Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur la coopération scientifique, technologique et universitaire franco-japonnaise, Starsbourg le 2 mai 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque franco-japonais sur l'enseignement supérieur - Inauguration de la Maison France - Japon, à Strasbourg le 2 mai 2001

Texte intégral

Je suis heureux d'être à Strasbourg aujourd'hui, pour inaugurer la Maison universitaire France-Japon et ouvrir le colloque, qui réunit, à cette occasion, dans la continuité de la rencontre de Tokyo de 1998, les présidents d'universités japonaises et françaises, pour débattre des grands défis à relever, dans nos deux pays, par la recherche et l'enseignement universitaires.
L'Alsace fait partie des premières régions françaises pour le nombre de chercheurs, le nombre de thèses et le nombre de brevets européens rapportés à la population. Elle occupe la deuxième place pour la densité régionale en publications scientifiques. Son excellence est reconnue dans des domaines tels que la biologie fondamentale ou la chimie.
Au-delà de sa vocation européenne, Strasbourg s'est depuis longtemps ouverte au reste du monde, et en particulier au Japon. Sans remonter aux premiers contacts qui datent du dix-neuvième siècle, les chercheurs strasbourgeois ont noué avec leurs homologues japonais des liens scientifiques, de plus en plus étroits, dès les années 1950.
Le Japon est un partenaire essentiel pour la France dans le domaine scientifique et technologique. Nos deux pays, possédant l'un et l'autre un potentiel scientifique de tout premier plan, se doivent à ce titre d'entretenir des coopérations fortes, multiples et variées. Les liens de coopération qui se sont établis entre les chercheurs français et japonais sur des projets de recherche scientifiques et technologiques communs sont aujourd'hui nombreux. De tels partenariats sont indispensables pour répondre aux exigences sociales et aux défis lancés dans de nombreux domaines, comme la santé, l'environnement, la sécurité alimentaire, la prévention des risques naturels, les énergies nouvelles, la gestion des villes, l'éducation Ils sont aussi primordiaux pour renforcer la croissance économique et créer des emplois. A ce titre, la coopération universitaire, scientifique et technologique entre la France et le Japon revêt une grande importance et doit être renforcée.
L'inauguration de la Maison universitaire franco-japonaise, et le colloque qui l'accompagne, expriment cette volonté commune et s'inscrivent dans une démarche de rapprochement dont je rappellerai brièvement quelques étapes récentes.
Le nouveau dispositif de concertation et de décision, institué par l'accord intergouvernemental de coopération scientifique et technique du 5 juin 1991, a donné une impulsion nouvelle à notre coopération en instituant un Comité conjoint, formé de hauts responsables administratifs, et un Conseil consultatif conjoint, à la tête duquel j'ai eu le plaisir de renouveler récemment le Professeur François Gros, associant des personnalités issues des communautés scientifiques et du monde de l'entreprise, chargé d'expertiser l'état des relations scientifiques bilatérales, tout en réfléchissant aux thèmes émergents de la coopération. Les résultats obtenus dans le cadre de ce nouveau dispositif sont tout à fait satisfaisants.
L'instauration, en 1995, du Forum de dialogue franco-japonais.
Réuni chaque année, alternativement en France et au Japon, ce forum permet de multiplier les échanges entre personnalités d'influence dans tous les domaines, entre autres, éducatif et scientifique.
Le plan "20 actions pour l'an 2000", signé en novembre 1996, a donné un nouvel essor à la coopération entre les deux pays. Il prévoit notamment "d'approfondir les relations scientifiques et techniques" tout particulièrement dans les secteurs prioritaires que sont l'environnement, les sciences de la vie, l'espace, les nouveaux matériaux, les biotechnologies et de "multiplier les échanges de personnes", notamment d'étudiants, de jeunes diplômés et de chercheurs, les industriels étant, en tant que de besoin, associés à ces échanges. La huitième action de ce plan est un programme pilote d'échanges d'étudiants mis en oeuvre avec succès par les universités strasbourgeoises et grenobloises, au départ pour la partie française, et les universités d'Etat japonaises.
L'impulsion politique, ainsi donnée au plus haut niveau, dont a bénéficié la coopération universitaire et de recherche franco-japonaise, s'est poursuivie au cours de ces dernières années : je citerai la visite en France de M. Hirohumi Nakasone en octobre 1999, la visite au Japon de M. Lionel Jospin en décembre 1999, la visite en France de M. Tadamori Oshima en septembre 2000. Les rencontres ministérielles qui en ont résulté ont permis de concrétiser plusieurs des orientations fixées dans le plan des "20 actions pour l'an 2000".
A ce jour, le bilan de notre coopération est prometteur :
Dans le domaine universitaire, 115 accords ont été conclus par plus d'une cinquantaine d'établissements d'enseignement supérieur français avec des partenaires japonais depuis 1975.
Dans le domaine scientifique et technologique, l'on doit rappeler que la 4ème session du Comité conjoint, réuni à Paris en juin 2000, a recommandé une augmentation du nombre de post-doctorants, l'organisation de séminaires de jeunes chercheurs, ainsi que des coopérations renforcées pour :
- Développer les politiques d'aide à l'innovation ;
- Développer dans les sciences de la vie des domaines clés, comme ceux liés à l'environnement et à la sécurité alimentaire ;
- Améliorer notre capacité à faire sauter certains verrous technologiques, par exemple dans le domaine des matériaux et dans celui des piles à combustible.
Ces grandes thématiques peuvent s'appuyer sur le large socle des partenariats scientifiques établis par les universités et organismes de recherche de nos deux pays, et dont je ne citerai que deux exemples significatifs :
tout d'abord le CNRS, qui a passé des accords avec les principaux partenaires scientifiques japonais, a lancé de nombreuses coopérations articulées autour d'échanges de chercheurs et de programmes, et a créé, en 1994, le laboratoire franco-japonais sur les systèmes micro mécatroniques intégrés, avec l'Université Todaï de Tokyo. L'expérience de ce laboratoire conjoint a montré les avantages de cette forme de coopération, qui allie pérennité, approfondissement de l'action en commun et meilleure connaissance des partenaires. D'autres laboratoires conjoints franco-japonais pourraient être établis, par exemple, dans le domaine de la génomique.
Je citerai ensuite le pôle universitaire de Strasbourg, proposé en 1989 par le Japon pour être le siège du programme scientifique "Frontière humaine" sur les fonctions cérébrales et les mécanismes moléculaires, en raison des relations scientifiques très anciennes qui s'étaient tissées entre les chercheurs strasbourgeois et leurs homologues japonais. Dans les années qui ont suivi, les accords de coopération scientifique se sont considérablement développés entre l'université Louis-Pasteur et des universités et instituts de recherche japonais.
A partir de ces acquis, de nouvelles perspectives sont ouvertes :
Le colloque qui se déroule à Strasbourg va permettre d'approfondir la réflexion et de lancer quelques nouvelles pistes pour l'avenir autour de thématiques importantes : la mobilité étudiante, les nouveaux défis des réformes universitaires, l'innovation et les transferts de technologie.
1. En ce qui concerne la mobilité étudiante, la déclaration des étudiants européens de Göteborg du 25 mars 2001, soulignait avec justesse la "nécessité d'instaurer dans toute l'Europe un système d'unités de valeur,une grille de critères communs pour l'accréditation,un système garantissant la compatibilité entre diplômes et une coopération entre les systèmes nationaux d'assurance qualité".
La Conférence des Présidents d'Université, animée par le président Belloc, qui nous réunit aujourd'hui, s'est déclarée favorable à une "organisation généralisée des enseignements en crédits capitalisables " pour garantir non seulement la mobilité internationale des étudiants, mais aussi leur mobilité entre filières de formation et entre formation et expérience professionnelle. Pour concrétiser ces objectifs, mon collègue J. Lang, Ministre de l'Education Nationale, vient de proposer une "vaste concertation" pour cette "nouvelle étape de la construction de l'espace européen de l'enseignement supérieur", associée à une demande "d'évaluation quantitative et qualitative des pratiques et des résultats". Je soutiens bien évidemment cette démarche, car la recherche s'inscrit depuis toujours dans un contexte d'émulation et de reconnaissance internationales.
2. En ce qui concerne les nouveaux défis des réformes universitaires, le recrutement des enseignants-chercheurs et des personnels techniques et administratifs est certainement le problème majeur des prochaines années, particulièrement dans cette nouvelle décennie qui va concerner par départ en retraite de près d'un enseignant - chercheur sur trois ; un acte qui va donc engager l'avenir de nos universités et de nos organismes de recherche.
Je souhaite qu'une démarche de contractualisation renforcée, menée par la direction des enseignements supérieurs, s'engage pour à la fois mieux permettre aux établissements d'exercer leur autonomie et mieux croiser les orientations nationales avec la politique de chaque établissement. Cette démarche passe par le renforcement du volet "gestion des ressources humaines" des contrats auxquels mon ministère sera naturellement associé, par l'intermédiaire de la MSU et des conseillers d'établissements, dans la perspective d'une vision globale de chaque établissement prenant en compte la formation et la recherche. Je soutiens la position que vient d'exprimer la CPU : "Le contrat n'est pas la simple reconnaissance de l'existence d'équipes, il doit être l'occasion d'encourager la définition et de ratifier l'existence d'une politique de recherche de l'établissement s'inscrivant naturellement dans les perspectives nationales fixées par l'Etat".
Par ailleurs, comme le souligne le texte d'orientation que la conférence des présidents d'université vient d'élaborer, cette contractualisation renforcée doit intégrer le "développement de relations nouvelles et accrues avec d'autres partenaires pour les universités que l'Etat, comme moyen d'accroître les marges d'autonomie des universités et d'harmoniser leurs projets avec les nécessités de l'aménagement du territoire". Comme le soulignait un président de conseil régional au colloque organisé par la CPU, à Lille, en insistant sur une conclusion du récent rapport Mauroy sur la décentralisation : "Il importe de créer un lieu où les acteurs publics locaux et l'Etat définissent des orientations politiques, se donnent les moyens de les mettre en uvre dans un cadre pluriannuel et élaborent des outils d'évaluation des résultats obtenus".
3. Sur l'innovation et les transferts de technologie, nous savons aujourd'hui que dans tous les pays développés, les universités assument non seulement leur rôle de formation et de recherche, mais s'impliquent dans la valorisation de la recherche. Le domaine de l'innovation et du transfert de technologie, qui n'avait pas jusqu'ici été traité de façon spécifique au sein du comité conjoint franco-japonais, a donc été introduit parmi les projets nouveaux de coopération.
En effet, le Japon, comme la France, a mis en place depuis quelques années une politique très active en matière d'innovation et de transfert de technologie : plusieurs délégations japonaises ont été reçues en 1999 et 2000 par la Direction de la technologie de mon Ministère pour des entretiens concernant notamment la loi française sur la recherche et l'innovation, et la politique que nous menons en matière de brevets, d'incubateurs, de fonds d'amorçage et de capital-risque.
Nos deux pays ont en commun d'avoir construit leurs systèmes d'enseignement et de recherche sur des modèles de type "fonction publique". Sans nullement renoncer au rôle de l'Etat, il convient de renforcer toujours davantage les passerelles possibles entre le public et le privé. La loi sur l'innovation et la recherche du 12 juillet 1999 a précisément pour objectif de faciliter ces échanges et de leur permettre de se développer.
Une étude récente commandée par la Direction de la technologie et le National Institute of Science and Technology Policy, respectivement à MM. Robert Chabbal et Noburu Maeda, a dressé un premier état des lieux comparatif sur "le développement de start up à partir de la recherche".
Ce colloque marquera, je le souhaite, le renforcement d'une coopération fructueuse. Le Directeur de la technologie, qui ouvrira la matinée consacrée demain à ce sujet, conduira d'ailleurs une mission sur ce même thème au Japon du 16 juin au 23 juin prochain.
Il sera accompagné d'acteurs importants de la valorisation de la recherche publique en France, notamment des représentants de France Incubation, qui associe tous les incubateurs d'entreprises, du réseau Curie, qui est le service de valorisation des universités françaises, de représentants de la Conférence des Présidents d'Université, et des grands organismes de recherche. La délégation sera particulièrement attentive à deux priorités de mon ministère : les sciences et technologies de la communication et les biotechnologies.
L'objectif de ce voyage, mené en concertation avec le Ministère des Affaires Etrangères, devra permettre à des acteurs de l'innovation et du transfert des deux pays non seulement de confronter leurs pratiques mais d'examiner très concrètement les projets de coopération possibles entre programmes nationaux, structures et institutions universitaires de recherche ayant l'objectif commun de favoriser la création d'entreprises innovantes.
S'agissant des relations universités - entreprises, je voudrais également mentionner le programme Renault qui illustre de façon intéressante les développements possibles. Renault a noué une alliance industrielle avec Nissan mais la réussite de ce projet implique, comme me le confirmait tout récemment le Président Schweitzer, une meilleure connaissance réciproque de nos valeurs et de nos pratiques et donc un renforcement des liens culturels, universitaires et scientifiques entre nos deux pays. Le développement durable de nos coopérations industrielles passe par un accroissement de nos échanges culturels, scientifiques et technologiques.
La Maison universitaire franco-japonaise s'inscrira au cur de ces échanges
"On ne met pas son passé dans sa poche ; il faut avoir une maison pour l'y ranger", soutenait Jean Paul Sartre dans "La Nausée".
Le passé de la coopération scientifique et technologique franco japonaise est déjà suffisamment riche pour qu'une poche ne suffise plus à l'abriter et qu'une maison devienne nécessaire. Mais c'est plus encore l'avenir et les espoirs de voir croître nos échanges qui imposaient de la bâtir.
Créée sur l'initiative des quatre universités d'Alsace, placée sous l'égide de la Conférence des présidents d'université et ayant une vocation nationale, la Maison sera amenée à jouer un rôle de tête de réseau, chargée de coordonner les initiatives existantes entre les universités des deux pays et de diffuser l'information auprès de l'ensemble des acteurs de la coopération.
Cette structure accueillera, informera et aidera dans leurs démarches les chercheurs, enseignants et étudiants de nos deux pays. En offrant un programme de rencontres et de conférences, elle stimulera la réflexion croisée sur des préoccupations communes ou sectorielles liées à l'enseignement et à la recherche, comme elle permettra de renforcer le lien unissant le monde universitaire à celui de ses partenaires socio-économiques, et donc aussi la recherche à ses applications.
"On fait la science avec des faits comme on fait une maison avec des pierres : mais une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison" affirmait le grand mathématicien français Henri Poincaré.

Autrement dit, il faut, à l'un comme à l'autre, pour exister, un objet et un projet.
La maison universitaire franco-japonaise satisfait pleinement à cette exigence: elle se fonde sur une riche expérience, elle répond à un besoin, elle affiche une ambition.
La riche expérience d'une coopération franco-japonaise conduite depuis plus de cinquante ans ici à Strasbourg et en Alsace, Le besoin d'un lieu spécifique pour l'enrichir,
L'ambition d'y établir le pôle national du partenariat scientifique et technologique avec le Japon : avec la réalité, mais aussi avec le symbole fort, que représente la maison France - Japon, la première réalisée dans les nouveaux contrats de plan Etat - Région, de nouvelles perspectives s'ouvrent maintenant aux universitaires de nos deux pays. Qu'ils sachent faire de cette maison le lieu privilégié où se rencontreront et s'échangeront les cultures scientifiques, économiques et sociales de nos deux pays, mais aussi un endroit de plus où puisse s'exprimer l'amitié entre nos deux peuples.
(source http://www.recherche.gouv.fr, le 3 mai 2001)