Entretien de M. Laurent Wauquiez, ministre des affaires européennes, à "France Info" le 2 mars 2011, sur la France et la communauté internationale face à la situation politique au sud de la Méditerranée et sur la question de l'islam en France.

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Média : France Info

Texte intégral


Q - La situation en Libye va faire l’objet d’un conseil européen extraordinaire le 11 mars prochain. C’est dans neuf jours, ce n’est pas un peu tard ; d’ici-là, la situation a le temps de changer ?
R - Alors, évidemment, on n’a pas attendu. Dès lundi, par exemple, à Genève, on se retrouvait avec un certain nombre de collègues européens, italien, allemand, anglais, pour évoquer la situation en Libye, et notamment notre préoccupation sur la situation humanitaire. Mais ce sommet européen, c’est une initiative française. Et la volonté de la France, c’est qu’il y ait une voix européenne qui soit portée sur la rive Sud de la Méditerranée. Evoquer la situation en Libye, mais plus largement la situation sur l’ensemble de la rive Sud. Finalement, de la même manière que ce qu’on a fait en Tunisie, le but de la France est de porter le sujet sur la scène européenne et de faire en sorte qu’il y ait une coordination européenne sur ces sujets.
Q - Alors, justement, on a l’impression que l’Europe a du mal à se coordonner, à parler d’une seule voix. Les pays sont divisés sur les solutions à apporter à ce qui se passe justement de l’autre côté de la Méditerranée.
R - Non, ne vous y trompez pas, je crois que, d’abord, il y a une unité de vue sur un point sur lequel la France a plaidé. On aura besoin d’un plan Marshall à la fois européen, mais plus largement, impliquant les Etats-Unis, les pays d’Asie, pour soutenir et stabiliser la rive Sud de la Méditerranée : nous avons une unité complète là-dessus. Deuxièmement, sur le sujet de la Libye : il y a une détermination totale de l’ensemble des pays européens à pousser Kadhafi dehors et à faire en sorte que cela ne se traduise pas par un bain de sang. Et puis, enfin, nous portons une très grande attention sur les questions d’immigration, et notamment les risques d’immigration illégale...
Q - Et là, il y a division.
R - Non, il n’y a pas division...
Q - L’Italie se sent bien seule en tout cas, c’est ce qu’elle dit.
R - La France est exactement sur la même position. Je crois d’abord qu’il faut bien qu’on comprenne le risque qui existe. La Libye, c’est l’entonnoir de l’Afrique : des pays comme le Liberia, comme la Somalie, comme l’Erythrée ont des flux d’immigration illégale qui passent par la Libye, c’est un vrai risque pour l’Europe. Ce dont on parle, ce ne sont pas quelques dizaines de milliers d’immigrants illégaux qui pourraient arriver en Europe, c’est potentiellement 200 à 300.000 personnes qui, sur l’année, pourraient chercher à franchir la Méditerranée en direction de l’Europe. C’est un sujet qui ne doit pas être sous-estimé. Et je le dis, le PS, sur ces questions, fait preuve d’un véritable angélisme. On est sur le thème de : «tout va bien Madame la Marquise». Hier, B. Hamon disait : «on doit accueillir tout le monde, et régulariser tout le monde, et accepter les réfugiés en Europe», c’est irresponsable. Et sur ce sujet-là, autant il y a de formidables opportunités, autant il y a aussi des risques, et je trouve qu’on a le retour un petit peu de la gauche «Bisounours», qui s’était disqualifiée exactement de la même manière sur les questions de sécurité en 2002, et qui, sur cette sous-estimation de la menace d’immigration illégale, a le même angélisme.
Q - Et on ne pourrait pas faire confiance aux Libyens et se dire que si le régime de Kadhafi tombe, le régime qui va lui succéder pourrait justement continuer à contenir cette immigration ?
R - C’est précisément pour ça qu’on doit équilibrer notre politique sur ces deux volets : aider la rive Sud de la Méditerranée, promouvoir leur développement.
Q - Comment ?
R - En investissant dans la démocratie, je crois que ça se résume très simplement...
Q - Mais ça, ça veut dire quoi ?
R - Cela veut dire, comme on l’a fait en Tunisie, travailler avec eux, les aider à investir dans la formation professionnelle, mettre en place un véritable office euro-méditerranéen pour la jeunesse, qui permet d’aider les jeunes qui habitent en Tunisie, en Libye, en Egypte, à faire leurs études en Europe, et ensuite les aider à revenir dans leur pays avec des vrais projets, qu’on soutiendrait financièrement. Le projet de l’Office européen pour la jeunesse c’est un très beau projet. Il y a également la question des infrastructures, le sujet des coopérations entre les PME ou des projets concrets qui sont portés par le biais de l’UPM. Par exemple les projets pour la dépollution de la Méditerranée et pour investir sur l’énergie solaire. La relance de l’Union pour la Méditerranée au niveau européen ne peut se faire que par des projets concrets comme ceux que je vous évoque. Parce que c’est cela dont, en ce moment, ils ont besoin : pas de grands discours, mais une diplomatie concrète d’actions.
Q - Et pour la Libye justement, qui doit agir ? Est-ce que cela doit se faire au niveau européen, au niveau de l’ONU. Les Etats-Unis, on le voit, sont déjà prêts à intervenir militairement. Comment ça doit se faire, quelle est votre préférence ?
R - Alors, d’abord, la première chose, c’est avoir la coordination maximale entre l’Europe et la scène mondiale notamment au niveau des Nations unies. Sur la Libye, cette détermination était très forte et commune. Par exemple, hier, l’Assemblée générale des Nations unies a décidé d’exclure la Libye du Conseil des droits de l’Homme. C’est assez rare, cela intervient très rarement...
Q - C’est rare, mais visiblement, ça ne fait pas peur à Kadhafi, ça.
R - Non, par contre, ce qui lui fait beaucoup plus peur, c’est la saisine de la Cour pénale internationale. Là aussi, c’est la première fois qu’il y a une unanimité entre la Chine, la Russie, les Etats-Unis et tous les pays d’Europe pour décider qu’on met Kadhafi sous le mandat de la Cour pénale internationale. Je crois que, de ce point de vue, il y a une évolution de la conscience internationale à travers la crise libyenne. Une prise de conscience qu’il y a une exemplarité internationale qu’on doit défendre ; et l’Europe est aux avant-postes là-dessus. Je le dis, parce que durant les semaines précédentes, on a trop fait de l’auto-flagellation de la diplomatie française et de la diplomatie européenne. Sur ces sujets, et notamment sur la Libye, c’est la diplomatie française et la diplomatie européenne qui sont à l’avant-garde.
Q - A l’avant-garde, mais il n’empêche qu’il y a quand même cette division au sein de l’Europe, ça, vous ne pouvez pas le nier, sur les problèmes d’immigration.
R - Non, il y a une vraie unité de vue pour dire qu’il faut défendre, de façon européenne, nos frontières, et qu’on ne peut pas accepter des flux d’immigration illégaux que l’Europe n’est pas capable d’intégrer.
Q - Nicolas Sarkozy va se rendre demain - on passe à un tout autre sujet - au Puy-en-Velay, en Haute-Loire, c’est votre ville, vous en êtes le maire. Officiellement, c’est pour parler patrimoine, mais on sait que le président veut lancer un débat sur la laïcité, sur la place de l’islam en France. Se rendre dans une ville connue pour être l’une des principales étapes du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, c’est un choix judicieux ?
R - En tout cas, c’est un symbole. Sur ce débat sur la laïcité, non seulement, c’est un débat utile, mais pour moi, c’est un débat salutaire. Pourquoi ? Il y a quarante ans, la France n’avait quasiment pas de personnes qui se réclamaient de la confession musulmane. Aujourd’hui, on a à peu près cinq millions de Français qui se réclament de la confession musulmane, c’est un vrai changement. Qui peut croire qu’on peut vivre ce changement sans se poser un moment la question de ce que cela signifie pour notre laïcité à la française. Par contre, je ne veux en aucun cas d’un débat caricatural ou de posture idéologique. Pour moi, ce débat, il doit être pragmatique, et vous évoquiez l’échelon de la mairie, qui est pour moi la vraie communauté de vie. Ce débat doit permettre d’apporter les réponses concrètes qui se posent pour un maire : formation des imams, question des lieux de culte, organisation des lieux de prières… Des questions aussi pratiques que : comment je gère mes lieux publics par rapport à des demandes religieuses ?
Q - Mais cela, ce sont des questions auxquelles les politiques pourraient y répondre sans lancer un vaste débat dans le pays...
R - Oui, mais aujourd’hui, ce qu’on a vu, avec la question, il y a un certain nombre d’années, du voile à l’école, et puis ensuite, de la burqa, puis, d’un certain nombre de revendications sur les services publics, c’est qu’on aborde ces questions en ordre dispersé. Il est bon qu’à un moment on mène une réflexion plus large. Je le dis, ce débat, s’il est pragmatique et pas caricatural, sera salutaire pour permettre d’apporter la boîte à outils des réponses concrètes.
Q - Et vous pensez, comme votre collègue Thierry Mariani, qu’il y a un problème avec l’islam en France, alors que les autres religions ne posent pas de problème ; c’est ce qu’il a dit...
R - Ah non, alors cela, ce sont des propos que moi, je ne partagerais absolument pas, mais pour une raison à laquelle vous avez fait référence. C’est que je crois que notre pays doit assumer son identité, son histoire, son histoire et ses racines chrétiennes, ce sera sans doute le sens du message du déplacement demain du président de la République, dans la ville du Puy, point de départ de Saint-Jacques de Compostelle. Mais en même temps, c’est parce qu’on assume notre histoire qu’on peut être tolérant et ouvert à la diversité. Et je crois que c’est quand on nie son identité que l’identité se venge et aboutit à l’intolérance.
Q - Donc les musulmans qui prient dans la rue, ça, pas question, mais par contre, les processions catholiques que l’on voit sur le domaine public de temps en temps, ça, c’est autorisé ?
R - Je vais vous donner l’exemple de ma ville, puisque c’est là-dessus que vous m’interrogez, la ville du Puy-en-Velay, point de départ de Saint Jacques de Compostelle, est en même temps une ville dans laquelle je veille à ce que les différentes communautés et les religions puissent dialoguer de façon pacifique. On y est arrivé en assumant cette histoire et en étant en même temps très attentif au respect de la diversité religieuse. Je crois que c’est finalement un beau message.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mars 2011