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Il est important pour moi de participer à cette conférence que vous consacrez au bien-être et à l'efficacité au travail, parce que j'en ai bien conscience, nous ne pouvons pas définir notre rapport au travail uniquement en termes de quantité, nous devons aussi améliorer la qualité de la vie au travail, l'un ne va pas sans l'autre. C'est tout l'enjeu de notre politique de revalorisation du travail depuis 2007 sous l'impulsion du Président de la République et c'est une de mes priorités en tant que ministre du travail, de l'emploi et de la santé. La qualité de la vie au travail, c'est un enjeu pour la performance des entreprises et c'est un élément de leur responsabilité sociale. Vous parlez dans votre édito d' « émergence d'un modèle français » en ce domaine : je pense que c'est en effet l'un des enjeux que nous devons porter au plan international dans le cadre de la présidence français du G8/G20, parce que si nous voulons allier la croissance économique au progrès social, nous avons une vision à promouvoir en matière d'amélioration des conditions de travail, en lien avec l'OIT.
Mais nous avons déjà fort à faire au plan national, surtout en sortie de crise. Un sondage Ifop paru dans L'Expansion la semaine dernière montre que seulement 24% des salariés pensent que leurs efforts pendant la crise pour maintenir la performance ont été récompensés. Surtout, neuf salariés sur dix jugent que la mesure de la performance dans l'entreprise est génératrice de stress et plus de huit sur dix considèrent aussi que la méthode de mesure de la performance est trop quantitative et pas assez qualitative. Votre conférence est bien au coeur du sujet.
Voilà les deux directions dans lesquelles je voudrais que nous progressions aujourd'hui et sur lesquelles je vous invite à réfléchir.
1- Premier axe, nous devons poursuivre les actions engagées en santé au travail et mobiliser les managers, parce qu'il ne sert à rien d'améliorer les outils si les acteurs de l'entreprise ne s'en saisissent pas. C'est un enjeu essentiel, parce que pour améliorer la prévention, il ne s'agit pas ici de mettre un capot de protection sur une machine, il s'agit de changer les comportements, et pour cela il faut des outils sans doute, mais il faut surtout de l'accompagnement, il faut de la pédagogie et il faut inscrire les actions dans la durée, en particulier dans les phases de restructuration et de mutation.
Les outils, nous les avons :
* C'est d'abord la réforme de la médecine du travail, que j'ai engagée lors de mon précédent passage au ministère du travail avec les partenaires sociaux. L'enjeu aujourd'hui, c'est d'avoir de vrais services de prévention de proximité qui mobilisent les compétences d'une équipe pluridisciplinaire de santé au travail (ergonomes, psychologues...) : ainsi nous pourrons améliorer les conditions de travail, renforcer la prévention et agir sur les facteurs de stress très en amont.
* En 2008, j'ai reçu le rapport Nasse-Légeron sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail. La situation humaine et sociale de France Telecom a illustré ces derniers de façon dramatique. Elle a conduit le gouvernement à inviter les entreprises de plus de 1000 salariés à négocier sur la prévention des risques psychosociaux et à engager des plans d'action.
Ce plan d'urgence a trouvé son prolongement dans un deuxième outil majeur, le deuxième plan santé au travail : il constitue le fil directeur de notre politique de santé au travail pour 2010-2014. Il cible trois catégories de grands risques : les risques chimiques, notamment les risques cancérogènes mutagènes et toxiques pour la reproduction, les troubles musculo-squelettiques et les risques psychosociaux.
Concernant ces derniers, je présenterai avant la fin du 1er trimestre, devant le Conseil d'orientation des conditions de travail, un bilan qualitatif des accords qui ont été conclus au cours des derniers mois. J'attends aussi, pour la première quinzaine de mars, les conclusions de l'expertise collective pilotée par l'INSEE sur les indicateurs nationaux de santé mentale liés au travail : j'entends bien que la France soit à terme l'un des premiers pays doté d'une batterie d'indicateurs qui prennent en compte l'ensemble des facteurs de stress d'origine professionnel.
Mais pour mettre en oeuvre ces outils, je l'ai dit, nous devons mobiliser les managers et tous les acteurs de l'entreprise. Voilà pourquoi tous les managers recevront à terme une formation en santé au travail au cours de leur cursus : c'est l'objet du Réseau francophone de formation en santé au travail que mon ministère a mis en place avec le ministère de l'enseignement supérieur. La première version du module de formation homologuée est en ligne depuis le 1er février dernier. C'était l'une des propositions du rapport Lachmann, Larose et Pénicaud, « Bien-être et efficacité au travail », remis au Premier ministre il y a un an. Il faut continuer à faire connaître ce rapport au sein des entreprises pour que tous les acteurs intègrent ses propositions dans leurs pratiques managériales.
2. Le deuxième axe de notre action, c'est d'aller plus loin que la prévention et de travailler sur tout ce qui constitue la qualité de vie au travail. Ce que montre le rapport Lachmann, Larose et Pénicaud en effet, c'est que le bien-être au travail est un enjeu bien plus large que la santé au travail et la prévention, tout simplement parce que le travail ne peut pas être considéré uniquement sous l'angle de la souffrance et de la pénibilité. Ce serait passer à côté de tout ce qui fait la valeur du travail dans notre société, et cette valeur ne se réduit pas à la rémunération.
Au contraire, comme le montre le rapport, un travail digne de ce nom peut contribuer à l'épanouissement personnel, à l'intégration et au lien social. Je l'ai constaté par exemple en allant la semaine dernière aux Olympiades des métiers, qui réunissaient 800 jeunes de toute la France : ce qu'ils montraient au public, c'était leur fierté du travail bien fait et leur joie de voir leurs compétences et leurs talents récompensés.
Je pense que nous devons agir dans plusieurs domaines.
* Il faut progresser dans la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, parce que des salariés plus disponibles, ce sont aussi des salariés plus épanouis et qui travaillent mieux : c'est donc aussi un atout pour l'efficacité et l'attractivité de l'entreprise.
* Il faut explorer des pistes comme par exemple le développement du télé-travail, qui peut faciliter la vie du salarié sans nuire à l'organisation de l'entreprise.
* Je demanderai aux DIRECCTE d'organiser cette année des séminaires, au moins un par région, réunissant partenaires sociaux, entreprises, services publics, pour mettre en commun les exemples de bonnes pratiques mises en oeuvre par les entreprises pour améliorer l'environnement du travail : par exemple, les crèches inter-entreprises et les conciergeries d'entreprises ou inter-entreprises et le développement du télétravail, comme je l'ai dit, mais aussi des expériences de coopération territoriales permettant de mettre en place des solutions d'accès et de transport et la réflexion sur les horaires d'ouverture de certains services. Je souhaite qu'une synthèse soit faite à la fin de l'année au niveau national, par exemple dans le cadre d'une conférence comme celle-ci.
Voilà les pistes que je soumets à votre réflexion. Si nous voulons faire émerger un véritable modèle français en matière de bien-être au travail, nous devons développer les outils, mais nous devons surtout changer les comportements et les habitudes. J'en ai bien conscience, c'est en agissant sur le terrain que nous pourrons obtenir des résultats, en lien avec les services de ce ministère et tous les acteurs de l'entreprise, de la santé au travail et de la formation.
Je vous remercie.
Source http://www.travail-emploi-sante.gouv.fr, le 9 février 2011