Déclaration de M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, notamment sur l'évolution politique dans les pays arabes et l'aide au développement en faveur de l'Afrique, à l'Assemblée nationale le 2 mars 2011.

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Texte intégral

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Députés, je me félicite des conditions dans lesquelles ce débat s’est déroulé tout au long de l’après-midi, d’une manière qui honore l’Assemblée nationale. Au nom du gouvernement, j’apporterai, sinon à la totalité, du moins à la plupart d’entre vous des réponses aux préoccupations que vous avez exprimées.
Tout d’abord, je vous remercie de partager cette passion pour l’Afrique qui habite notre pays depuis longtemps et qui l’habitera longtemps encore.
Je comprends parfaitement le souhait du président Jean-Marc Ayrault que fût présent le ministre des Affaires étrangères et européennes. À l’heure où nous sommes réunis, M. Juppé reçoit son homologue de l’Afrique du Sud. En outre, le président de la République d’Afrique du Sud et le président de la République française ont rendez-vous à dix-sept heures. Ce qui m’avait amené à indiquer à l’Assemblée nationale que, si elle le souhaitait, le débat pouvait être organisé différemment afin de permettre au ministre des Affaires étrangères d’y participer. L’Assemblée n’a pas souhaité modifier - ce qui me paraît tout à fait légitime - l’organisation de ses travaux. M. Juppé n’ayant pas, cependant, le don d’ubiquité, vous devrez vous contenter du ministre chargé de la Coopération, ce dont je m’excuse auprès de vous.
Comme pour vous, l’Afrique représente pour le gouvernement un continent absolument essentiel. Il s’agit d’un continent d’avenir, vous êtes très nombreux à l’avoir souligné. C’est un thème majeur de la diplomatie française. Toutefois, il est évident que la nature des enjeux a profondément évoluée.
Notre échange devait, je pense, se concentrer plus particulièrement sur l’Afrique subsaharienne, mais l’actualité nous conduit à appréhender le continent africain dans son ensemble, comme y ont insisté M. le Président Ayrault et M. Lecoq.
C’est pourquoi je souhaite d’emblée évoquer les bouleversements en cours sur la rive sud de la Méditerranée, qui portent en germe un espoir démocratique fort, que le gouvernement français souhaite voir aboutir rapidement et dans les meilleures conditions possibles pour le bonheur des peuples, qui le méritent.
Nous sommes face à un mouvement historique, sans doute relativement différent - nonobstant les points communs - selon les pays. Il nous appartient de l’accompagner afin de conjurer toute régression.
Les changements intervenus en Tunisie et en Égypte, ceux qui sont en train d’avoir lieu en Libye et dans bien d’autres pays, les revendications qui s’expriment dans toute la région, nécessitent d’adapter nos interventions, notre coopération et nos partenariats.
Face à cette évolution historique, il convient - je tiens à le dire en réponse à certaines interventions -, de rester modeste. Faire des commentaires sur l’histoire en marche, c’est plus facile après qu’avant !
En la matière, je peux vous assurer que le gouvernement français fait preuve d’une grande humilité.
Dans ces pays où les jeunes de moins de vingt-cinq ans sont majoritaires, la désespérance est tout autant nourrie du manque de débouchés professionnels des jeunes diplômés que des retards de développement proprement dits et des problèmes de gouvernance. Ces sociétés aspirent - et c’est heureux - à plus de liberté, à une plus grande ouverture et au plein bénéfice des apports de la mondialisation.
Monsieur Hunault, 80 % des demandes des étudiants maghrébins sont satisfaites et donnent lieu à un visa de longue durée pour étudier en France. Nous ne souhaitons pas du tout que la France «pompe» les jeunes étudiants au détriment des pays concernés, nous sommes tout à fait favorables à ce qu’ils retournent dans leurs pays ou dans d’autres pour y exercer leurs talents, comme je l’ai constaté en visitant un remarquable institut de formation dans le domaine de l’eau et de l’environnement au Burkina Faso.
S’agissant de la Tunisie et de l’Égypte, la transition est aujourd’hui engagée. Cette transition est, par définition, difficile et risquée. Nous voyons bien ce qui se passe chaque jour en Tunisie. Il y a toujours des risques de violence - qui peuvent d’ailleurs être alimentés par des nostalgiques de l’ancien régime ou des provocateurs -, des risques économiques de désorganisation de l’appareil productif et de chutes de recettes, notamment en Tunisie, et des risques politiques, en raison de l’impatience des peuples, qui attendent depuis longtemps et qui craignent qu’on leur «capte» leur révolution.
La position de la France consiste à être aux côtés de nos amis, mais nous n’avons pas à leur dire ce qu’ils doivent faire. Soyons à leur écoute, voyons avec eux quelles sont leurs priorités, pour que nous puissions mobiliser nos énergies, nos compétences, nos moyens, mais aussi ceux de l’Union européenne, de façon que la transition se déroule le mieux possible, avec en vue l’organisation de l’avenir des peuples concernés.
C’est d’ailleurs la nouvelle vision de la politique africaine de la France. Je regrette que certains orateurs de l’opposition aient une conception ancienne de la façon dont nous agissons. J’y reviendrai.
Christine Lagarde et Laurent Wauquiez se sont rendus à Tunis, et le ministre d’État a indiqué cet après-midi qu’il serait en Égypte samedi et dimanche. La France est présente sur le terrain dans les pays concernés, sans s’imposer, sans avoir la prétention de donner des leçons, mais simplement pour faire part de sa disponibilité, de son sens de l’écoute et de l’appui qu’elle apporte à ces pays.
Voilà ce que je souhaitais dire sur ces événements.
Mesdames et Messieurs les Députés, la France comme l’Union européenne n’entendent pas rester sans agir. Notre coopération globale s’efforce de soutenir la croissance et l’emploi, d’accompagner les mutations sociales, de renforcer la cohésion.
Les engagements de l’AFD ont presque doublé sur trois ans dans ce secteur géographique. Ces engagements sont passés de 775 millions d’euros de prêts en 2007 à 1,3 milliard d’euros de prêts fin 2010.
Une facilité d’investissement, par l’intermédiaire de la FISEM, dotée de 250 millions d’euros, a été créée par l’AFD en 2009 pour appuyer les petites et moyennes entreprises.
La Caisse des dépôts a pris l’initiative, avec d’autres partenaires, de constituer un fonds de financement des projets d’infrastructures, doté de 385 millions d’euros. Une part essentielle de ces crédits est consacrée à la fourniture en eau et électricité des populations tunisiennes et marocaines qui n’en auraient pas encore aujourd’hui.
L’Union européenne consent des prêts aux pays de la Méditerranée dans une proportion similaire - 1,3 milliard d’euros par an - et accorde 1 milliard de dons au titre de sa politique de voisinage.
M. Ayrault m’a interrogé sur la Libye. M. Juppé y est revenu pendant la séance des questions au gouvernement et j’indique après lui que, face à la poursuite de la répression brutale et sanglante, nous ne restons pas inactifs. Je rappellerai la décision du Conseil de sécurité du 22 février ainsi que la réunion du Conseil des droits de l’Homme du 25 février, et j’appelle également votre attention sur le fait que l’Union européenne a pris ses responsabilités en adoptant un texte ouvrant la voie à des sanctions, telles que des gels de fonds. La fourniture d’équipements de maintien de l’ordre est en cours de négociation. Nous souhaitons que tous ces dispositifs soient rapidement adoptés et appliqués.
Si ces mesures se révèlent insuffisantes pour obliger M. Kadhafi à cesser la répression et à partir, il faudra que la communauté internationale aille plus loin pour marquer sa détermination. Mais vous savez quelle est la position de la France quant à la perspective, évoquée par certains, d’un recours à une opération militaire : il faut naturellement être extrêmement prudent. Là aussi, M. Juppé a apporté les réponses appropriées lors de la séance des questions au gouvernement de cet après-midi.
L’action de coopération que nous conduisons depuis des années avec nos partenaires européens vise à faire de la Méditerranée un espace économique attractif et à renforcer l’intégration régionale, le développement social et le dialogue culturel au bénéfice des peuples. Telle est l’ambition de l’Union pour la Méditerranée. Un certain nombre d’entre vous ont évoqué celle-ci. Le ministre d’État l’a déclaré au début de cet après-midi : il nous revient, à la lumière des évolutions qui se produisent sous nos yeux, de repenser le fonctionnement de l’Union pour la Méditerranée. Mais je crois que c’était une idée visionnaire et qu’il faut la reprendre ; il s’agit simplement de l’adapter aux circonstances pour donner les meilleures chances à ce secteur géographique de connaître, dans des conditions démocratiques satisfaisantes, des perspectives d’avenir réjouissantes pour tous ces peuples.
J’en viens à l’Afrique sub-saharienne. Oui, Monsieur Yves Censi, je suis bien d’accord avec vous : l’Europe et l’Afrique ont une communauté de destin. Nous n’avons pas attendu 2011 pour nous en apercevoir car c’est pour la France une zone stratégique pour quatre raisons que je veux développer ici - le président de la Commission des Affaires étrangères y a d’ailleurs lui-même fait référence.
La relation entre la France et l’Afrique est empreinte d’une grande proximité culturelle. Elle est ancienne, chacun le sait, mais la force de ces liens est très actuelle : elle s’inscrit dans l’identité nationale - je rappelle que 10 % de la population française peut revendiquer des origines africaines, et c’est très bien ainsi - et dans l’identité africaine à travers le rayonnement de la langue française, que vous avez vous-même évoqué, Monsieur Censi. L’avenir de la francophonie se joue prioritairement en Afrique. Aussi, je suis désolé que, dans certaines conférences internationales, les représentants de la France ne s’expriment pas dans la langue de Molière. Je peux vous assurer que je ferai remonter le taux d’intervention en français car il faut donner l’exemple. Pour ce qui concerne le gouvernement, toutes les discussions avec nos homologues se déroulent en français.
À l’échéance de quelques décennies, le nombre de locuteurs francophones devrait doubler. D’ores et déjà, le premier espace francophone est, avant même la France, la République démocratique du Congo. Je sais bien les soupçons qui naissent dans les esprits dès qu’il s’agit des intentions de la France quant à l’Afrique sub-saharienne, mais les rapports inégaux appartiennent à un passé révolu. Le changement de politique en la matière est réel, on peut le constater et le mesurer tous les jours. Je le rappelle en particulier à vous, Monsieur Cochet, car je ne me reconnais ni dans vos propos ni dans la définition que vous avez donnée de la politique française en matière de coopération, en particulier depuis 2007 et a fortiori en 2011. Je tiens à vous dire que cet ancien modèle, sur lequel vous avez insisté au début de votre intervention, ne correspond plus à la réalité, ni à l’évolution de la société, ni à l’organisation même des rapports qui doivent exister entre les États. C’est pourquoi la France et l’Afrique peuvent redéfinir leurs relations afin de contribuer, dans un monde qui bouge tous les jours, dans ce que l’on appelle la globalisation, à l’émergence d’un monde plus équilibré.
J’ai entendu prononcer le mot : «ingérence». L’heure est non pas à l’ingérence, mais à l’écoute, à l’échange, au partage, sans que nous ne soyons jamais indifférents aux grandes mutations que connaît le continent. C’est cette approche du président de la République qui permet un nouvel élan, un nouvel avenir pour la relation franco-africaine. Oui, nous le savons, l’Afrique est notre amie, mais c’est aussi notre voisine, à quatorze kilomètres de nos côtes. L’Europe a donc besoin d’une Afrique forte. À cet égard, je suis bien d’accord avec ce qu’a dit M. Bacquet et beaucoup d’autres parmi vous.
L’Afrique, M. Remiller l’a rappelé, a dépassé un milliard d’habitants. Et ce chiffre pourrait doubler d’ici à 2050. Mais depuis cinq ans, cela a aussi été relevé, elle connaît un taux de croissance économique en moyenne de 5 % à 6 %. C’est tout de même un signe qui est plutôt positif que négatif. N’en faisons évidemment pas un évènement miraculeux, mais soyons tout de même lucides sur ce point.
Voisine, disais-je, l’Afrique alimente quelques-uns des principaux défis pour notre sécurité, que ce soit le terrorisme dans le Sahel, le trafic de drogue, qui est en expansion, ou encore les flux migratoires. Notre ligne stratégique, politique et diplomatique a été clairement affichée, et à plusieurs reprises par les pouvoirs publics, singulièrement par le Premier ministre et par le président de la République. Elle est, je vous l’affirme, Mesdames, Messieurs les Députés, adaptée aux nouveaux enjeux du continent. Je n’en veux pour preuve que le discours du Cap, en février 2008, dans lequel le président de la République a fixé les orientations de notre politique africaine ; nous avons refondé notre relation vers un partenariat d’égal à égal, respectueux et décomplexé. Monsieur Lecoq, je tiens à vous assurer que je partage sur ce point ce que vous avez dit.
Nous ne nous désengageons pas de ce continent. Nous voulons accompagner l’Afrique en croissance, créatrice d’entreprises et génératrice d’emplois. C’est très important. Mais il en va de même que l’Afrique soit francophone, anglophone, lusophone ou arabophone. L’initiative du Cap vise à mobiliser 10 milliards d’euros sur cinq ans en faveur du secteur privé en Afrique grâce à la mise en place de fonds d’investissement et de fonds de garantie pour les PME et grâce au triplement du capital de PROPARCO. Cette politique permet déjà au Burkina Faso d’être aujourd’hui le premier exportateur de coton en Afrique de l’Ouest et à la Mauritanie de financer 14 % de son produit intérieur brut par la production minière. Voilà des exemples qu’il faut tout de même rappeler. Le président Ayrault suggérait de mettre en place un moratoire sur les subventions agricoles. Je note pour commencer que cette proposition n’est pas facile à concrétiser parce qu’elle doit s’inscrire dans un contexte multilatéral et global, que ce soit au niveau de l’Union européenne ou de l’Organisation mondiale du commerce.
Ensuite, je pose la question à l’Assemblée nationale : serait-ce bien le moment ? Je rappelle que le prix des matières premières agricoles flambe, et je me demande donc si c’est bien le moment de réduire en Europe les incitations à la production. Et puis, nous serons tous d’accord là-dessus, en raison même de l’évolution prévisible de la démographie en Afrique, il faudra que la production agricole, pour pouvoir nourrir le milliard d’habitants supplémentaires, augmente de 70 %.
En outre, nous révisons et rendons publics nos accords de partenariat de défense en vue d’acter notre changement d’approche : les soldats français ne doivent plus être entraînés dans des conflits internes. Nous avons élargi notre action vers les pays pré-émergents sans jamais renier nos amitiés traditionnelles. En ce moment même, la visite d’État à Paris du président de l’Afrique du Sud, M. Zuma, concrétise la relation privilégiée que nous entretenons avec ce grand partenaire, dans le cadre de la redéfinition de notre politique étrangère en Afrique sub-saharienne.
Monsieur Remiller, vous avez évoqué la question du défi énergétique pour ce pays. Ce sujet va être abordé avec les Sud-Africains dans la perspective de l’offre nucléaire française. Vous en êtes peut-être inquiet, Monsieur Cochet, mais nous, nous en sommes plutôt satisfaits. Le groupe G20 Développement, coprésidé par la France, constitue à cet égard une opportunité exceptionnelle pour échanger nos connaissances et défendre avec ce pays des sujets tels que l’énergie, les infrastructures ou la sécurité alimentaire. Nous sommes déterminés à faire de la Présidence française du G8 et du G20 l’occasion d’un plaidoyer fort en faveur d’une plus grande association de l’Afrique dans la gestion des enjeux mondiaux. Cela implique une réflexion sur la place de ce continent dans la gouvernance mondiale. À ce sujet, vous savez, Mesdames, Messieurs les Députés, que la France soutient avec beaucoup d’ardeur la présence de l’Afrique parmi les membres du Conseil permanent de sécurité. Le président de la République l’a redit au sommet de l’Union africaine, à Addis-Abeba. De plus, je rappelle qu’avec notre soutien, l’Afrique a obtenu en 2008 une chaise au conseil d’administration de la Banque mondiale, qu’un plan d’action en faveur du développement est porté par tous les membres du G20 et qu’une réflexion est menée sur les besoins de financement du développement, sur les Objectifs du Millénaire du développement et la protection des biens publics mondiaux, évalués aujourd’hui à 300 milliards d’euros. L’ampleur et l’urgence de ces besoins militent pour la recherche de moyens nouveaux alloués à l’aide publique au développement. Mais ces moyens nouveaux ne doivent pas se substituer à ceux qui existent ; ils doivent être stables, prévisibles et additionnels. Pour qu’ils puissent produire leurs effets, il faut qu’ils soient assis sur une assiette mondiale et, aussi bizarre que cela puisse paraître à certains - mais cela ne me paraît pas bizarre -, le gouvernement est d’accord avec M. Asensi : il est tout à fait normal que ceux qui profitent le plus de la mondialisation contribuent à réunir les financements nouveaux qui nous sont nécessaires pour répondre aux besoins nouveaux du continent africain.
Troisièmement, les actes que nous avons posés sont en cohérence avec notre ligne politique, comme le prouvent les positions que nous avons adoptées sur les dossiers de premier plan : pas d’ingérence, mais pas d’indifférence. Nous favorisons l’approche interrégionale, continentale ou internationale dans la gestion des transitions et des crises, pour la promotion de la démocratie et de l’État de droit. L’Union africaine et les communautés économiques régionales - la CDAO, la SADC, la CEEAC… - sont de plus en plus prégnantes et prennent la main dans la résolution des crises. Ainsi, la CDAO a joué un rôle déterminant au Liberia et en Sierra Leone. De même, en Somalie, l’Union africaine et la force de maintien de la paix agissent. Il faut se féliciter de l’appropriation par le continent africain de son destin. La France soutient tout à fait cet engagement de plus en plus fort. L’enjeu, nous le connaissons et nous le partageons : c’est l’enracinement de la démocratie en Afrique. À cet égard, nous constatons des évolutions plus ou moins positives selon les pays. Quoi qu’il en soit, nous œuvrons tous pour que progresse la démocratie, c’est-à-dire l’État de droit qui s’appuie sur un environnement sécuritaire stable et des perspectives d’évolution économique et sociale positives pour les populations.
Comme le monde arabe, l’Afrique subsaharienne vit aussi une période historique et porteuse d’espérance. Parmi les pays qui connaissent actuellement une période de transition sur le plan politique, citons Madagascar où la SADC est en première ligne afin de parvenir à une sortie de crise «malgacho-malgache», c’est-à-dire réalisée par et pour les Malgaches. Nous soutenons cette approche pragmatique, réaliste et la feuille de route qui a été présentée à toutes les mouvances politiques par l’ancien président du Mozambique, M. Chissano. Nous espérons qu’elle pourra être signée rapidement par le plus grand nombre possible de formations politiques.
Citons aussi le Niger où le premier tour des élections présidentielles s’est tenu dans le calme.
Citons encore la Guinée Conakry qui, après plus de cinquante ans de coups d’État successifs, s’est dotée d’un président démocratiquement élu, en grande partie grâce aux efforts déployés par la CEDEAO et l’OIF. Si la France doit se montrer ferme à l’égard de ceux qui font obstacle à l’expression du peuple, elle doit aussi être présente quand il s’agit de donner une prime à la démocratie, tout en portant un œil attentif sur le parachèvement du processus électoral.
Notons qu’au Soudan le référendum s’est déroulé dans des conditions satisfaisantes. La période de transition vers la création d’un nouveau pays - le cinquante-quatrième sur le continent - se passe bien pour le moment. Soyons prudents, mais aussi heureux et audacieux face à ces évolutions.
Dans les pays en crise, nous entendons poursuivre avec beaucoup de vigueur l’exercice de notre politique : défendre l’État de droit. Comment ne pas citer la Côte d’Ivoire, au premier rang de ces pays ? Ce qui se passe en Côte d’Ivoire est très important, et pas seulement pour les Ivoiriens : treize élections présidentielles vont se tenir au cours de l’année 2011 en Afrique et l’évolution de la situation en Côte d’Ivoire ne sera pas sans répercussions dans tel ou tel pays.
La France appuie toutes les démarches diplomatiques engagées dans ce pays. Je reconnais bien volontiers que, jusqu’à ce jour, elles n’ont pas produit les effets escomptés. La dernière en date, décidée lors de l’assemblée générale de l’Union africaine, a consisté à missionner cinq chefs d’État - notamment Jacob Zuma et Mohamed Ould Abdel Aziz, les présidents respectifs de l’Afrique du Sud et de la Mauritanie. N’ayant pas abouti dans le délai d’un mois qui avait été fixé, le panel des cinq chefs d’État s’est vu octroyer un mois supplémentaire. Espérons qu’il puisse parvenir à une solution car, pour nous comme pour la communauté internationale, les résultats du second tour des élections présidentielles en Côte d’Ivoire ne sauraient être remis en question. On ne peut pas l’accepter. Il ne saurait y avoir d’ambiguïté sur le sujet : M. Ouattara est le seul président élu démocratiquement de la Côte d’Ivoire.
Les parlementaires n’en doutent sûrement pas : il n’y a aucun déshonneur à perdre des élections - en démocratie, cela tourne - ; en revanche, il y a déshonneur à ne pas respecter le résultat des élections. Nous sommes là au cœur du débat. Face à cette situation d’enlisement, des sanctions financières ont été prises à l’égard de certaines personnes, et des mesures économiques sont adoptées en ce moment même. Il est vrai que l’on répugne toujours à appliquer de telles mesures économiques parce qu’elles assèchent la vie économique du pays et que les habitants en sont les premières victimes : les entreprises licencient leur personnel, l’approvisionnement n’est plus suffisant, etc. Compte tenu de ce qu’il a déjà subi depuis dix ans, le peuple ivoirien n’a pas besoin de cette nouvelle épreuve. Par votre intermédiaire, je voudrais que la France, exécutif et législatif réunis, manifeste sa solidarité à l’égard de tous les habitants de la Côte d’Ivoire.
Je tiens à condamner les affrontements et la violence qui sont parfaitement inadmissibles. Dans certains quartiers d’Abidjan - celui d’Abobo en particulier -, il y a beaucoup de violences, la tension est extrême et la situation peut encore se dégrader à tout instant. Il faut vraiment faire très attention.
Par ailleurs, nous renforçons nos partenariats avec les pays et les organisations afin de lutter contre certaines menaces. Dans la bande sahélo-saharienne, les actions d’AQMI ont ciblé plus particulièrement notre pays. La représentation nationale ne peut avoir oublié l’assassinat de nos deux jeunes compatriotes au mois de janvier. Si trois de nos otages ont heureusement été libérés à la fin de la semaine dernière, il en reste encore quatre dans cette zone, en plus des deux journalistes enlevés en Afghanistan et d’un autre compatriote en Somalie. Ayons une pensée pour ces sept otages et leurs familles.
C’est une vraie menace que nous prenons tous très au sérieux, en sachant que la réponse ne peut être seulement sécuritaire. Il doit y avoir un lien entre la politique de développement et la sécurité. Il faut aussi que les États concernés puissent réinstaller leur présence, peut-être d’une manière plus marquante, dans le nord de ce secteur géographique. Il faut aussi que l’on puisse créer de vrais pôles de développement et relancer l’agriculture et l’élevage, comme certains d’entre vous l’ont évoqué.
La France est engagée aux côtés de ces pays et de ceux de la sous-région pour combattre le terrorisme et accompagner le développement. Mesdames, Messieurs les Députés, je veux vous rappeler que, depuis 2008, nous avons consacré environ 350 millions d’euros au développement de cette seule zone, grâce notamment à l’Agence française de développement qui constitue un formidable outil de notre politique.
Je n’oublie pas le soutien que nous apportons à l’Union africaine en Somalie dans ses actions de lutte contre tous les trafics. Sur ces questions d’intérêt commun, nous plaidons pour la mise en place de politiques concertées, qui mobilisent des fonds européens - je sais qu’il s’agit d’une préoccupation de l’Assemblée nationale. La France joue son rôle dans la mobilisation de l’Union européenne sur les enjeux africains et elle obtient des résultats concrets.
Notre pays a fait de réelles propositions sur des sujets majeurs : il a été à l’origine de l’opération EUFOR au Tchad et au nord de la République centrafricaine, du lancement de l’opération navale Atalante au large des côtes somaliennes à compter de 2008 et de la création de la mission EUTM qui forme les troupes somaliennes en Ouganda.
Atalante a permis de réduire le nombre d’attaques de pirates, même si l’on en a dénombré encore quarante au cours des premiers mois de l’année 2010. Ces opérations sont doublées d’un appui de l’Union européenne à l’État de droit et au développement économique : 215 millions d’euros y ont été consacrés depuis 2009.
C’est aussi la Présidence française de l’Union européenne qui a permis au dossier sahélien d’enregistrer des avancées. À notre initiative, huit ministres européens ont cosigné une lettre demandant à Mme Ashton l’élaboration d’une stratégie politique de l’Union européenne au Sahel. La France a très largement contribué à l’élaboration de la réflexion au niveau de l’Union européenne. Nous espérons que la Haute représentante, Mme Ashton, pourra présenter la stratégie Sahel de l’Union européenne lors du conseil des ministres des affaires étrangères du 21 mars prochain. En tout cas, nous faisons pression pour que cette date puisse être préservée.
Quatrième et dernier point : face à ces nouveaux enjeux, nous avons tenu nos engagements et adapté nos aides. L’aide publique au développement reste un outil d’influence capital. Elle recouvre une dimension majeure de notre politique étrangère. Je précise à M. Asensi qu’elle ne baisse pas, qu’elle a même été préservée et atteint actuellement dix milliards d’euros. Nous avons tenu nos promesses en sanctuarisant notre aide publique au développement qui représente 0,5 % du revenu national brut, contre 0,3 % en moyenne dans l’OCDE…
Q - C’est faux ! Il faut enlever Wallis-et-Futuna et l’aide aux réfugiés !
R - Mais non, Monsieur Bacquet, le taux de 0,5 % de la France se compare au taux de 0,3 % de l’OCDE. Nous sommes donc largement au-dessus de la moyenne et si vous voulez bien me laisser terminer…
Q - Ce ne sont pas les mêmes critères !
R - Les mêmes critères sont appliqués par tous, vous ne pouvez pas les combattre ou les retenir selon que cela vous arrange ou non. Nous nous sommes engagés à atteindre un taux de 0,7 % et nous n’y sommes pas encore, nous le savons très bien.
Nous sommes passés d’une politique d’aide à une politique globale fondée sur le respect mutuel. L’Afrique - qui reçoit 60 % de notre aide - demeure notre priorité. Cet engagement est durable ; nous entendons le maintenir et si possible l’accentuer. La France se distingue des autres grands donateurs qui consacrent en moyenne un tiers de leur aide à l’Afrique. Précisons que nous allouons plus de la moitié de nos subventions à quatorze pays pauvres prioritaires.
S’agissant des aspects sectoriels, nous maintenons le cap afin de favoriser l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le développement et de réduire la pauvreté. Dans le secteur de la santé, nous allons contribuer à hauteur de 500 millions d’euros additionnels à l’amélioration de la santé maternelle et infantile.
Par ailleurs, la France est le deuxième bailleur du Fonds mondial de lutte contre le sida, avec un versement annuel de 300 millions d’euros qui va être porté à 360 millions d’euros. Si des malversations ont été découvertes dans la gestion de ce fonds, je relève qu’elles ont été détectées par ses propres organismes de contrôle, puis rendues publiques, ce qui témoigne de progrès en matière de transparence.
Aujourd’hui, 7 millions ont déjà été récupérés, et le Fonds est en train de se doter de procédures de contrôle financier encore beaucoup plus rigoureuses.
La France est le premier bailleur dans le secteur de l’éducation et accueille chaque année environ 100.000 étudiants africains. Sur le terrain, l’Agence Française de Développement consacre plus du tiers de ses dons à l’éducation de base et à la formation professionnelle.
Dans le secteur agricole et de la sécurité alimentaire, nous allons consacrer, entre 2008 et 2012, un milliard d’euros en direction de l’Afrique subsaharienne.
Nous soutenons également l’Afrique en croissance. J’ai mentionné l’initiative du Cap. Je signerai demain, au nom de notre pays, avec les représentants d’Afrique du Sud un document cadre de partenariat - DCP - sur la période 2011-2013 d’un montant d’un milliard d’euros concernant les infrastructures, le développement urbain, la formation professionnelle et le développement durable.
Enfin, comme le souhaite le Parlement, nous accentuons le rééquilibrage au profit d’une plus grande visibilité de la dimension bilatérale. Je confirme ce que j’ai dit devant la Commission des Affaires étrangères, lorsqu’elle a bien voulu me recevoir : en 2010, la part du bilatéral était à 55 %. Nous entendons la porter à 65 % d’ici à 2013. Cela passe par une hausse des subventions, une augmentation des bonifications et une nouvelle clé de répartition au niveau européen.
Monsieur Hunault, vous avez absolument raison : nous devons tout faire pour lutter contre la corruption, qui est un véritable cancer qui ronge de nombreux pays. Cette semaine, se tient à Paris la Conférence de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries extractives, que j’irai moi-même clôturer demain. Cet exemple montre que nous sommes actifs.
J’arrive à ma conclusion, Mesdames, Messieurs les Députés, en m’excusant d’avoir abusé de votre patience, voire de votre impatience.
Des bouleversements politiques, économiques et démographiques s’opèrent sous nos yeux. Oui, l’Afrique est bien le continent du XIXème siècle, celui qui construit son destin à sa mesure et à celle du monde, celui où va se jouer pour une part l’avenir de notre pays et celui de l’Europe. Selon que nous saurons accompagner ces mutations, elles peuvent être facteurs de risques ou d’immenses opportunités. Je suis sûr que, sur tous les bancs, nous voulons en faire un facteur d’opportunités. Nous avons pris, tous ensemble, le parti d’écouter les aspirations de la jeunesse. Nous adoptons une approche pragmatique, fondée sur le respect mutuel. Nous voulons rester modestes, humbles - ce qui ne veut pas dire dénués d’ambitions - face aux défis qui s’offrent à nous. Nous cherchons à nous doter d’outils flexibles. Nous rejetons les idées préconçues qui sont souvent paralysantes. Notre approche tient compte de la souveraineté des États, des réalités du terrain, des besoins exprimés par les peuples et des droits de l’Homme. Cette politique d’influence, nous la menons au quotidien grâce à une diplomatie de grande qualité.
Je veux rendre hommage à nos diplomates qui se consacrent, jour après jour, avec passion et dévouement, à leur très noble mission. Il faut faire très attention avant de jeter le discrédit sur les diplomates parce qu’ils participent, pour une large part, à la réflexion et à l’action de la France pour aujourd’hui et pour demain. Il faut donc les encourager.
Adaptons-nous, soyons mobiles, soyons réactifs par rapport aux événements et aux évolutions qui se font jour, sans jamais perdre de vue, Monsieur Lecoq, les valeurs humanistes que nous avons en partage, que nous défendons tous et auxquelles nous tenons tant : le droit et la liberté, l’appropriation africaine, le respect de chacun dans sa diversité, la solidarité fraternelle avec les peuples, la dignité des êtres humains. Voilà un vrai programme. Voilà un vrai projet politique. Les seuls éléments sur lesquels nous pouvons diverger, ce sont finalement les moyens pour tendre vers cet idéal. Ainsi, nous servirons la France. Ainsi, nous serons à la hauteur des enjeux pour l’Afrique. Faisons en sorte que les deux se conjuguent harmonieusement.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mars 2011