Interview de M. Laurent Wauquiez, ministre des affaires européennes, dans "20 minutes" du 1er mars 2011, sur la France et l'Union européenne face aux évolutions politiques dans les pays arabes.

Prononcé le 1er mars 2011

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Texte intégral

Q - Votre nom avait circulé pour remplacer Michèle Alliot-Marie aux Affaires étrangères. Pas trop déçu ?
R - Non au contraire. On est dans une phase où l'on ne doit avoir aucun risque. Je connais Alain Juppé depuis une quinzaine d'années. C'est un très grand professionnel. Même à 35 ans, j'apprends la sagesse des aînés.
Q - Quel regard portez-vous sur l'affaire Alliot-Marie et les révélations successives sur son séjour en Tunisie ?
R - L'impact le plus négatif de tout cela, c'est qu'on a regardé le changement du monde par le petit bout de la lorgnette et à travers des affaires politico-françaises. Dimanche, le président l'a dit: «ne vous trompez pas, c'est un événement de la même ampleur que la chute du Mur». Dans la communication de la ministre, il y a pu y avoir des maladresses, mais sur le fond, elle n'a rien fait d'illégal.
Q - N'était-ce pas au moins une faute politique ?
R - On voit pourquoi le remaniement était indispensable, car on échange là sur de petits aspects, alors que la France a affaire à un vrai défi. Ce n'est pas un jeu de chaises musicales. C'est un mouvement non pas pour suivre l'Histoire mais pour faire face à l'Histoire.
Q - La France, qui a entretenu des relations privilégiées avec les régimes déchus, a été lente au démarrage face aux révolutions arabes...
R - Cela a été le cas pour tout le monde. Notre ligne, c'est: pas d'ingérence. Ce n'est pas à nous de choisir qui dirige un pays. Mais la France doit défendre la liberté d'expression et les droits de l'Homme.
Q - Proposer au régime tunisien le savoir-faire des forces de l'ordre françaises en pleine révolte était-elle vraiment un moyen de défendre cette liberté d'expression ?
R - Ce que nous a rappelé la révolution tunisienne - et c'est une leçon pour la diplomatie française - c'est que la liberté d'expression et les droits de l'Homme sont universels. Oui, l'histoire est allée plus vite que ce que nous avions analysé. Toutes les diplomaties ont été dépassées. Maintenant, la question, c'est: comment on accompagne cette transition démocratique pour qu'elle réussisse et que les menaces sous-jacentes - le terrorisme, l'intégrisme et l'immigration illégale - ne se concrétisent pas. Il faut aborder ces sujets sans cynisme ni naïveté, sans ingérence ni indifférence.
Q - Vous avez dit que «dans cette bourrasque géopolitique qui traverse le monde, il s'agit pour nous de protéger la France et les Français». N'est-ce pas curieux d'envisager ces révoltes sous l'angle d'une menace pour la France ?
R - Non, c'est d'abord une formidable opportunité. C'est aussi une chance de construire une stabilité avec des régimes démocratiques. Mais en même temps, il ne faut pas fermer les yeux sur les menaces. Pour éviter un flot d'immigration, il faut montrer que l'avenir peut se construire en Tunisie.
Q - La diplomatie française sort-elle affaiblie de sa gestion des révoltes dans les pays arabes ?
R - Il faut surtout qu'elle reparte vite en avant. Une nouvelle séquence s'ouvre. Nicolas Sarkozy l'a reconnu dimanche: on a fait des erreurs. Après, on peut se recouvrir la tête de cendres, ça ne fera rien avancer. On a été devancé par l'Histoire. Cessons l'auto-flagellation. Il s'agit maintenant d'être au rendez-vous. Un échec en Tunisie serait un échec pour l'Europe. Une réussite serait en revanche une garantie de stabilité pour elle.
Q - L'Union européenne a elle aussi tardé à se mobiliser pour soutenir les révolutions arabes...
R - Arrêtons les caricatures. Catherine Ashton a été la première à aller en Tunisie et à mettre en place un plan d'action. L'Europe a été en pointe et l'est toujours !
Q - Sous la présidence Sarkozy, la diplomatie est essentiellement gérée par la cellule diplomatique de l'Elysée, ce qui crispe le Quai d'Orsay. Quel regard portez-vous là-dessus?
R - Ce qui fait la force de la diplomatie française depuis toujours, c'est le continuum qui va du rédacteur du Quai d'Orsay jusqu'à l'Elysée. Je plaide pour la complémentarité. Il n'y a pas d'opposition possible entre le Quai et l'Elysée. C'est avec cette volonté qu'arrive Alain Juppé au ministère des Affaires étrangères.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mars 2011