Texte intégral
Q - La situation en Libye va faire lobjet dun conseil européen extraordinaire le 11 mars prochain. Cest dans neuf jours, ce nest pas un peu tard ; dici-là, la situation a le temps de changer ?
R - Alors, évidemment, on na pas attendu. Dès lundi, par exemple, à Genève, on se retrouvait avec un certain nombre de collègues européens, italien, allemand, anglais, pour évoquer la situation en Libye, et notamment notre préoccupation sur la situation humanitaire. Mais ce sommet européen, cest une initiative française. Et la volonté de la France, cest quil y ait une voix européenne qui soit portée sur la rive Sud de la Méditerranée. Evoquer la situation en Libye, mais plus largement la situation sur lensemble de la rive Sud. Finalement, de la même manière que ce quon a fait en Tunisie, le but de la France est de porter le sujet sur la scène européenne et de faire en sorte quil y ait une coordination européenne sur ces sujets.
Q - Alors, justement, on a limpression que lEurope a du mal à se coordonner, à parler dune seule voix. Les pays sont divisés sur les solutions à apporter à ce qui se passe justement de lautre côté de la Méditerranée.
R - Non, ne vous y trompez pas, je crois que, dabord, il y a une unité de vue sur un point sur lequel la France a plaidé. On aura besoin dun plan Marshall à la fois européen, mais plus largement, impliquant les Etats-Unis, les pays dAsie, pour soutenir et stabiliser la rive Sud de la Méditerranée : nous avons une unité complète là-dessus. Deuxièmement, sur le sujet de la Libye : il y a une détermination totale de lensemble des pays européens à pousser Kadhafi dehors et à faire en sorte que cela ne se traduise pas par un bain de sang. Et puis, enfin, nous portons une très grande attention sur les questions dimmigration, et notamment les risques dimmigration illégale...
Q - Et là, il y a division.
R - Non, il ny a pas division...
Q - LItalie se sent bien seule en tout cas, cest ce quelle dit.
R - La France est exactement sur la même position. Je crois dabord quil faut bien quon comprenne le risque qui existe. La Libye, cest lentonnoir de lAfrique : des pays comme le Liberia, comme la Somalie, comme lErythrée ont des flux dimmigration illégale qui passent par la Libye, cest un vrai risque pour lEurope. Ce dont on parle, ce ne sont pas quelques dizaines de milliers dimmigrants illégaux qui pourraient arriver en Europe, cest potentiellement 200 à 300.000 personnes qui, sur lannée, pourraient chercher à franchir la Méditerranée en direction de lEurope. Cest un sujet qui ne doit pas être sous-estimé. Et je le dis, le PS, sur ces questions, fait preuve dun véritable angélisme. On est sur le thème de : «tout va bien Madame la Marquise». Hier, B. Hamon disait : «on doit accueillir tout le monde, et régulariser tout le monde, et accepter les réfugiés en Europe», cest irresponsable. Et sur ce sujet-là, autant il y a de formidables opportunités, autant il y a aussi des risques, et je trouve quon a le retour un petit peu de la gauche «Bisounours», qui sétait disqualifiée exactement de la même manière sur les questions de sécurité en 2002, et qui, sur cette sous-estimation de la menace dimmigration illégale, a le même angélisme.
Q - Et on ne pourrait pas faire confiance aux Libyens et se dire que si le régime de Kadhafi tombe, le régime qui va lui succéder pourrait justement continuer à contenir cette immigration ?
R - Cest précisément pour ça quon doit équilibrer notre politique sur ces deux volets : aider la rive Sud de la Méditerranée, promouvoir leur développement.
Q - Comment ?
R - En investissant dans la démocratie, je crois que ça se résume très simplement...
Q - Mais ça, ça veut dire quoi ?
R - Cela veut dire, comme on la fait en Tunisie, travailler avec eux, les aider à investir dans la formation professionnelle, mettre en place un véritable office euro-méditerranéen pour la jeunesse, qui permet daider les jeunes qui habitent en Tunisie, en Libye, en Egypte, à faire leurs études en Europe, et ensuite les aider à revenir dans leur pays avec des vrais projets, quon soutiendrait financièrement. Le projet de lOffice européen pour la jeunesse cest un très beau projet. Il y a également la question des infrastructures, le sujet des coopérations entre les PME ou des projets concrets qui sont portés par le biais de lUPM. Par exemple les projets pour la dépollution de la Méditerranée et pour investir sur lénergie solaire. La relance de lUnion pour la Méditerranée au niveau européen ne peut se faire que par des projets concrets comme ceux que je vous évoque. Parce que cest cela dont, en ce moment, ils ont besoin : pas de grands discours, mais une diplomatie concrète dactions.
Q - Et pour la Libye justement, qui doit agir ? Est-ce que cela doit se faire au niveau européen, au niveau de lONU. Les Etats-Unis, on le voit, sont déjà prêts à intervenir militairement. Comment ça doit se faire, quelle est votre préférence ?
R - Alors, dabord, la première chose, cest avoir la coordination maximale entre lEurope et la scène mondiale notamment au niveau des Nations unies. Sur la Libye, cette détermination était très forte et commune. Par exemple, hier, lAssemblée générale des Nations unies a décidé dexclure la Libye du Conseil des droits de lHomme. Cest assez rare, cela intervient très rarement...
Q - Cest rare, mais visiblement, ça ne fait pas peur à Kadhafi, ça.
R - Non, par contre, ce qui lui fait beaucoup plus peur, cest la saisine de la Cour pénale internationale. Là aussi, cest la première fois quil y a une unanimité entre la Chine, la Russie, les Etats-Unis et tous les pays dEurope pour décider quon met Kadhafi sous le mandat de la Cour pénale internationale. Je crois que, de ce point de vue, il y a une évolution de la conscience internationale à travers la crise libyenne. Une prise de conscience quil y a une exemplarité internationale quon doit défendre ; et lEurope est aux avant-postes là-dessus. Je le dis, parce que durant les semaines précédentes, on a trop fait de lauto-flagellation de la diplomatie française et de la diplomatie européenne. Sur ces sujets, et notamment sur la Libye, cest la diplomatie française et la diplomatie européenne qui sont à lavant-garde.
Q - A lavant-garde, mais il nempêche quil y a quand même cette division au sein de lEurope, ça, vous ne pouvez pas le nier, sur les problèmes dimmigration.
R - Non, il y a une vraie unité de vue pour dire quil faut défendre, de façon européenne, nos frontières, et quon ne peut pas accepter des flux dimmigration illégaux que lEurope nest pas capable dintégrer.
Q - Nicolas Sarkozy va se rendre demain - on passe à un tout autre sujet - au Puy-en-Velay, en Haute-Loire, cest votre ville, vous en êtes le maire. Officiellement, cest pour parler patrimoine, mais on sait que le président veut lancer un débat sur la laïcité, sur la place de lislam en France. Se rendre dans une ville connue pour être lune des principales étapes du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, cest un choix judicieux ?
R - En tout cas, cest un symbole. Sur ce débat sur la laïcité, non seulement, cest un débat utile, mais pour moi, cest un débat salutaire. Pourquoi ? Il y a quarante ans, la France navait quasiment pas de personnes qui se réclamaient de la confession musulmane. Aujourdhui, on a à peu près cinq millions de Français qui se réclament de la confession musulmane, cest un vrai changement. Qui peut croire quon peut vivre ce changement sans se poser un moment la question de ce que cela signifie pour notre laïcité à la française. Par contre, je ne veux en aucun cas dun débat caricatural ou de posture idéologique. Pour moi, ce débat, il doit être pragmatique, et vous évoquiez léchelon de la mairie, qui est pour moi la vraie communauté de vie. Ce débat doit permettre dapporter les réponses concrètes qui se posent pour un maire : formation des imams, question des lieux de culte, organisation des lieux de prières Des questions aussi pratiques que : comment je gère mes lieux publics par rapport à des demandes religieuses ?
Q - Mais cela, ce sont des questions auxquelles les politiques pourraient y répondre sans lancer un vaste débat dans le pays...
R - Oui, mais aujourdhui, ce quon a vu, avec la question, il y a un certain nombre dannées, du voile à lécole, et puis ensuite, de la burqa, puis, dun certain nombre de revendications sur les services publics, cest quon aborde ces questions en ordre dispersé. Il est bon quà un moment on mène une réflexion plus large. Je le dis, ce débat, sil est pragmatique et pas caricatural, sera salutaire pour permettre dapporter la boîte à outils des réponses concrètes.
Q - Et vous pensez, comme votre collègue Thierry Mariani, quil y a un problème avec lislam en France, alors que les autres religions ne posent pas de problème ; cest ce quil a dit...
R - Ah non, alors cela, ce sont des propos que moi, je ne partagerais absolument pas, mais pour une raison à laquelle vous avez fait référence. Cest que je crois que notre pays doit assumer son identité, son histoire, son histoire et ses racines chrétiennes, ce sera sans doute le sens du message du déplacement demain du président de la République, dans la ville du Puy, point de départ de Saint-Jacques de Compostelle. Mais en même temps, cest parce quon assume notre histoire quon peut être tolérant et ouvert à la diversité. Et je crois que cest quand on nie son identité que lidentité se venge et aboutit à lintolérance.
Q - Donc les musulmans qui prient dans la rue, ça, pas question, mais par contre, les processions catholiques que lon voit sur le domaine public de temps en temps, ça, cest autorisé ?
R - Je vais vous donner lexemple de ma ville, puisque cest là-dessus que vous minterrogez, la ville du Puy-en-Velay, point de départ de Saint Jacques de Compostelle, est en même temps une ville dans laquelle je veille à ce que les différentes communautés et les religions puissent dialoguer de façon pacifique. On y est arrivé en assumant cette histoire et en étant en même temps très attentif au respect de la diversité religieuse. Je crois que cest finalement un beau message.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mars 2011