Entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "France-Info" le 25 février 2011, sur les rumeurs de sa démission, l'initiative franco-britannique à l'ONU face à l'offensive meurtrière du colonel Kadhafi contre sa population, le processus de paix au Proche-Orient, et la diplomatie française face aux "printemps" arabes.

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Média : France Info

Texte intégral

Q - Le ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, est en direct ce matin avec nous, bonjour.
R - Bonjour
Q - Merci d’être là. Je suppose que vous avez lu la presse comme nous ce matin.
R - Pas dans son intégralité. Je n’ai pas eu le temps.
Q - Vous avez rencontré Nicolas Sarkozy hier. Est-ce que vous avez proposé votre démission ? Est-ce que vous restez Michèle Alliot-Marie?
R - Ecoutez, ma devise est bien faire et laisser dire. Alors c’est vrai que depuis des semaines, il y a des polémiques, il y a des rumeurs, il y a des attaques et ceci est très désagréable, et encore plus quand sa propre famille est visée. Mais je m’en suis expliquée. Il n’y a eu aucune action illégale ni aucune action fautive, d’ailleurs le président de la République l’a dit lui-même. Je ne reviendrai donc pas là-dessus. Aujourd’hui, je travaille. Vous savez, je suis arrivée avant-hier du Brésil. J’ai dit au président de la République ce qui c’était passé, notamment dans l’entretien très dense que j’ai eu avec la présidente du Brésil.
Q - C’est pour cette raison que vous étiez hier à l’Elysée ?
R - Bien sûr, c’est pour cette raison que j’y étais. Dans moins d’une heure, je pars au Koweït. Lundi, je serai à Genève devant le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies où je dois faire un discours important. Vous voyez, je suis au travail. Hier, j’étais aussi, une partie de la journée, en liaison avec la cellule de crise pour l’évacuation des Français de Libye. Nous avons évacué près de 500 Français au cours de ces derniers jours, compte tenu de la situation en Libye. Il y a largement de quoi m’occuper.
Q - Pendant que vous étiez au Brésil, Alain Juppé, lui, hier matin, était sur France Inter. Il s’est exprimé. C’est vrai que l’on a tous eu un petit peu le sentiment finalement qu’il faisait le travail à votre place. Quand on lui demande à lui si vous êtes sur le départ, voila ce qu’il répond :
(Extrait :
M. Juppé : la réponse est très claire. C’est au président de la République, au Premier ministre et à l’intéressée elle-même d’en décider.
Q - A mon avis, quand on répond cela, c’est qu’il y a un problème. C’est mon décryptage, c’était mon sous-titre.
M. Juppé - C’est formidable, les interprétations arrivent comme cela, je ne vais pas commenter indéfiniment tout ce qui concerne Michèle Alliot-Marie. C’est une femme de qualité. J’ai dit moi-même qu’elle a commis des maladresses. Qui n’en commet pas ? Aujourd’hui il appartient aux autorités compétentes de l’Etat d’en tirer les conséquences si elles le souhaitent. Ce n’est pas à moi de le faire.)
Q - Alors puisque ce n’est pas à lui de le faire, c’est à vous évidemment Michèle Alliot-Marie. Vous ne souhaitez pas, vous n’allez pas quitter le Quai d’Orsay ? Je repose ma question, certes, mais c’est vrai qu’il y a un remaniement express qui est souhaité, envisagé. Les parlementaires en parlent, ils l’ont dit hier visiblement au chef de l’Etat.
R - Ecoutez, les rumeurs ne m’intéressent pas. Encore une fois, je suis au travail, au Quai d’Orsay. Il y a beaucoup de choses à faire. Il se passe des tas de choses dans le monde et c’est de ma responsabilité de tenir la maison pendant ce temps-là…
Q - Mais vous n’avez pas déposé votre démission ?
R - … D’essayer d’améliorer la situation. Il y a plein de choses à dire, vous savez, en dehors des commentaires sur des rumeurs.
Q - On va les dire ces choses, notamment sur la Libye. Le Conseil de sécurité de l’ONU doit se réunir aujourd’hui à nouveau pour évoquer la situation en Libye. C’est vrai que l’on a vu le ton changer depuis lundi. On a d’abord parlé d’arrêt des violences, d’une condamnation puis de menace de sanctions. Est-ce qu’il y a aujourd’hui une intervention militaire qui peut, qui doit être envisagée en Libye ?
R - Cela ne se passe pas exactement comme cela, vous savez. C’est vrai que la situation en Libye est particulièrement dramatique et après les appels au meurtre du colonel Kadhafi, il est évident que l’on ne peut pas se contenter simplement d’avoir des propos lénifiants. La situation est absolument dramatique et même si nous n’avons pas aujourd’hui de certitudes sur le nombre exact des victimes, tout indique qu’elles sont plusieurs centaines. Il ne peut donc pas y avoir d’impunité sur ces choses. Alors, vous l’avez dit, c’est la raison pour laquelle on a décidé de passer aux actes et, notamment, c’est à l’initiative de la France et à la demande du président de la République que le Conseil de sécurité des Nations unies se réunira aujourd’hui à 15h, heure de New York.
Q - Il y a un projet ? Un projet franco-britannique ?
R - Absolument. Il y a un projet franco-britannique dans lequel nous avons demandé effectivement que la résolution prévoit, à la fois, un embargo total sur les armes, des sanctions et également la saisine de la Cour pénale internationale.
Q - Pour crime contre l’humanité ?
R - Pour crime contre l’humanité. Il est évident qu’aujourd’hui, la situation est très grave. Il faut absolument que la Cour pénale internationale soit aussi saisie, c’est un signal très fort à donner. Nous ne pouvons plus nous contenter de discours, il faut des actes et c’est ce que nous attendons de cette résolution des Nations unies.
Q - Vous évoquiez des sanctions à l’instant, Michèle Alliot-Marie. Quel type de sanctions ? Vous parliez d’un embargo, certes, mais quand on parle de sanctions, on attend quelque chose de plus musclé.
R - Absolument. Embargo n’est pas sanction. La sanction, cela peut être une sanction portant d’abord sur des personnes avec en particulier des interdictions de pouvoir aller dans un certain nombre de pays. Ce peut être des sanctions financières et puis c’est aussi la saisine de la Cour pénale internationale qui, elle, va pouvoir mettre en œuvre une procédure et effectivement appliquer des sanctions pour crime.
Q - Est-il, comme certains le souhaitent possible, envisageable, que le Conseil de sécurité de l’ONU fasse interdire l’espace aérien, c’est quelque chose qui avait été fait, en Irak notamment. Le souhaitez-vous ?
R - Ecoutez, je crois qu’il faut d’abord voir dans quelles conditions, parce qu’il y a encore des étrangers qui se trouvent en Libye et qui doivent être évacués. La France a pris la décision d’évacuer ses ressortissants. J’ai fait, par le biais de l’ambassade, regrouper les personnes et j’ai demandé l’envoi d’avions militaires qui ont pu récupérer un grand nombre de Français, nous avons également des navires qui sont à proximité, on a d’ailleurs récupéré des Français et un certain nombre d’étrangers, donc il faut d’abord que l’on puisse mener à bien ces opérations, et ensuite il faudra essayer d’agir.
Q - Donc ce n’est pas exclu, mais pas pour l’instant ?
R - Ce n’est pas exclu. C’est au regard de la situation qui bouge d’heure en heure et sur laquelle nous avons un regard particulièrement attentif.
Q - Il se dit que l’ONU va se réunir mais ne va pas prendre de décision aujourd’hui. Etes-vous favorable à ce qu’il y ait, à l’issue de cette réunion, des actes forts de posés ?
R - Absolument, je souhaite effectivement qu’il puisse y avoir une résolution forte et je souhaite que l’on puisse ne pas se contenter, encore une fois face aux appels aux meurtres qui ont été énoncés par le colonel Kadhafi, passer à un autre système, mais à quelque chose de beaucoup plus contraignant.
Q - Vous rencontrez lundi à Genève Hillary Clinton ?
R - Absolument, nous allons parler avec Hillary Clinton de la situation en Libye, bien entendu, et probablement aussi du processus de paix au Proche-Orient puisque je m’y suis rendue il y a quelques semaines. Nous nous entretenons régulièrement avec Hillary Clinton en espérant pouvoir bouger un peu les choses, notamment après une certaine stabilisation de la situation en Egypte. J’avais dit aux dirigeants israéliens, quand je m’y suis rendue juste avant les événements en Egypte, que, quand il y a un créneau pour faire la paix, il faut absolument le saisir parce qu’on ne sait jamais ce qui peut se passer après. Quelques jours après, effectivement, il y a eu la situation en Egypte qui a beaucoup inquiété là-bas. Aujourd’hui, nous avons un gouvernement certes provisoire, mais qui a décidé de respecter les engagements internationaux, c’est-à-dire y compris la paix qui avait été signée avec Israël. Je pense qu’il faut faire avancer le dossier maintenant, selon les principes qui ont toujours été rappelés par la France et que j’avais rappelés à mes interlocuteurs israéliens, c’est-à-dire la création d’un Etat palestinien, la garantie de la sécurité pour Israël et Jérusalem comme capitale des deux Etats.
Q - Vous parliez il y a un instant de l’Egypte, de la Tunisie également. C’est vrai que depuis que les révoltes se sont mises en marche dans les pays arabes, on a beaucoup parlé de la manière dont la France avait géré ces affaires et notamment cette tribune parue dans le Monde qui a peut-être pointé plus du doigt la façon dont la France avait, pour certains diplomates, mal géré la situation. On s’est trompé, Michèle Alliot-Marie ? On a parlé avec les régimes, plutôt que de parler avec les peuples ? On a fait des erreurs ?
R - Je voudrais d’abord dire une chose. Ce n’est pas parce que des propos sont publiés anonymement dans un journal qu’ils sont exacts. Ce que je veux dire, c’est que dans l’analyse de la situation, sur la Tunisie comme sur l’Egypte, personne n’a rien vu venir.
Q - Cela témoigne d’un malaise malgré tout…
R - Personne n’a rien vu venir, et donc on ne peut pas plus attaquer la diplomatie française, qu’on attaque la diplomatie américaine, qu’on attaque la diplomatie britannique… Cela, c’est la première des choses.
Q - Ils reprochent à la diplomatie d’être trop gérée depuis l’Elysée…
R - Non, écoutez, je crois que le président de la République fixe la feuille de route et donne une impulsion sur la politique étrangère. Je rappelle qu’il a assuré la présidence de l’Union européenne d’une façon qui a été saluée par tout le monde et où il y a eu de vraies avancées. Imaginez qu’il n’ait pas été là à la présidence de l’Union européenne au moment où la crise monétaire et financière est apparue. C’est lui qui a fait prendre les premières mesures qui ont évité la catastrophe. De la même façon, pour la Géorgie, c’est le président de la République qui a mené cette action. Donc arrêtons de critiquer. Il y a aujourd’hui une organisation de la diplomatie qui est différente de celle d’il y a vingt ou trente ans, parce qu’aujourd’hui les chefs d’Etats se parlent, parce que les Premiers ministres se rencontrent et la diplomatie doit être beaucoup plus une aide à la décision et avoir une vraie prospective.
Q - Même si on parle avec des chefs d’Etat qui sont parfois des dictateurs ?
R - Il y a des principes. Nous sommes amis avec les peuples, ce sont les peuples qui choisissent leurs dirigeants et nous parlons avec ces dirigeants. Nous ne faisons pas d’ingérence. Ce qu’il faut bien rappeler, c’est que la diplomatie française parle avec des dirigeants tels qu’ils sont, nous ne pouvons pas faire autrement, cela ne l’empêche pas de passer des messages, des messages forts, notamment sur la nécessité de respecter la démocratie, les droits de l’Homme et les libertés. D’ailleurs si vous n’avez pas de rencontres avec les gens, comment faire passer les messages ? C’est cela aussi qu’il faut voir.
Q - Merci Michèle Alliot-Marie d’avoir été avec nous.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 février 2011