Déclaration de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale, sur l'allongement de l'espérance de vie, le vieillissement de la population et la dépendance des personnes âgées, Paris le 14 février 2011.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conseil extraordinaire du Conseil national de solidarité pour l'autonomie (CNSA) à Paris le 14 février 2011

Texte intégral

Je suis très heureuse de pouvoir m'exprimer devant vous aujourd'hui, dans le cadre de ce conseil extraordinaire de la CNSA [Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie].
C'est pour moi l'occasion de vous parler de la réforme de la dépendance, à laquelle vous vous intéressez de longue date.
Ce débat, il nous concerne tous, puisque, au fond, il interroge le regard que nous portons et voulons porter collectivement sur le vieillissement.
Parler de la dépendance et de la prochaine réforme, c'est donc, bien sûr, évoquer des situations difficiles, douloureuses, que je mentionnerai tout à l'heure, mais c'est aussi, dans une approche globale, envisager, de façon positive, la place des personnes âgées dans notre société et notre conception du vieillissement.
Les Français vieillissent, et c'est tant mieux !
L'allongement de l'espérance de vie est l'un de nos plus spectaculaires et de nos plus extraordinaires acquis. Chaque année, nous gagnons un trimestre d'espérance de vie !
Ainsi, l'espérance de vie à la naissance est passée, pour les hommes, de 70,2 ans en 1980 à 78,1 en 2010, et, pour les femmes, de 78,4 à 84,8 ans.
Le vieillissement est donc une chance. Il nous offre la possibilité de réaliser, plus longtemps, nos désirs et nos projets. La possibilité d'être ce pivot familial autour duquel enfants et petits-enfants se réunissent. La possibilité d'observer le monde qui change et d'oeuvrer à ces mutations.
Envisager le vieillissement de façon positive et globale, c'est aussi prendre en compte tout l'environnement dans lequel les personnes âgées évoluent pour modifier notre société.
Logement, mobilier urbain, transports, commerces... : comment donner une place aux personnes âgées si tout ce qui les entoure est inadapté ?
Notre société se doit d'être accueillante.
En tant que ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, je suis attachée au maintien du lien, notamment du lien entre les générations, et à la promotion d'un pacte social qui intègre, et non exclut.
Ainsi donc, la dépendance n'est pas une fatalité.
Pour autant, oui, la dépendance existe.
Tout le monde est ou sera concerné, parce que nous avons tous, dans notre entourage, une personne dépendante, ou qui s'occupe d'un proche dépendant.
De ce point de vue, la dépendance est un défi.
Elle est un défi pour aujourd'hui et pour demain. Elle est un défi humain, un défi de société, un défi financier.
Le propre de la dépendance, en effet, est précisément d'être un appel à l'autre, dont on requiert l'aide, la solidarité et la protection.
A cet appel, nous devons impérativement répondre.
La dépendance, je le disais, est un défi pour demain, parce qu'avec le vieillissement de la population et l'augmentation de la prévalence des maladies chroniques, la part des personnes en situation de dépendance va croître elle aussi.
Nous avons, de ce point de vue, comme le Président de la République l'a exprimé, un devoir d'anticipation.
Mais la dépendance est aussi un défi pour aujourd'hui, car il existe, d'ores et déjà, des situations difficiles et douloureuses.
Les premières difficultés sont, bien entendu, celles que rencontrent les personnes dépendantes et leurs familles. Chacun imagine les bouleversements que représente la dépendance sur les vies et les liens affectifs.
Les difficultés sont aussi d'ordre matériel, pratique, dès lors qu'une nouvelle organisation doit être mise en place. A qui s'adresser ? Comment trouver un établissement adapté, ou des personnels qualifiés en cas de maintien à domicile ?
Elles sont également financières, puisque le reste à charge, notamment en établissement et pour les personnes les plus dépendantes, peut être important. Rappelons-nous que le tarif d'hébergement moyen en établissement est de l'ordre de 1750 euros par mois, et peut être nettement plus élevé en région parisienne. Il doit être comparé au montant de la retraite, qui est en moyenne de 1400 euros par mois et atteint environ 1000 euros en moyenne pour les femmes, qui représentent les ¾ des résidents.
Les difficultés sont enfin psychologiques, parce que la perte d'autonomie implique une modification des rôles, l'appropriation d'une nouvelle place. L'époux ou le père dont je m'occupe, est-il encore pleinement mon mari ou mon père ?
Il est d'ailleurs intéressant, lorsque l'on interroge les Français, de constater que la question du reste à charge n'est pas leur première préoccupation. Leurs craintes portent davantage sur l'impact de la dépendance sur leur vie quotidienne, et surtout la charge psychologique et émotionnelle qu'elle représente.
Notre société doit trouver des solutions pour les personnes âgées, mais aussi pour leurs proches. Combien de femmes, après avoir élevé leurs enfants et mis bien souvent leur carrière de côté, se retrouvent-elles confrontées à la dépendance de leurs parents ou beaux-parents, à l'âge où elles auraient voulu, enfin, profiter de la vie et s'occuper d'elles ? Je parle de femmes car ce sont elles, qui, en très grande majorité, jouent le rôle d'aidants.
C'est à elles aussi que nous devons penser, pour préserver leur santé, leur vie familiale et leur activité professionnelle.
Notre société doit donc trouver des solutions pérennes à ces difficultés actuelles.
Les enjeux, quels sont-ils ? Ils sont financiers, certes, mais surtout et fondamentalement sociaux et humains.
Ils nous imposent d'aborder cette réflexion avec responsabilité et lucidité.
Vous le voyez : les questions qui se posent à nous sont nombreuses et appelleront, vraisemblablement, des réponses multiples.
Comment favoriser le maintien à domicile, que la très grande majorité d'entre nous veut privilégier ?
Quelle offre de soins et de structures voulons-nous développer ? Le coût de l'hébergement en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) est difficilement supportable pour beaucoup de nos concitoyens. Comment faire baisser ce coût ? Sommes-nous prêts à diminuer la taille des chambres ou à réduire la qualité des services ?
Pour prendre en charge la dépendance, faut-il faire prévaloir la solidarité nationale, la solidarité familiale ou la prévoyance individuelle ou collective ?
Certains préconisent d'augmenter les prélèvements sociaux, par exemple la CSG : soit de manière généralisée, soit sur les retraités, dont le taux de CSG est plus faible que les actifs. Mais renforcer la solidarité nationale n'est pas neutre : en aucun cas, le « plus de solidarité nationale » ne doit se traduire par « moins de solidarités familiales ou naturelles », ni justifier les égoïsmes.
D'autres proposent plutôt un recours sur succession, soit par un gage individuel, soit via une hausse de la fiscalité sur la transmission du patrimoine.
De fait, la question peut être posée : est-il normal qu'une personne disposant d'un patrimoine élevé soit entièrement prise en charge par la solidarité nationale ? A l'inverse, nous le savons bien, la perspective de priver ses enfants d'une partie du patrimoine que l'on a acquis, parfois durement, toute sa vie, conduit certains à refuser la prise en charge qui serait pourtant nécessaire. Comment expliquer, par ailleurs, que, si mon parent décède d'un cancer à l'hôpital, son patrimoine ne sera pas mis à contribution, alors qu'il le sera si, atteint de la maladie d'Alzheimer, il décède dans un EHPAD ?
D'autres encore suggèrent de développer la prévoyance individuelle, en donnant, par exemple, une place plus grande aux mutuelles ou assurances, comme cela existe déjà pour les dépenses de santé ou pour la retraite. Les Français comprennent bien, dans ces deux domaines, le recours aux mutuelles. Serait-ce complètement choquant d'imaginer la même chose pour la dépendance, c'est-à-dire une solution qui combine solidarité nationale et prévoyance ?
Plusieurs pistes s'offrent à nous. Nous pouvons, nous devons les examiner ensemble.
Comme l'a dit, le Président de la République, aucune piste ne devra être écartée du débat, à l'exception de deux voies qu'il a fermées : celle de l'endettement et celle de la taxation du travail.
Etudier toutes les pistes : c'est tout le sens du grand débat national que le Président de la République a souhaité ouvrir et qu'il m'a chargée de conduire.
Mais que faut-il entendre, très exactement, derrière cette notion de grand débat national ? De quelle manière va-t-il s'organiser ?
Je tiens, d'abord, à insister sur l'aspect participatif de cette concertation. Je crois, en effet, aux vertus du débat public, dès lors qu'il est informé et nourri des expériences et des pratiques de chacun.
Il est important, à cet égard, que chaque citoyen participe de façon pleine et entière à un débat qui ne devra pas être confisqué par les experts, ni être réduit à ses seuls aspects financiers.
Nous avons là une occasion unique de réfléchir, ensemble, à l'avenir de la prise en charge de la perte d'autonomie. Une occasion, par là-même, de redessiner les contours de notre projet de société.
Nous ne partons pas de rien, bien au contraire.
Je veux rappeler, en effet, que notre société consacre déjà 25 milliards d'euros à la prise en charge de la dépendance, dont 5 milliards par les départements.
L'engagement de l'Etat est donc un engagement fort.
Quant aux départements, vous le savez bien, ce sont eux qui versent l'APA, l'aide personnalisée d'autonomie. Cette aide bénéficie aujourd'hui à 1 174 000 personnes pour un montant moyen de 500 euros par mois et permet, par exemple, de financer une aide ménagère.
C'est donc avec sérénité que ce débat doit être abordé, puisque l'effort de notre collectivité est déjà conséquent.
Nos discussions, pour ouvertes qu'elles soient, devront être guidées par quelques principes intangibles qui resteront, en quelque sorte, notre ligne de conduite.
Premier principe : le libre choix, pour les familles et pour les personnes en perte d'autonomie, entre le maintien à domicile et la prise en charge par des structures adaptées à leurs besoins. En aucun cas, le choix des familles et de leurs proches ne devra se faire par défaut.
Deuxième principe : une vigilance étroite sur la qualité des prises en charge. Cette exigence est presque une évidence, mais il me paraît important de la rappeler.
Troisième principe : un principe de responsabilité quant au financement. Il n'est pas question de reporter le financement sur les générations futures, au risque d'alourdir la dette.
Mais il s'agit de construire un modèle de prise en charge pour les 30 prochaines années. Cette élaboration ne saurait se réduire à ses aspects strictement financiers.
Car ce sont les contours de notre société, c'est notre projet commun, notre bien-vivre ensemble que nous définirons.
Ce modèle devra être pensé pour s'adapter aux ruptures de tendance dans les modes et les techniques de prise en charge, ainsi qu'aux changements de courbes, notamment démographiques.
Une fois ces principes affirmés, comment le débat va-t-il, concrètement, se dérouler ?
J'ai d'ores et déjà installé quatre groupes de travail thématiques, qui associeront l'ensemble des experts et des partenaires concernés - qu'ils soient élus nationaux et locaux, partenaires sociaux, associations, professionnels, médecins ou usagers. Certains d'entre vous en font partie.
Un premier groupe s'articulera autour de la thématique « Société et vieillissement », pour apprécier l'état de l'opinion sur la dépendance et le regard porté sur le vieillissement.
Un deuxième groupe sera chargé de réfléchir aux « Enjeux démographiques et financiers », c'est-à-dire d'évaluer la réalité et l'ampleur du phénomène de la dépendance et d'en estimer le coût macro-économique. Il est essentiel, en effet, que le constat et les perspectives soient partagés par tous.
Un troisième groupe, portant sur l' « Accueil et [l']accompagnement des personnes âgées », devra repenser la cohérence et l'accessibilité de l'offre de services proposée aux usagers, en établissements et à domicile, pour les personnes âgées dépendantes et leurs familles.
Un dernier groupe, intitulé « Stratégie pour la couverture de la dépendance des personnes âgées », consacrera ses travaux à la gouvernance et aux modes de prise en charge de la perte d'autonomie. Il aura notamment vocation à établir un état des lieux et à proposer les évolutions possibles de la répartition de la charge financière liée à la dépendance.
Parallèlement à ces groupes de travail, des débats auront lieu en région, organisés conjointement par les préfets de région et par les directeurs généraux des agences régionales de santé.
Ces rencontres citoyennes seront à l'image de notre débat d'aujourd'hui : un moment d'écoute et d'échanges.
Après ces réunions régionales se tiendront quatre colloques interrégionaux thématiques, précédés de la mise en place de « groupes de parole » de citoyens.
Un site Internet dédié au débat national a été créé et permet de recueillir les contributions des internautes.
Au total, le débat devrait durer environ 6 mois et aboutir à l'été.
Vous le savez, le Président de la République a évoqué une « cinquième protection » pour la prise en charge de la dépendance. Cela n'implique pas nécessairement la constitution d'une nouvelle branche de la Sécurité sociale.
Une chose semble certaine : le cinquième élément de la protection sociale sera différent des quatre branches actuelles de la Sécurité Sociale.
Nous devons bâtir quelque chose d'original.
A vous, à nous, donc, d'imaginer, au cours de ces prochains mois, quelle sera, demain, la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées.
En la matière, soyez certains que le Gouvernement n'a pas de feuille de route établie, parce qu'il est et restera soucieux d'écouter et d'entendre.
Je le sais, la prise en charge de la perte d'autonomie est au coeur des préoccupations de la CNSA depuis plusieurs années déjà.
Dans vos rapports annuels de 2006 et 2007, vous avez souhaité contribuer, à travers un certain nombre de réflexions prospectives relatives à un « cinquième risque », à l'élaboration d'une solidarité nouvelle pour compenser la perte d'autonomie et pour assurer l'accompagnement qui s'impose en certaines circonstances de la vie.
C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai pris connaissance de vos propositions et je ne doute pas qu'elles nourriront de manière féconde la réflexion que nous avons engagée.
Ces propositions, vous les articulez autour de grands principes, sur lesquels je voudrais revenir en quelques mots.
Premier principe : une convergence sans confusion.
Sur ce sujet, je le dis : la priorité du Gouvernement est bien, aujourd'hui, de traiter la perte d'autonomie des personnes âgées.
Pour autant, je souhaite que les personnes handicapées participent pleinement à la préparation de cette réforme et, en cela, la CNSA a un rôle central à jouer.
Parce que de nombreuses problématiques sont communes, notamment la place et le rôle des aidants, ou la question de l'accessibilité, les personnes handicapées bénéficieront ainsi des avancées de cette réforme.
J'ajoute que les personnes handicapées sont également confrontées au vieillissement et à la perte d'autonomie liée à l'âge. Cette question devra être abordée dans le débat qu'a voulu le Président de la République.
Deuxième principe : une réponse de proximité.
C'est un principe que je partage et, comme vous, je sais le rôle crucial que jouent les conseils généraux.
Pour autant, nous le savons bien, il existe des disparités d'un territoire à l'autre, en défaveur, en particulier, des zones rurales.
La Creuse cumule ainsi le taux le plus élevé de personnes âgées de plus de 75 ans - 15 %, contre 9 % en moyenne - et le plus faible taux de personnes payant l'impôt sur le revenu - 43 %, contre 53 % en moyenne.
C'est pourquoi, vous en conviendrez avec moi - et c'est votre troisième principe -, sans verser pour autant dans la gestion centralisée et technocratique, il faut garantir une égalité de traitement sur tout le territoire.
Quatrième principe, enfin : une gouvernance qui s'appuie sur une confiance partagée.
Pour mettre en oeuvre ces principes, vous proposez différentes pistes comme, par exemple, la création d'un droit universel de compensation pour l'autonomie ou la redéfinition des fonctions de gouvernance nationale au service de l'action locale.
Je sais que vous avez également mené un travail intéressant pour voir de quelle manière créer une meilleure coordination entre l'APA et l'assurance privée. Ce travail sera versé au débat, sans préjuger des décisions qui en résulteront.
Des avancées ont déjà eu lieu, grâce au groupe de travail que vous avez mis en place sur l'évaluation des situations de perte d'autonomie des personnes âgées. Il a notamment permis d'élaborer un langage commun et partagé par tous les acteurs. C'est un travail particulièrement utile auquel je veux rendre l'hommage qu'il mérite.
Plus largement, je veux le dire : la CNSA est pleinement associée au débat citoyen qui s'engage. Nombre d'entre vous font ainsi partie des groupes de travail que nous avons lancés.
Vous le savez, parmi les sujets sur lesquels devra porter la réforme, figure la gouvernance du risque.
Vous êtes donc concernés au premier chef et nous devrons réfléchir collectivement aux évolutions à donner à cette gouvernance.
Le Président de la République l'a dit : les partenaires sociaux ne sauraient être exclus du pilotage, de la surveillance et du contrôle du système de prise en charge de la dépendance, quel qu'il soit. Il faudra y associer d'autres acteurs, comme les départements, dont le rôle est majeur.
Avec la dépendance, c'est donc une nouvelle forme de paritarisme qui doit voir le jour, une nouvelle forme de paritarisme que nous allons inventer.
Le Président de la République a été très clair sur ce point : en aucun cas, la réforme de la dépendance ne vise à privatiser l'Assurance maladie.
Car ne nous y trompons pas : en assurant le lien entre les décisions politiques et leur application concrète, la CNSA joue un rôle central et elle doit continuer à pouvoir le faire dans les meilleures conditions.
Les différents rapports parlementaires qui ont été remis s'accordent à le dire : la CNSA est un précieux outil et, en son sein, vous accomplissez un travail remarquable.
Pour autant, des évolutions positives ont été proposées. Elles méritent d'être discutées, en concertation avec vous toutes et vous tous.
Doit-on faire évoluer la composition de la CNSA ? Faut-il renforcer son rôle ? : telles sont quelques-unes des pistes qui pourraient être explorées.
Vous l'aurez compris : à ce stade, je n'ai pas l'intention de vous présenter des pistes que je privilégierais plus que d'autres.
Je suis venue à votre rencontre, pour vous écouter et échanger avec vous.
C'est pourquoi, à présent, je vous rends bien volontiers la parole.Source http://www.dependance.gouv.fr, le 23 février 2011