Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président de Démocratie libérale, à RMC le 28 juin 2001, sur les affaires touchant le Président de la République et l'usage des fonds spéciaux, sur les licenciements et les délocalisations industrielles.

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Texte intégral

P. Lapousterle - L'affaire des 2,5 millions de billets d'avion payés en liquide par J. Chirac, entre 92 et 95, alors qu'il était maire de Paris, n'en finit pas de faire des vagues, d'autant qu'il y avait déjà l'affaire des lycées d'Ile-de-France et les emplois fictifs pour lesquels les juges ont renoncé à poursuivre le Président de la République pour s'incliner devant son privilège de juridiction. N. Mamère disait hier, à l'Assemblée nationale : "Ca fait beaucoup ! Le Président devrait s'expliquer devant les juges ou devant les Français."
- "Monsieur Mamère n'est pas ma référence. Il semblerait d'ailleurs que ce ne soit pas la référence des Verts non plus. Mais vous faites beaucoup d'amalgames, vous mélangez un certain nombre de choses de manière évidente : les lycées d'Ile-de-France, et ceci et cela ... Il est clair qu'il y a une campagne de déstabilisation contre le Président de la République. La campagne présidentielle est engagée ..."
Ce sont les juges qui parlent ...
- "Oui, mais enfin c'est relancé. Vous citez N. Mamère, on a vu F. Hollande. On voit bien que tout ceci est agité avec gourmandise par un certain nombre d'acteurs de la prochaine campagne présidentielle. La vérité sur ces sujets, est importante, il faudra, en effet, que tout soit clair dans notre République. Mais l'usage de l'argent public, l'usage de l'argent liquide pour cet argent public, a été banalisé dans les pratiques gouvernementales de la République depuis déjà très longtemps : des services secrets en déplacement, des compléments de salaires aux primes de personnels. Cet argent est, d'une certaine manière, institutionnalisé depuis fait des années ! Il y a une hypocrisie."
Mais vous avez été ministre, vous avez même eu des enveloppes j'imagine ?
- "Nous avons, tous les mois, une somme qui est donnée en liquide aux membres du gouvernement. Celle-ci sert, à la discrétion du ministre, à un certain nombre de fonctions : missions de services secrets, primes de personnels. Cet argent n'est pas toujours un privilège. Quand un fonctionnaire est dans les services d'une administration et que vous le faites venir à votre cabinet, il va passer d'une semaine de 39 heures à une semaine de 60 heures. Donc, il a droit à une prime."
Pourquoi n'est-elle pas déclarée ?
- "Elle est officielle mais pas déclarée car un bon ministre note dans son coffre l'identité de la personne qui reçoit cet argent. Mais cet argent ne compte pas pour la retraite et quand vous quittez un gouvernement, il n'y a pas de prime de licenciement. C'est-à-dire que tout ceci, en effet, mérite d'être réformé. Mais c'est une hypocrisie nationale évidente que de poser le problème à propos de la campagne présidentielle ! Le problème existe depuis un certain temps, il faut le régler. Je suis pour la transparence et une déontologie en la matière mais il est clair qu'il y a beaucoup de malice dans ce débat."
Les Français pensent, peut-être, que c'est légitime de se poser des questions. Est-ce que le Président devra leur expliquer ?
- "Je pense qu'à un moment, tous les candidats à l'élection présidentielle devront s'expliquer sur ces sujets, ne serait-ce que parce qu'il faut revenir au vrai débat politique. Je crois donc qu'il est important qu'on explique que les grandes questions de la France aujourd'hui, ce n'est pas simplement la réforme des fonds secrets. Elle est importante, mais je crois qu'il y a derrière, une vraie malice. La grande question de la France aujourd'hui, c'est la situation économique, c'est la désindustrialisation du pays. Tout ce débat sur les affaires, permet de ne pas parler de la crise de croissance en France."
On peut parler de tout en même temps...
- "Oui, mais enfin, l'actualité, c'est très important ..."
Vous êtes ancien ministre des PME, donc au fait des évolutions économiques. Est-ce grave ce qu'il se passe en ce moment ? Il y a un an, le ministre des Finances, L. Fabius, parlait d'une croissance de 3,3 %, puis de 2,9, puis de 2,7 ; hier, on a appris que c'était moins de 2,5 %. Est-ce qu'il y a un risque de retournement ?
- "Je pense qu'il y a un vrai risque. Nous sommes face à une crise de la croissance. Vous avez vu que l'économie allemande, quand même premier partenaire de la France après l'économie américaine, connaît un vrai fléchissement, et crée de profondes inquiétudes. Il y a une montée de l'inflation importante ; on parle de 4 % d'augmentation du Smic au mois de juillet, mais la moitié est rongée par l'inflation. L'inflation est en train de redémarrer dans ce pays. Et puis, on voit, aujourd'hui, toute cette logique de désindustrialisation."
Alcatel ferme toutes ses usines .
- "Alcatel, Philips. Vous entendez ce thème qu'on voit apparaître maintenant : les grands groupes sans usines. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que ces grands groupes travaillent avec des PME, cela veut dire que la production, aujourd'hui, est faite chez les sous-traitants, dans les PME, dans les PMI. Cela veut dire qu'en France, on a peur des 35 heures. Cela veut dire que le monde industriel, aujourd'hui, ne fait plus de la France un territoire de développement industriel. Et donc, on voit les emplois industriels partir. Cette crise de la croissance pose la question de la politique économique du Gouvernement. Cette question est au coeur du débat politique. Or, cette question, aujourd'hui, est évacuée. On laisse à penser que tout va aller bien. Nous avons un vrai débat qui est posé dans ce pays : est-ce que la politique qui est menée depuis 1997 ne conduit pas à la désindustrialisation du pays ?! C'est une question grave au moment où l'on veut faire passer les PME aux 35 heures."
Le Sénat a décidé de prendre son temps et de reporter à l'automne prochain l'examen de la loi anti-licenciements. N'est-ce pas incroyable que des gens comme vous - vous parlez tout le temps de la fracture sociale qu'il faut absolument réduire -, empêchent les Français de profiter d'une loi anti-licenciements ?!
- "Cette loi est un mensonge ! On ne fait pas du développement économique en faisant de la procédure juridique. On chasse au contraire l'investissement industriel avec ce type de mesure. Le Gouvernement, dans la précipitation et en urgence, a improvisé un texte qui chasse les investissements industriels de notre pays. Ce qu'il faut aujourd'hui, ce n'est pas seulement avoir une stratégie défensive."
Un groupe qui fait des bénéfices a-t-il le droit de licencier ?
- "Un groupe qui fait des bénéfice en France, met demain ses bénéfices en Allemagne ou au Royaume-Uni. Qu'on dise la vérité aux Français ! Aujourd'hui, on a assez peu de pression sur ces questions, donc, le défensif est en partie illusoire. Ce qu'il faut, c'est de l'offensif : aider à l'investissement, aider à la création d'entreprise. Il y a de moins en moins de créations d'entreprises dans ce pays. Ce qu'il faut, c'est faire en sorte que nos jeunes ingénieurs, nos jeunes chercheurs ne partent pas en Californie. Voilà la vraie stratégie offensive qu'il faut. On ne défendra l'emploi des Français que si on se bat pour créer en France. Cette logique aujourd'hui, qui fait croire à une procédure pour empêcher le licenciement, est un mensonge ! Il faut organiser aujourd'hui le développement industriel."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 28 juin 2001)