Interview de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, à LCI le 10 février 2011, sur les suppressions de postes d'enseignants et les moyens et effectifs de l'Education nationale.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


 
 
C. Barbier.- Les magistrats sont massivement en grève et ils sont soutenus par 65 % des Français, selon BVA. Est-ce que c'est une colère excessive, corporatiste, ou bien légitime, pour vous ?
 
Je pense que c'est une colère exagérée. Exagérée, parce que ce qu'a dit le président de la République tout simplement c'est que, comme tout corps social les magistrats devaient être responsables, et qu'il y avait eu un drame épouvantable, il y avait une enquête en cours, et que si il y avait eu faute...
 
...oui, il est allé un peu vite en besogne, le Président, quand même.
 
Non, il a simplement dit que « s'il y avait eu dysfonctionnement il devrait y avoir prise de décision, sanction éventuelle », et en tout cas « que la responsabilité joue ». Et puis, deuxième élément pour lequel je trouve ce mouvement excessif, c'est que ce Gouvernement a fait de la justice une priorité. Vous savez que le président de la République, et je suis bien placé en tant que ministre de l'Education nationale pour le savoir, a décidé de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant en retraite. Nous avons décidé compte tenu de la priorité de la justice de ne pas appliquer cette décision aux magistrats, et nous avons embauché des magistrats depuis 2007.
 
Mais vous avez fermé des tribunaux.
 
Oui, nous avons réorganisé la carte territoriale, la carte de la justice, pour quelle soit plus efficace, pour qu'elle soit concentrée, pour que là où il y avait un ou deux juges d'instruction, eh bien il y en ait quatre ou cinq, pour qu'il y ait une vraie mutualisation, et qu'i y ait une activité qui soit meilleure. Mais au total nous avons investi dans la justice comme jamais cela n'avait été fait sous les années notamment du gouvernement Jospin.
 
Est-ce que cette exagération de la part des magistrats est le fruit d'une manipulation par des syndicats de gauche, comme l'a suggéré F. Baroin ?
 
Oh, il y a souvent derrière des combats qui sont menés par certains syndicats et certaines organisations. Il ne faut pas non plus être naïf. En même temps, le rôle du Gouvernement c'est de rappeler la réalité, de rappeler que dans notre pays la justice est une priorité. Nous avons décidé de sacraliser le budget de la justice. Et puis, en même temps de rappeler qu'aucun corps social, encore une fois, ne peut échapper à des principes simples de responsabilité.
 
« Le Président affaibli l'institution judiciaire en instillant la suspicion », c'est H. Morin qui dit cela. Que lui répondez-vous ?
 
Que je n'ai pas ce sentiment. Le président de la République est dans son rôle quand il agit avec compassion et à un drame épouvantable qui a scandalisé l'ensemble des Français. C'était aussi le rôle du président de la République d'être aux côtés de cette famille et de dire ce que beaucoup de Français pensent tout bas.
 
Compte tenu de la tension avec le milieu de la magistrature, est-ce qu'il ne faut pas renoncer à l'introduction de jurys populaires en correctionnelle ?
 
Au contraire ! Je crois qu'on ne peut pas, à la fois, dire il y a un grave dysfonctionnement dans l'organisation de la justice en France et ne pas accepter de revoir en profondeur l'organisation du système judiciaire. Donc, c'est ce à quoi le Gouvernement a décidé de s'attaquer, et c'est une bonne chose.
 
Les enseignants aussi sont en grève aujourd'hui contre les suppressions de postes prévues en 2011. La mobilisation syndicale s'annonce forte, selon les concernés. Qu'en savez-vous ce matin ? Beaucoup de monde en grève, l'école perturbée ?
 
Non, nous avons un taux de mobilisation en premier degré, puisque vous savez qu'en premier degré les professeurs des écoles, les instituteurs doivent se déclarer, qui serait autour de 20 % d'après les informations que j'avais hier. Mais attendons la journée.
 
Fausse alerte pour vous cette colère ?
 
Non, il faut respecter les mouvements sociaux d'abord, et il faut respecter la parole des enseignants et leurs réponses par rapport à telle ou telle inquiétude ou interrogation. Je veux simplement leur dire une chose, oui, le président de la République a souhaité ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux qui part en retraite. Mais juste un chiffre, il y a dans le système éducatif aujourd'hui, en France, plus d'enseignants qu'il n'y en avait au début des années 90 alors qu'il y a moins d'élèves. Donc, nous avons un taux d'encadrement qui est meilleur aujourd'hui qu'il ne l'était au début des années 90. Le budget de l'Education nationale augmente cette année de 1,6 %. Nous avons augmenté globalement les dépenses pour les élèves de 1,8, nous avons multiplié par 1,8, 80 % d'augmentation depuis le début des années 80. Donc, les moyens dans l'Education nationale ils sont là. Et je veux le redire, le sujet aujourd'hui c'est pas qu'il n'y a pas assez de moyens, le sujet c'est la capacité à répartir ces moyens là où il y a des priorités, c'est la capacité à différencier. C'est cela le sujet de l'Education nationale.
 
Vous ne reviendrez pas sur les 16.000 postes supprimés en 2011 ?
 
Non, nous ne reviendrons pas, d'abord parce que le Parlement a voté une loi de Finances ; ensuite, parce que, vous savez, nous pratiquons cette politique avec beaucoup de discernement. Cette année, nous allons par exemple mettre en place une politique de détection des décrocheurs scolaires où chaque élève qui quitte le système éducatif sans diplôme va être suivi. C'est une nouveauté. Nous avons décidé d'accueillir à nouveau 10.000 enfants handicapés de plus à l'école en milieu ordinaire, c'est 45 % de plus que en 2005. Donc, nous faisons des efforts considérables malgré un budget contraint. Et c'est ça la politique qui est importante à mener, c'est d'être capable de mettre la priorité sur un certain nombre d'axes. Nous savons que le système éducatif français il a des points de faiblesse, le nombre d'inégalités s'est plutôt accru alors que les moyens augmentaient. Cela doit nous interpeller.
 
Ecoles occupées, recours en tribunal administratif, qu'allez-vous faire pour les établissements où des profs absents ne sont pas remplacés, notamment en Seine- Saint-Denis ?
 
Alors, en Seine-Saint-Denis, il faut bien expliquer aux Français que nous avons un nombre de remplaçants qui est le plus élevé de l'ensemble des départements. Par exemple, dans le premier degré...
 
...mais c'est insuffisant !
 
Mais c'est insuffisant. Pourquoi ? Parce que d'abord nous avons un corps social des enseignants qui sont plutôt plus jeunes qu'ailleurs, il y a eu un pic de maladies la semaine dernière par exemple où nous avons eu en une semaine...
 
... de vraies maladies ou ils craquent ?
 
Non, des vraies maladies. Alors, ensuite il peut y avoir une question de dureté, c'est un département difficile la Seine-Saint-Denis.
Les enseignants ne veulent pas y aller.
 
Justement, c'est pour cela que nous mettons en place des systèmes de mouvement, de mutation des professeurs où dans des établissements plus difficiles on a besoin de professeurs motivés, de professeurs qui partagent le projet éducatif, et de professeurs qui s'engagent sur la durée. C'est tout l'esprit du programme CLAIR que j'ai lancé cette année, avec une plus grande autonomie laissée aux chefs d'établissements pour recruter son équipe pédagogique. Je crois que c'est la réponse à ce qui se passe dans les établissements difficiles, les établissements où on recrute beaucoup d'élèves en grande difficulté.
 
N. Sarkozy est sur TF1 ce soir pour répondre à un panel de Français. Quel est le but ? Redresser l'image du président dans la tempête actuelle ?
 
Non, le but du président de la République c'est d'avoir, ce qu'il sait faire très bien, régulièrement un dialogue avec les Français sur les sujets de la vie quotidienne. Il avait eu l'occasion de pratiquer cet exercice il y a un an, je crois que c'est important au moment où nous abordons la dernière phase du quinquennat, au moment où progressivement nous sortons de la crise, de rappeler aux Français ce qui a été fait, de répondre à leurs inquiétudes, et d'esquisser les perspectives des quatorze derniers mois du mandat de N. Sarkozy.
 
Et puis, cela permet de faire diversion par rapport aux polémiques actuelles. 52 % des Français...
 
... l'émission avait été programmée avant que ces polémiques que vous évoquez ne sortent, donc...
 
52 % des Français, selon BVA pour LCI, souhaitent la démission de M. Alliot-Marie après ses vacances tunisiennes. Est-ce qu'il ne faut pas donner l'exemple, sans l'accabler, qu'elle quitte le Gouvernement pour rétablir la sérénité ?
 
Vous savez, si on écoutait ici ou là, on demanderait la démission d'un ministre chaque semaine. Je crois qu'il faut garder... quand on fait de la politique, il faut garder le sang-froid, du recul, et tenir un cap. C'est ce que fait le Gouvernement.
 
Alors, cloîtrer les ministres en France pour leurs vacances, autorisation si on est invité à l'étranger à demander à Matignon, c'est dommageable pour vous, c'est regrettable d'en arriver là ?
 
Je crois qu'il y a un vrai paradoxe, c'est que jamais la transparence n'a été aussi grande dans la vie politique, jamais les règles vis-à-vis des ministres et du personnel politique n'ont été aussi strictes, et paradoxalement il y a un niveau d'exigence de nos concitoyens qui n'a jamais été aussi élevé.
 
On en fait trop, il y a de l'intégrisme ?
 
Non, mais je pense que nous sommes dans un monde qui veut la transparence et on peut peut-être s'en réjouir. Quand on est ministre, on ne doit pas seulement être honnête, on doit être insoupçonnable, irréprochable...
 
Alors, vous n'avez pas voulu...
 
...et donc, on doit s'astreindre à davantage de contraintes que n'importe quel citoyen de base, il faut le savoir. Vous savez, on a choisi, j'ai choisi de faire de la politique pour faire autre chose.
 
Il y a des contraintes.
 
Eh bien, on l'a choisit, il faut le savoir, quand on s'engage dans cela il faut être insoupçonnable.
 
Vous n'avez pas voulu répondre au Parisien. Vous : où avez-vous passé vos vacances à la fin de l'année 2010 ?
 
J'ai passé mes vacances en famille chez ma soeur qui habite Dakar, et j'ai payé mes billets d'avion et ceux de toute ma famille, comme je le fais pour chaque vacance.
 
Vous avez déjà été invité par une puissance étrangère à venir tous frais payés en famille en vacances ?
 
Non, ma réponse est non, très clairement. J'ai fait des déplacements dans le cadre de mes fonctions, des déplacements comme tous les ministres en font, mais ce ne sont pas des déplacements privés.
 
A. Sinclair ne souhaite pas que son mari rempile au FMI. Alors, est-ce que pour vous ça y est, c'est sûr, on le sait, D. Strauss-Kahn sera candidat en 2012 ?
 
Non ! Ecoutez, je crois que c'est un feuilleton qui préoccupe surtout le Parti socialiste. Je crois que nous, de notre côté, nous avons surtout à nous préoccuper d'abord de la mission que nous ont confiée les Français, et puis ensuite nous nous occuperons de la campagne présidentielle de notre candidat, et pas du candidat d'à-côté, voilà.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 14 février 2011