonté des Etats est essentielle.
C'est tout le sens de la lettre qu'avec Mme ALLIOT-MARIE et nos homologues allemands et polonais, nous avons adressée à Mme ASHTON à la fin du mois de décembre. Cette initiative des pays du triangle de Weimar propose des orientations concrètes pour les prochains mois : l'amélioration des capacités de planification et de conduite des opérations européennes ; la consolidation des groupements tactiques inter-armés de réaction rapide, qui constituent un élément important de modernisation de nos forces ; le renforcement des capacités militaires européennes, à travers des formules nouvelles de mutualisation ou de partage, permettant d'optimiser l'utilisation de nos ressources ; enfin, le renforcement de la coopération Alliance atlantique / Union européenne, aussi bien au plan opérationnel qu'au plan capacitaire.
Dans son récent courrier de réponse, Mme ASHTON a accueilli très favorablement cette initiative, qui fait désormais l'objet de discussions entre les 27. Elle sera l'un des points majeurs de la prochaine rencontre des ministres de l'Union européenne la semaine prochaine.
Au cours des prochains mois, je mettrai tout en oeuvre pour parvenir à une relance concrète de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense Commune (PSDC), qui pourrait aboutir à un conseil européen consacré aux questions de défense en fin d'année, sous présidence polonaise.
Je sais pouvoir m'appuyer sur la dynamique parlementaire que vous entretenez au sein du triangle de Weimar pour soutenir nos initiatives. L'avenir de l'Europe de la défense en dépend.
Mesdames, Messieurs les Députés,
L'Europe de la défense demeure une nécessité. Le contexte actuel n'est pas facile. Mais la volonté de la France est plus forte que jamais.
Avec la crise économique, nous disposons d'une opportunité de franchir une étape nouvelle.
Vous pouvez compter sur mon engagement et mon énergie pour relever ce défi.
Je vous remercie et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 21 février 2011