Interview de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, à Europe 1 le 24 mars 2011, sur l'intervention militaire française en Libye sous mandat de l'ONU.

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Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH Gérard LONGUET, bienvenu, bonjour. Merci d'être avec nous. Quel est le résultat des frappes en Libye de cette nuit ?
 
GERARD LONGUET Le résultat depuis quatre jours est décisif. L'irréversible a été évité, l'étau sur le secteur de Benghazi a été brisé.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Donc Benghazi est sauvée.
 
GERARD LONGUET Non seulement Benghazi est sauvée mais surtout KADHAFI et ses troupes savent désormais qu'il n'y a pas de solution par la force, par la violence contre son peuple.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Quelles étaient vos cibles à Tripoli cette nuit ?
 
GERARD LONGUET Alors les cibles sur Tripoli, nous avons – se donner les moyens d'interdire toute opération aérienne, tout contrôle et toute communication.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais est-ce qu'on peut dire ce matin que la guerre contre le dictateur libyen n'est pas finie ? Qu'il y aura d'autres frappes ?
 
GERARD LONGUET Absolument. C'est d'ailleurs - la résolution 1973 est très importante : elle nous fait obligation de protéger des populations civiles, c'est-à-dire de frapper tous ceux qui peuvent frapper des civiles – des blindés, des chars – et la seule difficulté technique que nous rencontrons, c'est lorsque les combattants sont mêlés. Il est évident que le risque de dommage collatéral est tellement élevé que nous ne pouvons pas intervenir.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Quand ils utilisent des boucliers humains.
 
GERARD LONGUET Disons que les combattants sont mêlés et à ce moment-là, notre solution – ce que nous faisons d'ailleurs actuellement – c'est de frapper les approvisionnements, la logistique c'est-à-dire faire en sorte que les munitions n'arrivent pas vers les combattants kadhafistes.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Donc ce soir, KADHAFI…
 
GERARD LONGUET Et alors aussi desserrer. Vous savez qu'il n'y a pas de ligne de front à proprement parler ; il y a des villes qui ont choisi la liberté – je pense à Zintan, à Misrata qui sont encerclées à l'intérieur du dispositif. Si l'est est autonome, ces villes nous sommes en train de desserrer l'étau qui pèse sur elles.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Parce qu'il continue. Il n'a ni avions, KADHAFI, ni bases, ni missiles et pourtant il résiste. Il nargue quelquefois la coalition et ses armées ont bombardé justement la ville, l'hôpital de la ville dont vous parlez, Misrata.
 
GERARD LONGUET Il a 40 ans de pouvoir et 40 ans pendant lesquels il a tissé un système qui personnel qui le soutient avec des soldats qui sont liés à son succès ou à son échec. Simplement ces soldats sont en train de se rendre compte – et on le sait au travers des écoutes – sont en train de se rendre compte que le combat de KADHAFI n'a pas d'issue et ça, c'est un facteur psychologique extrêmement important.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous voulez dire qu'il y en a qui changent de camp ?
 
GERARD LONGUET On sent que ça vacille chez eux.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Ça commence.
 
GERARD LONGUET On le sent parce qu'on écoute.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Ah oui ! Votre collègue américain Robert GATES a révélé hier qu'aucun calendrier n'était prévu pour la fin des opérations en Libye. Ça veut dire qu'elles peuvent donc durer encore des semaines.
 
GERARD LONGUET Je vais vous dire Jean-Pierre ELKABBACH : quand nous sommes dans un rapport de force, celui qui est pressé et qui le dit a toujours tort. Donc nous ne sommes pas pressés et nous ne le disons pas.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Même si vous êtes pressé, vous ne le dites pas. Rarement une intervention militaire de cette ampleur n'a été lancée dans une telle confusion. Qui est la tête politique qui dirige l'ensemble ?
 
GERARD LONGUET Très clairement la Grande Bretagne, la France et les États-Unis. OBAMA, CAMERON et le président SARKOZY sont en lien direct constant et permanent sur cette affaire.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Est-ce que ce sont les Américains qui décident ?
 
GERARD LONGUET La décision est à trois. Par exemple, lorsque l'on choisit tel type de cible, lorsque l'on décide de desserrer l'étau qui pèse sur Misrata ou Zintan, c'est une décision politique, elle a un affichage symbolique indépendamment des intérêts tactiques et c'est une décision politique. Ensuite, il y a une mécanique de transmission de l'information à l'ensemble des avions de la coalition et en effet, c'est l'état-major de l'OTAN qui fonctionne.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH L'OTAN, mais il paraît que l'OTAN refuse de prendre le commandement.
 
GERARD LONGUET Eh oui, parce que l'OTAN ce sont 28 pays qui fonctionnent sur la base de l'unanimité. C'est simplement impossible. Donc l'OTAN est un formidable, une formidable machine à transmettre des informations vers le haut et vers le bas ; elle ne peut pas décider en lieu et place des patrons de la coalition que j'évoquais tout à l'heure. Et d'ailleurs Alain JUPPÉ a crée, pardonnez-moi, Alain JUPPÉ a annoncé en accord avec CAMERON la rencontre le 29 mars prochain à Londres de ce qu'on appelle le groupe de contact, c'est-à-dire les pays engagés de la coalition.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH C'est-à-dire la gouvernance politique ?
 
GERARD LONGUET La gouvernance politique depuis le Qatar jusqu'aux États-Unis avec naturellement l'Angleterre et la France, nous aurons ce groupe de contact. Certains sont membres de l'OTAN, d'autres n'en sont pas membres mais tous ont la même volonté de faire partir KADHAFI.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH D'accord. Gérard LONGUET, mais même dans un collège, un groupe de la gouvernance collective il y a une tête, il y a un décideur. On fait la guerre sans qu'il y ait un décideur ?
 
GERARD LONGUET Très franchement, c'est un triptyque, enfin en tous les cas une entente à trois, pourquoi ? Parce que les États-Unis sont engagés et ils n'ont pas envie de se disperser. En revanche, la France et l'Angleterre sont des pays européens qui savent parfaitement que quelque chose en Méditerranée les concerne directement. Et donc nous avons un système assez équilibré à l'intérieur des trois.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH La Ligue arabe devait faire partie des pays et a fait partie des pays qui ont voté la résolution des Nations Unies.
 
GERARD LONGUET Et elle sera à Londres le 29 mars prochain, Amr MOUSSA sera à Londres.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH D'accord. Mais dans le conflit, où sont-ils les pays arabes ? Où sont les quatre avions promis du Qatar ?
 
GERARD LONGUET Alors ils sont en Crète avec d'ailleurs nos pilotes puisque nous avons une coopération ancienne.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Au sol ?
 
GERARD LONGUET En Crète, au sol. Ils ont vocation à voler dans la journée.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Oui. Est-ce qu'ils peuvent, les Qatari, les pilotes qatari, montrer un engagement des pays arabes ?
 
GERARD LONGUET Absolument. Affirmatif, c'est tout à fait le cas.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Au Kremlin, un conseiller du président MEDVEDEV disait hier qu'on ne pourra échapper quoi que l'on dise à une opération terrestre. Est-ce que c'est possible ?
 
GERARD LONGUET Ce n'est pas la résolution et très honnêtement, on peut s'en passer dès lors qu'il y a à la fois une très forte détermination dans l'utilisation de l'armée aérienne qui est redoutable et une ouverture politique simultanée. Parce que, si vous voulez, si les gens sont dos au mur, ils se battent jusqu'au bout. Si les gens de Tripoli qui ne sont pas tous kadhafistes fous se rendent compte qu'il y a une porte, ils la saisiront.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais il a encore des partisans, KADHAFI.
 
GERARD LONGUET Oui, mais à terme naturellement.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Tous, selon vous tous, est-ce qu'il y a une autre perspective que le départ ou l'exil ?
 
GERARD LONGUET Très honnêtement, personne ne veut de lui y compris en Libye et il est un obstacle et il va être ressenti par les Libyens y compris ceux de Tripoli comme un obstacle.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH L'Europe organisée sur le plan monétaire et économique – on va le voir encore au sommet de Bruxelles – fait preuve d'impuissance militaire. Il n'y a que les Anglais et les Français qui ont une armée et qui se bat, et qui existe. Comment ça se fait ?
 
GERARD LONGUET Parce que – c'est une vraie souffrance pour moi qui suis très européen. Je me rends compte que l'Angleterre et la France ont la même vision assez responsable et parfois tragique du monde. Les autres pays ont perdu l'idée d'être responsable du large environnement.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Donc tout retombe sur les soldats français ?
 
GERARD LONGUET Tout retombe sur les soldats français qui font un travail, permettez-moi de le dire, formidable. Nous avons une armée de professionnels mais une armée je dirais de gens engagés. On pense aux pilotes – ils sont peut-être moins d'une centaine – il faut penser aux milliers d'aviateurs, techniciens, qui permettent tout cela et moi je suis fier que la parole de la France ait de l'autorité dans le monde parce que ces hommes et ces femmes s'engagent.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Est-ce que vous confirmez qu'aujourd'hui au sommet de Bruxelles, Français et Anglais pourraient lancer une nouvelle initiative cette fois politique et de paix ?
 
GERARD LONGUET C'est exactement l'objectif. Nous sommes profondément pour que les Libyens se parlent entre eux. Nous avons une trop grande expérience de la politique pour savoir qu'on ne sort pas de ce type de conflit sans, je dirais, allez, une ouverture d'esprit avec tous ceux qui sont de bonne volonté.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Elle sera faite aujourd'hui ?
 
GERARD LONGUET Je pense que c'est l'objet de la réunion du 29 et cette réunion du 29, elle est préparée par un sommet européen. Je n'imagine pas que des Européens se réunissant à Bruxelles n'évoquent pas cette sortie.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et donc des discussions entre Libyens.
 
GERARD LONGUET Et la France qui a été avec l'Angleterre très courageuse pour éviter l'irréversible a le devoir, je le pense profondément, de faire, allez !, d'ouvrir l'esprit de nos partenaires européens sur l'idée qu'il y a des solutions.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Gérard LONGUET, en France les politiques et l'opinion soutiennent jusqu'ici l'opération avec des questions.
 
GERARD LONGUET Oui.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Combien ça coûte ? Qui va payer la facture ?
 
GERARD LONGUET Alors ça coûte de l'argent évidemment, dans le cadre du budget de la défense – je tiens à le dire – pour une partie importante. Il y aura évidemment des surplus. Ces surplus sont marginaux par rapport à ce que coûterait une tragédie en Méditerranée et l'image de la France vis-à-vis d'elle-même. Vous savez, un pays qui a confiance en lui, un pays qui se sent porteur de valeurs et qui sur le terrain est capable de les défendre, c'est un pays qui retrouve de l'élan, du dynamisme et, allez, je ne ferai pas de calculs économiques mais je pense que la fierté et la solidarité que nous en trouvons vaut bien les quelques millions qui vont être dépensés.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Oui, et pas partagés. Dépensés par nous.
 
GERARD LONGUET Et pas partagés. Et pas partagés, en effet.
 
GUILLAUME CAHOUR Jean-Pierre ELKABBACH, merci beaucoup ; Gérard LONGUET également. Demain, Jean-Pierre, votre invité ?
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Le nouveau président de la République de Guinée, Alpha CONDÉ. Des années de prison, élu démocratiquement après 40 ans de dictature, un des exemples de la nouvelle Afrique. Gérard LONGUET approuve.
 
GERARD LONGUET Absolument.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 25 mars 2011